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Décisions

Cass. crim., 21 septembre 2011, n° 10-85.477

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme Desgrange

Avocat général :

M. Berkani

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Ricard

Paris, prés., du 20 mai 2010

20 mai 2010

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'ordonnance du premier Président de la Cour d'appel de Paris, en date du 20 mai 2010, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code du commerce, 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a confirmé l'ordonnance du juge des libertés du 16 janvier 2008 autorisant le directeur interrégional de la DNECCRF à procéder à une visite domiciliaire et à des saisies dans les locaux de la société X ;

"aux motifs que la société X a pour activité la location de véhicules ; qu'à l'appui de son recours, ladite société soutient que le juge des libertés et de la détention n'a pas vérifié, comme le lui imposait l'article L. 450-4, alinéa 2, du Code de commerce, le bien-fondé de la demande d'autorisation qui lui était présentée ; qu'elle fait plaider que l'ordonnance critiquée ne comporte aucune appréciation concrète et critique de la pertinence et de la valeur des éléments d'information fournis par l'Administration ; qu'en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce, la demande d'autorisation de visite en tous lieux et de saisie de documents et de tout support informatique doit être soumise au juge des libertés et de la détention qui vérifie que cette demande est fondée ; que ladite demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; qu'en l'espèce, la DNECCRF a produit, à l'appui de sa requête : - la page de site Internet jt.france2.fr diffusant l'information suivante : " Si vous décidez de louer une voiture dans une gare, consultez de plus près les tarifs (...) Les différents prestataires imposent en effet une majoration de près de 30 euro (...) Ils se justifient en affirmant que la SNCF leur impose de payer les parkings à des tarifs élevés (...) mais sur ce point en tout cas les loueurs ont été très discrets (...) il n'y a pas eu de campagne de publicité (...) " ; - un courrier circulaire adressé le 30 novembre 2005 par la direction commerciale des grands comtes de la société Y à ses clients annonçant la mise en place à compter du 1er janvier 2006 d'une surcharge tarifaire de 24,50 euro hors taxe pour toute transaction effectuée en gare, en faisant référence à la surcharge tarifaire existant déjà pour les locations de véhicules à partir d'un aéroport, - le procès-verbal de déclaration dressé le 3 septembre 2007 aux termes duquel Mme Baujard et M. Vanhoove, responsables de la société A2C, filiale à 100 % de la SNCF, spécialisée dans la commercialisation et la gestion des emplacements en gare, contestent que le principe et le montant de la surtaxe gare facturée par certains loueurs puisse avoir pour justification la répercussion d'une majoration du prix des parkings en gare et indiquent qu'entre 2005 et 2006, le chiffre d'affaires réalisé par les loueurs en gares a augmenté de 10 % ; - la copie de pages des sites Internet des loueurs X.fr, Y.fr, Z.com, B.fr, C.fr, D.fr et E.com, mettant en évidence, fin 2007, la présence, dans leurs conditions générales de vente d'une surcharge tarifaire en aéroport et en gare de 29 à 33 euro pour les trois principaux d'entre eux (B, Y, et X) ; que le juge des libertés et de la détention a retenu que l'information émanant de France 2, révélant la pratique, commune aux prestataires de location de voitures, d'une majoration du prix des locations dans les agences en gare, corroborée par le courrier de la société Y, en date du 30 novembre 2005, annonçant à ses clients la mise en place à compter du 1er janvier 2006 d'une surcharge tarifaire de 24,50 euro pour toute transaction en gare et par les conditions générales de vente de sept loueurs, parmi lesquels les trois plus importants d'entre eux (B, Y et X) établissant qu'ils pratiquaient le prélèvement d'une surcharge en gare comprise entre 29 et 33 euro (32,60 euro pour X), était de nature à faire présumer l'existence, entre ces entreprises, d'une entente prohibée sur le prix des services de location concernés afin d'en favoriser la hausse ; que le juge des libertés et de la détention, dont l'ordonnance ne se contente pas d'énumérer les pièces produites par l'Administration mais en reproduit de larges extraits, s'est livré à une analyse concrète du contenu et de la portée de ces éléments d'information ; que la société X, nommément visée par les pièces à lui soumises, est reliée, plus particulièrement par les tarifs indiqués sur son site Internet, à la pratique d'entente prohibée présumée ; que la décision critiquée est fondée, en ce qui la concerne, sur des présomptions concrètes et suffisantes ; que la demande d'annulation de l'ordonnance du 16 janvier 2008 en ce qu'elle vise la société X doit, dès lors, être rejetée ; que la société X conclut, subsidiairement, à l'infirmation de l'ordonnance entreprise à raison du caractère disproportionné de l'enquête ordonnée ; que, sous ce moyen, la demanderesse reprend le grief de défaut de présomptions suffisantes sur lequel il a déjà été statué ci-dessus et qui ne sera donc pas de nouveau examiné ;

"1°) alors que, en vertu de l'article L. 450-4 du Code du commerce, le juge doit vérifier que la demande d'autorisation est fondée et comporte tous les éléments de nature à justifier la visite et qu'il ne saurait se contenter de simples indices lorsque l'infraction recherchée est réputée avoir déjà été accomplie ; que ne satisfait pas à ces exigences, en violation du texte susvisé, le juge qui, en présence de déclarations des représentants de la filiale de la SNCF (A2C) reconnaissant avoir modifié les redevances dues pour disposer d'un parking dans les gares, se borne à reproduire des extraits de ces déclarations et ne vérifie aucunement l'incidence des nouvelles redevances sur les tarifs pratiqués par une entreprise de location auprès de sa propre clientèle ;

"2°) qu'il en est d'autant plus ainsi que la société X avait fait valoir dans ses conclusions que l'opinion des auteurs de la déclaration faite au nom de la filiale de la SNCF selon laquelle le " chiffre d'affaires moyen " des loueurs de véhicule avait augmenté de 10 % au moment de la mise en place des nouvelles redevances devait être examinée au regard des nouveaux coûts d'exploitation et était dépourvue de la moindre signification ; qu'en reprenant cependant à son compte l'opinion susvisée, sans en vérifier en quoi que ce soit la pertinence, et sans s'expliquer sur le chef péremptoire des conclusions de la demanderesse, le premier président a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 450-4 du Code du commerce ainsi que de l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ;

"3°) alors que ni l'information diffusée dans un journal télévisé, ni la copie des pages des sites Internet des entreprises, ni le courrier circulaire adressé par une société concurrente, Y, à ses clients ne constituent des éléments d'information de nature à laisser présumer la participation de la société X à une entente prohibée et à justifier une visite domiciliaire dans les locaux de celle-ci ; qu'en se fondant cependant sur de tels documents dépourvus de pertinence, le premier président a méconnu son devoir de vérification du bien-fondé de la requête des enquêteurs et violé l'article L. 450-4, alinéa 2, et 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ;

"4°) alors que l'ordonnance ne répond pas aux conclusions démontrant que la société X n'était pas concernée par d'autres pratiques qui auraient été localisées en Corse" ;

Attendu qu'il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée qu'après s'être assuré, en prenant connaissance des pièces annexées à la requête, que celles-ci avaient été analysées par le juge des libertés et de la détention avant autorisé les opérations de visite et de saisie, le juge du second degré, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont il était saisi, a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements anticoncurrentiels ayant justifié cette autorisation, sur laquelle il a exercé un contrôle effectif ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-3 et L. 450-4 du Code du commerce, 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a confirmé l'ordonnance du juge des libertés du 16 janvier 2008 et a autorisé la visite domiciliaire des locaux de la société X ;

"aux motifs que la société X conclut, subsidiairement, à l'infirmation de l'ordonnance entreprise à raison du caractère disproportionné de l'enquête ordonnée ; que, sous ce moyen, la demanderesse reprend le grief de défaut de présomptions suffisantes sur lequel il a déjà été statué ci-dessus et qui ne sera donc pas de nouveau examiné ; que la société X conteste ensuite la proportionnalité de la mesure autorisée et fait valoir qu'il existait d'autres mesures d'enquête possibles et moins attentatoires à ses libertés ; que l'ordonnance est contraire à l'article 8 § 2 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ; que le juge doit vérifier l'utilité réelle de la mesure au regard des buts poursuivis par l'Administration et la proportionnalité de la visite domiciliaire avec les intérêts en jeu ; que la présomption qu'un acteur d'un secteur économique national donné se livre, avec d'autres, à des pratiques prohibées d'entente pour favoriser la hausse des prix d'un service justifie la mesure de visite domiciliaire qui concernait plusieurs entités et était seule de nature à répondre à la nécessité pour l'Administration de procéder au même moment pour maintenir l'effet de surprise et assurer la préservation des preuves ; que le recours aux mesures prévues par l'article L. 450-3 du Code de commerce n'était à cet égard pas adapté, les actions concertées, conventions ou ententes ayant pour objet ou effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché pouvant être établies selon des modalités secrètes et les éléments de preuve de ces pratiques pouvant être conservés dans des lieux et sous des formes en facilitant la dissimulation, ainsi que l'a justement relevé le juge des libertés et de la détention dans l'ordonnance dont appel ; qu'enfin, la Cour européenne a constaté que, dans son principe, la visite domiciliaire n'apportait pas une atteinte disproportionnée au droit fondamental que constitue le respect de la vie privée, dont le domicile est une composante, dès lors que, prévue par une loi et placée sous un contrôle judiciaire effectif, elle a pour objet d'assurer le bien-être économique du pays ; que l'ordonnance déférée doit être confirmée ;

"1°) alors que la recherche d'un " effet de surprise " destiné à assurer la préservation de preuves " pouvant être conservées dans des lieux ou sous des formes facilitant la dissimulation " de pratiques " pouvant être établies selon des modalités secrètes " est une considération d'ordre général susceptible de justifier n'importe quelle visite domiciliaire préalable à l'existence même d'une présomption ; qu'en statuant de la sorte et en refusant de considérer les visites domiciliaires comme disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi, sans examiner si, concrètement, l'existence de tarifs publics des différents loueurs et la constatation objective des hausses constituées par l'augmentation des redevances en gare ne rendaient pas superfétatoire une violation du domicile des entreprises, le premier président a violé ensemble l'article L. 450-4 du commerce et 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ;

"2°) alors qu'en s'abstenant de rechercher si la seule déclaration de la société A2C filiale à 100 % de la SNCF ne pouvait pas être rapprochée simplement de l'interrogation de personnes susceptibles d'apporter les informations utiles sur le fonctionnement du marché, à laquelle l'Administration pouvait normalement procéder dans le cadre de ses pouvoirs d'enquête, le premier président a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 450-3 du Code de commerce et de l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme" ;

Attendu que l'Administration n'a pas à rendre compte de son choix de recourir à la procédure de l'article L. 450-4 du Code commerce, dont le déroulement est de nature à assurer la préservation des preuves et qui n'a pas un caractère subsidiaire par rapport aux autres procédures pouvant être utilisées ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;

Rejette le pourvoi.