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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 15 septembre 2010, n° 08-10314

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Aldis (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Jacquot

Avoué :

SCP Bottai-Gereux-Boulan

Avocat :

Selarl Donsimoni-Vaquier-Coulet

T. com. Manosque, du 6 mai 2008

6 mai 2008

La SA Aldis, société Alpes Distribution, exploitant un magasin dit "grande surface" à l'enseigne Hypermarché Centre Leclerc, à Manosque (04) a conclu avec certains de ses fournisseurs des contrats dits de "contrats de coopération commerciale" par lesquels la SA Aldis s'engageait à détenir une gamme de produits déterminés pendant une certaine période et à réaliser un certain volume de ventes et recevait en contrepartie une rémunération basée sur le chiffre d'affaires réalisé par la vente desdits produits pendant la période. La Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Alpes de Haute Provence a opéré un contrôle portant sur deux exercices comptables annuels clos, les 31 mars 2003 et 31 mars 2004, relativement à certains "contrats de coopération commerciale" intéressant neuf fournisseurs locaux ou nationaux.

Sur assignation délivrée, le 14 juin 2006, à la requête du ministre de l'Économie, des Finances et de l'Emploi, par jugement contradictoire en date du 6 mai 2008, le Tribunal de commerce de Manosque sur le fondement des articles L. 442-6 I 1° a), L. 442-6 II a) et L. 442-6 III du Code de commerce, a annulé les neuf contrats qui prévoyaient la possibilité pour la SA Aldis de bénéficier "rétroactivement" de remises ou ristournes, a condamné la SA Aldis à payer au Trésor public au titre de la répétition de l'indu la somme totale de 94 051,88 euro et à titre d'amende civile la somme de 90 000 euro, outre une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et a enjoint à la SA Aldis de cesser ses pratiques illicites.

La SA Aldis a régulièrement fait appel de cette décision dans les formes et délai légaux.

Vu les dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998.

Vu les prétentions et moyens de la SA Aldis dans ses conclusions en date du 18 juin 2010 tendant à faire juger :

- que l'action du ministre de l'Économie, des Finances et de l'Emploi est irrecevable au regard des "principes généraux du droit", inscrits dans la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, notamment eu égard à l'absence de "plainte" des fournisseurs concernés et de toute information à eux donnée sur l'exercice de cette action de substitution et au regard à la liberté d'entreprendre, principe constitutionnel,

- subsidiairement au fond que les procès-verbaux de constatation sont entachés de nullité, faute d'habilitation des agents de l'Administration et que les auditions ont été obtenues dans des conditions illicites notamment (imprécision de la démarche des agents, absence de signature du représentant légal de la SA Aldis),

- très subsidiairement, que l'action du ministre de l'Économie, des Finances et de l'Emploi est mal fondée dès lors que les neuf fournisseurs concernés, dont certains "historiques" et signataires des "contrats de coopération commerciale" ont bien obtenu une contrepartie sous forme de services réels et substantiels (maintien des produits de leur gamme dans le magasin à des emplacements dédiés) et ont bénéficié des effets de la "dynamique commerciale",

- que des "dysfonctionnements comptables mineurs" expliquent que certains fournisseurs ont reçu tardivement leur "contrat de coopération commerciale" alors que préalablement ils étaient parfaitement d'accord sur les éléments essentiels dudit contrat, les factures de rémunération de la SA Aldis ne pouvant être éditées qu'en fin de période par rapport à un volume de ventes réalisé,

- que, en toute hypothèse, le montant de l'amende civile infligée doit être apprécié "in concreto" et proportionné à la gravité des manquements, ce qui n'est pas le cas ;

Vu les prétentions et moyens de Madame la ministre de l'Économie, des Finances et de l'Emploi dans ses conclusions en réplique en date du 26 mai 2010 tendant à la confirmation du jugement en rétorquant point par point à l'argumentation présentée par la SA Aldis en faisant valoir que la perception de la marge arrière rémunérant les services rendus par le distributeur était en l'espèce non justifiée (les prétendus services n'étant pas distincts des opérations de ventes/achats de produits auxquelles la SA Aldis se livre avec chacun de ses fournisseurs) et que certains "contrats de coopération commerciale" ont été antidatés et formalisés a posteriori, une fois que la période durant laquelle la SA Aldis est censée fournir des services était écoulée.

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 18 juin 2010.

Attendu que l'action de la ministre de l'Économie, de l'Industrie et de l'Emploi, fondée sur les dispositions de l'article L. 441-6 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 applicable s'agissant de faits antérieurs à l'entrée en vigueur de cette loi, et visant notamment à la nullité de "contrats de coopération commerciale" conclus par la SA Aldis avec certains de ses fournisseurs est recevable dès lors qu'il s'agit d'une action autonome exercée en application de l'article L. 442-6-III du même Code et tendant * à la cessation de pratiques définies audit article (notamment celle consistant à obtenir de la part de certains de ses partenaires commerciaux des avantage - ristourne ou remise - sans lien avec un service commercial effectif de la SA Aldis), * à la constatation de la nullité des clauses ou contrats illicites, * à la répétition de l'indu et * au prononcé d'une amende civile ; qu'une telle action qui vise à la protection du fonctionnement du marché et au respect des règles d'une concurrence loyale n'est pas soumise à l'approbation ou à la présence au débat des fournisseurs ;

Attendu qu'il n'existe donc pas de violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, relatif au droit de tout individu à un procès équitable ; que la violation alléguée ne peut résulter du fait que les fournisseurs n'ont pas donné leur assentiment à ce que la SA Aldis fasse l'objet d'une instance engagée par la ministre de l'Économie, de l'Industrie et de l'Emploi et ont même protesté contre l'introduction d'une telle instance ; que l'action de la ministre de l'Économie, de l'Industrie et de l'Emploi visant à la défense de l'ordre public économique général qui n'est pas limité aux intérêts immédiats des fournisseurs, est autonome et peut être engagée même contre leur volonté ;

Attendu que les dispositions de l'article L. 442-6 III du Code de commerce qui prévoient, en cas de constatation de pratiques restrictives de concurrence, la possibilité pour l'autorité publique compétente de solliciter l'annulation de stipulations contractuelles illicites ne portent pas atteinte à la liberté constitutionnelle d'entreprendre qui connaît des limites légales et est réglementée ; que la sanction légale qui est prévue ne porte atteinte ni à la liberté du commerce, ni à la "liberté contractuelle" des opérateurs économiques ;

Attendu que les deux agents de la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Alpes de Haute Provence (Monsieur André Larre et Madame Annette Tamietti) respectivement chef de service et contrôleur principal sont des fonctionnaires habilités, en application de l'article L. 450-1 du Code de commerce par le ministère chargé de l'Economie, à procéder aux enquêtes nécessaires à l'application du livre quatrième du Code de commerce relatif à "la liberté des prix et à la concurrence" ; que tous les procès-verbaux "de prise de copie de documents ou/et de déclaration" (huit) mentionnent que les deux agents font l'objet de l'habilitation prévue par l'article L. 450-1 dudit Code ; que la précision que les agents exerçant des pouvoirs d'enquête ont apportée, au moment du contrôle, quant à leur habilitation, est suffisante ; qu'ils ont décliné, ainsi que les procès-verbaux le mentionnent, leur qualité d'agents habilités ; qu'il en est ainsi suffisamment justifié ;

Attendu que les procès-verbaux mentionnent que l'objet de l'enquête est : "la vérification de l'application des dispositions du Livre IV du Code de commerce dans le cadre des relations commerciales de la présente enseigne avec ses fournisseurs" ; que l'objet et la nature de l'enquête ainsi définis ont été portés à la connaissance préalable de la SA Aldis avec suffisamment de précision ;

Attendu que les procès-verbaux ont été signés et remis à différents managers de départements distincts ou à des personnels administratifs de la SA Aldis qui ont été interrogés par les contrôleurs auxquels ils ont fourni des pièces ou documents ; que ce faisant, les agents de la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Alpes de Haute Provence ont satisfait aux prescriptions de l'article L. 450-2 du Code de commerce qui disposent qu'un "double des procès-verbaux est laissé aux parties intéressées" ; qu'il ne peut être soutenu que seul le PDG de la SA Aldis devait signer les procès-verbaux ; que les préposés de la SA Aldis, responsables de départements ou services, dont les déclarations faisaient l'objet de procès-verbaux, devaient légitiment les signer et pouvaient en recevoir un double au nom de la SA Aldis ;

Attendu au fond que les "contrats de coopération commerciale" critiqués sont d'une manière générale rédigés en des termes vagues qui ne décrivent pas les contours précis des services prétendument assurés par la SA Aldis en contrepartie desquels elle obtient de ses fournisseurs une rémunération ; que cette rémunération est due en contrepartie d'une prestation excédant les opérations inhérentes à la mise en vente des produits des fournisseurs dans l'hypermarché de la SA Aldis ; que les neuf "contrats de coopération commerciale" définissent la prestation de "dynamique commerciale" assurée par la SA Aldis de la manière suivante : "maintien de la gamme de produits du fournisseur pour permettre au consommateur de disposer de ses produits de façon permanente" ; que les contrats de coopération commerciale précisent la période au cours de laquelle la prestation doit s'exécuter et le montant de la prestation, y est "jointe" l'annexe de la liste des produits ; que certains "contrats de coopération commerciale" mentionnent à l'euro près le montant des ventes que la SA Aldis s'engage à réaliser pendant la période et sur la base duquel elle percevra sa rémunération ; qu'aucune précision n'est donnée en ce qui concerne les moyens mis en œuvre concrètement par la SA Aldis pour assurer la promotion spécifique de la gamme de produits pour laquelle elle perçoit une rémunération ; que les "contrats de coopération commerciale" ne décrivent pas précisément les modalités du service spécifique à la charge de la SA Aldis, qui dépasseraient les simples obligations incombant au distributeur attaché à diffuser les produits qu'il achète à ses différents fournisseurs ; que le maintien dans les rayons des mêmes produits disponibles pour un consommateur désireux de retrouver lesdits produits n'apparaît pas en soi une prestation excédant les obligations d'un distributeur, mais constitue l'essence même du commerce de produits de consommation courante et renouvelée ;

Attendu qu'outre ce vice affectant le libellé des "contrats de coopération commerciale", d'autres éléments viennent renforcer la conviction qu'aucune prestation particulière n'a été effectivement assurée par la SA Aldis au titre des prétendus "contrats de coopération commerciale" ; qu'ainsi, la nature de simples remises commerciales apparaît évidente et ressort des courriers de la société Defour (vente d'agneaux de Sisteron) qui s'acquitte d'une remise de 3 % sur les chiffres d'affaires réalisés ; que la société Defour ne cesse d'indiquer dans plusieurs courriers et notamment dans un courrier du 6 mars 2004 qu'il s'agit de remise de coopération commerciale "qui sera calculée au pied de chaque facture à compter du 1er mars 2004" ; que le 25 février 2005, la société Defour indique son accord pour une "remise trimestrielle de 5 % sur le CA, facture établie par vos soins" ; que le "contrat de coopération commerciale" portant la date du 31 décembre 2003 contient l'engagement de la SA Aldis de vendre pour la période à venir du 1er janvier 2004 au 29 février 2004 un volume de 45 117 euro qui sera précisément celui réalisé et sur la base duquel la SA Aldis a calculé le coût de sa prestation soit 3 % de 45 117 euro = 1 353,52 euro ; que cela établit la fausseté de la date d'établissement du contrat de coopération commerciale et le fait que la SA Aldis perçoit un pourcentage sur les ventes réalisées, sans considération pour les modalités de sa dynamique commerciale au demeurant non précisées ; qu'il en ainsi pour le contrat de coopération commerciale conclu avec la société Marius Bernard mentionnant l'engagement de la SA Aldis de réaliser un certain volume de vente (2 424 euro) pour une période à venir ; que ce montant de ventes a été précisément réalisé et la SA Aldis a appliqué le taux de remise de 20 % sur cette somme ; qu'il en est ainsi également pour la société Maurel confiserie, (taux de remise allant de 20 à 25 %) ; que le contrôle permet d'établir que certains "contrats de coopération commerciale" reproduisent les chiffres d'affaires réalisés pendant la période à venir sur laquelle ils portaient ; qu'ils ont donc été antidatés, en contradiction avec l'article L. 441-6 dans sa rédaction antérieure à la loi du 2 août 2005 qui exigeait un contrat écrit (nécessairement préalable à l'opération économique qu'ils envisagent) en double exemplaire détenu par chacune des parties et précisant les services spécifiques pour lesquels le distributeur recevait une rémunération ;

Attendu que le "contrat de coopération commerciale" pour un fournisseur du rayon "marée fraîche" vise une longue période (l'année civile 2004), sans aucune référence autre que "la dynamique commerciale" et "le maintien de la gamme de produits du fournisseur pour permettre au consommateur de disposer de ses produits de façon permanente" ; que le contrat ne précise aucunement la gamme de produits qui bénéficieraient de la dynamique commerciale de la SA Aldis et de quelle manière celle-ci se manifesterait ; qu'il s'agit d'une remise pure et simple de 5 % sur le montant des approvisionnements du rayon marée ; que le responsable de la société Toute la Marée en convient dans sa déclaration faite aux contrôleurs, il indique qu'il fournit la SA Aldis en produits de la mer selon les arrivages et que ce sont les clients (la grande distribution dont la SA Aldis) qui "lui imposent ces conditions de facturation de la remise" uniquement basées sur le chiffre d'affaires (350 000 euro pour 2004) sans lien avec une quelconque activité commerciale autre que celle inhérente aux opérations dévolues à un distributeur (mise en place en rayonnage et maintien de l'approvisionnement) ;

Attendu que la pratique de la SA Aldis consistant à revendre à perte un grand nombre de produits de la gamme Yoplait (83,5 % du nombre de produits pour 2004), tout en obtenant de son fournisseur une remise commerciale de 25 % du chiffre d'affaires réalisé, sans justification de l'effectivité du service particulier prétendument rendu en matière de valorisation et de promotion desdits produits, permet au distributeur de concurrencer déloyalement d'autres distributeurs et est contraire aux dispositions légales sur les contrats de coopération commerciale et sur la revente à perte ;

Attendu que le contrat de coopération commerciale conclu avec la société Sobeval a été antidaté, la date mentionnée sur le contrat étant le 31 décembre 2003 alors que toutes les dates apposées par des tampons dateurs sont postérieures : 23 et 29 juillet 2004 ; que la SA Aldis s'engageait à réaliser un volume de ventes de 79 032 euro ; que le montant de la facturation pour la prétendue prestation de la SA Aldis, soit 2 370,95 euro représente exactement 3 % du chiffre d'affaire de 79 032 euro réalisé pendant la période du 1er janvier 2003 au 30 juin 2003 ;

Attendu que les contrats de coopération commerciale conclus par la SA Aldis avec la société Distilleries et Domaines de Provence ne sont pas signés et ne mentionnent pas de modalités particulières de la dynamique commerciale qui serait mise en place par la SA Aldis ; que le fournisseur se borne à solliciter de la SA Aldis l'émission de factures afin de pouvoir s'acquitter de la rémunération sans véritablement s'interroger sur les modalités que l'action commerciale de la SA Aldis a pu entreprendre ; que le fournisseur propose un libellé de facture mentionnant : "mise en avant, vitrine ou dégustation", ce qui donne à penser qu'il s'agit d'une remise commerciale pure et simple, sans lien avec une quelconque action commerciale effective de la part de la SA Aldis ;

Attendu qu'il apparaît en définitive que les avantages financiers obtenus par la SA Aldis aux termes de "contrats de coopération commerciale" imprécis, laconiques et pour certains irréguliers comme antidatés ou/et non signés sont dépourvus de contrepartie effective (prestations spécifiques assurées par la SA Aldis pour valoriser et promouvoir certaines produits ou certaines gammes de produits de ses fournisseurs) ; que les actions commerciales évoquées par la SA Aldis relèvent de l'activité normale de tout distributeur de produits de consommation courante aux fins d'assurer l'approvisionnement de ses rayons ; que les neuf contrats de coopération commerciale litigieux qui ont permis à la SA Aldis de bénéficier de la part de ses fournisseurs rétroactivement et de manière systématique de remises ou ristournes non justifiées par l'exécution effective d'un service spécifique ont justement été déclarés nuls et de nul effet par les premiers juges ;

Attendu que le montant de l'amende civile que les premiers juges ont prononcée à hauteur de 90 000 euro, n'apparaît pas disproportionné eu égard au profit tiré par la SA Aldis de ses pratiques illégales (94 051,88 euro) ;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer au Trésor public une somme de 3 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en cause d'appel ;

Attendu que le jugement mérite confirmation pour les motifs exposés ci-dessus et ceux non contraires des premiers juges ;

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence à la date indiquée à l'issue des débats, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile, Reçoit l'appel de la SA Aldis comme régulier en la forme. Au fond, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Y ajoutant, condamne la SA Aldis à porter et payer au Trésor public la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel. Condamne la SA Aldis aux entiers dépens de l'instance.