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Décisions

Cass. com., 2 novembre 2011, n° 10-25.323

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Mr Bricolage (SA)

Défendeur :

Shop concept et services (SAS), Rasec Retail (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

M. Mollard

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Baraduc, Duhamel, SCP Capron

Orléans, ch. com., du 16 sept. 2010

16 septembre 2010

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Mr Bricolage que sur le pouvroi incident relevé par la société Rasec Retail ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 16 septembre 2010), que la société Shop concept et services, qui fournissait la société Mr Bricolage en équipements de magasin et mobiliers de vente, prétendant que cette dernière avait rompu brutalement leur relation commerciale, avec la complicité de la société A5 Industrie qui avait imité ses produits, les a toutes deux assignées en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie ainsi que pour contrefaçon et concurrence déloyale ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société Mr Bricolage fait grief à l'arrêt d'avoir jugé qu'elle avait engagé sa responsabilité à l'égard de la société Shop concept et services en rompant brutalement la relation commerciale établie les liant et de l'avoir condamnée à payer à cette société une certaine somme en réparation du préjudice consécutif à cette rupture, alors, selon le moyen : 1°) que pour l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, une relation commerciale établie conclue entre deux personnes ne peut être considérée comme ayant été poursuivie au profit d'une tierce personne qu'en application d'une cession légale ou conventionnelle de contrat et à la double condition, dans ce dernier cas, que le tiers ait accepté de reprendre à sa charge tout ou partie des engagements antérieurement souscrits par son prédécesseur et que cette substitution de contractant ait été acceptée par son cocontractant ; qu'à cet égard, une simple cession de fonds de commerce, même homologuée dans le cadre d'un plan de cession, n'emporte pas de plein droit cession de l'ensemble des contrats commerciaux conclus entre la société cédante et ses clients ; qu'en l'espèce, il résultait des constatations mêmes de l'arrêt attaqué, que la société Shop concept et services, constituée le 21 février 2005, avait été pour la première fois référencée par la société Mr Bricolage par un contrat du 16 mars 2005 portant sur la fourniture de meubles d'un nouveau concept ; que pour affirmer néanmoins que ce contrat caractérisait la poursuite d'une relation commerciale établie de vingt-cinq ans d'ancienneté initialement nouée entre la société Mr Bricolage et les sociétés Sameto shop concept et Sameto Technifil, et décider en conséquence qu'un préavis minimal de deux ans s'imposait lors de sa rupture, la cour d'appel s'est bornée à relever que la société Shop concept et services avait acquis le 7 juin 2005 le fonds de commerce des sociétés Sameto Shop concept et Sameto Technifil et que cette cession de fonds de commerce autorisée par un jugement homologuant le plan de cession des actifs desdites sociétés portait notamment sur leur clientèle et sur leurs droits de propriété intellectuelle ; qu'en se prononçant par de tels motifs, impropres à caractériser la transmission, au profit de la société Shop concept et services, des engagements contractuels antérieurement souscrits par les sociétés Sameto shop concept et Sameto Technifil, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, ensemble les articles L. 141-5 et L. 142-2 du même Code ; 2°) qu'en se bornant, pour justifier sa décision de faire masse des relations contractuelles successivement entretenues entre les sociétés Sameto shop concept et Sameto Technifil avec la société Mr Bricolage puis de celles ultérieurement nouées par la société Shop concept et services et cette dernière, à affirmer que le contrat de référencement conclu le 16 mars 2005 entre les sociétés Shop concept et services et Mr Bricolage était " la reprise du contrat exécuté l'année précédente avec Sameto " et qu'il s'inscrivait ainsi " dans la lignée des précédents ", quand il lui appartenait de rechercher si, par cette convention du 16 mars 2005, la société Shop concept et services s'était engagée envers la société Mr Bricolage à reprendre à sa charge tout ou partie des obligations antérieurement souscrites par les sociétés Sameto shop concept et Sameto Technifil et si la société Mr Bricolage avait consenti à une telle substitution de contractant, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt relève que la société Mr Bricolage a d'abord eu pour fournisseur, à partir de 1983, la société Technifil, puis les sociétés Sameto Technifil et Sameto Shop concept, venues aux droits de la première et avec lesquelles elle a, à partir de 1998, conclu des contrats écrits renouvelés annuellement ; qu'il relève encore que, le 7 juin 2005, les fonds de commerce de ces deux dernières sociétés ont été acquis, dans le cadre d'un plan de cession, par la société Shop concept et services avec qui la société Mr Bricolage a signé en 2005 un nouveau contrat qui n'était que la reprise, à quelques modifications près, du contrat conclu l'année précédente avec les sociétés Sameto shop concept et Sameto Technifil, de sorte que ce contrat s'inscrivait dans la lignée des précédents ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, desquelles elle a déduit que la société Mr Bricolage avait poursuivi avec la société Shop concept et services la relation commerciale initialement nouée avec la société Technifil, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen du même pourvoi : - Attendu que la société Mr Bricolage fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'en vertu de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la rupture d'une relation commerciale établie ne peut intervenir " sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels " ; qu'il se déduit de ce texte que l'ampleur de la dépendance économique de l'un des cocontractants à l'égard de l'autre est sans influence sur la durée du préavis qui lui est dû et que la seule circonstance d'espèce dont il puisse être tenu compte pour déterminer cette durée minimale de préavis est l'ancienneté de la relation commerciale ; qu'il s'ensuit qu'un accord interprofessionnel qui fixe la durée de ce prévis minimal en tenant compte de l'ancienneté de la relation commerciale s'impose au juge, qui ne peut refuser de l'appliquer au motif qu'il l'estimerait insuffisamment protecteur au regard des circonstances de l'espèce ; qu'en l'espèce, la société Mr Bricolage revendiquait le bénéfice d'un accord interprofessionnel du 15 janvier 2002 qui fixait la durée minimale du préavis en fonction d'un barème tenant compte de l'ancienneté de la relation commerciale et du taux de dépendance économique du fournisseur déréférencé à l'égard du distributeur ; qu'en refusant d'appliquer cet accord interprofessionnel, au motif erroné que le délai de préavis qu'il imposait ne constituait qu'un minimum au regard des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et au motif inopérant qu'il aurait été insuffisant, compte tenu de la durée des relations commerciales et de la dépendance de la société Shop concept et services vis-à-vis de la société Mr Bricolage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Mais attendu que l'existence d'un accord interprofessionnel ne dispense pas la juridiction d'examiner si le préavis, qui respecte le délai minimal fixé par cet accord, tient compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l'espèce, notamment de l'état de dépendance économique de l'entreprise évincée ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le cinquième moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis : - Attendu que la société Mr Bricolage et la société Rasec retail font grief à l'arrêt d'avoir décidé que la société Rasec retail a contrefait, avec la société Mr Bricolage, les meubles dénommés " banque accueil rectangulaire ", " banque accueil ronde " et " banque encadrement ", dont les droits appartiennent à la société Shop concept et services et de leur avoir fait interdiction d'en poursuivre la fabrication, la commercialisation et le référencement sous astreinte, alors, selon le moyen : 1°) que si la société qui exploite une œuvre de l'esprit est, en l'absence de revendication émanant du ou des auteurs, présumée titulaire des droits sur l'œuvre en cause à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, cette présomption peut néanmoins être combattue par la preuve de ce que l'œuvre en cause, revêtant un caractère collectif au sens de l'article L. 113-2, alinéa 3, du Code de la propriété intellectuelle, a été créée sur l'initiative d'une autre personne morale l'ayant précédemment divulguée sous son nom ; qu'en l'espèce, la société Mr Bricolage faisait valoir dans ses conclusions d'appel que la société Shop concept et services, loin d'avoir participé au processus intellectuel de conception des meubles commercialisés sous les noms de " banque accueil rectangulaire ", " banque accueil ronde " et " banque encadrement ", s'était en réalité bornée à mettre en œuvre leur fabrication industrielle en appliquant de manière servile, ainsi que les premiers juges l'avaient eux-mêmes constaté, les spécifications techniques et esthétiques élaborées par une société de design dénommée Malherbe création (anciennement agence LLM), elle-même mandatée par la société Mr Bricolage ; qu'ainsi la société Mr Bricolage concluait-elle que les meubles litigieux ne portaient pas l'empreinte de la personnalité de la société Shop concept et services et qu'à supposer qu'une originalité leur fût reconnue, les droits d'auteur n'auraient pu lui appartenir ; que, pour écarter ce moyen de défense à l'action en contrefaçon et refuser d'examiner l'offre de preuve de la société Mr Bricolage, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que la qualité d'auteur n'est en principe reconnue, sauf le cas de l'œuvre collective, qu'à une personne physique, de sorte qu'il ne pouvait être soutenu que cette qualité dût en l'espèce être reconnue à la société Malherbe Création (Agence LLM) ; qu'en se prononçant de la sorte, quand il lui appartenait de rechercher si les meubles en cause, dont elle reconnaissait l'originalité, ne revêtaient pas le caractère d'une œuvre collective créée à l'initiative d'une société distincte de la demanderesse à l'action en contrefaçon, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 113-2 et L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) que la présomption de titularité du droit de propriété incorporelle de l'auteur, instituée au profit de la personne morale qui exploite l'œuvre, vaut à l'encontre du seul tiers recherché pour contrefaçon ; qu'elle ne joue pas à l'encontre de l'auteur de l'œuvre, et, par conséquent, de la personne morale que désigne l'application combinée des articles L. 113-2, alinéa 3, et L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle ; que la société Rasec Retail faisait valoir que les œuvres prétendument contrefaites ont été créées par l'agence LMM, sur l'initiative de la société Mr Bricolage qui les a éditées en ayant recours à des façonniers, d'abord la société Shop concept et services puis elle-même, et les a distribuées dans son réseau de magasins ; qu'en faisant application de la présomption de titularité du droit de propriété intellectuelle instituée au profit de la personne morale qui exploite l'œuvre, sans se demander si la société Mr Bricolage et la société Rasec Retail étaient bien des tiers au sens de cette présomption, la cour d'appel a violé les articles L. 113-2, alinéa 2, L. 113-5 et L. 331-1 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle ; 3°) que le contrat de référencement que les sociétés Mr Bricolage et Shop concept et services ont conclu, énonce qu' " en tout état de cause, cela n'enlève en rien l'entière propriété intellectuelle de tous les matériels développés par Shop concept pour le compte de Mr Bricolage " ; que cette clause, loin de conférer à la société Shop concept et services la propriété intellectuelle des matériels qu'elle s'engageait à façonner, précise que la convention n'a pas d'incidence sur la dévolution de ce droit de propriété ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que la société Shop concept et services, qui exploitait les mobiliers sur lesquels aucun tiers ne revendiquait de droits, bénéficiait d'une présomption légale de titularité des droits sur ces derniers, l'arrêt relève encore qu'aux termes de l'article 4 du contrat de 2005, la société Mr Bricolage a reconnu la propriété intellectuelle de la société Shop concept et services sur tous les matériels développés par elle pour son compte ; qu'en l'état de cette appréciation, exempte de dénaturation, la cour d'appel a pu écarter le moyen pris de ce que l'auteur des œuvres litigieuses était une société tierce et retenir que la société Shop concept et services était recevable à agir en contrefaçon ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu que les deux premiers moyens du pourvoi principal ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois principal et incident.