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Décisions

Commission, 20 avril 2011, n° 2011-676

COMMISSION EUROPÉENNE

Décision

Concernant l'aide présumée en faveur de l'entreprise Trèves C 4-10 (ex NN 64-09) mise à exécution par la République française

Commission n° 2011-676

20 avril 2011

LA COMMISSION EUROPÉENNE,

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et notamment son article 108, paragraphe 2, premier alinéa, vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 62, paragraphe 1, point a), après avoir invité les intéressés à présenter leurs observations conformément auxdits articles (1), et vu ces observations, considérant ce qui suit :

I. PROCÉDURE

(1) Par divers articles parus dans la presse lors du printemps 2009, la Commission a été informée de ce que l'entreprise Trèves aurait bénéficié d'un investissement d'un montant de 55 millions d'euro du Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (ci-après "FMEA"). Par lettres du 5 mai 2009, du 11 juin 2009, du 10 juillet 2009 et du 4 novembre 2009, la Commission a adressé aux autorités françaises des demandes de renseignements à cet égard. Lesdites autorités ont répondu à ces demandes par lettres (ou courriers électroniques) du 5 juin 2009, du 23 juin 2009, du 18 août 2009, du 18 novembre 2009 et du 23 décembre 2009.

(2) Par ailleurs, une réunion s'est tenue à la demande des autorités françaises dans les locaux de la Commission le 8 janvier 2010. À la suite de cette réunion, les autorités françaises ont apporté des renseignements complémentaires par courrier électronique du 15 janvier 2010.

(3) Par lettre du 29 janvier 2010, la Commission a informé la France de sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 108, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après "TFUE") à l'égard de l'investissement du FMEA ainsi qu'à l'égard d'un plan de rééchelonnement de dettes fiscales et sociales (également appelé "plan d'apurement") accordé à Trèves par l'administration française. La France a communiqué ses observations à l'égard de l'ouverture de la procédure formelle d'examen le 25 mars 2010.

(4) La décision de la Commission d'ouvrir la procédure a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne (2). La Commission a invité les intéressés à présenter leurs observations sur les mesures en cause.

(5) La Commission a reçu des observations à ce sujet de la part des intéressés suivants : la République italienne, l'entreprise Trèves, le groupe PSA Peugeot Citroën, le groupe Renault, un concurrent de Trèves souhaitant rester anonyme et le FMEA (3). La Commission a transmis ces observations à la France en lui donnant la possibilité de les commenter, et a reçu ses commentaires par lettre du 5 octobre 2010. Une réunion s'est également tenue avec les autorités françaises le 18 novembre 2010. Enfin, des informations complémentaires ont été transmises à la Commission par courriers électroniques du 21 décembre 2010 et du 22 février 2011.

II. DESCRIPTION DES MESURES SOUS EXAMEN

(6) Avant de procéder à la description des mesures sous examen, il convient de présenter le Fonds stratégique d'investissement (ci-après "FSI"), le FMEA, le CDC Entreprises, société de gestion du FMEA (point II.1) ainsi que l'entreprise Trèves et les mesures prises à son égard (point II.2 ci-dessous). Enfin, les raisons ayant conduit à l'ouverture de la procédure formelle d'examen à l'égard de l'investissement du FMEA et du plan de rééchelonnement des dettes fiscales et sociales seront exposées (point II.3 ci-dessous).

II.1. Le FSI, le FMEA, CDC Entreprises

(7) En raison de la crise ayant débuté en 2008, la France s'est dotée du Fonds stratégique d'investissement (ci-après "FSI") en vue de soutenir son économie. Peu après, le FSI, en partenariat avec le groupe PSA Peugeot Citroën (ci-après "PSA") et le groupe Renault (ci-après "Renault"), ont créé le FMEA. Si le FSI a pour objectif d'intervenir dans tout type d'entreprise quelque soit le secteur économique concerné, le FMEA n'intervient qu'en faveur des équipementiers du secteur automobile.

Le FSI

(8) Le Fonds stratégique d'investissement est un fonds doté de 20 milliards d'euro que le gouvernement français a créé en décembre 2008 pour répondre aux besoins en fonds propres d'entreprises estimées porteuses de croissance et de compétitivité pour l'économie française. Selon les dirigeants du FSI, ce dernier n'investit que dans des entreprises qui doivent présenter de bonnes perspectives de croissance et de compétitivité pour l'économie française.

(9) Le FSI est détenu à 49 % par le gouvernement français et à 51 % par la Caisse des dépôts et consignation (ci-après "CDC"). La CDC "et ses filiales constituent un groupe public au service de l'intérêt général et du développement économique" de la France (4), ses dirigeants sont nommés par décret.

(10) Le conseil d'administration du FSI est présidé par le directeur général de la CDC et est composé, outre son président, de six administrateurs dont un représente la CDC, deux représentent l'État (le directeur général des participations de l'État et le directeur général des entreprises) et trois représentent les intérêts des entreprises (les dirigeants des entreprises SCOR, Essilor et Artémis).

Le FMEA

(11) Le FMEA est un fonds commun de placement à risques dont la mission est de favoriser l'émergence d'équipementiers automobiles compétitifs et capables d'offrir à leurs clients une capacité de recherche et de développement et un suivi international renforcé. Il réalise des investissements d'un montant maximal de 60 millions d'euro, au bénéfice exclusif de ses souscripteurs, seul ou concomitamment avec d'autres investisseurs privés ou d'autres fonds.

(12) La création du FMEA (le 25 mars 2009) s'inscrit dans le cadre du plan de soutien à la filière automobile, annoncé par le Président de la République française le 4 décembre 2008. Il est doté de 600 millions d'euro provenant du FSI (200 millions d'euro), de PSA (200 millions d'euro) et de Renault (200 millions d'euro).

(13) La gestion du FMEA est assurée par CDC Entreprises, une filiale de la CDC. Les décisions d'investissement sont ainsi prises par CDC Entreprises.

(14) Le FMEA est doté d'un comité de sélection et d'un comité d'investissement chargés de la préparation des dossiers avant la réalisation de l'investissement par la société de gestion CDC Entreprises. Les trois investisseurs sont présents à parité dans ces comités : PSA, Renault et le FSI.

(15) Selon le règlement organique du FMEA, le comité de sélection est obligatoirement consulté par la société de gestion sur le caractère stratégique des projets d'investissement. Ses avis consultatifs ne lient pas la société de gestion. Ils sont pris à la majorité des deux tiers.

(16) Le comité d'investissement est obligatoirement consulté avant chaque investissement ou désinvestissement effectué ou sur toute dérogation aux critères et règles de la politique d'investissement. Lorsqu'il se prononce sur un projet d'investissement ou de désinvestissement, ses avis sont pris à la majorité des deux tiers également et ne lient pas la société de gestion. Cependant, en cas de vote négatif d'un des trois investisseurs, l'avis rendu sera considéré comme un avis négatif. Dans ce cas, le projet d'investissement ou de désinvestissement est renvoyé au comité de sélection.

CDC Entreprises

(17) CDC Entreprises est un acteur majeur du capital investissement en France. Elle est tenue de respecter l'ensemble des règles édicté par l'Autorité des Marchés Financiers en matière de gestion pour compte de tiers, en particulier les règles relatives à l'indépendance au regard du choix des investissements et à la prévention des conflits d'intérêts. CDC Entreprises gère entre autres les investissements du FSI dans les PME non cotées, ainsi que des investissements pour le compte de la CDC et d'autres investisseurs.

(18) CDC Entreprises est une filiale à 100 % de la CDC. Le président et le directeur général de CDC Entreprises sont nommés par son Conseil d'administration, dont les membres sont eux-mêmes nommés par la CDC.

(19) CDC Entreprises a conclu avec le FSI une convention d'assistance et de conseil, aux termes de laquelle une équipe dédiée du FSI assiste CDC Entreprises pour la présélection des projets d'investissements (études de faisabilité et appréciation des risques, étude et aide à la mise en place de ces interventions entre autres) et le suivi des investissements réalisés.

(20) En raison de l'organisation et du fonctionnement des comités du FMEA, CDC Entreprises a seule le pouvoir d'engager le FMEA. Les décisions des comités ne lient pas la société de gestion (à l'exception des dérogations aux critères et règles de la politique d'investissement et de la gestion des conflits d'intérêts, hypothèse qui ne sont pas pertinentes dans la présente affaire). Les autorités françaises ont précisé que, à ce jour, CDC Entreprises n'a jamais jugé opportun de se prononcer en matière d'investissements à l'encontre des avis des comités.

(21) Le graphique n° 1 ci-dessous résume les liens unissant l'État français, la CDC, CDC Entreprises, le FSI, le FMEA, PSA et Renault.

<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>

Liens unissant l'État français, la CDC, CDC Entreprises, le FSI, le FMEA, PSA et Renault

II.2. L'entreprise Trèves et les mesures prises à son égard

(22) L'entreprise Trèves est une entreprise spécialisée dans les éléments composant l'intérieur des véhicules automobiles. Trèves employait environ 6 500 personnes avant la mise en œuvre du plan de restructuration en cours (le plan de restructuration porte sur 1 300 personnes). Elle est organisée autour de trois pôles d'activité : acoustiques (5), sièges et composants, et textile. L'entreprise comprenait 9 usines (2 ont aujourd'hui été fermées) et est implantée dans 14 pays (dont l'Espagne, le Royaume-Uni, le Portugal, la Slovénie et la République tchèque). Elle réalise 40 % de son chiffre d'affaires en France. Ses principaux clients sont Renault, Peugeot SA, Volkswagen, Nissan et Toyota.

(23) Peu avant l'éclatement de la crise de 2008, Trèves commençait à récolter les bénéfices d'un premier plan de restructuration lancé en 2005 visant à réduire les effectifs et rationaliser les capacités de production. Lorsque la crise est survenue, Trèves a décidé de modifier et d'approfondir son plan de restructuration et a souhaité mener des discussions avec les prêteurs dans le cadre d'une procédure de conciliation (6).

(24) Un protocole de conciliation a ainsi été conclu le 25 mai 2009 entre l'actionnaire de Trèves (la holding "Severt", unique actionnaire), les sociétés du groupe Trèves, les prêteurs (i.e. les banques) et le FMEA. Ce protocole repose sur la mise en œuvre d'un plan de restructuration (ce plan est décrit à la section V.1.1.).

(25) Le financement du plan de restructuration était estimé à [110-140] (*) millions d'euro. À ce titre, les différentes parties ont pris les engagements décrits au sein du protocole du 25 mai 2009.

Contribution de l'entreprise, de ses banques et de ses clients

(26) Les constructeurs Peugeot et Renault se sont engagés à apporter 33,3 millions d'euro dans le cadre du financement [...].

(27) Le groupe Trèves s'est engagé à faire ses meilleurs efforts pour générer au cours de l'année 2009 une somme correspondant à [5-20] des besoins de trésorerie, soit [5-30] millions d'euro.

(28) Un nouveau crédit bancaire de [10-30] millions d'euro a été accordé par les banques. En outre, les banques ont consenti un prêt de consolidation d'un montant de [30- 60] millions d'euro destiné à rembourser les crédits à court terme ([0-20] millions) et les crédits à moyen terme ([30-40] millions) existants. Le nouveau crédit et le prêt de consolidation doivent être totalement remboursés pour [...] 2014.

Contribution du FMEA et contribution publique

(29) Le FMEA a apporté son concours à l'entreprise à hauteur de 55 millions d'euro. Sur cette somme, [40-50] millions d'euro ont été apportés sous forme de titres de dettes donnant accès au capital (i.e. "ORAPA" ou obligations remboursables en action à parité ajustable), titres rémunérés par un coupon fixe de [> 8] %. Parallèlement, [5-15] millions d'euro ont été apportés par augmentation de capital (souscription de nouvelles actions ordinaires), donnant ainsi au FMEA une participation de [< 50] au capital de Trèves.

(30) Les créanciers publics ont accordé un plan d'apurement fiscal et social de 18,4 millions d'euro [...]. Ce plan consiste à rééchelonner le remboursement de dettes fiscales et sociales de Trèves, accompagné du paiement de pénalités et d'intérêts de retard.

II.3. Raisons ayant conduit à l'ouverture de la procédure

(31) Le financement du plan de restructuration de Trèves repose sur l'apport des nouveaux fonds pour un total de [100-120] millions (cette somme n'inclut pas le prêt de consolidation). Sur cette somme, 55 millions sont apportés par le FMEA. À cela s'ajoute le plan d'apurement des dettes fiscales et sociales pour un montant 18,4 millions. Dans sa décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen, la Commission exprime ses doutes quant à la qualification d'aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE de ces deux dernières mesures.

(32) En ce qui concerne l'investissement du FMEA, la Commission relève que plusieurs éléments semblent indiquer que cet investissement a une origine étatique. À première vue, cet investissement apparaît comme effectué à partir de ressources d'État et comme étant imputable à l'État (7). Les doutes de la Commission se fondent notamment sur l'observation du fonctionnement du FSI, du FMEA et de CDC Entreprises rappelé ci-dessus.

(33) Ensuite, la Commission fait part de ses doutes quant au respect du critère de l'investisseur privé en économie de marché par ledit investissement. En particulier, la Commission ne pouvait établir avec certitude, au vu de la situation tant du secteur automobile que de l'entreprise qui connaissait certaines difficultés financières (8), premièrement, que les hypothèses du plan de restructuration étaient crédibles, réalistes et prudentes, deuxièmement, que la valorisation de Trèves avant l'investissement était prudente et, troisièmement, que la perspective d'un taux de rentabilité interne (ci-après "TRI") de [> 12 %] (9) devait être considérée comme suffisante au regard du risque pris par le FMEA.

(34) En ce qui concerne le plan d'apurement des dettes fiscales et sociales, la Commission se demande si le comportement de l'administration française peut être comparé à un créancier privé placé dans les mêmes conditions qui cherche à récupérer des sommes qui lui sont dues. La Commission ne disposait pas de tous les éléments lui permettant de conclure que les créanciers publics étaient, en vertu du protocole de conciliation du 25 mai 2009, dans une position au moins aussi favorable que les créanciers privés de Trèves (c'est-à-dire les banques) qui ont également consenti à rééchelonner leurs créances en accordant un prêt de consolidation. La Commission émet alors des doutes quant au respect du principe du créancier privé en économie de marché par le plan d'apurement des dettes fiscales et sociales.

(35) Enfin, si les deux mesures susmentionnées devaient être qualifiées d'aides d'État, la Commission indique dans sa décision d'ouverture que leur compatibilité pourrait être examinée sur base des lignes directrices de la Commission concernant les aides au sauvetage et à la restructuration d'entreprises en difficulté (10) (ci-après "les lignes directrices"). La Commission affirme cependant que, à ce stade, elle ne peut pas établir avec certitude que toutes les conditions requises par lesdites lignes directrices sont remplies.

III. OBSERVATIONS DES INTÉRESSÉS

Le groupe Trèves

(36) Par lettre du 2 juillet 2010, le groupe Trèves a communiqué ses observations à la Commission. Selon lui, les modalités et les conditions de l'investissement du FMEA dans le groupe Trèves et l'application du plan de rééchelonnement de ses dettes fiscales et sociales ne relèvent pas de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE.

(37) Dans un premier temps, le groupe Trèves fait valoir que la thèse de l'imputabilité de l'aide à l'État est sans fondement parce que, à travers le FMEA, le groupe Trèves a choisi un engagement avec deux constructeurs automobiles d'envergure internationale qui représentent [> 50] % de son chiffre d'affaires. Par ailleurs, il conteste l'analyse de la Commission selon laquelle la société a dû faire appel à des ressources d'État car d'une part les ressources du FMEA proviennent selon lui d'acteurs privés et d'autre part, la participation d'autres investisseurs privés au financement de la société (les banques), prouve que celle-ci était capable de se financer sur le marché.

(38) Dans un second temps, le groupe Trèves réfute catégoriquement l'analyse de la Commission concernant la situation économique de la société Trèves entre 2005 et 2008. Selon lui, la Commission confond la crise générale du secteur automobile en 2008 et la situation individuelle de la société qui a connu une progression ininterrompue et importante de son chiffre d'affaires entre 1999 ([500-700] millions d'euro) et 2004 ([900-1 100] millions d'euro). Cette progression a en effet été entravée par la crise qui a frappé le secteur automobile au second semestre 2008. Les plans de restructuration de 2005 et 2009 n'avaient pas pour objectif de remédier à des difficultés de trésorerie mais consistaient à rationaliser les capacités de production de la société afin de relancer l'entreprise dans un contexte conjoncturel difficile et non d'assurer sa survie, comme le prouve la progression de l'EBITDA (11) de Trèves entre 2005 et 2007 et le redressement de ses résultats dès 2009.

(39) Par ailleurs, le groupe Trèves conteste l'importance donnée par la Commission aux déclarations du ministre français de l'industrie selon laquelle si l'État n'était pas intervenu, Trèves aurait déposé le bilan. Une déclaration politique subjective prononcée dans un contexte social tendu n'est pas pertinente pour apprécier la situation économique et financière réelle d'une entreprise.

(40) Par conséquent, le caractère avisé de l'investissement du FMEA dans la société Trèves serait incontestable à la fois sur le plan financier et sur le plan industriel. La société rappelle que le FMEA n'a pas été le seul investisseur mais plusieurs autres investisseurs potentiels se sont manifestés et des partenaires privés se sont engagés aux côtés du FMEA. Contrairement à ce que semble supposer la Commission, il n'y a aucune contradiction entre la logique financière et la logique industrielle de l'investissement du FMEA. Selon le groupe Trèves, le fait pour un constructeur de détenir une participation dans un de ses fournisseurs dans le but de renforcer leurs liens industriels et de retirer un bénéfice financier de sa croissance, est une pratique courante dans le secteur automobile.

(41) Dans un troisième temps, le groupe Trèves insiste sur le respect du principe de l'investisseur avisé en économie de marché. En effet, les conditions de l'investissement sont non seulement très strictes mais aussi avantageuses pour le FMEA. Par ailleurs, la société Trèves disposait en 2008- 2009 d'atouts essentiels pour lui assurer un retour rapide à la rentabilité (implantation et croissance dans les pays émergents, diversification de son portefeuille de clients constructeurs, orientation marquée vers la Recherche- Développement). En tenant compte de ces atouts, le plan de restructuration industrielle et financière de Trèves a été élaboré sur la base de prévisions prudentes et raisonnables après un audit approfondi de la situation de l'entreprise. Enfin, les bons résultats de la société Trèves en 2009-2010 démontrent le caractère avisé de l'investissement.

(42) Le groupe Trèves considère enfin que si l'investissement du FMEA devait entrer dans le champ de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE, cette aide serait compatible avec les lignes directrices, car le retour à la viabilité à long terme de la société est assurée, la restructuration de Trèves n'entraîne aucune distorsion de concurrence et est assortie de mesures compensatoires déjà en partie mises en œuvre ([...], réduction des capacités de production, réduction des effectifs et enfin la part du financement de la restructuration de Trèves d'origine prétendument étatique reste limitée au strict minimum des coûts de la restructuration).

(43) S'agissant du plan de rééchelonnement des dettes fiscales et sociales, le groupe Trèves estime tout d'abord qu'il respecte les principes du créancier privé en économie de marché. Et que la Commission ne peut présupposer que la qualification d'aide éventuellement retenue exclurait de fait la possibilité d'un plan de rééchelonnement avisé de la part des autorités financières. Or, le plan de rééchelonnement prévoit des pénalités et majorations de retard, un taux d'intérêt supérieur au taux légal auquel pouvait prétendre un créancier privé, des hypothèques de premier rang [...] et les autorités publiques sont intervenues concomitamment avec des créanciers privés.

Le FMEA

(44) Par lettre datée du 22 juin 2010, le FMEA a communiqué ses observations à la Commission. Le FMEA écarte la qualification d'aide d'État concernant son investissement dans la société Trèves en raison tout d'abord de l'autonomie dont il dispose dans le choix de ses investissements puis dans la démarche adoptée pour atteindre ses objectifs.

(45) Le FMEA insiste sur le fait qu'il détermine ses interventions en toute indépendance. Cette autonomie résulte non seulement de son statut mais aussi de sa gouvernance. Le FMEA, en tant que fonds commun de placement à risque, est doté d'une société de gestion elle- même soumise aux règles de gestion pour compte de tiers. L'indépendance statutaire de la société de gestion dans le choix de ses investissements, puisqu'elle agit en fonction de l'intérêt patrimonial des souscripteurs, contribue à assurer l'autonomie du FMEA au stade de la décision d'investir. S'agissant des comités consultatifs du FMEA, le comité de sélection et le comité d'investissement, leurs avis ne peuvent être pris qu'avec l'approbation de l'un des deux constructeurs. À ce jour, la société de gestion, CDC Entreprises, ne s'est jamais écartée des avis rendus par les comités. Par conséquent, l'influence des investisseurs privés, à savoir Renault et Peugeot, est prépondérante dans la sélection et la définition des projets d'investissement.

(46) Par ailleurs, l'investissement du FMEA dans la société Trèves illustre la politique d'investissement du FMEA qui privilégie les entreprises à forte capacité innovante et à fort potentiel de croissance et de rentabilité dans la filière des équipementiers automobiles. Or, la société Trèves est un équipementier européen de premier plan qui intéressait d'ailleurs [...] autres fonds privés. La nette amélioration des résultats de la société dès 2010 démontre la réalité et la pertinence du plan de restructuration présenté par Trèves. Les difficultés passagères de la société en raison de la crise économique et financière ont permis également au FMEA de négocier un investissement à des conditions très protectrices.

(47) Le FMEA considère par conséquent que son investissement ne peut être qualifié d'aide d'État.

Le groupe Renault

(48) Par lettre datée du 6 juillet 2010, Renault a communiqué ses observations à la Commission. Il conteste tout d'abord les affirmations de la Commission selon lesquelles sa souscription au FMEA serait liée au prêt que l'État lui a accordé en avril 2009. La société rappelle que lors de la création du fonds le 20 janvier 2009 (12), elle n'avait aucune information sur un éventuel futur prêt accordé par l'État aux constructeurs. L'objectif du prêt qui lui a été accordé en avril 2009 était de financer les besoins généraux de l'entreprise en raison de la contraction de marchés financiers au cours du 4 e trimestre 2008 et du 1 er trimestre 2009.

(49) Par ailleurs, la souscription de Renault au FMEA était justifiée par des raisons économiques, industrielles et financières : il est en effet stratégiquement et financièrement indispensable pour Renault de consolider son approvisionnement de façon pérenne en s'appuyant sur des fournisseurs sains et compétitifs tout en attendant un retour sur investissement financier. Le FMEA permet ainsi à Renault d'investir dans des entreprises incontournables pour la filière, comme la société Trèves qui demeure un fournisseur essentiel pour l'industrie automobile européenne. Par conséquent, les interventions du FMEA suivent la même approche que celle de Renault, lui- même investisseur avisé en économie de marché.

(50) Enfin, la société Renault partage sans réserves les observations du FMEA présentées en réponse à la décision d'ouverture de la procédure formelle de la Commission, sur son rôle dans la gouvernance du FMEA, sur le mode de fonctionnement de ce dernier, sur son autonomie et sur celle de sa société de gestion à l'égard des autorités publiques.

Le groupe Peugeot

(51) Par lettre datée du 6 juillet 2010, PSA a communiqué ses observations à la Commission. Selon PSA, l'investissement du FMEA dans la société Trèves est non seulement rentable mais correspond aussi à ses intérêts économiques et stratégiques.

(52) La participation de PSA au FMEA s'inscrit dans la volonté commune du constructeur et du fonds d'investir dans des entreprises stratégiques à forte capacité innovante, capables d'assurer la sécurité des approvisionnements et de consolider de façon optimale la filière des équipementiers automobiles. Par ailleurs, PSA estime que l'investissement du FMEA répond à ses exigences de rentabilité au regard du risque pris.

(53) Enfin, PSA insiste sur l'absence de conditionnalité entre sa décision de participer au FMEA et la conclusion d'une convention de prêt de 3 milliards d'euro entre l'État français et le constructeur, en mars 2009.

Un concurrent de Trèves

(54) Par lettre datée du 23 juin 2010, un concurrent de Trèves, qui souhaite conserver l'anonymat, a communiqué ses observations à la Commission. Celui-ci partage les analyses de la Commission décrites dans la décision d'ouverture du 29 janvier 2010. Il considère en effet que la société Trèves connaissait des difficultés économiques avant le début de la crise économique et ne peut donc bénéficier des mesures du cadre communautaire temporaire. Par ailleurs, quelle que soit la situation économique de Trèves, les aides d'État dont elle pourrait bénéficier doivent être accompagnées d'importantes mesures compensatoires, en raison des effets négatifs très sensibles sur la concurrence. En effet, une aide dont le seul but est de maintenir une entreprise artificiellement en vie dans un secteur connaissant une surcapacité structurelle à long terme, n'est pas justifiée. Il estime que la société Trèves devrait être obligée de limiter sa présence sur les marchés en vendant des filiales ou en réduisant ses activités de façon drastique et contribuer davantage sur ses ressources propres à sa restructuration.

La République italienne

(55) Par lettre datée du 15 juin 2010, le ministère italien du développement économique a communiqué ses observations à la Commission. Il partage les "arguments" (13) de la Commission sur deux points fondamentaux : l'investissement du FMEA constitue indubitablement une aide d'État en raison de la présence décisive de fonds publics et ce type d'aide est destiné à soutenir les entreprises qui, avant le second trimestre 2008, rencontraient des difficultés au sens des lignes directrices.

IV. COMMENTAIRES DE LA FRANCE

(56) Par lettre datée du 25 mars 2010, les autorités françaises ont communiqué leurs observations à la Commission à la suite de l'ouverture de la procédure formelle d'examen engagée le 29 janvier 2010.

(57) Selon elles, les modalités et les conditions de l'investissement du FMEA dans la société Trèves ne relèvent pas de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE car l'investissement n'est pas effectué au moyen de ressources d'État mais de fonds majoritairement privés et non imputables à l'État. Quand bien même les ressources du FMEA seraient considérées comme des ressources d'État ou que la décision d'investir serait imputable à l'État, les autorités françaises considèrent que cet investissement présente toutes les caractéristiques d'un investissement avisé en économie de marché. Par ailleurs, elles considèrent également que le rééchelonnement de la dette fiscale et sociale consenti par les créanciers publics répond aux critères du créancier privé cherchant à récupérer les sommes qui lui sont dues.

(58) Les autorités françaises font valoir que l'investissement du FMEA n'a nullement impliqué le transfert de ressources d'État au sens de la jurisprudence "Stardust marine" (14). Les fonds du FMEA sont, pour ce qui concerne la part des constructeurs PSA et Renault (2-3), des fonds purement privés et pour ce qui concerne la part du FSI (1-3), bien que d'origine publique, des fonds qui ne sont pas sous le contrôle permanent de l'État. Le FSI, créé selon le modèle des fonds d'investissement privés, est constitué sous la forme d'une société anonyme en concurrence avec les autres fonds d'investissements privés. Il effectue des investissements de long terme dont l'objectif est la rentabilité.

(59) Par ailleurs, la société de gestion du FMEA, CDC Entreprises, du fait de son statut et de ses modalités de fonctionnement, n'est pas sous la tutelle des autorités publiques. En raison de son statut, elle est légalement indépendante de la CDC et investit au bénéfice exclusif de ses souscripteurs, en concurrence ou aux côtés d'investisseurs privés. CDC Entreprises gère donc les fonds du FMEA en toute indépendance. S'agissant de l'investissement dans Trèves, elle a suivi les préconisations des comités de sélection et d'investissement du FMEA sans aucune intervention de l'État. Par conséquent, les autorités françaises concluent d'une part que les ressources investies ne sont pas des ressources d'État dans la mesure où elles ne sont pas constamment sous contrôle public et donc à la disposition des autorités nationales, et d'autre part, que la décision d'investir n'est pas imputable à l'État car CDC Entreprises n'agit que dans l'intérêt exclusif des souscripteurs du FMEA et en toute indépendance.

(60) En ce qui concerne la conformité de l'investissement du FMEA avec le principe de l'investisseur avisé en économie de marché, les autorités françaises rappellent que la politique d'investissement du FMEA privilégie les projets rentables et stratégiques pour le secteur automobile, à forte croissance et à forte capacité d'innovation. Dans le cas de Trèves, l'investissement a été réalisé sur la base d'un Business Plan réaliste et rigoureux validé par plusieurs analystes privés. Et la prise de participation du FMEA dans le capital de Trèves et la souscription d'ORAPA ont été réalisées en même temps que d'autres investisseurs privés et dans les mêmes conditions (investissements "pari passu"). Selon les autorités françaises, ces éléments suffisent à établir la conformité de l'investissement aux pratiques du marché.

(61) S'agissant de l'application du principe du créancier privé en économie de marché, les autorités françaises estiment que le plan de rééchelonnement des dettes sociales et fiscales octroyé à Trèves obéit à l'idée qui sous-tend l'application de ce critère, à savoir que le créancier public, comme le créancier privé, doit chercher à récupérer les sommes qui lui sont dues par un débiteur connaissant des difficultés financières. Les autorités françaises précisent tout d'abord qu'aucune remise de dette fiscale ou sociale n'a été accordée au groupe Trèves. Elles considèrent que les deux éléments fondamentaux permettant d'apprécier le critère du créancier privé, à savoir la présence de pénalités et de majorations de retard et le taux d'intérêt pratiqué, sont respectés en l'espèce. En effet, le plan de rééchelonnement prévoit des intérêts et pénalités de retard, définis préalablement à l'accord sur le plan de rééchelonnement et pris en compte dans le calcul des mensualités dues par Trèves. Par ailleurs, conformément à l'article 1153 du Code civil qui prévoit qu'en l'absence de clause contractuelle, le retard dans l'exécution du paiement d'une somme due à un créancier privé donne lieu à la condamnation au paiement d'intérêts moratoires au taux légal. Ce taux était de 3,79 % en 2009, année au cours de laquelle le plan de rééchelonnement a été établi. Or, l'intérêt annuel sur la durée totale du plan de rééchelonnement est d'environ [5-10] %. À titre subsidiaire, les autorités françaises rappellent que concomitamment au plan de rééchelonnement du passif social et fiscal, les banques prêteuses du groupe Trèves ont consenti à un rééchelonnement de leurs propres passifs, par le biais d'un prêt de consolidation. Les créanciers privés de Trèves ont donc eux aussi accordé des facilités de paiement afin d'assurer le remboursement de leurs créances.

(62) Les autorités françaises constatent dans un premier temps que la majorité des observations reçues confirme que l'investissement du FMEA dans la société Trèves ne peut être qualifié d'aide d'État. Par conséquent, les autorités françaises ne feront aucun commentaire supplémentaire sur ces observations.

(63) Au contraire, s'agissant des observations présentées par les autorités italiennes et par la société anonyme se présentant comme un concurrent de Trèves, les autorités françaises souhaitent communiquer à la Commission les observations suivantes.

(64) Les autorités françaises constatent que les autorités italiennes se limitent à affirmer que l'investissement du FMEA dans la société Trèves doit être qualifié d'aide d'État en raison du "rôle décisif" joué par les fonds publics. Cette affirmation n'est étayée par aucune démonstration ou justification.

(65) Toujours selon les autorités françaises, la société concurrente de Trèves présume également, sans la démontrer, l'existence d'une aide d'État qui serait incompatible avec les lignes directrices et avec le cadre temporaire adopté par la Commission en décembre 2008 dans le cadre de la crise économique et financière. Les éléments sur lesquels cette société s'appuie sont ou bien inexacts ou bien sortis de leur contexte et donc interprétés de façon erronée et partiale.

V. APPRÉCIATION DES MESURES SOUS EXAMEN

(66) Lorsque la Commission examine une mesure nationale, elle doit d'abord examiner si ladite mesure peut être qualifiée d'aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE. Une fois cette qualification établie, la Commission peut alors apprécier dans quelle mesure cette mesure peut être considérée comme compatible avec le marché commun sur base des dérogations permises par le TFUE au principe d'interdiction des aides d'État. Si la mesure sous examen ne constitue pas une aide d'État, l'examen de la compatibilité de l'aide est sans objet.

V.1. Évaluation de la présence d'une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE

(67) Aux termes de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE "sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions".

(68) Cette disposition mentionne les critères selon lesquels une mesure nationale peut être qualifiée d'aide d'État. Comme le rappelle la Cour de justice dans son arrêt du 15 juin 2006, ces critères sont "le financement d'une telle mesure par l'État ou au moyen de ressources d'État, l'existence d'un avantage pour une entreprise, la sélectivité de ladite mesure ainsi que l'incidence de cette dernière sur les échanges entre États membres et la distorsion de concurrence résultant de celle-ci" (15).

(69) Ces critères sont cumulatifs et doivent ainsi être tous satisfaits pour qu'une mesure puisse être qualifiée d'aide d'État. Dès lors, à partir du moment où la Commission établit qu'un de ces critères n'est pas satisfait, elle peut affirmer avec certitude que la mesure sous examen ne constitue pas une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE.

V.1.1. L'investissement du FMEA de 55 millions d'euro

(70) En ce qui concerne l'investissement du FMEA au sein de Trèves pour un montant de 55 millions d'euro, il convient de vérifier en premier lieu si le critère de l'avantage est rempli.

Avantage

(71) Selon une jurisprudence constante (16), un apport de fonds dans une entreprise ne constitue pas une aide d'État si cet apport est réalisé dans des circonstances qui seraient acceptables pour un investisseur privé opérant dans les conditions normales d'une économie de marché ("critère de l'investisseur privé en économie de marché").

(72) À cet égard, si l'on prend comme hypothèse que le FMEA revendra sa participation au sein de Trèves dans le courant de Tannée 2012, le taux de rentabilité interne ("TRI") calculé par le FMEA en raison de son investissement est de [> 12 %] l'an. Ce taux représente la rentabilité, avant impôt, de l'ensemble de l'investissement du FMEA, soit tant l'apport direct de capital de [5-15] millions d'euro que l'apport sous forme de titres de dettes donnant accès au capital (ORAPA) pour un montant de [40-50] millions d'euro.

(73) Dès lors, en vue d'apprécier si le critère de l'investisseur privé en économie de marché est respecté, la Commission doit se prononcer sur les questions suivantes :

a) le plan de restructuration de Trèves à partir duquel le FMEA s'est engagé est-il crédible et réaliste?

b) le groupe Trèves a-t-il été valorisé de manière appropriée avant l'entrée au capital du FMEA pour un montant de [5-15] millions d'euro?

c) les hypothèses du plan de restructuration qui sous- tendent le TRI étaient-elles raisonnables et réalistes au moment où l'investissement du FMEA a été effectué?

d) un TRI attendu de [> 12 %] est-il suffisant?

(74) La Commission joindra aux réponses aux questions b) et d) des considérations ayant trait respectivement à la structure de l'investissement du FMEA et au partage de la plus-value.

(75) Les réponses données à ces questions permettront à la Commission de déterminer si le FMEA a agi dans des conditions similaires à celles qu'auraient exigé un investisseur privé dont l'investissement présente un risque découlant tant de la situation du secteur automobile au moment de l'investissement que celle de l'entreprise qui connaissait certaines difficultés financières.

Quant au caractère crédible et réaliste du plan de restructuration

(76) Comme déjà indiqué au considérant 23, peu avant l'éclatement de la crise financière et économique de 2008, Trèves commençait à récolter les bénéfices d'un premier plan de restructuration, lancé en 2005, visant à réduire les effectifs et rationaliser les capacités de production (17). Lorsque la crise est survenue, Trèves a décidé de modifier et d'approfondir son plan de restructuration.

(77) C'est ainsi que, dès la fin de l'été 2008, Trèves a donné une nouvelle impulsion à son plan de restructuration et à la fin du mois de décembre 2008, soit plusieurs mois avant le protocole de conciliation du 25 mai 2009, les résultats suivants pouvaient déjà être observés :

- une forte réduction des frais généraux : les mesures prises à ce titre ont permis de réduire de [20-30] % le montant total des frais généraux effectifs de Trèves au cours du dernier quadrimestre 2008 par rapport au budget prévisionnel 2008,

- une forte réduction des stocks : le coût des stocks a diminué de [30-40] % au cours du second semestre 2008, pour passer de [20-80] millions d'euro en juin a [0-60] millions d'euro en décembre,

- la maîtrise des investissements corporels : ces derniers ont été réduits de [40-50] % en 2008 par rapport au budget prévisionnel 2008,

- une réduction des effectifs : les effectifs du groupe en France ont été réduits de [10-20] % au cours de la seule année 2008 ([...] salariés en France en décembre 2008 contre [...] salariés en janvier 2008).

(78) Début 2009, Trèves a alors élaboré de manière plus formelle une nouvelle version du plan de restructuration, aidé pour ce faire par le cabinet de consultance indépendant [...]. Ce cabinet a notamment validé le montant des besoins de trésorerie jugé nécessaire au financement du plan ([110-140] millions d'euro, voir les considérants et suivants).

(79) En premier lieu, il faut souligner que les prévisions pour les chiffres d'affaires futurs figurant dans le plan de restructuration apparaissent comme crédibles et réalistes. En effet, ces prévisions reposent sur l'anticipation d'un niveau de commande par les constructeurs revu très sensiblement à la baisse. Par exemple, les volumes attendus pour 2009 sont inférieurs de [15-25] % à leur niveau de 2008. D'autre part, les prévisions sont cohérentes avec celles effectuées à la même époque par des analystes du secteur automobile (la société JD Power par exemple), quant à la reprise attendue du secteur et quant à sa configuration à l'horizon 2011. C'est donc sur la base d'une estimation prudente et sérieuse des volumes que Trèves a estimé son chiffre d'affaires futur. Le plan reste prudent quant à l'évolution du secteur et table sur un niveau d'activité en 2011 [...] aux ventes réalisées en 2008.

(80) Ensuite, le plan met en place une importante réduction des coûts. Cette réduction est opérée, entre autres, par le renforcement de l'efficience de la main d'œuvre et la réalisation d'économies de coûts d'exploitation [...] (18) [...]. La réduction des coûts s'appuie aussi sur une réduction importante des effectifs (la restructuration porte au total sur 1 300 personnes).

(81) Sur la base de ces mesures, le plan de restructuration prévoit :

- un retour à l'équilibre dès 2010, avec un résultat avant impôts de [0-10] millions d'euro, un flux de trésorerie positif à hauteur de [0-10] millions d'euro et un EBITDA de [40-70] millions d'euro,

- un résultat avant impôt de [10-30] millions d'euro dès 2011, avec un flux de trésorerie de [10-30] millions d'euro et un EBITDA de [50-80] millions d'euro.

(82) Il y a lieu de noter que, avant de s'engager, le FMEA a lui- même mandaté le cabinet [...] en vue d'opérer, entre mi- mars et fin avril 2009, un audit complet de la situation de Trèves (exercices dit de "due diligence"). Les équipes du FMEA elles-mêmes ont également analysé et validé le plan de restructuration.

(83) Par ailleurs, dans le cadre de sa restructuration, Trèves s'engage à céder son activité "[...]" en prenant en compte les équilibres industriels et sociaux relatifs à cette opération et avec le souci de contribuer à la compétitivité de l'outil industriel du nouvel ensemble Trèves.

(84) Au vu des éléments qui précèdent, la Commission conclut que le plan de restructuration sur la base duquel le FMEA a opéré son investissement dans Trèves peut être considéré comme crédible et réaliste.

Quant à la valorisation de Trèves avant l'investissement du FMEA et quant à la structure de cet investissement

(85) La valeur des fonds propres de Trèves avant l'investissement du FMEA a été fixée à [15-40] millions d'euro. Sur cette base, le FMEA a obtenu [< 50] % du capital de Trèves en opérant une augmentation de capital de [5- 15] millions d'euro. La Commission doit vérifier que cette valorisation est appropriée et prudente au vu de la situation de l'entreprise à l'époque.

(86) Plusieurs méthodes existent en vue d'estimer la valeur des fonds propres d'une entreprise (19). Une méthode souvent utilisée est celle du multiple de l'EBITDA. Elle permet d'évaluer la valeur des fonds propres d'une entreprise pour une année X en multipliant l'EBITDA de cette année X par un chiffre (le multiple) jugé comme adéquat pour le secteur, la dette nette étant soustraite du résultat.

(87) Une autre méthode est celle du "Discounted Cash Flow Analysis". Les flux de trésorerie disponibles ("Free Cash Flows") nominaux de l'entreprise pour les années à venir sont actualisés selon le coût moyen pondéré du capital nominal (ci-après "Weighted Average COST of Capital" ou "WACC") et la dette nette est soustraite de la valeur obtenue.

(88) Une troisième méthode est celle du multiple du chiffre d'affaires. Elle permet d'évaluer la valeur des fonds propres d'une entreprise à une année X en multipliant le chiffre d'affaires de cette année X par un chiffre (le multiple) jugé comme adéquat pour le secteur, la dette nette étant soustraite du résultat.

(89) Pour valoriser l'entreprise Trèves avant son investissement, le FMEA a utilisé les méthodes du Discounted Cash Flow Analysis et celle du multiple du chiffre d'affaires. En effet, Trèves ne connaissant pas une EBITDA positif à la fin de l'année 2008, la première méthode mentionnée, celle du multiple de l'EBITDA, n'était donc pas praticable.

(90) Par contre, la méthode du Discounted Cash Flow Analysis était possible et permettait de tenir compte des perspectives de rétablissement de la profitabilité, ce qui conduit à intégrer dans la valorisation les effets bénéfiques attendus de l'amélioration des performances de l'entreprise. La méthode du multiple du chiffre d'affaires fut également utilisée par mesure de prudence et à titre de confirmation.

(91) En ce qui concerne la méthode du Discounted Cash Flow Analysis de l'entreprise, le coût du capital ou WACC sectoriel, intégrant le risque spécifique du secteur, a été estimé à 12 %. Le FMEA a ensuite calculé un WACC plus prudent de [> 12] % en intégrant les primes de risque spécifique supplémentaires liées à la taille de l'entreprise et au caractère non liquide de l'investissement. Il a finalement retenu un WACC de [> 12] %, pour tenir compte du risque complémentaire lié au contexte de retournement (à savoir de restructuration) de l'entreprise. La valeur à long terme de l'entreprise (dite valeur terminale) est calculée à partir des résultats de 2011. Le FMEA a ainsi établi la valeur de ses fonds propres du groupe Trèves à [15-40] millions d'euro.

(92) En ce qui concerne la méthode du multiple du chiffre d'affaires, le multiple retenu et appliqué au chiffre d'affaires de fin 2008 fut [0-1]. Ce multiple correspond aux multiples observés sur le marché pour des entreprises comparables au moment de la transaction. Il y a lieu de souligner que ces multiples ont atteint à la fin de l'année 2008 et au début de l'année 2009 des niveaux historiquement bas en raison de la crise financière et économique qui a fortement affecté le secteur de la construction automobile et des équipementiers (en effet, la moyenne à long terme du multiple du chiffre d'affaires pour le secteur des équipementiers automobiles se fixe à 0,51). Sur la base d'un multiple de [0-1], la valeur des fonds propres de Trèves s'établit à [15-40] millions d'euro.

(93) Ainsi, bien que le multiple de [0-1] soit un multiple qui doit être considéré comme historiquement faible, le FMEA a retenu la valeur tirée de ce multiple et non celle découlant d'un multiple moyen à long terme ou lissé sur plusieurs années. De même, le FMEA n'a pas retenu non plus la valorisation découlant du Discounted Cash Flow Analysis. Il résulte de ce qui précède que la valorisation des fonds propres de Trèves avant que le FMEA ne procède à son investissement est appropriée et prudente. Celle-ci se situe en effet dans le bas de l'intervalle déterminé selon la méthode Discounted Cash Flow Analysis et les multiples boursiers. Une valorisation opérée dans ce contexte constitue un élément favorable pour l'investisseur privé car elle tend à renforcer les perspectives de plus-value dans l'optique d'un retour à des multiples de valorisation à leurs niveaux moyens historiques.

(94) Par ailleurs, il convient de rappeler que l'investissement du FMEA ne se limite pas à un apport en capital de [5- 15] millions d'euro lui confiant [< 50] % des parts du groupe Trèves. Le FMEA a également apporté [40-50] millions d'euro sous forme de titres de dettes dormant accès au capital (ORAPA) et produisant un intérêt de [> 8] % l'an. Cette structure est une structure sophistiquée qu'un investisseur privé aurait exigée dans un secteur tel que celui de la sous-traitance automobile. En effet, la présence d'une quantité importante d'ORAPA dont la parité varie en fonction des performances de la société constitue un des mécanismes de contrôle les plus incitatifs qui soit.

(95) Le mécanisme mis en place par le FMEA est le suivant. Les ORAPA peuvent être remboursées à travers l'émission de nouvelles actions de la société Trèves. La parité est déterminée en 2011 par l'atteinte d'une marge d'excédent brut d'exploitation de [...] %. Si ce seuil est atteint, le FMEA obtiendra [...] % des fonds propres par le remboursement des obligations. Si ce seuil n'est pas atteint, le remboursement des obligations conduirait le FMEA à détenir [...] % des fonds propres. L'intérêt des dirigeants de Trèves est donc d'assurer la réalisation de cette marge d'excédent brut d'exploitation [...]. Les intérêts de l'investisseur financier et ceux des dirigeants- actionnaires sont ainsi fortement liés afin de maximiser la valeur de la société à la sortie.

Quant aux hypothèses qui justifient un TRI de [> 1 2 % ]

(96) La démarche généralement retenue par un investisseur privé consiste à apprécier le taux de rentabilité interne annuel dégagé par le projet d'investissement envisagé. En vue de calculer le TRI annuel d'un investissement dans une entreprise, il convient de déterminer la valeur des fonds propres de cette entreprise au moment où la rentabilité est escomptée.

(97) Comme il est déjà indiqué aux considérants 85 à 87, plusieurs méthodes existent en vue de déterminer la valeur d'une entreprise. Pour apprécier la valeur de l'entreprise courant 2012, année durant laquelle le FMEA pourrait céder sa participation (20), le FMEA a utilisé la méthode du multiple de l'EBITDA. Cette méthode est souvent utilisée dans le secteur industriel en vue de prévoir les modalités de sortie d'un investisseur en capital ou quasi-capital. Par ailleurs, en calculant la rentabilité escomptée sur la base de l'EBITDA, le FMEA s'appuie sur une mesure pertinente du redressement de l'entreprise devant être opéré entre son investissement (le 25 mai 2009) et la fin de l'année 2011. De plus, en retenant l'EBITDA prévu pour 2011 et non celui - supérieur - prévu pour 2012, le FMEA adopte une approche prudente consistant à vérifier que le redressement de l'entreprise est effectué de manière satisfaisante dans un délai assez court (un peu plus de deux ans et demi).

(98) Dès lors, dans le cas d'espèce, le TRI calculé par le FMEA repose sur trois hypothèses mentionnées dans le plan de restructuration. En premier lieu, le groupe Trèves devrait connaître fin 2011 un EBITDA de [50-80] millions d'euro. En second lieu, la valeur de Trèves à la fin de l'année 2011 est déterminée à partir d'un multiple de l'EBlTDA de [1-6]. En troisième lieu, la dette nette est estimée à [50-150] millions d'euro à la fin de l'année 2011. La Commission doit ainsi déterminer si ces trois hypothèses sont à considérer comme crédibles et réalistes au moment où l'investissement du FMEA a été effectué.

(99) Premièrement, en ce qui concerne la valeur EBITDA pour 2011, il convient de souligner que cette prévision repose sur la mise en œuvre du plan de restructuration. Or, comme expliqué aux considérants (76) et suivants, ce plan peut être considéré comme crédible et réaliste. Ainsi, il convient de rappeler que la réduction des coûts est principalement mise en œuvre par le renforcement de l'efficience de la main d'œuvre et la réalisation d'économies de coûts d'exploitation grâce, notamment, [...]. La réduction des coûts s'appuie aussi sur une réduction importante des effectifs (la restructuration porte au total sur 1 300 personnes).

(100) Deuxièmement, le multiple de l'EBlTDA utilisé ([1-6]) pour déterminer la valeur de l'entreprise correspond au multiple moyen du secteur calculé sur la période 2000- 2009 ([1-6]), moins l'écart type par mesure de prudence lié au contexte de retournement de la société. Ce multiple est légèrement supérieur au multiple du secteur au moment de l'investissement (environ 4,2). Il est cependant suffisamment prudent de s'appuyer sur un chiffre de [1-6] lors de la valorisation pour la fin de l'année 2011, compte tenu du redressement prévisible du ratio, ce redressement ayant d'ailleurs déjà sensiblement commencé au moment de l'investissement ([1-6] en décembre 2008 contre [1-6] en mai 2009). Ce multiple semble aussi particulièrement prudent au vu des prévisions à long terme pour le secteur indiquant des multiples compris entre [1-6] et [1-6].

(101) Troisièmement, les prévisions établies en avril 2009 faisaient apparaître une amélioration de la dette nette, qui devait passer de [100-200] millions d'euro à la fin de 2008 à [100-200] millions d'euro à la fin de 2010 (elle s'était détériorée auparavant, passant de [100-200] millions d'euro à la fin de 2005 à [100-200] millions d'euro à la fin de 2008). Compte tenu du niveau agrégé de l'EBITDA prévisionnel concernant la période 2009- 2011, de l'absence de coûts supplémentaires importants liés aux investissements corporels et incorporels et de l'absence de provisions supplémentaires prenant en compte les coûts de restructuration, la prévision d'une diminution de [0-30] millions d'euro semble prudente.

(102) Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que le calcul du TRI au moment de l'investissement repose sur des hypothèses raisonnables.

Quant à l'acceptabilité d'un TRI de [ > 1 2 % ] et quant au partage de la plus-value

(103) En ce qui concerne la question de savoir si le TRI visé de [> 12 %] est acceptable au vu du risque que présente l'investissement, la Commission formule les observations suivantes.

(104) Tout d'abord, il faut rappeler que le calcul opéré sur la base des éléments exposés aux considérants (97) à (100) conduit en réalité à un TRI de [> 15 %]. Cependant, par mesure de sécurité et de prudence, le FMEA a appliqué une décote de [...] % sur l'EBITDA attendu pour 2011. En conséquence, le TRÏ de [> 12 %] retenu aux fins de la présente analyse est un TRI découlant d'un scénario pessimiste quant à l'évolution de l'entreprise. En effet, comme il a déjà été indiqué, le scénario de base conduit à un TRI de [> 15 %] alors qu'un scénario optimiste (EBITDA dépassé de [...] %) conduit à un TRI aux alentours de [> 20 %].

(105) À présent, il convient de relever que, compte tenu du caractère non liquide de l'opération, il n'est pas possible de se référer à des prix cotés comparables (par exemple pour des prêts subordonnés) au moment de l'investissement du FMEA pour évaluer si le niveau de TRI prévisionnel est approprié. En revanche, plusieurs éléments présentés ci-dessous permettent d'apprécier le TRI "plancher" de [> 12 %] retenu par le FMEA en mai 2009.

(106) Il convient d'observer en premier lieu que les retours sur investissement observés dans le secteur de la sous-traitance automobile sont souvent bas. En effet, duran tles cinq années qui ont précédé la crise du second semestre de 2008, le TRI moyen s'établissait à 8,5 % (21). Cependant, des professionnels de l'investissement ont souvent investi dans se secteur, conscients du gain potentiel lié à au faible niveau de valorisation des entreprises de ce secteur [par rapport aux autres secteurs]. C'est ainsi qu'en 2006, on a pu observer des TRI exceptionnels (dépasssant 20 % par an sur trois ans) pour les investisseurs ayant investi au creux du marché en 2003.

(107) Dès lors, afin de dépasser les retours moyens observés, un professionnel de l'investissement doit se fonder sur une connaissance poussée du marché, ce qui est le cas du FMEA, et prévoir une structure de participation lui permettant d'optimiser son rendement, ce qui est également le cas de l'investissement du FMEA (voir les considérations sur la structure de l'investissement aux considérants 94 et 95 ainsi que sur le partage de la plus-value aux considérants 110 et 111).

(108) Ensuite, les autorités françaises font valoir une étude de l'AFIC (Association Francaise des Investisseurs en Capital) qui suit l'évolution des performances du secteur du capital-investissement en France. Cette étude se fonde sur les données communiquées par plus de 120 structures gérant plus de 500 fonds d'investissements. Les travaux de l'AFIC font ressortir une performance nette comprise entre 14,1 % pour fin 2007 et 10,8 % pour fin 2008 (date plus proche de la date de l'investissement du FMEA) pour le "capital-développement". Le capital- développement est la subdivision du capital-investissement pertinente au regard de la politique d'investissement du FMEA (prise de participation minoritaire et injection d'argent frais). Après prise en compte du coût de la rémunération de la société de gestion, estimée à [...] au maximum, le TRI cible à atteindre pour pouvoir produire une performance de "marché" est compris entre 12 et 15 %.

(109) Enfin, les paramètres disponibles au moment de l'investissement permettent de déterminer un coût moyen pondéré du capital ("WACC") établi à partir du MEDAF (22) et adapté au secteur automobile en France, intégrant les primes de risque spécifique supplémentaires liées à la taille de l'entreprise Trèves et au caractère non liquide de l'investissement. Compte tenu de ces éléments supplémentaires inhérents à la prime de risque, le WACC correspondant est estimé à [> 12] % au moment de l'investissement, rehaussé à [> 12] % par le FMEA (voir considérant 91]. Or, il faut rappeler que le WACC est le taux de rentabilité minimal exigé par les pourvoyeurs de fonds d'une entreprise (actionnaires et créanciers) pour financer des projets d'investissement. Le WACC calculé pour Trèves donne donc une indication significative quant à l'acceptabilité d'un TRI "plancher" de [> 12 %] (23).

(110) Par ailleurs, il convient de souligner que la plus-value de l'entreprise Trèves ne sera pas répartie entre le FMEA et l'actionnaire historique en fonction de leur part respective au capital de Trèves. En effet, dans l'hypothèse d'une sortie en [...], l'accord passé entre les actionnaires précise que les premiers [...] millions d'euro de la valeur de l'entreprise seront attribués intégralement au FMEA (première tranche). Ensuite, le produit de la cession compris entre [...] millions d'euro et un montant égal au montant de l'investissement du FMEA capitalisé à [...] % par an est partagé entre le FMEA ([...] %) et les actionnaires historiques ([...] %) (deuxième tranche). Enfin, le FMEA reçoit [...] % du produit de la cession au-delà de ce seuil et les actionnaires historiques [...] %.

(111) Cet accord sur le partage de la plus-value est protecteur pour le FMEA. En effet, le FEMA reçoit ainsi une garantie importante qu'un TRI de [> 12 %] sur son investissement sera rapidement atteint (ce taux correspondant au WACC de Trèves présenté ci-dessus). Ensuite, cet accord incite fortement l'actionnaire historique et les dirigeants de l'entreprise à réaliser, voire dépasser les objectifs du plan de restructuration, ce plan conduisant, selon le scénario, à un TRI de [> 12 %], [> 15 %] ou [> 20 %] pour le FMEA.

(112) En conséquence, il résulte des constatations qui précèdent que le TRI prévisionnel de [> 12 %] était raisonnable au moment de l'investissement et acceptable au vu du risque que présente celui-ci.

Conclusion quant au critère de l'avantage

(113) Après avoir analysé le plan de restructuration de Trèves, sa valorisation avant l'investissement du FMEA, la structure de cet investissement, les hypothèses qui sous- tendent un TRI de [> 12 %], le caractère approprié du niveau de ce TRI, notamment au regard de l'accord prévu entre les actionnaires quant au partage de la plus value, il convient de constater que le FMEA a agi dans des conditions similaires à celles qu'auraient exigé un investisseur privé dont l'investissement présente un risque lié tant à la situation du secteur automobile au moment de l'investissement qu'à celle de l'entreprise, qui connaissait certaines difficultés financières. En d'autres termes, l'investissement du FMEA pour un montant de 55 millions d'euro respecte le critère de l'investisseur privé en économie de marché. Il ne confère donc pas d'avantage à l'entreprise Trèves.

V.1.2. Le plan de rééchelonnement des dettes fiscales et sociales

(114) Un plan de rééchelonnement des dettes fiscales et sociales a été accordé à Trèves par l'administration française pour un montant de 18,4 millions d'euro. À l'égard de cette mesure, la Commission souhaite d'abord examiner le critère de l'avantage.

Avantage

(115) Selon la pratique décisionnelle de la Commission et la jurisprudence, un accord de rééchelonnement de dettes par un créancier public ne constitue pas une aide d'État si son comportement peut être comparé à celui d'un créancier privé qui "cherche à récupérer des sommes qui lui sont dues et qui conclut à cet effet, des accords avec le débiteur, en vertu desquels les dettes accumulées seront échelonnées ou fractionnées en vue de faciliter le remboursement" (24).

(116) Le plan de rééchelonnement de dettes représente pour les créanciers publics de Trèves une meilleure solution que le recouvrement forcé. En effet, en cas de recouvrement forcé, les créanciers publics, au vu de l'endettement général de l'entreprise, n'auraient récupéré qu'une partie de leurs créances, non privilégiées. Par contre, en accordant le rééchelonnement, des hypothèques de premier rang [...] (article [...] du protocole de conciliation du 25 mai 2009) ont été constituées en vue de garantir les dettes fiscales et sociales. Ces actifs sont identifiés à l'annexe 7 du protocole. Au 31 décembre 2008, leur valeur nette comptable était de [25-35] millions d'euro. Le montant des sûretés constituées en faveur des créanciers publics couvre donc plus de 140 % du montant de leur créance, celle-ci étant constituée du principal (18,4 millions d'euro), de pénalités de retard et d'intérêts de retard (voir considérant 117).

(117) Par ailleurs, les créanciers publics de Trèves percevront des intérêts. En effet, le montant de 18,4 millions d'euro a été majoré de pénalités de retard de [1-2] millions et d'intérêts de retard de [1-2] millions d'euro, le tout devant être remboursé entre le [...] et le [...] en mensualités de [...] euro. L'addition des pénalités et des intérêts de retard s'élève à [2-4] millions, à savoir [10-20] % du montant principal, ce qui représente sur la durée moyenne pondérée du plan de rééchelonnement, un intérêt annuel d'environ [0-10] %. Ce taux était dès l'origine supérieur aux taux consentis par les établissements financiers pour les prêts accordés à Trèves dans le cadre du protocole de conciliation du 25 mai 2009 tant pour le nouveau crédit que pour le prêt de consolidation (25).

(118) À cet égard, il faut souligner également que l'engagement des créanciers publics s'est fait concomitamment à un engagement important des banques (prêt de consolidation de [30-60] millions et nouveau crédit de [10-30] millions). De surcroît, le protocole de conciliation indique explicitement les sûretés accordées aux banques sont de second rang [...], ce qui signifie que ces créanciers ne peuvent exercer aucune sûreté tant que les créanciers publics de premier rang n'ont pas tous été intégralement remboursés.

(119) De plus, aucune remise de dette fiscale et sociale n'a été consentie au groupe Trèves.

(120) Enfin, les autorités françaises ont confirmé que le plan de rééchelonnement actuel ne constituait pas la prolongation ou la modification d'un plan précédant.

(121) Par conséquent, il ressort de ce qui précède que le plan de rééchelonnement des dettes fiscales et sociales accordé à Trèves a été accordé par l'administration françaises sur la base des hypothèses, jugées crédibles, qui sous-tendent le plan de restructuration (voir section V) et assorti de modalités acceptables pour un créancier privé en économie de marché placé dans les mêmes conditions.

V.2. Conclusion quant à l'évaluation de la présence d'une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE

(122) Au vu des éléments exposés à la section V.1., il apparaît que ni l'investissement du FMEA pour un montant de 55 millions d'euro ni le plan de rééchelonnement des dettes fiscales et sociales pour un montant de 18,4 millions d'euro ne confèrent un avantage au groupe Trèves. En conséquence, ces mesures ne constituent pas des aides d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE.

VI. CONCLUSION GÉNÉRALE

(123) Après avoir mené un examen approfondi des mesures en cause, la Commission constate que celles-ci ne constituent pas des aides d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE,

A ADOPTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

Les deux mesures prises à l'égard de l'entreprise Trèves consistant en un investissement du Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA) pour un montant de 55 millions d'euro ainsi qu'un plan de rééchelonnement de dettes fiscales et sociales pour un montant de 18,4 millions d'euro accordé par la République française ne constituent pas des aides au sens de l'article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Article 2

La République française est destinataire de la présente décision.

Notes :

(1) JO C 133 du 22.5.2010, p. 12.

(2) Voir note 1 de bas de page.

(3) Les observations des intéressés sont résumées à la section III

(4) Article L. 518-2 du Code monétaire et financier français.

(5) Habitacle et Acoustique, Tapis et Insonorisation (HAPP).

(6) La procédure de conciliation a pour finalité la conclusion d'un accord amiable entre un chef d'entreprise et ses créanciers (publics et privés) en vue de fixer des délais de paiement et/ou des remises de dettes (article 611-7 du Code de commerce français).

(*) Couvert par le secret d'affaires.

(7) En effet, conformément à une jurisprudence constante (voir notamment arrêt de la Cour du 21 mars 1991, Italie c. Commission, C-305-89, Rec., p. I-1603, point 13), il n'y a pas lieu de distinguer entre les cas où l'aide est accordée directement par l'État et ceux où elle est accordée par des organismes publics ou privés que l'État institue ou désigne en vue de gérer l'aide. En effet, le droit européen ne saurait admettre que le seul fait de créer des institutions autonomes chargées de la distribution d'aides permette de contourner les règles relatives au contrôle des aides d'État. Toutefois, comme l'a affirmé la Cour dans son arrêt du 16 mai 2002 (France c. Commission dit "Stardust Marine", C-482-1999, Rec., p. I-4397), pour que des mesures puissent être qualifiées d'aides au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE, elles doivent d'une part, être accordées directement ou indirectement au moyen de ressources d'État et d'autre part, être imputables à l'État.

(8) Les difficultés financières de Trèves fin 2008 étaient principalement une diminution du chiffre d'affaire ([650-700] millions d'euro, à savoir [20-25] % par rapport à 2007) et une perte de [40-50] millions d'euro en fin d'exercice.

(9) Dans la décision d'ouverture, le TRI mentionné est de [> 15 %]. Cela s'explique de la manière suivante : le TRI attendu de l'investissement du FMEA est de [> 15 %]. Cependant, par mesure de sécurité, le FMEA applique une décote de [...] % à I'EBITDA (voir note n° 11) de l'exercice de 2011. Après décote, le TRI est de [> 12 %] et c'est ce taux qui est retenu comme taux de rentabilité de référence dans la présente décision. Le TRI de [> 15 %] mentionné dans la décision d'ouverture était un taux moyen : entre le taux de [> 15 %] sans décote et le taux de [> 12 %] avec décote.

(10) JO C 244 du 1.10.2004, p. 2.

(11) Abréviation pour "Earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization" : revenus avant intérêts, impôts, dotations aux amortissements et provisions.

(12) Il faut rappeler ici que le FMEA n'a été juridiquement créé que le 25 mars 2009, date de signature du règlement du Fonds par les souscripteurs et date de la souscription de la première tranche par ces investisseurs. Dans les faits cependant, le Fonds en cours de constitution a commencé son travail dès la fin janvier.

(13) Il faut rappeler ici que dans sa décision d'ouverture la Commission se limite à exprimer des doutes.

(14) Arrêt de la Cour du 16 mai 2002, République française c. Commission, C-482-99, Rec., p. I-4397.

(15) Arrêt de la Cour du 15 juin 2006, Air Liquide Industries Belgium, C-393-04 et C-41-05, Rec., p. I-5293, point 28.

(16) Ainsi, selon le Tribunal, "il y a lieu d'apprécier si, dans des circonstances similaires, un investisseur privé d'une taille qui puisse être comparée à celle des organismes gérant le secteur public aurait pu être amené à procéder à des apports financiers de la même importance, eu égard notamment aux informations disponibles et aux évolutions prévisibles à la date desdits apports. En outre, si le comportement de l'investisseur privé, auquel doit être comparée l'intervention de l'investisseur public poursuivant des objectifs de politique économique, n'est pas nécessairement celui de l'investisseur ordinaire plaçant des capitaux en vue de leur rentabilisation à plus ou moins court terme, il doit, au moins, être celui d'une holding privée ou d'un groupe privé d'entreprises poursuivant une politique structurelle, globale ou sectorielle et guidé par des perspectives de rentabilité à plus long terme", arrêt du Tribunal du 21 mai 2010, France e.a. c. Commission, T-425-04, T-444-04, T-450-04 et T-456-04, pt. 216. Voir également les communications de la Commission suivantes : Application des articles 87 et 88 du traité CE aux prises de participation publiques, Bull. CE, n o 9-1984 ; Communication de la Commission aux États membres. Application des articles 87 et 88 du traité CE et de l'article 5 de la directive 80-723-CEE de la Commission aux entreprises publiques du secteur manufacturier (JO C 307 du 13.11.1993, p. 3)].

(17) De fait, après une baisse de [6-8] % entre 2005 ([900-950] millions d'euro) et 2006 ([800-850] millions d'euro), le chiffre d'affaires de Trèves est remonté de [4-7] % dès 2007 ([850-900] millions d'euro). Sa rentabilité a également connu un redressement notable puisque son EBITDA est passé à [50-60] millions d'euro en 2007, soit une progression de [...] % par rapport à 2006 ([30-40] millions d'euro) et une progression de [...] % par rapport à l'EBITDA de 2005 ([40-50] millions).

(18) [...].

(19) Par définition, la valeur des fonds propres d'une entreprise est égale à la valeur de l'entreprise diminuée de la dette nette.

(20) La cession potentielle par le FMEA de sa participation en 2012 est une hypothèse de travail en vue d'apprécier le retour sur investissement tel qu'il se présenterait en 2012, sur la base des résultats de 2011. Selon le pacte d'actionnaires, le FMEA est totalement libre de garder ou céder sa participation les [...] premières années de son investissement. [...] Par ailleurs, quoi qu'il en soit, le partage de la plus-value d'une cession éventuelle de la société est favorable au FMEA (voir points 110 et 111 de la décision).

(21) Cette mesure est opérée à partir d'un index significatif des cours de bourse des principaux équipementiers automobiles. Si l'on inclut la crise, le TRI moyen des cinq années précédant le 1 er décembre 2009 chute à 4,7 %.

(22) Modèle d'évaluation des actifs financiers.

(23) Le WACC calculé se base sur un coût de la dette de [0-10] % et un coût des fonds propres de [10-20] %. Vu la structure composite de l'investissement du FMEA (apport en capital et apport en obligations convertibles) il est inadéquat d'évaluer cet investissement en privilégiant le coût de la dette ou le coût des fonds propres. On observe par exemple que la créance du FMEA au litre des ORAPA est privilégiée (privilège du "new money"). En outre, à l'égard du nouveau crédit de [10-30] millions d'euro accordé par les banques, le FMEA a négocié au titre des ORAPA un positionnement "pari passu" pour une partie significative de celui-ci, c'est-à-dire couvrant une tranche [10-20] millions d'euro. Le niveau du WACC semble donc le meilleur indicateur. Quoi qu'il en soit, il convient d'observer que le coût des fonds propres de [10-20] %, qui de toute façon ne peut être retenu comme tel pour les raisons évoquées ci-dessus, est inférieur au TRI de [> 15 %] attendu dans le scénario de base et qui constitue la rentabilité exigée par le FMEA.

(24) Arrêt de la Cour du 29 avril 1999, Espagne c. Commission dit "Tubacex", C-342-96, Rec., p. I-2459.

(25) Cependant, ces taux sont fixés en ajoutant une marge sur la base des taux EURIBOR qui sont des taux flottants. Dès lors, la comparaison avec le taux fixe de [0-10] % n'est pas totalement pertinente même si depuis le 25 mai 2009, les taux accordés par les banques n'ont jamais dépassé [0-10] %.