CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 8 septembre 2011, n° 09-13177
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Abonnement Plus (SARL)
Défendeur :
Bayard Presse (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Touzery-Champion, Pomonti
Avoués :
SCP Bolling Durand Lallement, SCP Roblin Chaix de Lavarenne
Avocats :
Mes Lefèvre, Fournier
La société Bayard Presse a pour activité l'édition de journaux, magazines et ouvrages. Elle a confié la gestion de ses abonnements à "Abonnement Plus " depuis 1990.
Le 17 juillet 1996, les parties ont signé un contrat de prestations de services.
Le 24 avril 2006, elles ont signé un nouveau contrat de prestation de service dit "fulfillment" d'une durée de 14 mois commençant le 1er janvier 2006 pour s'achever le 28 février 2007, stipulant qu'une négociation interviendrait quatre mois avant le terme.
Les négociations n'ont pas abouti et Bayard Presse, à l'issue d'un appel d'offres, a fait appel à un nouveau prestataire.
Abonnement Plus estimant avoir été victime d'une rupture brutale des relations commerciales a assigné le 6 juin 2008 Bayard Presse en dédommagement de son préjudice.
Par jugement en date du 19 mai 2009, le Tribunal de commerce de Paris a débouté la SARL Abonnement Plus de l'ensemble de ses demandes, la SA société Bayard Presse de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et a condamné la SARL Abonnement Plus aux dépens de l'instance.
Vu l'appel interjeté par la société Abonnement Plus en date du 15 juin 2009.
Vu les conclusions signifiées le 23 février 2011 par lesquelles la société Abonnement Plus demande à la cour de dire que :
- la relation commerciale entre les sociétés Abonnement Plus et Bayard Presse est soumise à l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce,
- la société Bayard Presse a rompu brutalement le contrat de prestations de service,
- la société Bayard Presse devait respecter un préavis de 12 mois,
- la société Bayard Presse doit réparer le préjudice subi par la rupture brutale du contrat de prestations de service,
- le préjudice s'entend de la perte de la marge commerciale brute et de pertes annexes,
En conséquence,
- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Paris,
- condamner la société Bayard Presse à verser la somme de :
- 669 425 euro au titre de l'indemnisation de la perte de la marge brute avec intérêt au taux légal à compter de l'assignation,
- 1 000 000 au titre de l'indemnisation des pertes annexes,
- condamner la société Bayard Presse au paiement de la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner enfin aux entiers dépens.
Vu les conclusions signifiées le 24 juin 2010 par lesquelles la société Bayard Presse demande à la cour de :
À titre principal,
-constater que l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce n'est pas applicable aux relations entre Bayard Presse et Abonnement Plus on raison du caractère précaire de leur dernier contrat non renouvelable,
- constater qu'Abonnement Plus avait connaissance de l'instabilité de la relation commerciale avec Bayard Presse et de sa rupture probable,
Subsidiairement,
- constater qu'Abonnement Plus ne présente aucune demande fondée sur une perte de marge brute mais sur des évaluations fantaisistes,
- constater qu'Abonnement Plus ne peut demander deux fois la réparation du même chef de préjudice en demandant une indemnité pour perte de marge et le prix allégué des actions de la société, en l'absence du gérant dans la cause.
En conséquence,
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 19 mai 2009,
- condamner Abonnement Plus à payer à Bayard la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner Abonnement Plus aux dépens de première instance et d'appel.
Sur ce,
Considérant que la société Abonnement Plus précise que la forme d'un contrat à durée déterminée ne peut constituer un motif pertinent pour écarter l'application de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, lequel exige un préavis précédent le non-renouvellement du contrat de prestation de services liant les parties dans la mesure où la relation commerciale s'est inscrite dans la durée puisque plusieurs contrats portant sur le même objet ont été conclus successivement ;
Que l'appelante précise également que le non-renouvellement du contrat qui la liait à la société Bayard Presse n'était en aucun cas prévisible, puisque cette dernière l'avait impliquée dans la réorganisation des abonnements et que le préavis contractuellement prévu, de deux mois, était insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale, laquelle s'est étalée sur une dizaine d'années ;
Qu'elle expose que son préjudice est constitué non seulement par la perte de la marge commerciale, mais également par des pertes annexes telles que l'impossibilité pour la société Abonnement Plus de trouver de nouveaux clients, ou encore sa désorganisation en raison du départ massif de ses salariés au profit du nouveau prestataire de la société Bayard Presse ;
Considérant que la société Bayard Presse réplique que la société Abonnement Plus était informée des risques de cessation des prestations au regard de la durée du dernier contrat conclu pour 14 mois sans faculté de renouvellement, ni droit à renouvellement, mais au contraire, avec faculté de résiliation anticipée au cours de ces 14 mois ; qu'elle ajoute que le contrat litigieux était conditionné à l'adaptation d'Abonnement Plus au système informatique de Bayard Presse ;
Qu'en conséquence, elle estime que ces circonstances excluent la brutalité de la rupture des relations commerciales ;
Qu'elle conteste avoir participé à la désorganisation de la société Abonnement Plus du fait de la reprise des salariés par son nouveau prestataire ;
Qu'enfin elle fait valoir que, si le préjudice doit être réparé, il ne peut résulter que de la perte de la marge brute ne permettant pas de faire face aux charges d'exploitation qui se poursuivent après la cessation du contrat ;
Considérant que la société Abonnement Plus n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents, non contraires à l'ordre public, résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure et la juste application de la loi et des principes régissant la matière ;
Considérant que le préambule du contrat du 1er juillet 2006 rappelle que Bayard entend modifier son système de gestion des abonnements notamment pour la part informatique ce qui supposait que Abonnement Plus procède à des investissements ;
Que l'article 4 stipulait un investissement à hauteur de 135 152 euro, Bayard acceptant de financer une partie de ceux-ci à la condition de l'engagement d'Abonnement Plus "d'élargir sa clientèle et ses activités par une action commerciale active" ;
Considérant que l'article 4.2 stipule que les parties se rencontreront quatre mois avant le terme "pour discuter des conditions d'une poursuite éventuelle du contrat, sans autre engagement que de discuter de bonne foi. A défaut d'accord, le contrat se terminera à son terme sans autre formalité que l'envoi d'une lettre recommandée avec avis de réception deux mois avant le terme" ;
Considérant que les parties ont entretenu une relation commerciale depuis le 1er juin 1990 ; Que les termes de ce second contrat ne constituent pas une dénonciation des relations commerciales antérieures mais au contraire leur poursuite selon des modalités convenues par chacune des parties et susceptibles d'aboutir à un nouvel accord à la suite de négociations devant débuter quatre mois avant son terme ; que dès lors les stipulations mettant en place une phase contractuelle de 14 mois constituent une poursuite de relations commerciales établies, caractérisant néanmoins une reconnaissance par chacune des parties de leur précarité ;
Considérant que courant août 2006 Bayard Presse a lancé un appel d'offres portant sur deux lots, le "Fulfillment " (traitement et gestion des courriers et abonnements) d'une part, le pilotage du logiciel advantage de Datem d'autre part ; que la société Abonnement Plus, bien qu'invitée à participer, ce qu'elle ne conteste pas, n'a pas répondu ;
Qu'il est établi qu'Abonnement Plus cherchait dans le même temps à céder l'intégralité de son capital social ; qu'ainsi par courrier confidentiel en date du 31 octobre 2006 la société Safig a écrit "Safig pourrait acheter 100 % d'Abonnement Plus pour un prix de 1 000 000 euro" ;
Qu'une offre lui avait également été faite par la société Tessi ;
Que ces deux sociétés ont candidaté à l'appel d'offres de Bayard Presse ;
Que Abonnement Plus même si elle entendait céder l'intégralité de son capital, savait que ces deux repreneurs conditionnaient le rachat du capital à l'obtention du marché avec Bayard Presse ;
Que dans ces conditions, en ne postulant pas elle-même, elle marquait son désintérêt pour la poursuite de ses relations avec Bayard Presse et acceptait ainsi la cessation des relations commerciales avec son partenaire, qui ne pouvait manquer de s'ensuivre ;
Que dès lors elle ne peut arguer d'une rupture brutale, ayant été informée de la probabilité de celle-ci par le contrat du 26 avril 2006 qui fixait une date butoir, par les négociations entreprises au terme desquelles aucun accord n'était conclu, et par l'organisation d'un appel d'offres auquel elle ne conteste pas avoir renoncé ;
Que Abonnement Plus se prévaut seulement d'un préavis dont elle aurait dû bénéficier, indiquant dans un courrier du 14 février 2007 "Nous vous avons fait savoir que nous attendions de votre société le respect d'un préavis suffisant conformément à la loi et que nous pourrions évaluer, compte tenu des circonstances à vingt quatre mois", alors même qu'elle n'avait pas diversifié sa clientèle contrairement aux accords convenus et que bien que Bayard fût son client exclusif, elle avait clairement renoncé à poursuivre son activité, ayant même évoqué l'hypothèse d'un dépôt de bilan ;
Considérant que Bayard Presse en l'informant que "Compte tenu de notre souci de prendre en compte les intérêts du personnel d'Abonnement Plus, nous confirmons la promesse obtenue du nouveau prestataire de reprendre l'ensemble des équipes actuelles avec leur ancienneté dès la fin du contrat soit au 1er mars 2007" prenait en compte cette situation et qu'il ne peut lui en être fait grief ;
Qu'en conséquence les options prises par Abonnement Plus démontrent que la rupture des relations commerciales était non seulement prévisible mais prévue et qu'elle n'a revêtu aucun caractère brutal ;
Considérant en conséquence que le jugement entrepris mérite entière confirmation ;
Et considérant que la société Bayard Presse a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris, Condamne la société Abonnement Plus à payer à la société Bayard Presse la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette la demande de la société Abonnement Plus à ce titre, Condamne la société Abonnement Plus aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.