Cass. com., 18 octobre 2011, n° 10-24.808
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Miss France (SAS), Endemol Développement (SAS)
Défendeur :
Mulmann dite de Fontenay ; Association Comité Miss France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Avocats :
SCP Ortscheidt, SCP Potier de La Varde, Buk-Lament
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par les sociétés Endemol développement et Miss France, que sur le pourvoi incident relevé par Mme Mulmann dite de Fontenay et l'association Comité Miss France ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en matière de référé, que, par contrat du 27 février 2002, Mme Mulmann et son fils, M. Xavier de Fontenay, ont cédé à la société Endemol développement (la société Endemol) la totalité des parts représentant le capital de la société Miss France qui organise l'élection nationale de Miss France et la production de l'émission de télévision associée ; que cet acte comportait un engagement de non-concurrence à la charge des cédants ; que Mme Mulmann, qui était salariée de la société Miss France, est devenue mandataire social de cette société tout en restant présidente de l'association Comité Miss France (l'association) ; qu'ultérieurement, Mme Mulmann s'est, en outre, engagée à s'investir de manière exclusive et à temps plein dans la société Miss France ; qu'invoquant une campagne de dénigrement à leur encontre et l'organisation d'une élection concurrente de celle de Miss France 2011 par Mme Mulmann, les sociétés Endemol et Miss France l'ont assignée ainsi que l'association afin qu'il soit mis fin à ces actes qui auraient été constitutifs d'un trouble manifestement illicite et les auraient exposées à un dommage imminent ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses deux premières branches : - Attendu que Mme Mulmann et l'association font grief à l'arrêt de les débouter de leur exception d'incompétence et de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle leur a ordonné de cesser tout acte de nature à constituer des actes de dénigrement, direct ou indirect, quel qu'en soit le support ou en présence de tiers, à l'encontre des sociétés Miss France et Endemol, sous astreinte de 3 000 euro par infraction constatée, alors, selon le moyen : 1) que les propos portant atteinte à la considération d'une personne morale relèvent exclusivement de la loi du 29 juillet 1881, la critique des produits ou services relevant seule du droit commun ; qu'en considérant que Mme de Fontenay pouvait se voir reprocher des actes de dénigrement et non de diffamation, après avoir pourtant constaté que ses critiques jetaient le discrédit sur les sociétés Miss France et Endemol, la cour d'appel a violé les articles 1382 du Code civil et 29 de la loi du 29 juillet 1881 ; 2) que subsidiairement, la liberté d'expression est un droit fondamental qui ne peut être restreint ou sanctionné qu'en cas d'abus caractérisé ; qu'en se bornant à faire état de propos " de discrédit " de Mme de Fontenay, sans en préciser la teneur ; la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du Code civil et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté que les nombreux propos de discrédit tenus par Mme Mulmann concernaient à la fois les sociétés Endemol et Miss France et l'élection Miss France et que Mme Mulmann, qui revendiquait l'organisation d'une élection semblable, reconnaissait par là même qu'il s'agissait bien d'une élection concurrente, la cour d'appel en a exactement déduit que Mme Mulmann avait dénigré l'élection Miss France 2011 organisée par les sociétés Endemol et Miss France ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel qui devait seulement rechercher si les propos proférés par Mme Mulmann à l'encontre de l'élection Miss France 2011 constituaient un trouble manifestement illicite au détriment des sociétés Endemol et Miss France, sans être tenue de préciser leur teneur exacte, et qui a procédé à cette recherche, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que les troisième et quatrième branches du moyen ne seraient pas de nature à permettre l'admission de ce pourvoi ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 873 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour refuser d'ordonner à Mme Mulmann et à l'association de cesser tout acte de quelque nature que ce soit en vue d'organiser une élection concurrente de l'élection de Miss France 2011, l'arrêt retient qu'eu égard à l'illicéité patente de la clause de non-concurrence souscrite par Mme Mulmann qui n'est pas limitée dans l'espace, les actes reprochés à celle-ci ne constituent pas un trouble manifestement illicite ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'organisation d'une telle élection, qui pouvait avoir pour effet d'empêcher la société Endemol de poursuivre l'activité économique de la société Miss France et de réaliser l'objet social, ne constituait pas une méconnaissance par Mme Mulmann de la garantie légale d'éviction à laquelle elle était tenue, en sa qualité de cédante des titres de la société Miss France, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le second moyen de ce pourvoi : - Vu l'article 873 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que la violation de la clause de non-concurrence souscrite par Mme Mulmann ne peut constituer un trouble manifestement illicite dès lors que cette clause est elle-même manifestement illicite en l'absence de limitation dans l'espace ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'organisation par Mme Mulmann d'une élection concurrente à l'élection Miss France 2011 ne pouvait être de nature à exposer les sociétés Endemol et Miss France à un dommage imminent, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande des sociétés Endemol développement et Miss France tendant à ordonner à Mme Mulmann dite de Fontenay et à l'association Comité Miss France de cesser tout acte de quelque nature que ce soit en vue d'organiser une élection concurrente de l'élection Miss France 2011, l'arrêt rendu le 9 juillet 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.