CA Versailles, 12e ch., 27 octobre 2011, n° 10-05772
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Phoenix Transport (SARL)
Défendeur :
Sernam Services (SNC), Dom Express (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
Mmes Beauvois, Poinseaux
Avoués :
SCP Debray Chemin, SCP Pedroletti
Avocats :
Mes Bagnah-Gamon, Gonzalez
Vu l'appel interjeté le 21 juillet 2010, par la société Phoenix Transport d'un jugement rendu le 15 juin 2010 par le Tribunal de commerce de Nanterre qui a :
- constaté que la société Phoenix Transport a été privée de tout titre administratif de transport à compter du 11 janvier 2009, a ainsi commis une faute grave susceptible de justifier la rupture immédiate et sans préavis du contrat de sous-traitance qui la liait à la société Sernam Services,
- constaté que la rupture des relations avec Phoenix Transport est intervenue sans faute de la part de Sernam Services et débouté Phoenix Transport de l'ensemble de ses demandes à ce titre,
- débouté Phoenix Transport de sa demande d'indemnisation par la société Dom Express,
- débouté Phoenix Transport de ses demandes en dommages et intérêts pour résistance abusive,
- débouté Sernam Services de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts,
- condamné Phoenix Transport à payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
Vu les dernières écritures en date du 29 avril 2011, par lesquelles, la société Phoenix Transport poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demande à la cour de :
- condamner la société Sernam Services au règlement, au titre de l'indemnisation pour le non-respect d'un délai de préavis contractuellement convenu :
- la somme de 60 000 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter du courrier de mise en demeure en date du 12 février 2009, si l'estimation est faite suivant le chiffre d'affaires mensuel réalisé,
ou,
- la somme de 129 000 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter du courrier de mise en demeure en date du 12 février 2009, s'il est plutôt tenu compte de la marge brute,
- condamner la société Sernam Services au règlement de la somme de 120 000 euro au titre du préjudice résultant de la perte du chiffre d'affaires suite à la rupture brutale et abusive de la relation commerciale, augmentée des intérêts au taux légal à compter du courrier de mise en demeure en date du 12 février 2009,
- condamner la société Sernam Services, en application des dispositions de l'article 10, 8.3 paragraphe 3 du contrat de sous-traitance, au règlement de la somme de 14 293,53 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter du courrier de mise en demeure en date du 12 février 2009,
- débouter la société Sernam Services et la société Dom Express de leurs prétentions,
- ordonner la capitalisation des intérêts par application de l'article 1154 du Code civil,
- condamner la société Sernam Services au règlement de la somme de 50 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
Vu les dernières écritures en date du 15 juin 2011, aux termes desquelles la société Sernam Services prie la cour de :
- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté sa demande de condamnation pour procédure abusive,
y ajoutant :
- déclarer irrecevables les demandes nouvelles de la société Phoenix Transport tendant à la réparation du préjudice résultant de la perte du chiffre d'affaires et au paiement de la somme de 14 293,53 euro,
- condamner la société Phoenix Transport au versement de la somme de 5 000 euro pour procédure abusive,
- condamner la société Phoenix Transport au versement de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
Vu l'assignation délivrée à la société Dom Express à la requête de la société Phoenix Transport ;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que la société Dom Express, assignée en la personne de son gérant, n'ayant pas constitué avoué, le présent arrêt sera réputé contradictoire ;
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il convient de rappeler que :
- par contrat du 18 juin 2008, régularisant leur relation commerciale antérieure depuis le 4 février 2008, la société Sernam Services a confié à la société Phoenix Transport la sous-traitance d'opérations de transport dans le secteur de son agence de Trappes,
- au cours du mois de janvier 2009, la société Sernam Services aurait découvert que la société Phoenix Transport n'était plus titulaire d'un titre de transport, sa licence étant expiré depuis le 10 janvier,
- c'est dans ces conditions, que la société Sernam Services a mis unilatéralement fin au contrat le 9 février 2009,
- estimant cette rupture abusive, dès lors que l'expiration d'une autorisation de transports routiers de marchandises ne ferait pas obstacle à l'exercice de son activité de transporteur si une demande de licence communautaire en son nom a été enregistrée et est en cours d'instruction auprès de la DRE de son lieu d'établissement, la société Phoenix Transport a assigné la société Sernam Services devant le Tribunal de commerce de Nanterre afin que lui soient allouées la somme de 60 000 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive outre intérêts au taux de 5 % et celles de 5 000 euro à titre de résistance vexatoire, de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Sur la rupture du contrat de sous-traitance :
Considérant que la société Phoenix Transport fait valoir que la rupture du contrat de sous-traitance conclu le 18 juin 2008, intervenue à l'initiative de la société Sernam Services le 9 février 2009, est abusive au fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce et 1134 du Code civil ;
Qu'elle rappelle qu'ayant son siège à Agen alors qu'elle exécutait ses prestations en Ile-de-France, elle a décidé, après le licenciement de son attestataire de capacité le 28 novembre 2008, de procéder au transfert de son siège social à Bagnolet (93) ;
Qu'elle expose avoir confié à son expert-comptable, la société Dom Express, les démarches à effectuer auprès de la direction régionale de l'équipement d'Ile-de-France tant pour le transfert de siège social que pour le renouvellement de la licence de transport arrivant à expiration le 10 janvier 2009 ;
Qu'elle observe que le 9 février 2009, la direction régionale de l'équipement a accusé réception du dossier de transfert de siège social et que le 26 juin 2009, il lui a été attribué une licence communautaire ;
Qu'elle conteste le fait que sa situation administrative ait été constitutive d'une faute grave au regard de la réglementation en matière de transport routier de marchandises autorisant la société Sernam Services à rompre unilatéralement sans préavis le contrat de sous-traitance ;
Qu'elle ajoute qu'en tout état de cause, la société Sernam Services ne pouvait résilier unilatéralement le contrat sans mise en demeure et sans respect d'un délai de préavis ainsi que le prévoit l'article 11-4 du contrat ;
Considérant que selon les dispositions de l'article L. 442-6-I 5°) du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ;
Considérant que les parties conviennent que toute personne physique ou morale qui souhaite exercer l'activité de transporteur routier doit pouvoir justifier de son droit d'exécuter la prestation en cause par la présentation d'un titre de transport administratif délivré par la direction régionale de l'équipement;
Considérant qu'il n'est pas davantage démenti que la sous-traitance est soumise aux mêmes obligations, le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003, portant approbation du contrat-type applicable aux transports routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, prévoyant l'obligation pour le sous-traitant de mettre à bord du véhicule le titre administratif de transport, de signaler à l'opérateur de transport toute modification de sa situation administrative et lorsque la durée d'exécution du contrat est supérieure à un an, de fournir, au minimum une fois par an, à une date convenue entre les parties, les documents datant de moins de trois mois portant mise à jour des déclarations fournies au moment de la conclusion du contrat;
Que selon l'article 12-2 du contrat-type émis visé par ce décret, le contrat de sous-traitance à durée indéterminée peut être résilié par l'une ou l'autre parties par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception moyennant un préavis d'un mois quand le temps déjà écoulé depuis le début d'exécution du contrat n'est pas supérieur à six mois. Le préavis est porté à deux mois quand ce temps est supérieur à six mois et inférieur à un an. Le préavis à respecter est de trois mois quand la durée de la relation est d'un an et plus ;
Que l'article 12-4 de ce même contrat-type dispose que en cas de manquements graves ou répétées de l'une des parties à ses obligations, l'autre partie pourra mettre fin au contrat, qu'il soit à durée déterminée ou indéterminée, sans préavis ni indemnités;
Considérant que l'article 11-4 du contrat à durée indéterminée, signé le 18 juin 2008, entre la société Phoenix Transport et la société Sernam Services, stipule que en cas de manquement grave ou répété d'une partie à l'une de ses obligation définies au présent contrat ou ses annexes, l'autre partie devra adresser à la partie défaillante une mise en demeure visant le présent article et lui fixant un délai de quinze jours calendaires à compter de la date de présentation de ladite mise en demeure pour remédier audit manquement. La mise en demeure devra être adressée par lettre recommandée avec accusé de réception ;
Considérant que contrairement à ce que prétend la société Phoenix Transport, la direction régionale de l'équipement Ile-de-France n'a accusé réception de la demande de modification au registre des transporteurs que le 17 avril 2009 (demande du 6 avril 2009 : changement de siège social, changement de responsable légal) ;
Qu'en effet, le courrier de la direction régionale de l'équipement daté du 9 février 2009, faisant référence à une première demande de changement d'adresse et de responsable légal, oppose une fin de non-recevoir à la société Phoenix Transport ;
Considérant que la demande de modification au registre des transports établie le 6 avril 2009, ne saurait expliquer le non-renouvellement de la licence expirée depuis le 10 janvier 2009 :
Que la société Phoenix Transport ne saurait prétendre que l'expiration d'une autorisation de transports routiers de marchandises ne ferait pas obstacle à l'exercice de son activité en raison, selon elle, d'une tolérance des directions régionales de l'équipement afin de survie des sociétés face aux longs délais résultant des instructions des dossiers de renouvellement de licences communautaires ;
Qu'en effet, la lettre circulaire du 25 décembre 1995 n'autorise nullement les transporteurs à circuler sans licence de transport mais vise la régularisation administrative de l'entreprise de transport à la suite du départ ou du décès de la personne titulaire de l'attestation de capacité professionnelle ;
Que le licenciement de la personne titulaire de la capacité professionnelle le 28 novembre 2008, n'est pas de nature à autoriser la société Phoenix Transport à circuler sans licence de transport depuis le 10 janvier 2009 ;
Que même à supposer d'une part, une tolérance de la direction régionale de l'équipement, celle-ci ne saurait être admise qu'à compter de la demande de renouvellement du titre de transport et d'autre part, que cette dernière puisse être retenue comme une demande de renouvellement de licence, il n'en subsiste pas moins que la situation administrative de la société Phoenix Transport a été irrégulière du 10 janvier au 6 avril 2009 ;
Considérant que l'article 16 du décret n° 99-752 du 30 août 1999 dispose que le transporteur qui effectue un transport public routier de marchandises en le sous-traitant à un autre transporteur ou en prenant en location un véhicule avec conducteur doit s'assurer préalablement à la conclusion du contrat, que le transporteur ou le loueur auquel il a recours est habilité à exécuter les prestations qui lui sont confiées ;
Que l'article 8 du contrat signé le 18 juin 2008, stipule que le sous-traitant certifie sur l'honneur que son entreprise est en situation régulière au regard de l'ensemble des obligations fiscales et sociales et de la réglementation des transports en vigueur. Il fournit avant le démarrage de la prestation l'intégralité des pièces mentionnées en annexe 1 et effectue leur mise à jour annuellement. L'absence ou la falsification d'une seule pièce reprise en annexe 1 entraîne la nullité du présent contrat ;
Qu'il résulte de ces dispositions légales et contractuelles que le sous-traitant doit être en situation administrative régulière au regard du droit des transports envers son donneur d'ordre ;
Considérant dès lors qu'elle est une obstacle à la poursuite même de l'activité dans des conditions légales, que l'absence de titre de transport est un manquement grave aux obligations définies au contrat de sous-traitance, de sorte qu'ayant appris que la société Phoenix Transport ne disposait plus de licence de transporteur depuis le 10 janvier 2009, la société Sernam Services a pu, sans abus, mettre unilatéralement fin au contrat en raison de l'illégalité de l'activité exercée par son sous-traitant;
Considérant que si les dispositions des articles L. 442-6 du Code de commerce et 12-4 du contrat-type annexé au décret n° 2003-1995 du 26 décembre 2003, supplétif de la volonté des parties, ne prévoient aucun préavis, il n'en demeure pas moins que l'article 11-4 du contrat signé entre la société Phoenix Transport et la société Sernam Services le 18 juin 2008, stipule en cas de manquement grave d'une partie à ses obligations contractuelles, l'envoi d'une mise en demeure fixant un délai de quinze jours calendaires à compter de sa présentation pour remédier audit manquement ;
Considérant que la société Phoenix Transport fait valoir que la société Sernam Services n'a pas respecté cette procédure ;
Mais considérant que force est de constater qu'une licence de transport communautaire n'a été attribuée par la direction régionale de l'équipement Ile-de-France à la société Phoenix Transport que le 26 juin 2009, soit plusieurs mois avant [sic] la résiliation du contrat intervenu le 9 février 2009 ;
Qu'ainsi, en tout état de cause, le délai de quinze jours prévu au contrat n'aurait pas permis à la société Phoenix Transport de remédier à l'absence de titre de transport ;
Que dans ces conditions, l'irrégularité formelle tenant au défaut d'envoi d'une mise en demeure fixant un délai de quinze [jours] n'a pas porté préjudice à la société Phoenix Transport qui ne prétend nullement qu'elle aurait pu régulariser sa situation administrative dans ce délai ;
Considérant par voie de conséquence, que la décision du tribunal, qui a débouté la société Phoenix Transport de ses demandes formées à l'encontre de la société Sernam Services, sera confirmée ;
Sur les autres demandes :
Considérant que l'action en justice, comme l'exercice du droit d'appel, ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d'erreur grossière équipollente au dol ou encore de légèreté blâmable; que ces exigences ne sont pas satisfaites en l'espèce; que la demande reconventionnelle formée par la société Sernam Services sera rejetée;
Considérant que le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dont il a fait une équitable application ;
Qu'en vertu de ce texte, il y a lieu de faire droit aux prétentions de la société Sernam Services, au titre de ses frais irrépétibles exposés à l'occasion de ce recours, contre la société Phoenix Transport qui succombe et doit supporter la charge des dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant par décision réputé contradictoire, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la société Phoenix Transport à payer à la société Sernam Services la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes autres demandes contraires à la motivation, Condamne la société Phoenix Transport aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.