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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 21 octobre 2011, n° 10-16914

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kenwood Limited (Sté)

Défendeur :

Whirlpool Properties Inc (Sté), KitchenAid Europa Inc (Sté), De Longhi France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lachacinski

Conseillers :

Mmes Apelle, Nerot

Avoués :

SCP Fanet Serra, SCP Duboscq, Pellerin

Avocats :

Mes Binn, Triet

TGI Paris, du 16 mars 2010

16 mars 2010

La société Whirlpool Properties Inc, filiale du groupe Whirlpool Corporation, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d'appareils électro-ménagers, est titulaire de la marque française tridimensionnelle déposée le 7 avril 1998 régulièrement renouvelée et qui désigne en classe 7 "les machines électriques à battre et à mixer".

La société KitchenAid, filiale détenue à 100% par la société Whirlpool, qui distribue à travers l'Union européenne les produits portant les marques KitchenAid commercialise un batteur mixeur. Ce modèle, créé en 1937 par le designer Egmont Arens, est commercialisé en France depuis 1991 sous la dénomination Ultra Power puis à compter de 2002 sous la dénomination "batteur sur socle Artisan".

La société Kenwood Limited, société anglaise, qui fabrique des appareils électro-ménagers, filiale de la société italienne De Longhi, qui distribue en France lesdits appareils, a mis sur le marché en septembre 2007 en Angleterre puis en novembre 2007 en France un mixeur dénommé "kMix". Estimant que ce modèle contrefaisait la marque de la société Whirlpool et que sa commercialisation constituait des actes de concurrence déloyale et parasitaires au préjudice de la société KitchenAid Europa, les sociétés Whirlpool Properties Inc et KitchenAid Europa Inc ont assigné, devant le Tribunal de grande instance de Paris, les sociétés Kenwoood Limited et De Longhi France.

Par jugement en date du 16 mars 2010, le Tribunal de grande instance de Paris a :

- déclaré nul l'enregistrement de la marque tridimensionnelle française n° 98 726399 pour défaut de caractère distinctif,

- débouté en conséquence la société Whirlpool Properties de l'ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon de cette marque,

- ordonné la transcription de la décision en marge du Registre national des marques sur réquisition du greffier, dans le mois suivant la signification du jugement une fois celui-ci devenu définitif et à défaut autorisé la partie la plus diligente à y faire procéder dans les mêmes délais et conditions,

- débouté la société KitchenAid Europa Inc de sa demande fondée sur la concurrence déloyale,

- dit que la société Kenwood Limited a commis des agissements parasitaires à l'encontre de la société KitchenAid Europa Inc,

- condamné la société Kenwoood Limited à payer à la société KitchenAid Europa Inc la somme de cent cinquante mille euro - 150 000 euro - au titre de la réparation des actes parasitaires,

- condamné la société Kenwood Limited aux dépens,

- condamné la société Kenwood Limited à payer à la société KitchnenAid Europa Inc et à la société Whirlpool la somme de cinquante mille euro - 50 000 euro - au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

C'est ce jugement qui est frappé d'appel par la société Kenwood Limited à titre principal et par les sociétés Whirlpool Properties et KitchenAid à titre incident. La société De Longhi France s'est jointe aux demandes de la société KitchenAid France.

Par dernières conclusions au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, signifiées le 30 juin 2011, la société Kenwood Limited et la société De Longhi France ont demandé à la Cour de :

- les déclarer recevables et bien fondées en leurs demandes,

- débouter les sociétés intimées de toutes leurs demandes,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions , sauf en ce qu'il a condamné la société Kenwood au paiement de la somme de cent cinquante mille euro - 150 000 euro - au titre du parasitisme des investissements publicitaires de la société KitchenAid Europa Inc, statuant à nouveau,

- dire que la société Kenwood Limited n'a commis aucun agissement parasitaire à l'égard de la société KitchenAid Europa Inc,

- en conséquence, dire n'y avoir lieu à dommages-intérêts,

- condamner solidairement les sociétés KitchenAid Europa Inc et Whirlpool Properties Inc au paiement de la somme de cent soixante quatorze mille euro - 174 000 euro - au titre des frais irrépétibles de première instance, en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner solidairement les sociétés KitchenAid Europa Inc et Whirlpool Properties Inc au paiement de la somme de cinquante mille euro - 50 000 euro - au titre des frais irrépétibles d'appel, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, sauf à parfaire,

- condamner les sociétés intimées aux entiers dépens.

Les sociétés appelantes exposent les éléments suivants :

1) sur la validité de la marque

La forme protégée au titre de la marque tridimensionnelle de la société Whirlpool ne s'écarte pas de la forme perçue par le consommateur moyen comme habituelle pour un batteur mixeur. La forme du produit ne comporte aucune caractéristique particulièrement inattendue pour un mixeur à l'exception de la protubérance qui prolonge la tête et du bandeau qui l'entoure, caractéristiques que la société Whirlpool s'abstient d'invoquer clairement car elles n'existent pas sur le kMix. A l'époque du dépôt de la marque en 1998, d'autres mixeurs comportaient certaines des caractéristiques prétendument distinctives. La protection du signe reviendrait ainsi à conférer à la société Whirlpool un monopole sur les caractéristiques générales d'un batteur mixeur susceptibles d'être recherchées par l'utilisateur dans des produits concurrents. L'OHMI a considéré comme dénuée de caractère distinctif la marque communautaire déposée par la société Whirlpool identique à la marque en cause. La société Whirlpool a admis implicitement le bien fondé de cette appréciation en n'exerçant aucun recours contre cette décision et en choisissant de déposer une autre marque communautaire combinant le dessin de la marque en cause et la marque verbale KitchenAid. Le jugement doit donc être confirmé sur la nullité de la marque.

2) à titre subsidiaire, sur la déchéance de la marque pour défaut d'exploitation

Le titulaire doit exploiter la marque telle qu'elle figure à l'enregistrement.

En l'espèce, le robot de cuisine Artisan est commercialisé sous une forme qui diffère de la forme faisant l'objet de la marque, l'objet commercialisé comprenant toujours la marque verbale KitchenAid et le mixeur étant toujours présenté avec le bol. Ces ajouts affectent nécessairement l'apparence de la marque elle-même dont ils modifient la perception globale. La société Whirlpool ne peut donc qu'être déchue de sa marque.

3) subsidiairement sur la contrefaçon

Le modèle kMix présente des caractéristiques qui lui sont propres et qui confèrent une impression d'ensemble qui diverge très sensiblement de celle produite par la marque invoquée, ce qui exclut tout risque de confusion avec la marque invoquée. En effet, dans le modèle kMix, la partie inférieure de la tête est rectiligne et forme un angle droit avec le pied, conférant à la tête et à la partie supérieure du pied un aspect visuel original et différent de celui de la marque ; le kMix est caractérisé par une tête allongée sur laquelle est inscrite la marque kMix ; le modèle kMix est bicolore alors que la marque invoquée ne revendique aucune couleur ; le modèle kMix est toujours présenté et commercialisé avec le bol qui est un élément nécessaire au fonctionnement de l'appareil alors que le bol est absent de la marque revendiquée ; l'un des côtés du pied du modèle kMix comporte un bouton de commande rotatif caractéristique des mixeurs Kenwood sous lequel est apposée la marque Kenwood ; enfin le modèle kMix est commercialisé systématiquement en association avec la marque Kenwood qui figure dans toutes les publicités et sur tous les emballages. La demande en contrefaçon ne peut donc qu'être rejetée.

4) sur la concurrence déloyale et parasitaire.

La société KitchenAid invoque d'une part la création d'un risque de confusion entre les produits qui relèvent de la concurrence déloyale, d'autre part un ensemble de faits de nature, selon elle, à établir que la société Kenwood Limited se serait placée dans son sillage aux fins de bénéficier sans justification de ses investissements, ce qui relève de la concurrence parasitaire ;

a) Sur les actes de concurrence déloyale

Tous les robots de cuisine ont une structure similaire imposée par leur fonction à savoir une tête et un pied horizontal, un socle, un bol inséré entre la tête et le socle et un porte accessoires situé sous la partie avant de la tête. Cette structure générale à laquelle le consommateur est habitué ne peut générer par elle même aucun risque de confusion. Par contre, des différences importantes existent entre les deux produits : la tête de chaque robot a une forme différente ; le dessous de la tête des deux appareils en position levée présente une forme et une structure dissemblables ; le kMix est composé d'un pied de couleur métal grise donnant une impression de robustesse et dont le bas remonte légèrement alors que le pied du modèle Artisan a la même couleur que le reste de l'appareil et un pied évasé ; le signe k entouré d'un cercle est apposé sur le bol du kMix alors que le bol du modèle Artisan ne comporte aucun signe ; le modèle Artisan est toujours monochrome alors que le kMix est toujours bicolore ; les deux produits sont commercialisés systématiquement sous les marques respectives de leurs constructeurs (Kenwood et KitchenAid) ; l'emballage et les gammes des deux produits ne sont pas semblables.

Toutes ces différences excluent le risque de confusion, ce qu'a d'ailleurs retenu le juge anglais en écrivant : "Je ne vois aucun risque de confusion pouvant intervenir pendant le processus allant de la sélection à l'achat d'un produit kMix". Les juges d'appel anglais ont ajouté : "Entre les formes des deux mixeurs, il y avait clairement des similitudes pour que chacun se rappelle de l'autre" et ce qu'ils soient vus ensemble ou séparément mais ont rejeté l'argument fondé sur un risque de confusion quant à l'origine commerciale.

Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la concurrence déloyale.

b) Sur les actes parasitaires

L'élaboration du kMix a duré trois ans et a fait l'objet d'études approfondies notamment sur le plan du marketing, de l'esthétique, de la technique et a requis l'aide d'un désigner de haut niveau M. Christou. Les juges d'appel anglais ont d'ailleurs relevé : "Kenwoood ne pouvait pas planifier son entrée dans ce secteur du marché dans lequel KitchenAid était jusque-là en monopole sans être toujours attentive au KitchenAid Artisan. Ceci n'est pas en soi interdit. Après tout Kenwoood possède sa propre réputation dans le domaine des petits appareils électro-ménagers et notamment dans celui des appareils de cuisine sur lequel elle souhaitait et comptait s'appuyer, même si elle n'en bénéficiait pas dans la niche de marché du KitchenAid artisan".

Sur les éléments même de la publicité, qui lui a été reprochée par le Tribunal, la société Kenwood Limited n'a fait que modifier légèrement sa propre publicité antérieure à celle de KitchenAid en lui adjoignant la reproduction du robot tête levée qu'elle avait déjà utilisée dans des publicités antérieures. La reprise du caractère rétro, qui avait déjà été adoptée par elle lors de la réalisation du robot "le Pâtissier" dont le style rétro est proche du style du modèle Artisan et qui s'écarte franchement du style traditionnel des mixeurs Kenwood antérieurs, n'a jamais fait l'objet de la moindre réserve de la part de la société KitchenAid. En l'espèce, son seul but a été de se positionner sur un marché monopolistique. Ce positionnement lui a procuré un avantage qui provient non pas d'une attitude parasitaire de celui qui cherche à s'implanter sur le marché, mais de la décision elle-même de s'implanter sur le marché, ce qui ne peut lui être reproché. Elles demandent sur ce point l'infirmation du jugement. C'est la raison de son appel.

Dans leurs dernières conclusions, au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, signifiées le 29 avril 2011, les sociétés Whirlpool Properties Inc et KitchenAid Europa Inc ont demandé à la Cour :

- d'infirmer le jugement du 16 mars 2010 en ce qu'il a prononcé la nullité de la marque française n° 98.726.392 détenue par la société Whirlpool Properties Inc pour absence de caractère distinctif,

- de dire que la commercialisation par les sociétés Kenwoood Limited et De Longhi France du batteur mixeur kMix constitue des actes de contrefaçon par imitation de la marque française tridimensionelle détenue par la société Whirlpool Properties Inc et condamner solidairement les sociétés Kenwood Limited et De Longhi France à payer à la société Whirlpool Properties la somme de cinq cent mille euro - 500 000 euro - en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte au droit qu'elle détient sur sa marque française,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que les sociétés Kenwoood Limited et De Longhi France n'ont pas commis d'actes de concurrence déloyale ni d'actes de parasitisme dans le processus de création du kMix, et condamner solidairement les sociétés Kenwood Limited et De Longhi France à payer à la société KitchenAid Europa Inc la somme d'un million d'euro - 1.000 000 euro- à titre de réparation du préjudice subi de ce fait,

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la société Kenwood Limited avait commis des actes de parasitisme en copiant la publicité du mixeur KitchenAid et en ce qu'il a condamné la société Kenwood Limited à payer à la société KitchenAid Europa la somme de cent cinquante mille euro - 150 000 euro - à titre de dommages-intérêts,

- de faire interdiction aux sociétés Kenwood Limited et De Longhi France de commercialiser les batteurs mixeurs kMix et ce sous astreinte définitive de cinq cents euro - 500 euro - par infraction constatée à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir,

- d'ordonner le rappel et le retrait définitif des circuits commerciaux de tout batteur mixeur kMix aux frais des sociétés Kenwood Limited et De Longhi France dans les deux mois de la signification de l'arrêt à intervenir,

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir sur le site Internet "www.kenwoodworld.comfr-fr" ainsi que dans cinq journaux ou magazines français ou étrangers, au choix des intimées et ce aux frais des sociétés Kenwoood Limited et De Longhi France, le coût de chacune de ces publications ne pouvant être inférieur à dix mille euro HT - 10 000 euro HT -

- de débouter la société Kenwood de l'ensemble de ses demandes,

- de condamner solidairement les sociétés Kenwood Limited et De Longhi France à leur verser la somme de trois cent mille euro - 300 000 euro - au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- de condamner solidairement les sociétés appelantes aux dépens.

Les sociétés intimées sollicitent, par voie de conséquence, l'infirmation totale du jugement entrepris, à l'exception des dispositions du jugement concernant les agissements parasitaires de la société Kenwoood du fait de l'utilisation de la publicité de ses concurrents.

Les sociétés intimées exposent, à l'appui de leur argumentation, les éléments suivants,

1) Sur la validité de la marque

La société Whirlpool jouit sur la marque d'un droit absolu et exclusif, qui l'habilite à s'opposer à toute atteinte susceptible de lui être portée par quiconque sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit. Le caractère distinctif d'une marque doit s'apprécier au jour de son dépôt. A l'époque, les principaux batteurs mixeurs présents sur le marché français étaient commercialisés par la société Kenwood. Aucun de ces produits ne présentait les caractéristiques essentielles du mixeur KitchenAid, soit la forme cylindrique de la tête du mixeur KitchenAid, son pied courbé s'élargissant très nettement des deux côtés vers la base, et son anneau sur la partie frontale de la tête, qui confèrent à la forme protégée par la marque une physionomie très particulière. Contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, la marque constituait, à la date de son dépôt, une rupture avec les formules usuelles de batteurs mixeurs. Ainsi la marque ne saurait être considérée comme une variante d'une forme habituelle de batteur mixeur mais bien comme une forme singulière se distinguant notamment des autres formes de batteurs mixeurs présents sur le marché. C'est cette forme particulière qui permet au consommateur de différencier le produit sans confusion possible avec ceux qui ont une autre provenance. Le juge anglais a d'ailleurs jugé que la marque communautaire tridimensionnelle, propriété de la société Whirlpool , et qui reproduit la marque en cause avec comme seul ajout la dénomination " KitchenAid " avait un caractère distinctif, qu'elle soit ou non revêtue de la dénomination "KitchenAid". Le caractère distinctif de la forme du mixeur a d'ailleurs été reconnu par l'expert de la société Kenwood lui-même qui, à la question posée "pensez-vous que la forme du mixeur de KitchenAid soit distinctive" a répondu "oui".

Enfin, il ressort du sondage produit que la forme du mixeur objet de la marque est parfaitement apte à servir d'indicateur d'origine pour le consommateur.

2) Sur la contrefaçon de la marque

En matière de marque tridimensionnelle, la comparaison entre la marque et le produit litigieux doit porter sur la physionomie d'ensemble. Or le kMix reproduit l'ensemble des éléments distinctifs de la marque, à savoir une tête arrondie et cylindrique à ses extrémités, un pied courbé s'élargissant au niveau de son rattachement au socle, l'absence d'angle droit entre le pied et le socle et un anneau sous la partie frontale de la tête. La marque et le kMix sont donc similaires et les produits concernés sont identiques. Il ressort de ce qui précède qu'il existe un risque de confusion entre la marque et le produit kMix, le kMix semblant être la déclinaison de la marque déposée par la société Whirlpool.

3) Sur la concurrence déloyale et parasitaire

En commercialisant son produit, la société Kenwood n'a pas hésité à rompre brutalement avec les codes qui caractérisaient sa gamme de batteurs mixeurs depuis plus de 40 ans afin de créer une confusion avec le mixeur KitchenAid, en empruntant volontairement à ce dernier les éléments l'identifiant aux yeux du public, la gamme des batteurs mixeurs se caractérisant en effet jusque-là par des formes anguleuses, une tête rectangulaire, un pied massif et sans courbure, l'utilisation du gris ou du blanc, et des bols sans poignée unique et verticale mais avec deux petites poignées horizontales. L'étude de marché commandée par la société Kenwood en janvier 2004 montre que ses produits traditionnels sont perçus par le public comme fonctionnels et pratiques, le terme "design" n'ayant jamais été employé pour les décrire. Selon des études réalisées, le modèle de la société Kenwood est apparu comme un suivi, un imitateur ou un copieur, un "pis-aller" pour attirer la clientèle haut de gamme que touchent les sociétés intimées. Les deux batteurs sont très similaires, qu'ils soient considérés de profil ou de face. Les proportions du kMix ont été copiées sur celles de la société Kitchenaid. De plus le fait de commercialiser un batteur mixeur dont la tête, c'est-à-dire la partie la plus voyante, est colorisée, est un indice supplémentaire de la volonté des sociétés appelantes de créer une confusion entre les deux modèles. La société Kenwood a d'ailleurs choisi d'axer sa campagne publicitaire sur le kMix de couleur rouge qui est la couleur par essence de la marque KitchenAid et la première couleur introduite par KitchenAid sur le marché français. Le mixeur KitchenAid se caractérise par ailleurs par un aspect résolument "rétro", le produit paraissant venir tout droit de l'Amérique des années 1930-1950. La société Kenwood a tenté de donner à son robot également un caractère "rétro" afin de mieux se situer dans le sillage de KitchenAid. Le juge anglais a retenu qu'il y a clairement suffisamment de similarité entre les deux produits pour que chacun rappelle l'autre aux clients. Si ces similarités n'ont pas été suffisantes en droit anglais pour justifier une condamnation au titre du "passing off", car le droit anglais exige que le consommateur puisse se tromper au point d'acheter l'un des produits en croyant acheter l'autre, ces similarités caractérisent par contre en droit français des actes de concurrence déloyale. Le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a rejeté la demande en concurrence déloyale.

Ces actes constituent par ailleurs des agissements parasitaires d'autant plus évidents qu'un membre même de la société Kenwood a écrit "Je pense qu'il est absolument crucial que la marque Kenwood apparaisse très clairement, dans la mesure où lorsque le modèle est placé aux côtés d'un KitchenAid, il apparaît que le consommateur peut penser que ce produit est fabriqué par KitchenAid; qu'ainsi il est crucial de renforcer le message selon lequel le produit est fait par Kenwood", ce qui a été fait en plaçant la marque Kenwood en petits caractères sous le bouton de contrôle tout en apposant la dénomination "kMix" sur la tête du nouveau modèle et la lettre K sur le corps de l'appareil, lettre qui n'est pourtant pas associée dans l'esprit du consommateur à la société Kenwood mais justement au premier modèle de la société Whirlpool.

La société Kenwood a également recopié la publicité antérieure de la société KitchenAid : le kMix est présenté dans les publicités comme un modèle de couleur rouge orienté vers la gauche avec la tête relevée à laquelle est attaché un large fouet, tout comme le mixeur modèle Artisan. De plus le slogan de la société Kenwood "the art of cooking" est écrit en gris comme le slogan du modèle "Artisan" "l'original depuis 1937". Enfin le logo de la société Kenwood est reproduit en bas à droite de la publicité tout comme le logo de la société KitchenAid. Ces agissements ne peuvent que constituer des actes de parasitisme.

Le jugement ne peut qu'être confirmé de ce chef.

SUR CE,

1) Sur la validité de la marque

Considérant que la marque en cause est tridimensionnelle et désigne en classe 7 "les machines électriques à battre et à mixer";

Que la société Whirlpool a déposé la marque le 3 avril 1998 et qu'il convient d'étudier la distinctivité de la marque au jour de son dépôt, distinctivité contestée par les sociétés Kenwoood et De Longhi ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle est déclaré nul par décision de justice l'enregistrement d'une marque qui n'est pas conforme aux dispositions des articles L. 711-1 à L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

Considérant que l'article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que "la marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale" ; que l'alinéa 2 c de cet article précise que peuvent notamment constituer un tel signe les signes figuratifs comme les formes d'un produit ;

Considérant que les critères d'appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par la forme du produit lui-même ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marque ;

Que l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle qui énonce "le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés" doit être interprété à la lumière de l'article 3 § 1b) de la directive 89-104-CE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des états membres sur les marques, qui ne fait aucune distinction entre les différentes catégories de marques et fait de l'exigence du caractère distinctif une condition de validité ;

Considérant qu'il convient donc de rechercher si le signe en cause est susceptible de remplir la fonction d'une marque, soit de désigner au consommateur l'origine du produit pour lequel elle est enregistrée et dès lors de différencier sans confusion possible ce produit de ceux qui ont une autre origine ; qu'une forme de produit satisfait à l'usage au sens où elle remplit aux yeux du consommateur la fonction de garantie d'identité d'origine assignée à la marque et uniquement grâce à l'usage de la marque en tant que marque ;

Considérant que le signe enregistré représente un appareil composé d'une tête arrondie à ses extrémités, entourée sur sa partie inférieure d'un bandeau et dont le front comporte une protubérance cylindrique ; que le pied s'évase progressivement pour constituer un socle dont une partie est destinée à accueillir un bol ;

Considérant que les éléments revendiqués par la société Whirlpool comme distinctifs de sa marque à savoir la forme cylindrique et arrondie de la tête aux extrémités et le pied courbé s'élargissant vers le socle ne sont pas de nature à permettre l'identification pour le consommateur concerné de l'origine du produit visé dans l'enregistrement, au vu de la banalité de la marque et ne lui permettent pas, à la seule vue de la marque, de percevoir une origine distincte, la forme déposée ne se différenciant pas de manière significative de celle déjà connue du mixeur Sunbean qui comporte une forme arrondie de la tête et de divers batteurs mixeurs tels que le chef classic KM 410 et KM 420 et le chef KM 300, composés d'un pied destiné à recevoir le bol, pied qui, comme le note à juste titre le tribunal, s'il est plus large que celui du signe en cause, s'évase légèrement vers le bas également dans une forme arrondie ;

Que le bandeau et la protubérance cylindrique sur la partie frontale du capot ne confèrent pas davantage à l'ensemble de la marque son caractère distinctif ;

Que la marque ne peut, par voie de conséquence, remplir son rôle certifiant l'origine du produit ; Considérant que le jugement sera par voie de conséquence confirmé en ce qu'il a annulé la marque ;

II ) Sur les demandes en déchéance de la marque et en contrefaçon de marque

Considérant que la marque étant annulée, les demandes en déchéance et en contrefaçon de la marque s'avèrent sans objet ;

III) Sur les demandes en concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que la société KitchenAid Europa, exploitant en France le modèle Artisan, demande à la Cour de retenir à l'encontre de la société Kenwood des actes de concurrence déloyale, et ce aux motifs que le modèle kMix, fabriqué par la société Kenwwod et distribué par la société De Longhi, ne peut qu'entraîner un risque de confusion pour le consommateur moyen avec son propre modèle ;

Considérant que les deux modèles en cause sont les suivants :

Considérant que, pour qu'il y ait concurrence déloyale, il est nécessaire de démontrer qu'il y a eu actes intentionnels de la part des sociétés Kenwood et De Longhi contraires aux usages loyaux du commerce et amenant de façon délibérée, en bénéficiant de la réputation du produit de leur concurrent direct sur le marché français, un risque de confusion, par rapport au consommateur moyennement avisé qui n'a pas les deux produits simultanément sous les yeux et qui, sur l'impression d'ensemble, confondra les deux produits ;

Considérant que, si la société Kenwood Limited reconnaît s'être inspirée du modèle Artisan, pour mener ses recherches sur un design particulier propre à attirer une clientèle haut de gamme privilégiant également l'esthétique d'un produit, le modèle commercialisé par la société KitchenAid n'étant pas déposé, la reprise de caractéristiques de ce modèle ne constitue pas en soi une faute ; Considérant qu'il convient de rappeler que l'utilisation de formes similaires imposées par la physique pour le fonctionnement d'appareils ayant la même fonction (un pied composé d'une base et d'une partie verticale, une traverse dominante indispensable pour fixer le système de rotation et un bol) ne peut constituer un acte de concurrence déloyale ;

Considérant, en ce qui concerne les caractéristiques de chacun des modèles :

- que le kMix possède un pied droit à l'extérieur et, à l'intérieur, simplement incurvé à proximité de la base alors que le partie verticale du pied du modèle de la société Whirlpool est fortement incurvé à l'intérieur comme à l'extérieur,

- que si les têtes des deux modèles sont de forme ronde, celle du modèle de la société Whirlpool est surplombée d'un cylindre et entourée d'un bandeau alors que la tête du modèle de la société Kenwood est constituée d'un volume aux formes arrondies sans bandeau,

- que, si en ce qui concerne le modèle Artisan, la tête de l'objet comprend une protubérance à l'avant ainsi qu'un bandeau portant des inscriptions, ces éléments sont inexistants dans l'autre modèle,

- que le pied du modèle de la société Kenwood comporte un bouton de taille importante alors que sur le profil droit de l'Artisan, figure un levier de vitesse et une vis,

- qu'enfin, le fil électrique du modèle kMix part du bas de la tête tandis que celui du modèle de la société Whirlpool part du pied,

Qu'au regard de ces éléments, les dissemblances sont telles que tout risque de confusion est exclu ;

Considérant qu'il n'est pas justifié par ailleurs par la société Whirlpool d'une captation de clientèle ;

Considérant qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, le modèle kMix ne peut entraîner un risque de confusion avec le modèle Artisan pour le consommateur ;

Considérant que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société KitchenAid de sa demande en concurrence déloyale ;

Considérant que le parasitisme résulte de la seule utilisation illicite du travail ou de l'investissement d'autrui ;

Considérant que le produit Artisan est connu par une publicité extrêmement importante qui a été faite et qui est toujours réalisée par la société Whirlpool comme en font foi tous les magazines de vie pratique, vie quotidienne ou féminins produits au débat ; que cette publicité de la société Whirlpool est quasi permanente ;

Qu'il résulte des pièces produites au débat que la société Kenwood Limited a repris dans ses propres publicités la couleur rouge qui est la couleur phare du robot Artisan en utilisant pratiquement, selon les résultats des tests produits par la société KitchenAid et non contestés par les sociétés appelantes, le même rouge dans les publicités, ce qui selon les résultats des tests s'avère très difficile et une couleur amande très avoisinante des boutons du robot de la société Whirlpool ;

Que, par ailleurs, le modèle kMix est orienté dans la publicité comme son concurrent sur la gauche et ce sans justification technique particulière sur le plan de l'art photographique ;

Considérant que peu de mois après la parution du mixeur l'Artisan tête levée en novembre 2007 dans le journal "Le Figaro Guide Envie" et en décembre 2007, dans le magazine "Maison Française" la société Kenwood a publié exactement dans la même position son batteur en mars 2008 dans le magazine "Viva Deco" exactement dans les mêmes couleurs ; qu'elle a ainsi voulu se placer dans le sillage de son concurrent, et ne peut se retrancher pour échapper au parasitisme derrière ses publicités de septembre 2007 beaucoup moins dépouillées ;

Que la société Kenwood Limited reprend dans sa publicité de mars 2008, le même caractère sobre et épuré de la communication faite par la société KitchenAid pour son robot ;

Considérant que la société Kenwood Limited utilise, également, dans les publicités, la lettre K dans un cercle à côté de son slogan comme s'il s'agissait d'une marque sous entendant, comme le soutient la société KitchenAid, qu'elle serait pionnier en design par rapport à la société KitchenAid dont le modèle est justement décrit dans les publicités précédentes le concernant comme le modèle phare du design en matière de robots culinaires et dont le modèle paru en 1937 était dénommé sous la lettre K ;

Considérant que sont donc caractérisés, comme l'ont retenu exactement les premiers juges, des actes parasitaires ;

Considérant que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu les actes parasitaires ;

IV) Sur les autres demandes

Considérant qu'au vu des frais importants de publicité exposés par la société KitchenAid, des nombreux éléments repris dans ces publicités par la société Kenwood Limited et qui ne peuvent qu'attirer l'oeil du consommateur mais également du fait que ces produits visent une clientèle qui cherche, lorsqu'elle regarde les publicités, un produit bien déterminé, les premiers juges ont fait une exacte appréciation en fixant le préjudice dû au titre des actes parasitaires à la somme de cent cinquante mille euro - 150 000 euro - somme d'ailleurs que demande à ce titre la société Whirlpool ;

Considérant que la contrefaçon et les actes de concurrence déloyale n'ayant pas été retenus, les sociétés intimées seront déboutées tant de leur demande de dommages-intérêts à ces titres que de leurs diverses demandes d'interdiction et de publication ;

Considérant qu'il convient de confirmer la décision prise par les premiers juges au titre des frais irrépétibles de première instance ;

Qu'il n'apparaît pas par contre inéquitable de laisser à la charge des sociétés intimées les frais irrépétibles qu'elles ont exposés en cause d'appel ;

Que les sociétés appelantes, parties succombantes dans leur appel au principal, le jugement étant confirmé en toutes ses dispositions, seront déboutées de leur demande formée au titre des frais irrépétibles ;

Considérant que la société Kenwood Limited, partie succombante, doit être condamnée aux dépens de la présente instance, la condamnation prononcée par les premiers juges au titre des dépens de première instance étant par ailleurs confirmée.

PAR CES MOTIFS, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Dit que la décision sera transcrite en ce qui concerne la nullité de la marque tridimensionnelle déposée le 7 avril 1998 sous le n° 98.726.392 et qui désigne en classe 7 "les machines électriques à battre et à mixer" en marge du Registre national des marques sur réquisition du greffier, dans le mois suivant la signification du présent arrêt une fois celui-ci devenu définitif et à défaut autorise la partie la plus diligente à y faire procéder dans les mêmes délais et conditions, Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne la société Kenwood Limited aux dépens de la présente instance dont distraction au profit de la SCP Duboscq-Pellerin conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.