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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 septembre 2011, n° 09-16612

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Guillotin, Eurydice Essonne (SARL)

Défendeur :

L'Age d'Or Expansion (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Le Fevre

Conseillers :

MM. Roche, Vert

Avoués :

SCP Menard Scelle Millet, SCP Petit Lesenechal

Avocats :

Mes Veyry, Picot

T. com. Paris, du 13 mai 2009

13 mai 2009

Vu le jugement du 13 mai 2009 du Tribunal de commerce de Paris qui, dans un litige entre Mme Jacinthe Guillotin, qui avait conclu le 23 janvier 2004 un contrat de franchise avec la société L'Age d'Or Expansion, franchiseur, et cette dernière, qui avait résilié le contrat par anticipation le 12 mars 2006, a débouté Mme Jacinthe Guillotin de ses demandes de dommages-intérêts, a confirmé la résiliation du contrat de franchise à ses torts, l'a condamnée à payer à la société L'Age d'Or Expansion les sommes de 12 656,01 euro TTC au titre des redevances impayées, 24 506 euro TTC d'indemnité de résiliation, 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant ladite société de sa demande d'indemnité pour préjudice;

Vu l'appel de Mme Guillotin, l'intervention volontaire de la SARL Eurydice Essonne, créée et dirigée par Mme Guillotin, ayant repris les droits et obligations de celle-ci au titre du contrat de franchise et leurs conclusions du 7 juin 2011 par lesquelles elles demandent à la cour d'infirmer le jugement ; dire que le contrat résilié aux torts de la société L'Age d'Or Expansion ; la condamner à payer à la société Eurydice Essonne les sommes de 13 000 euro HT en remboursement de l'acompte sur redevance ; 155 920 euro de dommages-intérêts et 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; dire que la clause pénale n'a pas lieu de s'appliquer ;

Vu les conclusions du 23 mai 2011 de la société L'Age d'Or Expansion qui demande à la cour de débouter Mme Guillotin et la société Eurydice ; confirmer le jugement, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts ; condamner Mme Guillotin à lui payer à ce titre 25 000 euro sur le fondement de l'article 1382 du Code civil pour "propos dénigrants" outre 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Considérant que l'intimée conclut à l'irrecevabilité des conclusions de l'appelante et de l'intervenante volontaire sur le fondement des articles 960 et 961 du Code de procédure civile, mettant en doute la réalité de leur adresse ;

Mais considérant que le conseiller de la mise en état, saisi d'une demande de constatation de la nullité de l'appel sur le même fondement, a justement constaté qu'il résultait d'avis d'imposition, factures, courriers de banques et extraits Kbis du RCS que l'adresse déclarée était bien tant celle du domicile de Mme Guillotin que du siège social de la société Eurydice Essonne ; que ni le faux ni la fraude ne se présument ; que la société L'Age d'Or Expansion déclare que l'huissier chargé de la signification du jugement "n'a pu retrouver" ni Mme Guillotin ni la société Eurydice et a rédigé un procès-verbal de recherches infructueuses ; mais qu'un constat d'huissier de la SCP Durand-Galy du 24 février 2011 indique que l'huissier a constaté la présence, au 10 bis route de la Ferté Alais à Cheptainville d'une boîte aux lettres sur une porte de bois sur laquelle figurait les noms de "Guillotin Eurydice" ; que l'intimée ne fait pas suffisamment la preuve, qui lui incombe, de l'inexactitude de l'adresse déclarée ; que les conclusions susvisées de Mme Guillotin et de la société Eurydice sont recevables;

Considérant qu'il est constant que le contrat de franchise stipulait la possibilité pour Mme Guillotin de se substituer une société et que Mme Guillotin, qui a signé le contrat "tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérant de l'éventuelle société devant exercer l'activité", a fait usage de cette faculté en créant la SARL Eurydice Essonne dont elle était gérante, qui a repris les droits et obligations afférents au contrat de franchise litigieux ; que c'est la société Eurydice Essonne qui est devenue contractant de la société L'Age d'Or Expansion;

Considérant qu'il est constant que la redevance n'a jamais été payée ; que l'appelante et l'intervenante volontaire soutiennent que c'est "à sa grande surprise" que la société Eurydice Essonne recevait, le 17 août 2005, une facture globale de 5 845,33 euro au titre de la redevance annuelle pour la première année d'exercice alors qu'il y avait eu un accord pour une dispense de redevance pour la première année ;

Mais considérant qu'aucune preuve d'un tel accord n'est rapportée ; que la société Eurydice remarque que la demande de paiement n'a été faite que plus d'un an après le début de l'exploitation alors que l'article 9 du contrat stipulait un paiement trimestriel ; mais que ceci peut être un élément de preuve d'un accord sur un paiement différé, mais non sur une dispense ; que l'indication, dans un message du "responsable de l'animation du réseau"; "Albert... m'a tenu informé qu'il fallait que nous (toi et moi) estimions le préjudice que tu estimes avoir subi" est dubitative, et ne constitue aucunement, notamment compte tenu des guillemets à "préjudice" et de l'utilisation du terme "tu estimes" une reconnaissance de la réalité du supposé préjudice ;

Considérant que le calcul du montant de la redevance n'est pas autrement contesté ; qu'il en est de même en ce qui concerne le calcul du montant de l'indemnité de résiliation ;

Considérant qu'il est également constant que la société Eurydice a manqué à son obligation d'information du franchiseur quant au montant de son chiffre d'affaires ; que ces manquements à des obligations essentielles justifiaient la résiliation aux torts du franchisé ;

Considérant que la société Eurydice et Mme Guillotin contestent l'originalité du savoir-faire prétendument transmis, figurant essentiellement dans le "Manop", manuel des opérations ;

Considérant que certaines indications figurant dans ce manuel, telles que celles relatives à la constitution d'une société, à la gestion du personnel et autres éléments de nature juridique et administrative, quoiqu'importantes et très précieuses, n'ont pas de caractère d'originalité; mais que d'autres concernent les spécificités de l'action commerciale à l'égard des associations, instituts pédagogiques, organismes de retraite, de gestion des tutelles, du corps médical et paramédical, des hôpitaux et cliniques, des administrations, mairies et centres municipaux d'action sociale, ceci de manière précise et détaillée dans le volume "vendre des solutions" ; que les spécificités relatives à la manière pratique de traiter avec les personnes âgées et, ou dépendantes et de réaliser les prestations sont exposées dans le volume "réaliser nos prestations" ; que le "concept" et le "positionnement sur le marché", du réseau sont indiqués dans le premier volume ; qu'eu égard à l'importance, à la précision, et à la spécificité des informations données, il apparaît que les conditions de la transmission d'un savoir-faire sont réunies ; qu'il est constant que l'information précontractuelle a eu lieu ;

Considérant que la société L'Age d'Or Expansion remarque aussi que Mme Guillotin a bénéficié d'une formation de trois semaines lors de son entrée dans le réseau et ensuite d'une formation continue ; qu'elle était "épaulée" par un animateur qui lui a apporté "solutions et conseils" ; qu'il lui a été proposé de rencontrer le dirigeant de L'Age d'Or Expansion pour faire le point sur la situation, ce à quoi elle n'a pas répondu ;

Considérant toutefois que la Eurydice Essonne reproche également à la société L'Age d'Or Expansion la violation de la clause d'exclusivité dont elle bénéficiait pour la zone géographique de Corbeil-Essonnes, déclarant que son "animateur rattaché", M. Gourgotte, avait des liens personnels avec un autre franchisé, M. Olivier Manetto dont la zone géographique était voisine ; que n'obtenant pas de contact au sein de la zone géographique auprès de certains prospects importants, le Conseil Général de l'Essonne, l'Udaf et l'Ati, elle a découvert qu'en réalité, ces prospects s'adressaient uniquement à M. Manetto ; que l'intimée ne conteste pas le fait mais soutient qu'il ne peut lui être reproché, dès lors que c'est le client qui sollicitait cette intervention hors secteur et qu'il s'agissait d'une concurrence "passive";

Considérant néanmoins que la société L'Age d'Or Expansion avait obligation générale de faire respecter la clause d'exclusivité territoriale et que la concurrence "passive" est une situation spéciale dont la réalité doit être démontrée, ce que le franchiseur ne fait pas clairement, eu égard à ce qui suit ;

Considérant que la société Eurydice Essonne produit une attestation datée du 12 octobre 2009 d'un M. Bergia, ancien responsable de l'association "TRAS" qui déclare que son interlocuteur "unique et privilégié au sein du franchiseur la SA L'Age d'Or Expansion" était le directeur financier M. Albert Morignot qui, dans le courant d'avril 2004 lui a transmis les coordonnées de M. Olivier Manetto comme "unique possible repreneur des contrats Dassault sur le secteur de Mennecy Corbeil-Essonnes" ; que selon une attestation du 27 décembre 2009 de Mme Monique Goguelat, née Bazin, conseillère générale et maire de Saint Germain Les Arpajon, celle-ci a été saisie en octobre 2006 par M. Guillotin d'une absence de référencement auprès du Conseil Général de l'Essonne ; qu'après investigation personnelle elle avait pu constater l'absence de toute correspondance du franchiseur L'Age d'Or Expansion à l'attention du Conseil Général de l'Essonne et de ses services concernés pour faire connaître et référencer Mme Guillotin et sa structure franchisée ; que Mme Claire-Lise Campion, sénatrice, déclare dans une attestation du 8 janvier 2010 n'avoir pas eu connaissance, avant de recevoir Mme Guillotin le 28 mai 2001, en tant que vice-présidente du Conseil Général que sénatrice de l'Essonne, de sa structure franchisée ; qu'à l'inverse, deux directeurs d'association, l'Ati Association Tutélaire des Inadaptés de l'Essonne et l'AJPC Association Juridique Protection et Conseil écrivent de manière quelque peu imprécise, à M. Morignot, par deux lettres datées chacune du 12 mai 2005, que M. Manetto les a informés de l'implantation des agences d'Age d'Or de Corbeil-Essonnes, Marcousy, Brunoy et Massy ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société L'Age d'Or Expansion n'a rempli que partiellement ses obligations à l'égard de la société Eurydice Essonne en ce qui concerne celle de faire respecter la clause d'exclusivité ainsi que l'obligation de bonne foi contractuelle, compte tenu notamment de l'article 1135 du Code civil, la présence d'un "animateur" chargé de suivre et d'aider les nouveaux franchisés impliquant que les institutions clients potentiels les plus importants soient informées de leur installation;

Considérant toutefois que le préjudice de la société Eurydice en résultant demeure très limité ; qu'elle a poursuivi son exploitation hors franchise ; que selon l'attestation précitée du maire de Saint Germain Les Arpajon et Conseiller Général de l'Essonne elle a été référencée en mars 2007 sur la liste des prestataires potentiels et a pu être destinataire pour la première fois de toutes les propositions et demandes de prestations du service transports scolaires du Conseil Général de l'Essonne ; qu'elle ne produit pas de documents comptables et ne saurait utilement réclamer les bénéfices provisionnels sur cinq ans ; qu'eu égard à l'ensemble des éléments du litige en sa possession, la cour évalue à 20 000 euro le montant du préjudice de la société Eurydice Essonne résultant directement des manquements du franchiseur ; que le montant des condamnations, qui pèseront sur la société et non sur Mme Guillotin, en seront, par compensation, diminuées d'autant en principal ;

Considérant que la société L'Age d'Or Expansion ne justifie d'aucun préjudice du fait des prétendus dénigrements ou autres fautes qu'elle allègue ; qu'elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

Considérant que les parties triomphant et succombant partiellement devant la cour, il est équitable de laisser à chacune d'elles la charge des frais irrépétibles et dépens d'appel qu'elles ont engagés ;

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé des condamnations à l'encontre de Mme Jacinthe Guillotin. Dit que ces condamnations sont à la seule charge de la SARL Eurydice. En diminue le montant global de 20 000 euro en principal. Déboute les parties de leurs autres demandes. Laisse à chacune d'elles la charge des dépens d'appel qu'elle a engagés.