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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 20 septembre 2011, n° 09-03842

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cacio (SA)

Défendeur :

Levy Avyel Diffusion (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Hoffbeck

Conseillers :

MM. Cuenot, Allard

Avocats :

Mes Harnist, Coelho, Wiesel, Samuel

TGI Strasbourg, ch. com., du 7 mai 2009

7 mai 2009

Le 24 septembre 2001, la société de droit portugais Cacio et M. Levy ont signé une Convention intitulée "Conventions de vente" désignant ce dernier comme "l'agent exclusif" de la société portugaise sur douze départements français.

Reprochant à sa partenaire d'avoir unilatéralement rompu ce contrat à compter du 30 avril 2006, la société Levy Avyel Diffusion a, selon assignation délivrée le 12 septembre 2006, attrait la société Cacio devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg pour obtenir le paiement de 5 368,50 euro au titre de l'indemnité de préavis, de 57 391,99 euro au titre de l'indemnité de rupture et de 3 233,79 euro au titre de commissions arriérées.

La société Cacio s'est opposée à cette demande en soulevant à titre principal l'incompétence des juridictions françaises et en déniant subsidiairement à la demanderesse la protection du statut d'agent commercial.

Par jugement du 7 mai 2009, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a :

- constaté la rupture du mandat d'agent commercial ayant existé entre la société Cacio et M. Levy aux torts de la société Cacio,

- condamné la société Cacio à payer à M. Levy la somme de 5 368,50 euro au titre du préavis,

- condamné la société Cacio à payer à M. Levy la somme de 38 261 euro en réparation de son préjudice,

- condamné la société Cacio à payer à M. Levy la somme de 2 547,63 euro au titre du rappel de commissions,

- condamné la société Cacio à payer à M. Levy une somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Cacio aux dépens.

Les premiers juges ont principalement retenu :

- que l'exception d'incompétence ne pouvait plus être examinée compte tenu du refus du juge de la mise en état de rabattre l'ordonnance de clôture intervenue le 5 février 2009 ;

- que les parties étaient liées par un contrat d'agent commercial au sens de l'article L. 134-1 du Code de commerce ;

- que la société Cacio qui était à l'origine de la rupture du contrat d'agence devait en réparer les conséquences ;

- qu'il importait peu que le contrat signé le 24 septembre 2001 avait exclu toute indemnité en cas de rupture ;

- que la société Cacio n'établissait pas que M. Levy avait commis une faute lourde de nature à le priver de l'indemnisation de son préavis.

Par déclaration reçue le la société Cacio a interjeté appel de cette décision en intimant la société Levy Avyel Diffusion.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives déposées le 18 février 2011, la société Cacio demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable ;

- infirmer le jugement entrepris ;

- se déclarer incompétente au profit du Tribunal da comarca de Paredes ;

- déclarer irrecevable la demande en paiement introduite par la société Levy Avyel Diffusion devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg ;

- renvoyer la société Levy Avyel Diffusion à mieux se pourvoir ;

- à titre subsidiaire, débouter la société Levy Avyel Diffusion de l'ensemble de ses prétentions ;

- condamner la société Levy Avyel Diffusion au paiement de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance ;

- condamner la société Levy Avyel Diffusion au paiement de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

- condamner la société Levy Avyel Diffusion aux dépens.

Au soutien de son appel, elle fait valoir en substance :

- que les parties ont entendu inscrire leurs relations commerciales dans le cadre juridique du mandat commercial régi par les articles 231 à 247 du Code de commerce portugais ;

- que la juridiction compétente doit être déterminée selon les règles posées par la Convention de Bruxelles et la jurisprudence de la CJCE ;

- que l'obligation litigieuse, qui est quérable, devant s'exécuter au domicile de l'appelante, les juridictions portugaises sont compétentes ;

- qu'en tout état de cause, l'exécution de l'obligation de paiement a été constamment réalisée au Portugal sur le territoire duquel les chèques émis par l'appelante étaient payables ;

- que les premiers juges ont dénaturé la commune intention des parties pour retenir la qualification de contrat d'agent commercial dès lors que la société Levy Avyel Diffusion ne disposait d'aucun pouvoir de négociation ;

- que le droit portugais est applicable au contrat du 24 septembre 2001 ;

- qu'en commercialisant les meubles d'une société concurrente et en faisant preuve de négligence dans la prospection de la clientèle, la société Levy Avyel Diffusion a commis une faute grave de nature à la priver de tout droit à indemnité ;

- que les parties ont exclu toute indemnité en cas de rupture de la Convention et tout préavis.

Selon conclusions récapitulatives remises le 3 décembre 2010, la société Levy Avyel Diffusion et M. Levy rétorquent :

- que le contrat litigieux est soumis à la loi française en application de la Convention de La Haye sur la représentation commerciale ;

- que les juridictions françaises, juridictions du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande, sont compétentes ;

- que M. Levy ayant mission de conclure et de négocier les contrats de vente avec les clients, les parties étaient liées par un contrat d'agent commercial ;

- que le caractère d'ordre public de l'article L. 134-12 du Code de commerce prohibe toute clause privant l'agent de son droit à indemnité ;

- que les négligences et irrégularités invoquées par l'appelante ne sont pas démontrées.

En conséquence, ils prient la cour de :

- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qui concerne les montants auxquels la société Cacio a été condamnée au titre de l'indemnisation du préjudice et du rappel des commissions dues ;

- condamner la société Cacio à payer aux intimés la somme de 57 391,99 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture du contrat ;

- condamner la société Cacio à payer aux intimés la somme de 3 233,79 euro au titre du rappel de commissions, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 5 mai 2006 ;

- à titre subsidiaire, confirmer purement et simplement le jugement entrepris ;

- débouter la société Cacio de ses prétentions ;

- condamner la société Cacio à payer aux intimés la somme de 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Cacio aux dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 avril 2011.

Sur ce, LA COUR,

Vu les pièces et les écrits des parties auxquels il est renvoyé pour l'exposé du détail de leur argumentation,

Attendu que la recevabilité de l'appel en la forme n'est pas discutée ;

Attendu que la recevabilité de l'intervention volontaire de M. Levy, à l'égard duquel la société Cacio a été reconnue débitrice par les premiers juges mais qui n'a pas été intimé par celle-ci, n'est pas discutée ;

Attendu que la demande en justice ayant été introduite selon exploit de Me Groell en date du 22 août 2006, les règles de compétence judiciaire auxquelles est soumis le litige sont posées par le règlement (CE) du Conseil n° 44-2001 du 22 décembre 2000 et non par la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 à laquelle se réfère l'appelante ;

Attendu que la société Cacio n'invoque aucune clause attributive de juridiction ;

Attendu que selon l'article 5-1 du règlement n° 44-2001, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre, en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ; que ce même article précise que, sauf Convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :

- pour la vente de marchandises, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

- pour la fourniture de services, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

Attendu qu'en dépit de sa contestation sur la qualification de l'accord conclu le 24 septembre 2001, la société Cacio admet avoir entretenu des relations contractuelles avec un "mandataire commercial" chargé de promouvoir ses produits (meubles) sur le territoire français ; que les parties étaient ainsi tenues par un contrat de fourniture de services au sens de l'article 5-1-b susvisé, dont les prestations devaient s'exécuter en France ; que dans ces conditions, le Tribunal de grande instance de Strasbourg était compétent pour connaître de l'action en responsabilité contractuelle introduite contre la société Cacio, en vertu de l'option ouverte par le règlement n° 44-2001 ; que l'exception d'incompétence doit être rejetée ;

Attendu que la loi applicable à l'accord du 24 septembre 2001 doit être déterminée conformément aux dispositions de la Convention de La Haye du 4 mars 1978 sur la loi applicable à la représentation et aux contrats d'intermédiaires, ratifiée tant par la France que par le Portugal, et entrée en vigueur le 1er mai 1992 ;

Attendu que les parties n'ont pas désigné dans l'acte la loi qui régirait le rapport de représentation ;

Attendu que si le contrat a été signé au Portugal (à Baltar selon les mentions de l'acte), il a été rédigé en langue française, et non en langue portugaise ; qu'aucune référence à la loi portugaise n'y figure ; que la société Cacio ne produit aucune correspondance étayant la thèse du choix de la loi portugaise ; qu'il est dans ces conditions impossible de considérer, avec la "certitude raisonnable" exigée par l'article 5 de la Convention précitée, que les parties avaient entendu se soumettre à la loi portugaise ;

Attendu qu'à défaut de choix par les parties, le contrat est, en application de l'article 6 de la Convention de La Haye, soumis à la "loi interne de l'Etat dans lequel, au moment de la formation du rapport de représentation, l'intermédiaire a son établissement professionnel ou, à défaut sa résidence habituelle", soit en l'espèce la loi française ;

Attendu que la décision entreprise n'est pas critiquée en ce qu'elle a alloué les indemnités litigieuses à M. Levy, signataire de l'accord du 24 septembre 2001, et non à la société Levy Avyel Diffusion qui avait introduit l'instance ;

Attendu que tout en reconnaissant que M. Levy avait la qualité de "mandataire commercial", la société Cacio lui dénie le statut d'agent commercial aux motifs qu'il n'avait ni le pouvoir de négocier, ni celui de conclure des contrats ;

Attendu qu'en utilisant, de façon isolée au surplus, le vocable "mandat d'intérêt commun" dans l'acte introductif d'instance, la société Levy Avyel Diffusion n'a nullement accrédité la thèse de la société Cacio dès lors que le contrat d'agent commercial n'est qu'un exemple de mandat d'intérêt commun ;

Attendu que le contrat litigieux, fort laconique, désigne M. Levy comme "l'agent exclusif" de la société Cacio et prévoit le paiement d'une "commission ... à 7 % pour la collection Amboise, sauf pour les adhérents des groupes "Le Négociataire" et "L'Inventaire" pour lesquels la commission a été fixée à 5 % ; qu'il précise que le règlement de la commission interviendra 1 mois et 10 jours après le paiement de la marchandise ; que M. Levy, dont la rémunération n'était pas forfaitaire mais était assise sur les affaires apportées et réglées, avait un intérêt personnel à traiter ; qu'un mandat d'intérêt commun est en l'espèce caractérisé ;

Attendu que M. Levy justifie avoir reçu les commandes des clients (bons de commande figurant sous les annexes n° 14, 15, 16, 18, 23) en accordant des remises et en arrêtant les délais d'expédition ; qu'il n'a pas assuré une simple mission de représentation des produits de la société Cacio mais a exercé le pouvoir de négocier les contrats ;

Attendu que c'est à bon droit que les premiers juges ont reconnu à M. Levy le statut d'agent commercial ;

Attendu que selon courrier recommandé daté du 13 avril 2006, la société Cacio a dénoncé l'accord du 24 septembre 2001 avec effet au 30 avril 2006 en lui reprochant :

- la baisse du chiffre d'affaires réalisé sur son secteur alors que celui-ci progressait sur les autres secteurs,

- le maintien de ses relations avec la société Gonzaga, malgré son engagement d'y mettre fin ;

Attendu que M. Levy ne conteste pas avoir représenté sur son secteur les meubles d'un concurrent de la société Cacio, la société Gonzaga ;

Attendu que selon l'article L. 134-3 du Code de commerce, l'agent commercial ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants, sans l'accord de ce dernier ;

Attendu qu'il résulte des catalogues produits aux débats par l'appelante que les sociétés Cacio et Gonzaga fabriquent et commercialisent des produits similaires (meubles de séjour, de salon, de chambre en bois de style rustique) et directement concurrents ;

Attendu que M. Levy ne justifie pas avoir avisé la société Cacio qu'il travaillait pour une entreprise concurrente, la mandante ayant, au vu des attestations produites, apparemment découvert cette situation lors d'une foire tenue à Reims en 2004 ; qu'en dissimulant la représentation d'une société concurrente, M. Levy a manqué de loyauté envers la société Cacio ; que son comportement ne saurait être légitimé par la circonstance, au demeurant non démontrée, que l'agent belge de la société Cacio travaillerait simultanément pour les deux sociétés ;

Attendu que ce manquement à son devoir de loyauté constitue une faute grave qui prive M. Levy de son droit à obtenir l'indemnité de compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce et l'indemnité de préavis ;

Attendu que cette faute ne le prive toutefois pas de son droit à commission ;

Attendu qu'au vu des copies de factures produites, dont l'authenticité n'est pas discutée, la société Cacio, qui ne démontre pas que les affaires ayant donné lieu à cette facturation n'ont pas été apportées par M. Levy, ni ne justifie avoir réglé les commissions afférentes à ces affaires, apparaît redevable d'un rappel de commissions de 3 233,79 euro ; que le courrier recommandé, daté du 5 mai 2006, dans lequel aucune prétention chiffrée n'était émise par M. Levy, n'a pu faire courir les intérêts moratoires ; que le 12 septembre 2006, date de remise de l'assignation à la société Cacio, sera retenu pour point de départ des intérêts ;

Attendu que M. Levy n'ayant obtenu que partiellement gain de cause, chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel ainsi que celle de ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, Condamne la société Cacio à payer à M. Levy une somme de 3 233,79 euro (trois mille deux cent trente trois euros soixante dix neuf) au titre du rappel de commissions, avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2006 ; Déboute M. Levy de ses prétentions au titre de l'indemnité de rupture et de l'indemnité de préavis ; Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Laisse à chaque partie ses dépens de première instance et d'appel.