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Décisions

Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-10.548

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

BMA (SAS)

Défendeur :

Moal, IT global services (ITGS) (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

M. Pietton

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Boulloche

Versailles, 12e ch., sect. 2, du 19 mars…

19 mars 2009

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 18 décembre 2007, pourvoi n° 05-19.397) que s'estimant victime de divers actes de concurrence déloyale qui auraient été commis par son ancien président, directeur commercial et actionnaire, M. Moal, ainsi que par la société ITGS PR (la société ITGS), créée le 5 août 2002, qui a embauché celui-ci le 15 septembre suivant après la révocation de ses fonctions de président le 3 avril précédent et son licenciement le 19 août 2002, à la suite desquels il a perdu sa qualité d'actionnaire le 20 novembre de la même année, la société par actions simplifiée BMA, qui exerce une activité concurrente dans le secteur de la communication, a assigné M. Moal et la société ITGS en réparation de son préjudice, invoquant notamment une clause du pacte d'actionnaires signé le 21 avril 2001 stipulant que M. Moal, conscient que son industrie était essentielle à la réussite de l'entreprise et désireux de cette réussite qui constituait le véritable objet de sa souscription aux statuts de la société, s'engageait pour une période de 24 mois à compter de la signature des statuts, à consacrer tous ses efforts au développement exclusif de la société BMA ;

Sur le second moyen : - Attendu que la société BMA fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes en réparation de son préjudice résultant de la violation de la clause d'exclusivité, alors, selon le moyen : 1°) que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise ; que M. Moal, qui a consenti, dans le pacte d'actionnaire, l'engagement de consacrer tous ses efforts au développement exclusif de la société BMA en considération de sa souscription aux statuts de cette société et de sa qualité d'actionnaire, sans aucune limitation ou réserve liées aux modalités de sa collaboration à l'activité de cette société, était tenu par cet engagement qui demeurait valable tant qu'il conservait sa qualité d'actionnaire ; qu'en jugeant le contraire, au motif inopérant de la révocation de M. Moal de ses fonctions de président et de son licenciement par la société BMA, la cour d'appel a violé le principe d'intangibilité du contrat et les articles 1134 et 1382 du Code civil ; 2°) que le fait d'un tiers n'exonère le débiteur de sa responsabilité que s'il présente les caractères de la force majeure ou du cas fortuit ; que la rupture du contrat de travail de M. Moal, motivée par le comportement de ce dernier qui a créé et développé une activité concurrente à celle de la société BMA, n'est pas un fait extérieur à M. Moal susceptible de constituer un cas de force majeure ; qu'en se fondant cependant sur le licenciement de M. Moal par la société BMA, tiers au pacte d'actionnaires, pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 1148 et 1382 du Code civil ; 3°) que les conventions doivent être exécutées de bonne foi ; que l'actionnaire qui a manqué à son obligation de consacrer ses efforts au développement exclusif d'une société ne peut valablement se prévaloir de ce manquement pour échapper à cette obligation ; qu'en retenant que la société BMA ne peut reprocher à M. Moal d'avoir manqué à son engagement de consacrer tous ses efforts à son développement exclusif dès lors qu'elle l'a elle-même révoqué de ses fonctions de président et a mis fin à son contrat de travail, cependant que cette révocation et ce licenciement avaient été provoqués par la création et le développement par M. Moal d'une activité concurrente à celle de la société BMA, c'est-à-dire par une violation du pacte créant ainsi la rupture des contrats, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient, par une interprétation souveraine de la volonté des parties au pacte d'actionnaires, que la clause d'exclusivité ne pouvait être comprise indépendamment du lien de collaboration ayant existé entre M. Moal et la société BMA et que son objet se limitait donc implicitement mais nécessairement aux conditions d'exercice de la collaboration des associés entre eux au bénéfice de la société BMA ; qu'il relève que M. Moal, qui avait été révoqué et licencié à l'initiative de la société BMA, avait ainsi été mis, du fait de circonstances non prévues par le pacte d'actionnaires, dans l'impossibilité de respecter cet engagement ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que l'engagement de M. Moal était caduc ;

Et attendu, en second lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions de la société BMA que le moyen tiré de la force majeure ait été soutenu devant les juges du fond ; que le moyen, mélangé de fait et de droit, est nouveau ; D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 1351 du Code civil, ensemble l'article 624 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour confirmer le jugement ayant rejeté les demandes de la société BMA en réparation de son préjudice dirigées contre M. Moal pour violation de la clause d'exclusivité stipulée dans le pacte d'actionnaires et contre la société ITGS pour complicité de cette violation, l'arrêt retient que, dans son arrêt du 30 juin 2005, la cour d'appel a dit que seuls les faits postérieurs à la rupture du contrat de travail devaient être examinés pour déterminer si M. Moal avait manqué à son obligation de loyauté envers son ancien employeur et si la société ITGS s'était rendue complice de ces agissements, qu'elle avait retenu que la société BMA ne pouvait pas se prévaloir du pacte d'actionnaires qu'elle n'avait pas signé, que la Cour de cassation a cassé cette décision seulement en ce deuxième moyen et qu'elle a, en revanche, écarté celui qui critiquait la décision d'avoir limité l'examen de la demande d'indemnisation aux seuls actes postérieurs à la rupture du contrat de travail ; qu'il en déduit que la société BMA ne peut pas, devant la cour d'appel de renvoi, tirer argument des agissements de M. Moal au sein de l'entreprise antérieurs au 19 août 2002, date de la notification de son licenciement pour faute lourde ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'arrêt du 18 décembre 2007 ayant cassé le chef du dispositif de l'arrêt rendu le 30 juin 2005 par la Cour d'appel de Versailles qui avait rejeté la demande formée par la société BMA à l'encontre de M. Moal et de la société ITGS en réparation du préjudice résultant de la violation par ce dernier de la clause d'exclusivité figurant dans le pacte d'actionnaires et dont cette dernière société se serait rendue complice, la cour d'appel qui était investie de la connaissance du litige relatif à la violation du pacte d'actionnaires sur l'ensemble de la période de son application, a méconnu l'étendue de sa saisine et violé les textes susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a confirmé le jugement ayant rejeté la demande en réparation dirigée contre M. Moal du préjudice résultant de la violation de la clause d'exclusivité stipulée dans le pacte d'actionnaires du 24 avril 2001 et contre la société ITGS-PR pour complicité de cette violation pour la période antérieure au licenciement de M. Moal, l'arrêt rendu le 19 mars 2009, entre les parties, par la Cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Versailles, autrement composée ; Condamne M. Moal et la société ITGS-PR aux dépens ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à la société BMA la somme globale de 2 500 euro.