CA Grenoble, ch. com., 8 septembre 2011, n° 06-02169
GRENOBLE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Société Internationale de Distribution (SARL), Hidoux (ès qual.)
Défendeur :
Bains de Propiac (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Muller
Conseillers :
Mme Pages, M. Bernaud
Avoués :
SCP Grimaud, Selarl Dauphin & Mihajlovic
Avocats :
Mes Kuchukian, Darnoux, Selafa Avocajuris Barthomeuf
Par lettre recommandée du 19 décembre 2002 la SARL Des Bains de Propiac (Propiac) a dénoncé, avec effet au 1er janvier 2003, le contrat d'agent commercial, d'une durée de 10 années, qu'elle avait conclu le 19 décembre 2001 avec la Société internationale de distribution (SID) en vue de la commercialisation exclusive de son eau minérale naturelle ou gazéifiée dénommée "La Française".
Elle a fondé sa décision sur l'inexécution par la société SID de son engagement contractuel de vendre la première année 1 000 000 de cols.
Par jugement du 10 mai 2004 le Tribunal de commerce de Marseille a ouvert le redressement judiciaire simplifié de la société SID, procédure convertie en liquidation judiciaire par jugement subséquent du 22 juillet 2004.
Par ordonnance de référé du 9 septembre 2004 le Premier Président de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a arrêté l'exécution provisoire attachée à ce dernier jugement.
Par acte d'huissier du 22 février 2005 la SARL SID a fait assigner la société Propiac en paiement de commissions dues sur les ventes directes (1 341,39 euro) et indirectes (409 117,25 euro), d'une somme de 3 405 000 euro à titre d'indemnité de rupture et d'une indemnité de préavis de 6 000 euro.
Par arrêt infirmatif du 12 mai 2005 la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a dit n'y avoir lieu à liquidation judiciaire de la société SID et a ouvert une nouvelle période d'observation avec renvoi au tribunal de la procédure.
Par jugement du 13 juin 2005 le Tribunal de commerce de Marseille a arrêté le plan de continuation de la société SID comportant apurement de la totalité du passif dans un délai de 3 ans.
Par jugement du 15 mars 2006 le Tribunal de grande instance de Valence, statuant en matière commerciale sur la demande en réparation des préjudices consécutifs à la rupture du contrat d'agent commercial, a déclaré la société SID irrecevable en son action et a rejeté la demande reconventionnelle de la société Propiac pour défaut de déclaration au passif.
La SARL SID a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 30 mai 2006.
Par jugement du 31 juillet 2006 le Tribunal de commerce de Marseille, sur saisine d'office, a prononcé la résolution du plan de continuation arrêté le 10 juin 2005 et placé la société SID en liquidation judiciaire.
Maître Hidoux, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société SID, est intervenu volontairement en cause d'appel.
Par arrêt du 30 octobre 2008 la présente cour a statué en ces termes :
- donne acte à Me Hidoux de son intervention volontaire en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL SID,
- confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la SARL des Bains de Propiac irrecevable en sa demande en paiement de la somme de 3 522,45 euro non déclarée au passif du redressement judiciaire de la société SID,
- l'infirme pour le surplus et statuant à nouveau :
- déclare recevable l'action engagée par la société SID et régulièrement reprise par Me Hidoux, ès qualités,
- dit et juge que la société SID représentée par Me Hidoux, ès qualités, n'est pas déchue de son droit à réparation ensuite de la cessation du contrat,
- dit et juge que la clause du contrat qui prive l'agent de toute indemnité de rupture du seul fait de la non-réalisation de l'objectif commercial est frappée de nullité,
- déboute Me Hidoux, ès qualités, de sa demande en paiement de la somme de 1 341,39 euro au titre d'un reliquat de commissions sur ventes directes,
- Ordonne avant dire droit sur l'ensemble des autres demandes une expertise confiée à : M. Jean-Marie Courtial <coordonnées> qui aura pour mission de :
- entendre les parties et se faire remettre tous documents comptables utiles,
- déterminer le nombre de bouteilles d'eau minérale "La Française" vendues "directement" par la société SID et "indirectement" par la société Propiac au cours de l'année 2002 et du premier trimestre de l'année 2003 hors réseau "Intermarché",
- déterminer au titre de ces ventes le chiffre d'affaires HT réalisé par la société Propiac, ainsi que le montant des commissions dues à la société SID en application de l'article 5 du contrat,
Réserve les dépens.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 11 décembre 2009 dont il résulte en substance que le volume de cols vendus hors réseau Intermarché au cours de l'année 2002 et du premier trimestre de l'année 2003 est respectivement de 489 868 et de 92 520, d'où un droit théorique à commissions au taux de 13 % de 51 344 euro.
Vu les conclusions après expertise signifiées et déposées le 23 février 2010 par Me Hidoux ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Société Internationale de Distribution qui sollicite la condamnation de la société des Bains de Propriac à lui payer avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation les sommes de 51 344 euro outre TVA au titre des commissions impayées, de 89 153,14 euro à titre d'indemnité de rupture, de 239,18 euro au titre des commissions sur commandes non livrées, de 2 652,58 euro à titre de remboursement des frais de transport indûment retenus sur les commissions payées, de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par son placement en liquidation judiciaire et de 5 000 euro pour frais irrépétibles aux motifs que sur la base des conclusions d'expertise il lui est dû une somme de 51 344 euro hors taxes à titre de commissions sur les ventes réalisées, que la cour ayant jugé que la rupture du contrat n'avait pas de cause réelle et sérieuse il lui est dû une indemnité de rupture qui sera évaluée à une année de chiffre d'affaires, soit 89 153,14 euro, qu'il lui est dû une somme de 139,18 euro au titre d'une commande numéro 02264 239 qui n'a jamais fait l'objet d'une livraison, qu'une somme de 1 652,58 euro représentant le coût du transport des marchandises a été indûment déduite des commissions payées, qu'elle n'aurait pas fait l'objet d'une liquidation judiciaire si la société mandante lui avaient payé les sommes dues.
Vu les conclusions après expertises signifiées et déposées le 20 avril 2011 par la SARL des Bains de Propriac qui s'oppose par voie de confirmation du jugement à l'ensemble des demandes formées par Me Hidoux ès qualités, qui demande à la cour de déclarer la Société Internationale de Distribution irrecevable en ses demandes tardives, de constater que toutes les commissions dues ont été payées, de condamner Me Hidoux ès qualités à lui payer les sommes de 3 522,45 euro représentant le montant des sommes qui ont été détournées, de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts et de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile aux motifs qu'elle était fondée à résilier le contrat alors que la Société Internationale de Distribution n'avait entrepris aucune action commerciale en vue de parvenir à une augmentation significative des ventes, que n'ayant pas sollicité une indemnisation dans le délai d'une année prévu à l'article L. 134-12 du Code de commerce la Société Internationale de Distribution est irrecevable en sa demande indemnitaire, que l'objectif contractuel de un million de cols pour la première année s'entendait des ventes directes réalisées par le mandataire hors réseau Intermarché, qu'ayant réalisé moins de 20 % de cet objectif parfaitement réalisable et ne justifiant d'aucune démarche commerciale active pour le développement de la clientèle la Société Internationale de Distribution ne peut contester le bien-fondé de la résiliation du contrat en application de son article huit paragraphe cinq, qu'elle a réglé intégralement les commissions exigibles, que la Société Internationale de Distribution a détourné deux paiements qui lui revenaient après la dénonciation du contrat, que le comportement fautif de la Société Internationale de Distribution, qui s'est bornée à exploiter la clientèle existante, lui cause un préjudice important qui justifie le paiement d'une somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts.
Motifs de l'arrêt
Sur la rupture du contrat et ses conséquences
Après avoir constaté que par lettre recommandée du 21 janvier 2003 la Société Internationale de Distribution avait contesté le motif de rupture invoqué par le mandant et avait exigé une indemnisation à hauteur d'une année de chiffre d'affaires, la cour dans sa précédente décision du 30 octobre 2008 a jugé, tant dans les motifs que dans le dispositif de l'arrêt, que le droit à indemnité compensatrice avait été revendiqué dans le délai d'un an à compter de la cessation du contrat et que par voie de conséquence la déchéance du droit à réparation instituée par l'article L. 134-12 du Code de commerce n'étaient pas acquise.
Il a donc été définitivement jugé que la demande en paiement d'une indemnité de rupture n'était pas tardive, ce qui rend irrecevable la fin de non-recevoir maintenue à ce titre par la société des Bains de Propriac.
S'il a été précédemment jugé que l'article huit du contrat, qui autorisait une rupture sans indemnité en cas de non-réalisation de l'objectif de vente, était frappé de nullité comme se substituant au juge auquel il appartient exclusivement de qualifier les faits qui lui sont soumis de faute grave privative du droit à réparation, il n'a pas pour autant été décidé que la société des Bains de Propriac était définitivement privée du droit de s'opposer à l'indemnisation sollicitée. Comme le rappelle la cour dans son arrêt préparatoire il incombe en effet désormais à la société des Bains de Propiac de rapporter la preuve de la non-réalisation de l'objectif contractuel et de démontrer que ce manquement constitue une faute grave au sens de l'article L. 134-13 du Code de commerce.
Les opérations d'expertise, non contestées sur ce point, ont permis d'établir que les ventes directes et indirectes réalisées au cours de l'année 2002 hors réseau Intermarché se sont élevées à 489 868 cols.
S'il est incontestable que l'objectif contractuel de un million de cols n'a pas été atteint, la preuve n'est pas cependant rapportée d'un défaut de diligence professionnelle caractérisé alors :
- que la totalité des ventes directes et indirectes doit être mise au crédit de l'agent, puisque, comme la cour l'a rappelé dans sa précédente décision, l'objectif assigné à ce dernier par l'article huit, exprimé sans distinction "en volume vendu", comprenait également les ventes indirectes réalisées par le mandant, lesquelles, à défaut de manifestation de volonté contraire, doivent être considérées comme le fruit de l'action commerciale du mandataire,
- qu'il doit donc être tenu pour acquis que la moitié de l'objectif a été réalisée, et non pas 20 % seulement comme le soutient à tort la société des Bains de Propiac, qui ne retient que les ventes directes,
- qu'il n'est pas démontré que l'objectif de un million de cols était réaliste, puisque d'une part selon les justificatifs fournis il a été vendu en moyenne moins de 400 000 bouteilles hors réseau Intermarché au cours des années 2000 et 2001, et d'autre part qu'en l'absence aux débats de tous documents comptables ou de gestion le chiffre d'affaires effectivement réalisé au titre des années postérieures à l'éviction de la Société Internationale de Distribution n'est pas connu,
- que la Société Internationale de Distribution justifie par de nombreuses pièces de ses actions de démarchage de la clientèle auprès de plusieurs grandes enseignes, ce qui permet d'exclure qu'elle aurait fait preuve d'une passivité commerciale fautive, étant observé que la rupture n'a été précédée que d'une unique lettre de protestation qui fait état, non pas d'une inertie commerciale, mais d'un manque de délicatesse à l'égard des responsables de magasins visités.
Ne faisant pas la preuve qui lui incombe d'une faute grave privative du droit à réparation, la société des Bains de Propiac est par conséquent redevable d'une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
Conformément à l'article huit du contrat, qui stipule qu'au cas où le mandant prendrait l'initiative de la rupture une indemnité correspondant à une année de chiffre d'affaires serait versée à l'agent, le préjudice subi par la Société Internationale de Distribution, dont il n'est pas démontré qu'il a été moindre, sera fixé à une année de commissions perdues ; étant observé que le mandat était exclusif et qu'il était conclu pour une durée de 10 années.
Il résulte des opérations d'expertise judiciaire que le droit théorique à commissions de la Société Internationale de Distribution au titre de l'année 2002 s'élève à la somme de 31 172 euro sur la base d'un chiffre d'affaires global de 239 784 euro.
Il sera par conséquent alloué à Me Hidoux ès qualités à titre de dommages et intérêts une somme de 31 172 euro équivalente au montant total des commissions de vente acquises par l'agent au cours de l'année d'exercice de son mandat.
Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance du 22 février 2005.
Sur les commissions dues
Il résulte des opérations d'expertise qu'au titre de l'année 2002 et du premier trimestre de l'année 2003 l'activité de la Société Internationale de Distribution a généré un droit à commissions de 43 579 euro hors taxes (31 172 + 12 407).
Dès lors qu'en vertu de l'article cinq du contrat l'agent a droit à sa rémunération pour toute affaire conclue à son initiative dans un délai de trois mois après la cessation du contrat, la somme théoriquement due s'élève à 43 579 euro, dont il convient de déduire les acomptes perçus à concurrence de la somme reconnue de 37 809,14 euro.
Il sera par conséquent alloué à Maître Hidoux ès qualités la somme de 6 900,75 euro TTC (43 579 - 37 809,14 X 19,60 %), qui portera de la même façon intérêts au taux légal à compter de l'assignation.
Aucune somme supplémentaire ne sera mise à la charge de la société des Bains de Propiac, alors d'une part que Me Hidoux ne peut exiger un rappel de commissions au titre d'une commande non livrée, puisqu'aux termes du contrat le droit à commission n'est acquis qu'après encaissement effectif du prix de vente, et d'autre part que la cour dans sa précédente décision a définitivement débouté le liquidateur judiciaire de sa demande en paiement des frais de transport qui auraient fait l'objet d'une déduction injustifiée.
Sur la demande de dommages et intérêts supplémentaires
Ne démontrant pas que le non-paiement de la somme modique de 6 900,75 euro serait à l'origine du prononcé de la liquidation judiciaire, Maître Hidoux ès qualités sera débouté de sa demande en paiement de la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts.
Sur la demande reconventionnelle
Dans sa décision du 30 octobre 2008 la cour a confirmé le jugement en ce qu'il avait déclaré la société des Bains de Propiac irrecevable en sa demande en paiement de la somme de 3 522,45 euro qui n'avait pas été déclarée au passif de la procédure collective de la Société Internationale de Distribution.
Cette disposition, qui est revêtue entre les parties de l'autorité de la chose jugée, fait obstacle à la reprise de la demande en paiement de la somme susvisée.
A défaut d'apporter la preuve de la faute grave de l'agent, la société des Bains de Propiac a été condamnée en application des dispositions d'ordre public de l'article L. 134-12 du Code de commerce à réparer le préjudice consécutif à la rupture du contrat, dont elle a pris l'initiative.
Elle ne saurait par conséquent prétendre à la réparation du préjudice qu'elle prétend elle-même subir du fait de l'inertie alléguée du mandataire.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
En considération de l'équité et de la situation économique de la Société Internationale de Distribution il sera alloué à Maître Hidoux ès qualités une indemnité au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Vu son précédent arrêt du 30 octobre 2008, Déclare la SARL des Bains de Propiac irrecevable en sa fin de non-recevoir tirée de la prétendue tardiveté de l'action indemnitaire formée par la Société Internationale de Distribution, Dit et juge que la preuve n'est pas rapportée d'une faute grave de la Société Internationale de Distribution de nature à la priver de son droit à indemnité compensatrice de rupture, Condamne la SARL des Bains de Propiac à payer à Me Hidoux ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Société Internationale de Distribution les sommes de 31 172 euro à titre d'indemnité de rupture et de 6 900,75 euro TTC au titre des commissions arriérées avec intérêts au taux légal à compter du 22 février 2005, Déboute Me Hidoux ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Société Internationale de Distribution du surplus de ses demandes, Déclare la SARL des Bains de Propiac irrecevable en sa demande en paiement de la somme de 3 522,45 euro et la déboute de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts, Condamne la SARL des Bains de Propiac à payer à Me Hidoux ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Société Internationale de Distribution une indemnité de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL des Bains de Propiac aux entiers dépens, y compris les frais d'expertise judiciaire, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP d'avoués Grimaud.