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Décisions

Cass. com., 2 novembre 2011, n° 10-21.103

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Colas Rail (SA), R. Vecchietti (SAS)

Défendeur :

Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Etablissements Offroy (SA), Européenne de travaux ferroviaires (SA), Pichenot Bouille (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Michel-Amsellem

Avocat général :

M. Mollard

Avocats :

Mes Le Prado, Ricard, SCP Baraduc, Duhamel

TGI Versailles, JLD, du 23 juin 2004

23 juin 2004

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que dans le cadre d'une enquête sur la situation de la concurrence dans le secteur des travaux de régénération des voies ferrées, confiée par le ministre de l'Economie à la Direction Nationale des Enquêtes de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (la DNE), il a été procédé, avec l'autorisation de plusieurs juges des libertés et de la détention, à des opérations de visites et saisies dans les locaux de huit entreprises, dont ceux de la société Seco-Rail, devenue Colas Rail et ceux de la société Pichenot-Bouille ; qu'à la suite de l'enquête réalisée au moyen des pièces saisies, le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence, de pratiques anticoncurrentielles relevées dans le secteur concerné ; que par une décision n° 09-D-25 du 29 juillet 2009, l'Autorité de la concurrence a dit qu'il était établi que cinq entreprises, parmi lesquelles les sociétés Colas Rail et Vecchietti, avaient enfreint les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 CE, devenu 101 du TFUE, et leur a infligé des sanctions pécuniaires ; que ces sociétés ont invoqué les dispositions transitoires instaurées par l'article 5 IV de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 pour former, à l'occasion de leur appel au fond contre la décision, un recours contre l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie de documents rendue le 23 juin 2004 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles ;

Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés Vecchietti et Colas rail font grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable le recours de la société Vecchietti contre cette ordonnance d'autorisation de visite et saisie, alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article 5 IV, alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 si l'autorisation de visite et saisie n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation ou si cette autorisation a fait l'objet d'un pourvoi en cassation ayant donné lieu à un arrêt de rejet de la Cour de cassation, un recours en contestation de l'autorisation est ouvert devant la Cour d'appel de Paris saisie dans le cadre de l'article L. 464-8 du Code de commerce, hormis le cas des affaires ayant fait l'objet d'une décision irrévocable à la date de publication de la présente ordonnance ; que, la Cour EDH, dans son arrêt du 21 mai 2008 (Ravon et autres c. France, requête n° 18497-03) a dit pour droit que le droit d'accès aux tribunaux, qui doit être concret et effectif (§ 27), implique en matière de visite domiciliaire que les personnes concernées puissent obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur son fondement et que le ou les recours disponibles doivent permettre, en cas de constat d'irrégularité, soit de prévenir la survenance de l'opération, soit, dans l'hypothèse où une opération jugée irrégulière a déjà eu lieu, de fournir à l'intéressé un redressement approprié (§ 28) ; qu'en conséquence, il n'est pas nécessaire qu'une visite ait été ordonnée dans une société pour que celle-ci ait intérêt à contester l'autorisation de visite et de saisie ; qu'il suffit, qu'elle soit présumée s'être livrée aux agissements retenus par le juge pour autoriser la recherche de la preuve ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a donc violé la disposition susvisée, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que seules les personnes visées par l'ordonnance ayant autorisé la saisie sont recevables à former le recours ouvert par l'article 5 IV de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 ; qu'ainsi la cour d'appel a statué à bon droit ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; - Attendu que pour rejeter le recours formé par la société Colas rail contre l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie rendue le 23 juin 2004 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles, l'arrêt après avoir observé qu'aucun principe ne fait obstacle à ce que le même juge examine successivement la régularité d'une étape de la procédure puis l'affaire au fond, retient qu'il sera statué valablement sur le recours formé contre l'ordonnance autorisant les visite et saisie de documents puis sur celui formé contre la décision de l'Autorité de la concurrence, sans que cela porte atteinte aux exigences du procès équitable, telles que l'impartialité et l'égalité des armes ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'examen de l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles autorisant les visite et saisie par la même formation de jugement que celle appelée à statuer sur le bien-fondé des griefs retenus et de la sanction prononcée au titre de ces pratiques est de nature à faire naître un doute raisonnable sur l'impartialité de la juridiction, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a rejeté le recours formé par la société Colas rail contre l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie rendue le 23 juin 2004 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles et rejeté son recours contre la décision n° 09-D-25 de l'Autorité de la concurrence, l'arrêt rendu le 29 juin 2010, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.