CA Aix-en-Provence, 2e ch., 5 octobre 2011, n° 09-22806
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
GSR (SARL), Jousset (ès qual.)
Défendeur :
Motos Accessoires Delta Bike (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon
Conseillers :
MM. Fohlen, Prieur
Avoués :
Me Jauffres, SCP Latil Penarroya-Latil Alligier
Avocats :
Mes Lavisse, Dragon
Faits - procédure - demandes :
Le 25 octobre 2005 la SAS aixoise Motos Accessoires Delta Bike (Mad Bike) a fait parvenir à Madame Ghislaine Lisch, qui avait été gérante d'un hôtel, sa plaquette de présentation de sa franchise Big Store Moto Center. Le 11 janvier 2006 a été signé un contrat de franchise pour une durée de 5 années entre cette société, et la SARL orléanaise GSR créée par Madame Lisch et son fils Samuel titulaire d'un baccalauréat en génie mécanique et motard, pour l'ouverture à Orléans d'un magasin de vente et de prestations de services sous les enseignes Big Store Accessoires Motos et Précis Centre Technique Moto. Cette ouverture a eu lieu le 31 mai 2006.
Le franchisé a été mis en redressement judiciaire le 27 février 2008 avec fixation au 15 précédent de la date de cessation des paiements et désignation de Maître Jean-Paul Jousset en qualité de représentant des créanciers.
Le 7 mai 2008 la société GSR et Me Rousset ont assigné la société Mad Bike en nullité et résolution du contrat de franchise ainsi qu'en dommages et intérêts devant le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, qui par jugement du 7 décembre 2009 a :
* rejeté toutes les demandes de la société GSR et de Me Jousset ès qualités ;
* condamné les mêmes à payer à la société Mad Bike une somme de 1 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SARL GSR et Maître Jean-Paul Jousset pris en qualité tant de représentant des créanciers que de commissaire à l'exécution du plan de continuation ont régulièrement interjeté appel le 18 décembre 2009. Par conclusions du 1er septembre 2011 [sur 57 pages accompagnées de 104 pièces] ils reprochent notamment à la société Mad Bike les éléments suivants :
- peu de contenu de la formation des associés du franchisé de 2 semaines qui a été insuffisante;
- pas de soutien depuis la conclusion du contrat de franchise ;
- manquement de la société Mad Bike à son obligation précontractuelle de renseignements ;
- établissement d'un prévisionnel absolument impossible à tenir et irréaliste ;
- pas d'appui stratégique et commercial pour développer l'image de la marque Big Store, laquelle ne bénéficie d'aucune réelle notoriété dans le monde de la moto ;
- catalogue mentionnant des prix pré-imprimés que le franchisé ne peut modifier ;
- préférence de la société Mad Bike pour le développement de son activité Internet ;
- violation de l'exclusivité de la société GSR sur les casques Arai, qui sont vendus par Moto Expert et moins cher ;
- diffusion de catalogues mentionnant les coordonnées Internet du franchiseur avec des prix moindres, et livraison des produits chez le franchisé sans rémunération de ce dernier ;
- absence d'informations sur le marché local d'Orléans, ses perspectives de développement, et le potentiel de clientèle ;
- nullité de la clause d'irresponsabilité du franchiseur ;
- mise en liquidation judiciaire rapide de 4 des 7 autres magasins franchisés ;
- établissement de chiffres d'affaires prévisionnels à partir de l'activité achat-revente de motos qui est bien plus rémunératrice que la simple vente d'accessoires;
- dissimulation des difficultés économiques du magasin de Marseille présenté à la société GSR comme pilote et la vitrine de la marque Big Store, avec transmission uniquement des résultats de 2003 et non de ceux de 2004 et de 2005 ;
- occultation de l'existence à Orléans d'une précédente enseigne Big Store gérée par la société Arm 45 ayant déposé le bilan en 2003 ;
- défaut d'information sur le seul franchisé existant (Celtic Moto Distribution créé en 2005) ;
- cautionnement bancaire porté de 15 000 à 25 000 euro ;
- pas de mise à disposition des signes de ralliement de la clientèle (laquelle pense à une solderie ou à un magasin de store) et d'un savoir-faire ;
- aucune assistance sur des points commerciaux et techniques et en matière de publicité et d'approvisionnement ;
- hausse considérable du chiffre d'affaires et du résultat de la société GSR après la fin de la franchise.
Les appelants demandent à la cour, vu les articles 1108, 1109 et 1134 du Code civil, 1134, 1147 et 1184 du même Code, L. 330-3, R. 330-1 et R. 330-2 du Code de commerce, d'infirmer le jugement et de :
- déclarer nulle et de nul effet la clause d'irresponsabilité incluse dans le contrat de franchise ;
- à titre principal :
- prononcer la nullité du contrat de franchise ;
- constater la nullité de l'ensemble des conventions unissant la société GSR à la société Mad Bike ;
- condamner cette dernière au paiement des sommes qui suivent à titre de dommages et intérêts ;
- à titre subsidiaire :
- prononcer la résolution du contrat de franchise ;
- condamner la société Mad Bike au paiement des sommes qui suivent à titre de dommages et intérêts ;
- condamner la même à indemniser la société GSR et à lui payer à titre de dommages et intérêts, sous réserve à parfaire, le montant du passif établi à la date de la cessation des paiements soit 462 883 euro sous réserve de la vérification;
- en sus condamner la société GSR à payer les sommes de :
- 180 000 euro à titre de dommages et intérêts correspondant à la totalité des apports personnels de Madame Lisch depuis la création de la société GSR ;
- 10 000 euro à titre de dommages et intérêts correspondant au montant versé pour le droit d'entrée ;
- 25 000 euro de garantie bancaire fournie par Madame Lisch, outre
- 10 000 euro de dommages et intérêts dans la mesure où cette garantie initialement fixée à 15 000 euro a été majorée sans prévenance et au moment de la signature du contrat de franchise ;
- 15 000 euro à titre de dommages et intérêts correspondant à l'avance de la Chambre de Commerce et d'Industrie pour aide à la création d'entreprise ;
- 150 000 euro à titre de dommages et intérêts complémentaires ;
- ordonner le cas échéant une expertise financière sur le préjudice financier causé par les manquements contractuels de la société Mad Bike ;
- condamner cette dernière à payer à la société GSR ainsi qu'à Maître Jousset ès qualité la somme de 3 000 euro chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions du 25 août 2011 la SAS Motos Accessoires Delta Bike (Mad Bike) répond notamment que :
- elle a donné l'information précontractuelle conforme à la loi, qui n'inclut pas le prévisionnel de gestion ni les résultats du magasin pilote de Marseille; le magasin d'Orléans ayant fermé était non un franchisé mais un affilié c'est-à-dire un simple client affichant la marque Big Store ; le montant de la caution bancaire a été librement accepté; au jour de la remise des documents précontractuels le 29 novembre 2005 il n'existait aucun point de vente franchisé ;
- Madame Lisch est commerçante depuis 1980, tandis que son fils est passionné de moto et compétent en matière de mécanique ;
- le prévisionnel intitulé "estimation de compte de résultat" est sérieux; la crise économique explique les difficultés rencontrées par les autres franchisés ;
- les prix sur les catalogues sont conseillés et peuvent être réduits par le franchisé; son réseau Internet n'est pas contraire au contrat de franchise qui ne contient pas d'exclusivité, et n'a eu qu'un faible volume d'activité (autour de 2 000 euro annuels sur le département de la société GSR); cette dernière était commissionnée sur les ventes livrées dans son magasin à condition d'en avoir fait la demande par factures; les prix par Internet ne sont pas moindres que ceux du catalogue; elle-même n'a jamais consenti l'exclusivité des casques Arai à un franchisé ou à un distributeur ;
- elle a négocié pour ses franchisés des tarifs préférentiels auprès des fournisseurs, a mis à disposition un logiciel de gestion, a formé Madame et Monsieur Lisch durant 15 jours, et a organisé des campagnes commerciales ;
- les pièces comptables de la société GSR ne justifient ni du montant réel du préjudice ni du lien de causalité avec le contrat de franchise ;
- les demandes de Madame Lisch sont irrecevables car celle-ci n'est pas partie à la procédure ;
- la créance d'elle-même contre la société GSR a été admise pour 42 493,43 euro par un arrêt de la Cour d'appel d'Orléans du 29 octobre 2009.
L'intimée demande à la cour de :
- confirmer le jugement;
- condamner la société GSR à une indemnité complémentaire de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- subsidiairement ordonner la compensation entre sa créance consacrée par l'arrêt de la Cour d'appel d'Orléans du 29 octobre 2009 et celle éventuellement prononcée par cette cour.
L'ordonnance de clôture de l'instruction rendue le 29 juillet 2011 a été reportée au jour de l'audience le 5 septembre suivant.
Sur la nullité du contrat de franchise :
Les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce imposent au franchiseur la société Mad Bike de fournir au franchisé la société GSR, préalablement à la signature du contrat de franchise du 11 janvier 2006, " des informations sincères, qui lui permette[nt] de s'engager en connaissance de cause ". Mais le défaut d'information n'est sanctionné par la nullité du contrat que s'il a eu pour effet de vicier le consentement du franchisé.
Le document d'information pré-contractuel établi par la société Mad Bike en application de ces 2 textes précise notamment :
- lancement de la franchise Big Store en été 2004, mais aucun franchisé actuellement ;
- magasin-pilote de Marseille ;
- estimation du compte de résultat :
- année 1 : chiffre d'affaires de 433 048 euro et bénéfice de 52 225 euro
- année 2 : chiffre d'affaires de 538 880 euro et bénéfice de 69 007 euro
- année 3 : chiffre d'affaires de 677 760 euro et bénéfice de 86 411 euro
- année 4 : chiffre d'affaires de 777 760 euro et bénéfice de 96 470 euro
- année 5 : chiffre d'affaires de 777 760 euro et bénéfice de 87 320 euro.
Cependant la cour constate que :
- le site Internet www.toute-la-franchise.com précise que la franchise Big Store a commencé en juillet 2005 soit seulement 6 mois avant le contrat avec la société GSR ;
- les comptes du magasin prétendument pilote de Marseille n'ont été fournis que pour l'année 2003 avec un bénéfice de 2 569 euro, alors que ceux de l'année 2004 avec un bénéfice moindre puisque de seulement 2 092 euro étaient forcément connus de la société Mad Bike lorsqu'elle est entrée en contact avec la société GSR fin 2005 ;
- le franchiseur a passé sous silence l'existence antérieure à Orléans d'un magasin Big Store exploité par la société Arm 45 et qui a déposé son bilan en 2003, peu important qu'il s'agisse d'un affilié et non d'un franchisé ;
- les comptes de résultat de la société GSR mentionnent :
- pour son premier exercice (2006) un chiffre d'affaires net de 104 945 euro et une perte de 124 482 euro ;
- pour le deuxième exercice (2007) un chiffre d'affaires net de 208 220 euro et une perte de 61 671 euro ;
mais sans preuve qu'ils soient imputables à la seule société Mad Bike.
Pour autant ces anomalies n'ont pas été suffisantes pour vicier le consentement de la société GSR lors la conclusion du contrat de franchise du 11 janvier 2006, dans la mesure notamment où Madame Lisch est titulaire d'un diplôme (DUT) de techniques de commercialisation et a été commerçante de 1980 à 2005, alors que Monsieur Samuel Lisch est motard et a obtenu un bac génie mécanique. De plus les estimations précitées de la société Mad Bike sont évidemment indicatives et non contractuelles. Le jugement sera donc confirmé pour avoir rejeté la demande de nullité du contrat de franchise.
Sur la résolution du contrat de franchise :
Le contrat de franchise ne stipule pas d'exclusivité du franchisé sur les casques de marque Arai, contrairement à ce que prétend la société GSR.
Les griefs de cette dernière quant au caractère inexistant et/ou insatisfaisant des assistances commerciale, technique, publicitaire et d'approvisionnement promises par la société Mad Bike ne sont pas suffisamment prouvés.
Par contre la cour constate que :
- les catalogues Big Store mentionnent le site Internet de la société Mad Bike qui est www.bigstore.fr et même son numéro de téléphone 04 42 12 58 70 ; les prix de ce site sont bien moindres que ceux du catalogue (par exemple pour le casque Arai Condor Silver 349 euro sur catalogue et 249 euro sur Internet), ce qui a conduit une partie de la clientèle potentielle de la société GSR a préférer à un achat dans le magasin de celle-ci une commande par Internet directement auprès de la société Mad Bike; de plus ces commandes ont été livrées dans ledit magasin sans pour autant que ce dernier perçoive sa légitime commission, laquelle vu cette légitimité n'avait pas à être demandée par lui; enfin la modestie de ces ventes par Internet (environ 2 000 euro par an) ne suffit pas à écarter la violation par le franchiseur de l'exclusivité de vente qu'il avait lui-même accordée à son franchisé en s'interdisant d'installer un autre point de vente franchisé sur le territoire concerné (article 1 dernier alinéa du contrat);
- les catalogues du franchiseur pour 2006 et 2007 indiquent des prix, alors que l'article 16 du contrat de franchise de la société GSR permet à celle-ci de déterminer librement ses prix de revente à sa clientèle, et que par mél du 2 mars 2006 la société Mad Bike avait annoncé qu'elle supprimait ces indications pour permettre à ses franchisés de faire " son prix public à lui ", suppression qui n'a pas été concrétisée.
Cette double inexécution par le franchiseur de ses obligations contractuelles vis-à-vis du franchisé est suffisamment grave pour justifier la demande des appelants en résolution du contrat du 11 janvier 2006, contrairement à ce qu'a décidé le tribunal.
Sur les demandes chiffrées :
Le rejet de la demande de nullité du contrat de franchise empêche les appelants de réclamer le remboursement des apports personnels et de la garantie bancaire de Madame Lisch, du droit d'entrée, et de l'avance de la Chambre de commerce et d'industrie pour aide à la création d'entreprise.
La société GSR ne peut réclamer le montant de son passif, faute d'imputabilité totale de celui-ci démontrée contre la société Mad Bike, et parce que les comptes de résultat postérieurs à la fin de la franchise ont été de :
- pour 2008 un chiffre d'affaires net de 330 247 euro et un bénéfice de 20 561 euro ;
- pour 2009 un chiffre d'affaires net de 376 916 euro et un bénéfice de 20 898 euro.
Les fautes de la société Mad Bike durant les 2 années de l'exécution du contrat de franchise ont cependant causé à la société GSR un préjudice concrétisé par les pertes qu'elle a subies et qui n'auraient pas existé sans ces fautes, préjudice que la cour chiffrera à la somme de 90 000 euro, sans qu'il soit besoin au préalable d'une expertise financière.
Enfin ni l'équité, ni la situation économique de la société Mad Bike ne permettent de rejeter en totalité la demande faite par ses adversaires au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Décision
LA COUR, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire. Infirme le jugement du 7 décembre 2009, prononce la résolution du contrat de franchise du 11 janvier 2006 aux torts de la SAS Motos Accessoires Delta Bike (Mad Bike), et condamne cette dernière à payer à la SARL GSR et à Maître Jean-Paul Jousset pris en qualité tant de représentant des créanciers que de commissaire à l'exécution du plan de continuation : * la somme de 90 000 euro à titre de dommages et intérêts ; * une indemnité de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes. Condamne la SAS Motos Accessoires Delta Bike (Mad Bike) aux entiers dépens, avec droit pour les avoués de la cause de recouvrer directement ceux d'appel dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.