CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 26 octobre 2011, n° 09-13651
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Satnam (SAS)
Défendeur :
Ryokane (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimouille
Avoués :
SCP Narrat Peytavi, Me Thevenier
Avocats :
Mes Guyot, Zahlen
LA COUR,
Vu l'appel relevé par la S.A.S. Satnam du jugement du tribunal de commerce de Paris (8ème chambre, n° de RG : 2008009178), rendu le 27 mai 2009 ;
Vu les dernières conclusions de l'appelante (30 décembre 2010) ;
Vu les dernières conclusions (1er octobre 2010) de la S.A.S. Ryokane, intimée ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 10 mai 2011 ;
* * SUR QUOI,
Considérant que la société Satnam, qui exploite des centres de bien-être et de remise en forme, estimant que la société Ryokane, créée par un de ses anciens salariés pour exercer la même activité, avait installé dans son propre centre un bain japonais reproduisant à l'identique un équipement sur lequel elle prétend avoir des droits d'auteur et de modèle et qu'elle avait eu recours, pour la conception de son local, de ses produits et services et de sa documentation publicitaire, aux fournisseurs et prestataires de service qu'elle avait elle-même employés, a assigné cette société sur le fondement de la contrefaçon de ses droits d'auteur et de modèle et celui de la concurrence déloyale et parasitaire ;
Que le tribunal a débouté la société Satnam de toutes ses prétentions et l'a condamnée à payer à la société Ryokane des dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Considérant que l'appelante reprend en cause d'appel l'ensemble de ses prétentions ;
Que l'intimée demande à la cour de dire que le bain japonais litigieux ne constitue pas une œuvre de l'esprit au sens de la législation sur le droit d'auteur, que le modèle invoqué est nul et que l'ensemble des griefs avancés au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ne sont pas fondés ; qu'elle conclut en conséquence à la confirmation du jugement et réclame en plus, outre une indemnité de procédure, 10 000 euro de dommages-intérêts complémentaires pour appel abusif ;
1. Sur les droits d'auteur :
Considérant, selon l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous qui comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial ;
Que ce droit est conféré, selon l'article L. 112-1 du même code, à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quel qu'en soit le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ; que sont notamment considérées comme œuvres de l'esprit, en vertu de l'article L. 112-2, 10°, du Code de la propriété intellectuelle, " les œuvres des arts appliqués " ;
Considérant que la protection de principe résultant de ces dispositions, sans formalité, des œuvres originales, suppose que celles-ci résultent d'une création intellectuelle portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ;
Considérant que la société Satnam expose à ce sujet que le bain japonais sur lequel elle revendique des droits d'auteur a été conçu et mis au point au terme d'un processus de près de six mois, d'avril à octobre 2001 selon l'attestation de M. Jean-Louis Poiroux, président de la société qui se présente comme le créateur de l'équipement litigieux, dont l'originalité serait caractérisée par la combinaison des éléments esthétiques suivants :
- forme générale de parallélépipède rectangle,
- en bois exotique,
- angles du cadre supérieur en assemblage à onglets (i.e. avec un angle de coupe à 45°),
- plan incliné situé à l'une des extrémités de la baignoire,
- plateau de couverture partielle amovible et posé sur la partie supérieure du bain,
- robinetterie en tête de cygne à l'extrémité de la baignoire opposée au plan incliné,
- marche de forme rectangulaire, totalement amovible et indépendante, réalisée dans le même bois,
- proportions spécifiques conférant à l'ensemble un caractère harmonieux ;
Mais considérant que la société Ryokane verse au débat un ensemble de documents démontrant l'existence de bains traditionnels japonais en forme de parallélépipède en bois exotique, comportant un plan incliné à l'une des extrémités, un plateau de couverture et une robinetterie en tête de cygne ;
Considérant, outre que certaines des caractéristiques revendiquées sont dictées par leur fonctionnalité, telles que l'existence d'un plan incliné à l'une des extrémités, qui assure le confort de l'utilisateur et réduit le volume d'eau nécessaire au bain, ou le plateau de couverture, qui préserve la température de l'eau, que l'ensemble reprend des éléments qui se retrouvent dans des équipements déjà connus et que leur combinaison, contrairement à ce que la société Satnam affirme, ne confère pas à l'équipement sur lequel elle revendique des droits d'auteur une physionomie très éloignée des baignoires japonaises traditionnelles ; qu'elle ne laisse en tout cas deviner aucune empreinte de la personnalité de l'auteur et ne satisfait donc pas à l'exigence de la démonstration d'un véritable processus créatif donnant naissance à une œuvre originale au sens des dispositions ci-dessus rappelées ;
2. Sur les droits de modèle :
Considérant que la société Satnam a déposé le 17 novembre 2004 à l'OHMI son modèle de baignoire qui a été enregistré sous le n° 000 254578-000 et publié le 8 février 2005 ;
Considérant que la société Ryokane, pour se défendre de l'action en contrefaçon de dessin ou modèle communautaire dirigée contre elle, conclut reconventionnellement à la nullité de ce modèle pour défaut de nouveauté ;
Considérant, aux termes de l'article 24 du Règlement CE n°6-2002 du 12 décembre 2001, qu' "un dessin ou modèle communautaire peut être déclaré nul par un tribunal des dessins et modèles communautaires à la suite d'une demande reconventionnelle dans le cadre d'une action en contrefaçon" ; qu'il résulte de l'article 25, § 1, b, qu'un dessin ou modèle communautaire peut être déclaré nul s'il ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9 ;
Considérant que l'article 4, § 1, dispose que "la protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau" ; que, selon l'article 5 "un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public [...] b) dans le cas d'un modèle enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée", étant observé que le même article précise, dans son § 2, que "des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants", et que l'article 7 prévoit qu'il n'est pas tenu compte d'une divulgation par le créateur pendant la période de douze mois précédant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ;
Considérant que la société Ryokane produit au débat des pièces démontrant que des photographies de la baignoire de la société Satnam ont été présentées notamment :
- dans le magazine "Maison Française" d'automne 2002,
- dans le magazine "Air France Madame" de février-mars 2002,
- dans le magazine "Jalouse" de juin 2002,
- dans le magazine "Elle" du 16 décembre 2002,
- dans le magazine "Les nouvelles esthétiques" de janvier 2003, juin 2003 et novembre 2003 ;
Considérant que ces photographies permettent de retrouver les caractéristiques du modèle telles que revendiquées par la société Satnam tenant à la forme générale, la matière, l'assemblage à onglets, le plateau de couverture, la robinetterie et la marche permettant l'accès au bain ; qu'elles sont toutes antérieures au 17 novembre 2003, point de départ de la période de douze mois précédant la demande d'enregistrement ;
Considérant que la société Satnam ne discute pas ces éléments ; que le modèle communautaire revendiqué sera en conséquence déclaré nul par application des dispositions précédemment rappelées ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Satnam de ses demandes fondées sur la contrefaçon de ses prétendus droits d'auteur et de modèle ;
3. Sur la concurrence déloyale et le parasitisme :
Considérant que la société Satnam maintient devant la cour ses demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire, imputant à faute à la société Ryokane d'avoir repris, outre le concept de bain japonais et son modèle de baignoire, de nombreux éléments de son univers et d'avoir ainsi indûment profité du fruit de son travail, de ses investissements financiers, matériels et humains ;
Qu'elle lui fait notamment grief d'avoir axé sa communication sur le bain japonais et utilisé des photographies reprenant le thème d'une théière posée sur le plateau amovible de la baignoire ou celle d'une femme brune vêtue d'une longue jupe noire vue de dos marchant dans un couloir en lumière tamisée, d'avoir contacté son attachée de presse, de s'être adressée au même laboratoire pour la fabrication de produits similaires, d'avoir approché le même spécialiste indien de médecine ayurvédique, enfin d'avoir copié la terminologie, l'argumentaire et la présentation de ses documents commerciaux ;
Mais considérant que le tribunal, après avoir pertinemment rappelé le principe fondamental de la liberté du commerce, a exactement jugé que le créateur de la société Ryokane, ancien salarié de la société Satnam non lié à cette dernière par une clause de non-concurrence, était libre de créer une entreprise concurrente et de proposer au public des produits et services similaires dès lors qu'il ne s'appropriait pas des informations confidentielles ou un savoir-faire personnel appartenant à son ancien employeur, ce qui n'est pas démontré en l'espèce ;
Que les premiers juges, par des motifs exacts et suffisants que la cour fait siens, ont relevé que la société Ryokane exploitait un concept spécifique centré sur le thé et sous une marque distinctive " Thémaé ", se traduisant par des agencements, des produits et des rituels distincts ; que les fascicules destinés à la clientèle différaient par le choix des couleurs et la présentation et mettaient en évidence la dissemblance des massages, des soins, des produits et des cérémonies ;
Considérant enfin que rien ne justifie que la société Satnam prétende se réserver l'exclusivité des services du laboratoire, de l'attaché de presse ou du spécialiste de médecine traditionnelle indienne auxquels elle a eu elle-même recours ;
Considérant, en synthèse, qu'il n'est pas démontré que la société Ryokane aurait pris un avantage concurrentiel indu en s'emparant, sans exposer elle-même aucun frais, de la valeur économique créée par les efforts créatifs et financiers de la société Satnam ;
Considérant que le jugement entrepris sera en conséquence également confirmé en ce qu'il a débouté la société Satnam de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;
4. Sur la procédure abusive :
Considérant qu'il n'est pas exclu que la société Satnam ait pu de bonne foi se méprendre sur la validité des droits de propriété intellectuelle qu'elle revendiquait ; que la profusion de ses moyens et arguments ne suffit pas à démontrer qu'elle aurait engagé cette procédure avec malignité dans le seul but d'écarter un concurrent estimé indésirable ;
Considérant que la société Ryokane ne démontre ainsi, ni que la société Satnam aurait abusé en l'espèce de la faculté d'agir en justice pour faire valoir ce qu'elle estimait être ses droits, ni qu'elle aurait subi, du fait de la procédure, un préjudice distinct de la nécessité d'exposer des frais pour sa défense, ce qui donnera lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile dans le mesure précisée au dispositif ;
* * Parc ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Satnam à payer à la société Ryokane des dommages-intérêts pour procédure abusive, Le réformant et statuant à nouveau de ce seul chef, Déboute la société Ryokane de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, Y ajoutant, Prononce la nullité du modèle communautaire n° 000254 578-0001 déposé par la société Satnam le 17 novembre 2004, Dit que l'arrêt sera transmis à l'Office d'Harmonisation dans le Marché Intérieur à l'initiative de la partie la plus diligente pour être inscrite au Registre des Dessins et Modèles Communautaires, Déboute la société Ryokane de sa demande de dommages-intérêts complémentaires pour appel abusif, Condamne la société Satnam aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile et à payer à la société Ryokane 30 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.