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Décisions

CA Basse-Terre, 2e ch. civ., 24 octobre 2011, n° 10-01117

BASSE-TERRE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy (SARL)

Défendeur :

Laplace Services (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Robert

Conseillers :

MM. de Romans, Fouasse

Avocats :

Selarl Miot Richard, Caron, Me Durimel

T. mixte com. Basse-Terre, du 28 févr. 2…

28 février 2007

Exposé du litige

Par jugement du 28 février 2007 le Tribunal mixte de commerce de Basse-Terre a :

- constaté que la SARL Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy a rompu le contrat que la liait à la SARL Laplace Services sans respecter aucun délai de préavis,

- déclaré la SARL Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy responsable du préjudice causé à la SARL Laplace Services,

- ordonné une mesure d'expertise confiée à Madame Catherine Gervason, avec pour mission de :

- décrire les conséquences de la rupture du contrat de mise à disposition de matériel en termes de perte de chiffre d'affaires et de manque à gagner,

- évaluer les différents éléments du préjudice ayant résulté de la rupture du contrat,

- condamné la SARL Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy à payer à titre de provision et à valoir sur l'indemnisation de son préjudice à la SARL Laplace Services la somme de 60 000 euro ;

- condamné la SARL Les Bétons Contrôlés à payer à la SARL Laplace Services la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

La SARL Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy a relevé appel de ce jugement et, par arrêt du 10 mars 2008, intervenu sur rétablissement demandé par l'intimée après radiation sur fondement de l'article 915 alinéa 3 du Code de procédure civile, la Cour d'appel de Basse-Terre a confirmé le jugement, condamnant l'intimée à payer une nouvelle indemnité de 600 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur pourvoi de la SARL Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy la Cour de cassation a, par décision du 9 mars 2010 cassé l'arrêt en toutes ses dispositions et renvoyé les parties devant la même cour autrement composée. La Cour de cassation reproche à la cour de n'avoir pas recherché si le contrat avait été rompu par la SARL Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy.

La SARL Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy a saisi la cour de renvoi le 3 juin 2010.

Elle a conclu au fond le 1er octobre 2010 en demandant à la cour de réformer en tous points le jugement dont appel, et de débouter la SARL Laplace de toutes ses demandes, fins et conclusions, et de la condamner à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions d'incident déposées le 6 décembre 2010 la SARL Laplace Services a demandé au conseiller de la mise en état, sur le fondement de l'article 915 alinéa 3 du Code de procédure civile, de déclarer irrecevables les conclusions de l'appelant communiquées le 13 décembre 2007 avant l'arrêt de la cour d'appel, de mêmes que celles communiquées le 30 septembre 2010 (déposées au greffe le 1er octobre 2010). Elle a sollicité que la clôture soit prononcée, l'affaire fixée pour plaider, et que la cour statue au vu des écritures de première instance. Elle a demandé en outre que la SARL Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy soit condamnée à lui payer la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy a conclu en réponse à l'incident le 7 février 2011 au débouté de la demanderesse à l'incident.

Par ordonnance du 19 mai 2011 le conseiller de la mise en état a fait droit à l'incident et a déclaré irrecevables les conclusions déposées pour le compte de la SARL les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy les 14 décembre 2007 et 1er octobre 2010, et a ordonné la clôture de l'affaire et son renvoi à l'audience pour y être jugée en application des dispositions de l'article 915 alinéa 3 du Code de procédure civile au vu des seules conclusions et pièces échangées en première instance. Il a par ailleurs dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.

En première instance la SARL Laplace Services, demanderesse ayant saisi le tribunal par assignation du 7 février 2006, a conclu la dernière fois le 21 septembre 2006. Elle demandait au tribunal, au visa de l'article L. 442-6 du Code commerce de :

- dire et juger que la société les Bétons Contrôlés a rompu le contrat qui la liait à elle,

- et la condamner à lui payer la somme de 264 894,48 euro en réparation de son préjudice du fait de la rupture sans préavis, outre intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2005, date de la mise en demeure,

- débouter la société les Bétons Contrôlés de sa demande reconventionnelle,

- la condamner à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire.

Elle fait principalement valoir qu'a été signé entre les parties un contrat de mise à disposition de matériel le 17 avril 2003, modifié le 22 décembre 2004, ces deux actes ayant été enregistrés, par lesquels la société les Bétons Contrôlés s'est engagée à faire assurer le transport de tout le béton qu'elle fabrique par la société Laplace Services, et ce de façon exclusive sur toute l'île de Saint-Barthélemy, quelle que soit l'entreprise ou la société à laquelle ce béton est vendu ou destiné à être vendu ou utilisé. Elle précise que ce contrat était prévu pour 5 années. En contrepartie la société Laplace Services s'engageait à s'approvisionner exclusivement auprès de Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy.

Elle continue en indiquant qu'au cours du mois de septembre 2005 la société les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy a confié le transport d'une partie de son béton à une autre entreprise, la société BTM Caraïbes, en violation des engagements signés. Elle considère qu'il s'agit d'une rupture abusive du contrat.

Elle ajoute avoir mis en demeure son cocontractant par courrier du 2 septembre 2005, puis avoir fait réaliser un constat par huissier de justice de cette violation, et fait délivrer ensuite des sommations.

En réponse à l'argumentation développée par son adversaire elle précise s'être elle-même toujours approvisionnée auprès de la société les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy, que ce soit pour son activité ou celles exercées à titre individuel par ses cogérants Messieurs Christian et Gilbert Laplace. Elle ajoute que le contrat liant les parties ne prévoit aucune exception contrairement à ce que tente de faire croire la société les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy, et que ce contrat ne peut tomber sous le coup de la législation prohibant les ententes puisqu'il n'y a pas d'abus de position dominante, d'autres entreprises fabriquant du béton sur l'île, et d'autres encore le distribuent. Elle termine en indiquant qu'aucune pièce versée au débat par la société les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy ne peut justifier les reproches qu'elle fait.

Par une demande reconventionnelle la société les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy explique que la société Laplace Service aurait elle-même manqué à ses obligations en s'approvisionnant chez un concurrent, la société René Super Béton, ce qui justifierait son propre manquement, et lui aurait causé un préjudice. La société Laplace services conteste cette argumentation et rappelle qu'elle justifie elle-même s'être toujours approvisionnée chez elle.

Elle conteste enfin les autres arguments opposés relatifs notamment au non-respect de dispositions réglementaires en indiquant que cela n'avait aucune incidence sur la validité et le respect des contrats.

Elle considère qu'il doit lui être octroyé une indemnité correspondant à 12 mois de chiffre d'affaires.

Quant à elle la SARL les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy demandait au tribunal de :

- débouter la SARL Laplace services de l'ensemble de ses demandes,

- dire et juger que la convention de mise à disposition de matériel signé le 22 décembre 2004 doit être résolue aux torts exclusifs de la SARL Laplace Services pour non-respect des dispositions relatives aux transports routiers de marchandises qui oblige les entreprises de transport public routier de marchandises à s'inscrire au registre des transporteurs tenu par le préfet de Région,

- condamner la SARL Laplace Services à lui payer la somme de 10 128,70 euro à titre de dommages et intérêts,

- condamner la SARL Laplace Services à lui payer 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire.

Elle précise que si elle a vendu du béton à la société BTM Caraïbes en septembre 2005, en aucun cas elle ne lui a confié le transport de ce béton. Cette société est venue chercher son béton avec ses propres camions. Elle fait une distinction dans le contrat entre livraison de béton et vente de béton à emporter. Elle ajoute que certains clients de la société Laplace Services, mécontents de son service, se seraient tournés vers d'autres sociétés dont BTM Caraïbes pour se faire livrer du béton.

La société les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy explique que pour le béton qu'elle fabrique et qui doit être livré, elle applique les termes des contrats, mais que pour celui qui peut être emporté directement par son client, elle n'est pas tenue d'en respecter les termes. Elle considère que l'exclusivité porte sur le transport du béton et des matériaux qu'elle produit uniquement lorsqu'il s'agit de béton et de matériaux livrés.

Elle explique qu'en réalité la société Laplace Services n'aurait pas supporté l'arrivée d'un nouveau transporteur.

Elle continue en indiquant avoir elle-même une position dominante sur le territoire de l'île de Saint-Barthélemy concernant la vente de béton disposant de plus de 50 % du marché, et qu'elle ne veut pas se voir reprocher d'abus de sa situation en refusant de vendre du béton.

Elle indique n'avoir aucunement rompu le contrat la liant à Laplace Services, encore moins de manière brutale.

Elle conteste par ailleurs tout préjudice et précise qu'au contraire le chiffre d'affaires total de la société Laplace Services était en augmentation.

À titre reconventionnel elle indique que la société Laplace Services s'est elle-même approvisionnée auprès d'un concurrent, la société René Super Béton, et qu'ainsi elle aurait méconnu l'exclusivité ; que ce préjudice serait de 10 128,70 euro ce qui résulte d'une attestation de l'expert comptable de cette société.

Devant la cour la société Laplace Services a demandé, par conclusions déposées le 10 décembre 2007, la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de la société Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy à lui payer une somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Motifs

En application des dispositions de l'article 1134 du Code civil les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

L'article L. 442-6-I du Code de commerce édicte :

"Engage la responsabilité de son auteur et oblige à réparer le préjudice causé, le fait pour tout producteur, commerçant, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers : (...)

5° : de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de leurs relations commerciales et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels..."

Les conventions de "mise à disposition de matériel" des 17 août 2003 et 22 décembre 2004 disposent, pour la première comme objet du contrat :

"La société Les Bétons Contrôlés s'engage à faire assurer le transport de tout le béton et de tous les matériaux qu'elle produit et fabrique par la société Laplace Services de façon exclusive sur toute l'île de Saint Barthélemy",

et pour la seconde :

"La société Les Bétons Contrôlés s'engage à faire assurer le transport de tout le béton et de tous les matériaux qu'elle produit et fabrique par la société Laplace Services de façon exclusive et sur toute l'île de Saint Barthélemy quelle que soit l'entreprise ou la société à laquelle ce béton est vendu ou destiné à être vendu ou utilisé".

La précision indiquée en fin de clause est claire. Ainsi la société Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy n'est aucunement fondée à faire la distinction entre béton livré et béton vendu sans livraison.

Des constats et sommations interpellatives versés au débat il ressort clairement que la société Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy a livré du béton, notamment à la société BTM Caraïbes, non pas pour le propre usage de celle-ci comme elle l'indique, mais pour être livré à différents clients, entreprises de construction ou de maçonnerie qui auparavant s'étaient approvisionnés auprès de la société Laplace Services. La société Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy reconnaît expressément ces ventes à BTM. L'excuse invoquée que les différents destinataires du béton vendu à la société BTM seraient mécontents de la prestation de la société Laplace Services est inopérante, d'une part parce qu'à l'huissier qui les sommait, ils ont répondu le contraire, et d'autre part parce qu'ils ne se sont pas adressés à elle pour s'en plaindre, si ce n'est alors que le litige était déjà né entre les deux contractants, situation dont elle aurait dû alors aviser la société Laplace Services.

La société Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy invoque comme autre excuse à son comportement sa prétendue situation dominante dans la fabrication du béton sur l'île de Saint-Barthélemy la conduisant au non-respect de la clause d'exclusivité afin d'éviter les foudres de la loi sur la concurrence. A l'appui elle produit d'une part une attestation de la Banque de France lui précisant qu'elle ne dispose pas d'information à ce sujet et qu'elle ne peut répondre à sa demande, et d'autre part une estimation par la société Lafarge Ciments du marché à Saint-Barthélemy. Ce document estimatif ne saurait constituer la preuve de son état de position dominante. Les arguments invoqués pour justifier la violation de sa clause d'exclusivité conclue au profit de la société Laplace Services ne sont étayés d'aucun document probant.

Les autres arguments concernant d'éventuelles méconnaissances des règlements sur le transport de marchandises sont d'une part injustifiés par la moindre pièce versée au débat, et d'autre part sans incidence sur la validité du contrat lui-même qu'elle s'est employée à exécuter sans difficulté pendant plusieurs années.

Il en va de même en ce qui concerne une prétendue violation de la clause par la société Laplace Services qui se serait approvisionnée auprès d'une société René Super Béton, aucun justificatif de cette affirmation contredite par l'intéressée n'étant versée à l'appui.

La violation sans préavis de la clause d'exclusivité contenue aux dispositions contractuelles constitue une rupture partielle et brutale de la relation contractuelle. Elle caractérise une faute qui engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice pouvant en découler par application des dispositions de l'article L. 442-6-I du Code de commerce.

D'une attestation de l'expert-comptable de la société Laplace Services effectuée le 26 janvier 2006 il résulte une perte de chiffre d'affaire arrêtée au 31 décembre 2005 d'un peu plus de 88 000 euro. L'analyse effectuée permet de considérer qu'il existe un principe de préjudice dont l'évaluation n'est cependant pas suffisante pour permettre au tribunal de statuer. C'est à juste titre qu'il a ordonné expertise.

Le jugement du 28 février 2007 sera en définitive en tous points confirmé.

Il est équitable d'allouer à la SARL Laplace Services une indemnité de 2 500 euro au paiement de laquelle la SARL Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy sera condamnée. Succombant dans l'exercice de sa voie de recours elle sera de même condamnée aux dépens.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement du 28 février 2007, ajoutant, Condamne la SARL Les Bétons Contrôlés de Saint-Barthélemy à payer à la SARL Laplace Services la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, la Condamne aux dépens et accorde à Maître Durimel le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.