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Décisions

Cass. crim., 7 septembre 2011, n° 10-85.284

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme Desgrange

Avocat général :

M. Boccon-Gibod

Avocats :

SCP Delaporte Briard Trichet, Me Ricard

Paris, prés., du 6 mai 2010

6 mai 2010

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'ordonnance du premier Président de la Cour d'appel de Paris, en date du 6 mai 2010, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, autorisant la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et de saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 et L. 420-1 du Code de commerce, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance confirmative attaquée a débouté la société X de toutes ses demandes tendant à l'annulation de l'ordonnance du 17 juin 2008 par laquelle le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris a autorisé des visites et saisie domiciliaires dans les locaux de ladite société et des sociétés du même groupe à la même adresse ;

"aux motifs propres qu'il convient de rappeler que conformément à l'article L. 450-4 du Code de commerce, le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée, que cette demande devant comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; qu'il résulte de l'analyse des éléments d'information que l'Administration a fourni au juge des libertés et de la détention que des pratiques d'entente prohibée sur le marché des farines alimentaires ont été dénoncées par une société qui a effectué une demande de clémence auprès du Conseil de la concurrence ; qu'il s'agirait d'accords entre minotiers allemands et français sur la vente de farine de blé tendre, vendue en petits paquets, les entreprises allemandes de meunerie ne devant pas renforcer leurs volumes de vente en France et les entreprises françaises ne devant pas renforcer leurs volumes de vente en Allemagne ; que ces accords auraient été évoqués au cours de plusieurs réunions, que la société Y aurait demandé à être indemnisée de la perte causée par un manquement d'un minotier à l'entente présumée et aurait obtenu une indemnité de 150 000 euro ; que dans sa demande d'enquête l'autorité de concurrence allemande décrit le même type de pratiques et met en cause la société Z ; que la société X est l'un des administrateurs de la société Y qui est l'entreprise commune de distribution des principaux meuniers français ; qu'eu égard à ces présomptions et indices relatifs à une entente prohibée dans laquelle pourrait être impliquée la société X, qui détient 25 % du capital de la société Y par le biais de sa filiale A et 12,5 % en nom propre et qui est l'un de ses administrateurs, l'autorisation donnée par le juge doit être confirmée ; que contrairement à ce qui est allégué, la procédure autorisée ne présente aucun caractère disproportionné ;

"et aux motifs adoptés qu'à l'appui de ses allégations, l'Administration verse divers documents dont la consultation permet de retenir les points suivants : qu'une société a sollicité le Conseil de la concurrence afin de bénéficier d'une mesure de clémence dans le secteur de la production et de la commercialisation de farines alimentaires ; que le Conseil a adopté, conformément aux dispositions de l'article L. 464-2-IV du Code de commerce, un avis de clémence non public concernant cette société et ce secteur ; que la société qui a obtenu une mesure de clémence conditionnelle a souhaité conserver l'anonymat afin d'éviter des mesures de représailles ; que lors du dépôt de la requête, le procès-verbal de réception du Conseil de la concurrence dans sa version intégrale, qui justifie que les conseils du demandeur de clémence ont été reçus par le Conseil de la concurrence, nous a été présenté et nous avons pu le consulter ; que ce document a pour seul intérêt de mentionner le nom du demandeur de clémence ; qu'ainsi, nous avons pu nous assurer de l'identité et de l'existence du demandeur de clémence ; qu'une version anonymisée de ce document figure en annexe 4 à la requête ; que plusieurs pratiques prohibées mises en œuvre sur le marché français de la production et de la commercialisation des farines alimentaires sont dénoncées par la note de la rapporteure au Conseil de la concurrence et reprennent les déclarations des conseils du demandeur de la clémence ; que des accords auraient été passés entre minotiers allemands et français s'agissant de la farine de blé tendre vendue en petits paquets ; que les accords conclus entre minotiers français et allemands prévoyaient que les entreprises allemandes de meunerie ne devaient pas renforcer leurs volumes de vente de petits paquets en France, et que les entreprises françaises ne devaient pas non plus renforcer leurs volumes de vente en Allemagne ; qu'il était également convenu que les entreprises pouvaient, à terme, augmenter leurs parts de marchés seulement par le biais d'acquisitions d'autres entreprises mais non au moyen d'une concurrence agressive par les prix ; que des représentants des entreprises françaises et allemandes de meunerie auraient, le 26 août 2003, participé à une réunion dans un restaurant à Strasbourg ; qu'il s'agissait d'une prise de contact au cours de laquelle des questions générales sur le secteur de la meunerie auraient été évoquées ; qu'à cette réunion auraient été présentés M. B de la société Z, M. C de la société D et M. E de la société F ; que les accords mentionnés ci-dessus auraient aussi été évoqués entre les membres du cartel allemand présumé et d'autres entreprises de meunerie européennes au moins lors de la réunion de l'association européenne de meunerie (GAM, à Nice du 28 mai 2004 et vraisemblablement au cours d'autres rencontres ; que des réunions se seraient tenues à Francfort auxquelles participaient des producteurs allemands et au cours desquelles aurait été conclu un accord limitant à 15 000 tonnes par an les expéditions de farine en petit paquet de l'Allemagne vers la France ; qu'au cours des années 2004, 2005 et 2006, un minotier allemand, la société G GmbH aurait obtenu des commandes auprès d'un client français, conduisant au dépassement de ce quota de 15 000 tonnes ; que la société Y aurait alors demandé aux producteurs allemands d'être indemnisée de la perte qui lui aurait été causée par ce manquement à l'entente présumée et aurait obtenu une indemnité de 150 000 euro ; que la société Y compte parmi ses administrateurs les sociétés X, H et I qui sont des opérateurs importants dans le secteur de la meunerie ; que deux réunions se seraient tenues et au cours desquelles ce problème dans l'exécution de l'accord aurait été réglé : la première aurait eu lieu à "l'Industrieclub" à Düsseldorf ; que M. B de la société Z aurait alors demandé aux membres du cartel présumé de supporter une partie des coûts engendrés par l'échec du projet initial, demande à laquelle le cartel aurait répondu positivement ; que les sociétés Z, Y et D semblent avoir un rôle déterminant dans les pratiques dénoncées ; que d'autres acteurs importants du secteur sont liés à ces sociétés ; que la société Y compte parmi ses administrateurs les sociétés X, J, H et I ; que la société K détient 24 % du capital de la société Z ; que ces pratiques consistant en divers accords entre opérateurs concurrents en vue de faire entrave à la libre circulation des produits sur le territoire communautaire, de se répartir les clientèles nationales respectives et d'harmoniser les tarifs constituent un faisceau d'indices graves et concordants laissant présumer l'existence d'un système d'entente ayant des effets en France et en Allemagne ; que ces accords semblent être en vigueur depuis au moins 2003 ; que les faits dénoncés et décrits ci-dessus dans le cadre de la demande de clémence sont susceptibles de relever des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce dans ses points 2° et 4° et 81-1 du traité instituant la Communauté européenne ; que la Bundeskartellamt demande à la DGCCRF de bien vouloir procéder à des investigations inopinées au siège français de la société Z ; que la demande d'enquête de la rapporteure générale adjointe du Conseil de la concurrence dans le secteur des farines alimentaires vise également cette société ; que la demande de la Bundeskartellamt nous a été présentée dans sa version intégrale ; que nous avons pu la consulter ; que néanmoins elle contient des éléments concernant les demandeurs de clémence ; que ceux-ci souhaitent conserver l'anonymat ; qu'une version anonymisée de ce document a donc été placée en annexe n° 2 à la requête ; que la Bundeskartellamt dispose d'éléments permettant de présumer une entente entre minotiers français et allemands ; que l'enquête du Bundeskartellamt menée auprès des minotiers allemands a permis de découvrir l'existence de lettres d'invitation mentionnant la participation de collègues français pour les dates suivantes : le 23 juillet 2003 à Paris, le 26 août 2003 à Strasbourg, le 24 septembre 2003 à Francfort, le 4 décembre 2003 à "l'Industrieclub" de Düsseldorf, le 23 juillet 2004 à l'hôtel "à la Cour d'Alsace" à Obernay et enfin le 18 août 2004 à l'aéroport de Düsseldorf ; que, par ailleurs le Bundeskartellamt dispose d'éléments qui confirmeraient l'objet anticoncurrentiel des accords passés lors de l'opération de rachat de la société allemande L GmbH et notamment l'existence de compensations versées à la société Z ; qu'ainsi la portée de nos présomptions est suffisante au regard des qualifications prévues à l'article L. 420-1 du Code de commerce dans ses points 2° et 4°) et 81-1 du traité instituant la CE ; que la recherche de la preuve de ces pratiques nous apparaît justifiée ; que l'énumération des agissements pour lesquels il existe des présomptions d'entente n'est probablement pas exhaustive, les agissements mentionnés dans la présente ordonnance n'étant que des illustrations de pratiques prohibées dont la preuve est recherchée dans le secteur concerné ; que les faits dénoncés et décrits ci-dessus sont susceptibles de relever des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce dans ses points 2° et 4° et 81-1 du traité instituant la CE ; que, par ailleurs l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du Code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Administration de corroborer ses soupçons ; qu'en effet, les actions concertées, conventions ou ententes qui ont pour objet ou pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse et se répartir les marchés sont établies suivant des modalités secrètes, et les documents nécessaires à la preuve des pratiques et/ou accords prohibés présumés sont vraisemblablement conservés dans des lieux et sous une forme qui facilitent leur dissimulation ou leur destruction en cas de vérification ; que le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constitue donc le seul moyen d'atteindre les objectifs recherchés ; qu'en outre, les opérations de visites et de saisie sollicitées ne sont pas disproportionnées compte tenu que les intérêts des entreprises concernées sont garantis dès lors que les pouvoirs de l'Administration sont utilisés sous notre contrôle ; qu'il convient en conséquence de rechercher les lieux où se trouvent le plus vraisemblablement les documents nécessaires à l'apport de cette preuve ; qu'il est vraisemblable qu'ils se trouvent dans les locaux des sociétés Y, Z et D, qui apparaissent au cœur des pratiques relevées dans le secteur des farines alimentaires du fait de leurs participations à des échanges d'informations réguliers ; qu'il convient également de retenir les sociétés X, J, H, I et K en raison des liens existants entre ces sociétés et celles qui apparaissent au cœur des pratiques prohibées présumées ;

1°) "alors que le juge d'appel doit vérifier de manière concrète par l'appréciation des éléments d'information fournis par l'Administration que l'autorisation de visites et saisie domiciliaires du juge des libertés et de la détention est bien fondée et doit à cette fin viser les pièces produites par l'Administration desquelles il tire les faits fondant son appréciation ; qu'en se bornant à affirmer, pour justifier des présomptions de pratiques anticoncurrentielles à l'encontre de la société X, que la société Y est l'entreprise commune de distribution des principaux meuniers français et que la société X est un opérateur important dans le secteur de la meunerie, sans viser les documents produits par l'Administration à l'appui de sa requête, sur lesquels sont fondés ces faits, qui n'apparaissent ni dans la requête de l'Administration au juge des libertés et de la détention ni dans les annexes à cette requête, l'ordonnance confirmative attaquée est privée de base légale et n'est pas motivée ;

2°) "alors que l'existence de liens capitalistiques minoritaires entre une société et une société présumée avoir des pratiques anticoncurrentielles et la détention d'un siège d'administrateur de la première dans cette dernière ne conférant aucun contrôle sur le conseil d'Administration et ses décisions, ne suffisent pas à elles seules à caractériser des présomptions ou des indices d'agissements anticoncurrentiels à l'encontre de la première société dès lors qu'aucun élément n'a été produit par l'Administration à l'appui de sa requête au juge des libertés et de la détention permettant de faire le lien entre les pratiques prohibées présumées et cette société ; qu'en l'espèce, il résulte de l'ordonnance rendue le 17 juin 2008 et des pièces annexées à la requête présentée par l'Administration au juge des libertés et de la détention, que la société X n'est pas visée par la dénonciation du demandeur de la clémence ni par la demande de l'autorité de la concurrence allemande, et qu'elle occupait un seul siège d'administrateur sur les huit composant le conseil d'administration de la société Y dont elle ne détenait directement que 12,5 % du capital et indirectement 25 % ; que, dans ces conditions, le juge d'appel ne pouvait fonder l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles à l'encontre de la société X uniquement sur la circonstance qu'elle détenait une participation dans la société Y et qu'elle en était administrateur, puisque cette participation était minoritaire, qu'elle n'avait ni la présidence ni le contrôle du conseil d'administration de cette dernière et en l'absence d'autres éléments produits par l'Administration permettant de faire le lien entre la société X et les pratiques anticoncurrentielles litigieuses, sans violer les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce ;

3°) "alors que le juge ne peut autoriser des visites et saisie domiciliaires dans les locaux occupés par une société non visée par des présomptions de pratiques anticoncurrentielles que s'il indique en quoi lesdits locaux sont susceptibles de contenir des pièces ou documents se rapportant aux pratiques anticoncurrentielles présumées ; que l'existence de liens capitalistiques minoritaires entre une société et une société présumée avoir des pratiques anticoncurrentielles ainsi que la détention d'un siège d'administrateur dans cette dernière ne suffisent pas à caractériser une présomption de détention par la première, dans les locaux qu'elle occupe, de documents se rapportant à la fraude présumée de la seconde ; qu'en se bornant à justifier les visites et saisies litigieuses dans les locaux de la société X, par les liens capitalistiques existant entre cette société et les sociétés apparaissant au coeur des pratiques prohibées présumées, sans rechercher en quoi les locaux de ladite société étaient susceptibles de détenir des pièces ou documents se rapportant à la fraude présumée, le juge d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des exigences de l'article L. 450-4 du Code de commerce ;

Attendu que l'ordonnance qui s'est référée par motifs propres et adoptés en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration, a souverainement apprécié l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles ayant justifié la mesure autorisée ; que le moyen, qui ne tend qu'à remettre en cause la valeur des éléments retenus par le juge comme présomption d'agissements visés par la loi justifiant la recherche de leur preuve par une visite en tous lieux, même privés, et une saisie de documents s'y rapportant, ne peut qu'être écarté ;

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;

Rejette le pourvoi.