CA Colmar, 1re ch. civ. A, 20 septembre 2011, n° 10-02125
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Mandon (Epoux)
Défendeur :
Brasseries Kronenbourg (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Hoffbeck
Conseillers :
MM. Cuenot, Allard
Avocats :
Mes Harter, Boisrame, Selarl Arthus Conseil
Attendu qu'après avoir fait opposition sur le prix de vente du fonds de commerce des époux Mandon, la société Brasseries Kronenbourg les a poursuivis en paiement de diverses indemnités dues selon elle en suite de l'inexécution d'un contrat de bière ;
Attendu que par jugement du 26 février 2010, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a condamné in solidum les époux Mandon à payer à la société Brasseries Kronenbourg les sommes de 9 607,23 euro et de 6 512,189 euro ainsi que leurs intérêts au taux légal à compter du 7 janvier 2007 ;
Qu'il a condamné en outre les époux Mandon à payer à la brasserie Kronenbourg 1 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que les époux Mandon ont relevé appel de ce jugement le 13 avril 2010, dans des conditions de recevabilité non contestées, en l'absence de justification de sa signification ;
Attendu qu'au soutien de leur recours, les époux Mandon indiquent essentiellement qu'ils ont informé la société Elidis de leur intention de céder leur fonds de commerce ;
Qu'ils précisent qu'ils n'ont eu d'échanges qu'avec cette société ;
Qu'ils reprochent à la brasserie Kronenbourg de leur avoir fixé des objectifs irréalistes de vente de bière, et qu'ils se plaignent de l'absence de délivrance, préalablement à leur engagement, d'un document d'information conforme aux exigences de l'article L. 330-3 du Code de commerce ;
Qu'ils indiquent enfin qu'il n'y a pas eu de prix de vente convenu, et que le contrat est nul sur le fondement des articles 1591 et 1592 du Code civil ;
Qu'ils concluent à l'infirmation du jugement entrepris, au rejet des demandes de la brasserie Kronenbourg, et à la mainlevée de l'opposition sur le prix de vente de leur fonds de commerce ;
Qu'ils sollicitent 3 000 euro en compensation de leur obligation de plaider ;
Attendu que la SAS Brasseries Kronenbourg conclut à la confirmation du jugement entrepris, et sollicite 1 500 euro de dommages et intérêts et 1 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que les pièces versées aux débats montrent que le 23 août 2002, les époux Mandon ont passé avec la brasserie Kronenbourg un contrat de bière dans le cadre de l'exploitation d'un bar à Maulause dans le Tarne et Garonne ;
Qu'ils se sont engagés à acquérir 250 hectolitres de bière en fûts pendant une période de 5 années, et qu'ils ont obtenu en contrepartie la prise en charge par la brasserie du prix des enseignes, du matériel de service, ainsi que le versement d'une prestation financière, le tout pour un montant de 6 512,19 euro ;
Qu'ils ont obtenu également un prêt de la part d'une filiale de la société Kronenbourg ;
Attendu que le contrat prévoyait classiquement des indemnités et des restitutions en cas d'inexécution des obligations mises à la charge des cafetiers ;
Attendu que dans les faits, il résulte d'une attestation de la société Elidis que les époux Mandon n'ont pu vendre que 9,60 hectolitres de bière en 2002, 36,60 hectolitres en 2003, 23,70 hectolitres en 2004, et 16,20 hectolitres en 2005 ;
Que selon leurs indications, ils ont réalisé un bénéfice à peu près convenable en 2003, et plus faible les années suivantes, spécialement en 2004 où il ne s'est élevé qu'à 9 226 euro ;
Attendu que les époux Mandon ont revendu à la fin de l'année 2005 leur fonds sans imposer au cessionnaire la poursuite du contrat avec la brasserie Kronenbourg, ainsi qu'ils en avaient l'obligation conformément aux conventions passées avec cette brasserie ;
Attendu qu'il aurait été pratiquement difficile en fait d'imposer aux acquéreurs de poursuivre un contrat d'approvisionnement alors qu'eux-mêmes n'avaient pas pu réaliser la moitié des quantités contractuellement fixées ;
Qu'il aurait été difficile de trouver un acquéreur susceptible de s'engager à commercialiser les 163 hectolitres manquants ;
Attendu que les époux Mandon ont donc été poursuivis dans les conditions que l'on sait, et qu'il leur a été demandé de payer 20 % du prix de la quantité de bière non commercialisée, et de restituer la totalité des prestations financières de 6 512,19 euro ;
Attendu que les époux Mandon sont bien en défaut par rapport à leurs obligations contractuelles, même si celles-ci n'étaient pas toujours réalistes ;
Qu'ils ne prouvent pas avoir eu l'autorisation de la société Elidis de céder leur fonds dans ces conditions, et que celle-ci n'avait d'ailleurs pas le pouvoir de leur donner une telle autorisation ;
Attendu que l'article L. 330-3 du Code de commerce, qui réglemente essentiellement les franchises, paraît difficilement pouvoir s'appliquer aux contrats de distribution de bière ;
Attendu qu'il est possible cependant de retenir l'existence d'une obligation générale de conseil à la charge de la brasserie, tenue en particulier de recueillir des engagements réalistes ;
Attendu qu'en l'espèce, le bar exploité par les époux Mandon, acquis pour un montant modéré, n'était pas très important et équipé seulement de deux becs de distribution de la bière pression ;
Attendu que si l'on imagine une durée d'ouverture annuelle de 350 jours, ce qui paraît un maximum, les époux Mandon auraient dû servir quotidiennement 14,28 litres de bière, soit 57 bières de 25 centilitres ;
Attendu qu'un tel objectif paraissait effectivement réalisable en été, mais qu'il était beaucoup moins réaliste à la mauvaise saison ;
Attendu que si le contrat prévoyait une possibilité de faire le point périodiquement, il ne comportait cependant aucune possibilité ou procédure de révision de cet objectif ;
Attendu que dans ce contexte, la pénalité de 20 % du prix des quantités manquantes apparaît comme manifestement excessive, et doit être réduite d'office sur le fondement de l'article 1152 du Code civil ;
Attendu qu'il n'est pas possible par contre de retenir le moyen des époux Mandon relatif à l'indétermination du prix ;
Que la jurisprudence actuelle admet la validité des contrats-cadre qui ne comportent pas de fixation expresse d'un prix de vente ;
Attendu que pour les 163,89 hectolitres manquants, la pénalité contractuelle théorique aurait été effectivement de 9 607,23 euro, mais que compte tenu des observations précédentes, cette cour estime devoir réduire cette pénalité au quart de ce montant ;
Que les époux Mandon doivent donc être condamnés à payer une pénalité ramenée à 2 401,81 euro ;
Attendu que les avantages financiers consentis par la brasserie, et calculés sur une quantité d'approvisionnement de 250 hectolitres, doivent être restitués effectivement, mais à la mesure seulement de la part non amortie de ceux-ci, et conformément à la disposition prévue à l'article 5 de l'avenant au contrat de fourniture de bière ;
Attendu que cela dégage une restitution de 6 512,19 : 250 X 163,89 = 4 269,13 euro ;
Attendu que les intérêts courent au taux légal à compter de la demande du 7 janvier 2007 ;
Attendu que les plus amples demandes, notamment de dommages et intérêts, ne sont pas justifiées et sont rejetées ;
Que les demandes présentées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile sont toutes rejetées, tant en première instance qu'en appel ;
Que les dépens sont compensés, tant en première instance qu'en cause d'appel ;
Par ces motifs : LA COUR, Reçoit l'appel des époux Mandon contre le jugement du 26 février 2010 du Tribunal de grande instance de Strasbourg ; Au fond, Réforme partiellement le jugement entrepris, et statuant à nouveau, Condamne in solidum les époux Mandon à payer à la SAS Brasseries Kronenbourg une pénalité ramenée à 2 401,81 euro (deux mille quatre cent un euro quatre-vingt-un) ainsi qu'à lui restituer une somme de 4 269,13 euro (quatre mille deux cent soixante neuf euro treize), le tout avec intérêt au taux légal à compter du 7 janvier 2007 ; rejette toutes autres demandes plus amples, et notamment les demandes de dommages et intérêts et les demandes présentées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, tant en première instance qu'en cause d'appel; Valide l'opposition de la brasserie Kronenbourg sur le prix de vente du fonds, Laisse à chaque partie la charge de ses frais de procédure, tant en première instance qu'en cause d'appel.