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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 6 octobre 2011, n° 09-00990

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Afa (SARL), Guyot (ès qual.)

Défendeur :

Aunave

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Muller

Conseillers :

M. Bernaud, Mme Pages

Avoués :

Selarl Dauphin & Mihajlovic, SCP Pougnand

Avocats :

Me Fortunet, Me Daniel

T. com. Grenoble, du 8 déc. 2008

8 décembre 2008

Le 30 septembre 2006 la SARL Afa venant aux droits de Monsieur Jean-Paul Desestre a résilié avec un préavis de trois mois le contrat de sous-agent commercial qui avait été consenti le 17 avril 2004 pour une durée indéterminée à M. Jean-Paul Aunave.

Par courrier du 3 octobre 2006 Monsieur Jean-Paul Aunave a pris acte de la rupture du contrat et a sollicité le paiement d'une indemnité compensatrice de 15 000 euro.

La société mandante a répondu le 24 octobre 2006 que cette demande d'indemnisation n'était pas conforme au droit positif et était inadaptée aux éléments contractuels existants. Elle a invité le sous-agent à lui faire une proposition d'indemnité plus sérieuse.

N'obtenant pas satisfaction, Monsieur Jean-Paul Aunave a saisi le Tribunal de commerce de Grenoble, par acte d'huissier du 18 juin 2007, en paiement de la somme de 15 000 euro à titre d'indemnité compensatrice sur le fondement de l'article L. 134-12 du Code de commerce.

Par jugement du 8 décembre 2008 ce tribunal a condamné avec exécution provisoire la SARL Afa à payer à M. Jean-Paul Aunave la somme réclamée de 15 000 euro, outre une indemnité de procédure de 1 000 euro.

La SARL Afa a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 20 février 2009.

Elle a été placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Grenoble en date du 5 mai 2009 qui a désigné Me Guyot en qualité de mandataire judiciaire.

Vu les conclusions signifiées et déposées le 17 mars 2010 par Me Guyot, intervenant volontaire en qualité de mandataire judiciaire de la société Afa, et par cette dernière qui demandent à la cour, par voie de réformation du jugement, de débouter M. Jean-Paul Aunave de l'ensemble de ses demandes et de le condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 4 000 euro aux motifs que Monsieur Jean-Paul Aunave a commis une faute grave privative de toute indemnité de rupture alors qu'en violation de ses obligations légales et contractuelles il n'a jamais établi le moindre rapport d'activité, il a manqué de loyauté en négociant directement avec divers clients les tarifs dits " plate-forme " sans prendre d'instructions en ce sens et en immobilisant sans un quelconque résultat commercial divers matériels mis à sa disposition, que ces manquements ont porté atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et ont rendu impossible le maintien du lien contractuel, peu important qu'aucun avertissement n'ait été adressé à l'agent au cours de l'exécution du contrat et que la lettre de résiliation ne fasse pas état des fautes commises, que ces fautes ont entraîné une baisse de son chiffre d'affaires tandis qu'en deux ans et demi d'activité Monsieur Jean-Paul Aunave n'a pas apporté de nouveaux contrats, mais a au contraire réussi à perdre 11 enseignes, qu'en toute hypothèse il n'est justifié d'aucun préjudice puisque l'agent n'a apporté aucune nouvelle clientèle ni aucun nouveau contrat.

Vu les conclusions signifiées et déposées le 6 mai 2010 par M. Jean-Paul Aunave qui sollicite, par voie de confirmation du jugement, la fixation de sa créance au passif de la SARL Afa pour les sommes de 15 000 euro à titre d'indemnité compensatrice de rupture et de 1 000 euro au titre de ses frais irrépétibles de première instance et la condamnation de Maître Guyot ès qualités à lui payer une nouvelle indemnité de procédure de 3 000 euro aux motifs qu'aucun grief ne lui a été fait au cours de la relation contractuelle, que la lettre de rupture ne vise aucun manquement susceptible de constituer une faute grave, que le principe de l'indemnisation n'a pas été discuté avant l'introduction de l'instance, que le contrat n'exigeait pas l'envoi de rapports mensuels, qu'il a obtenu le référencement des produits auprès de l'enseigne " Champion ", que la société mandante avait connaissance des remises et avantages consentis aux clients avant de procéder à la livraison, que la réalité de son travail est attestée par le fait qu'il est parvenu à obtenir des référencements auprès des grandes enseignes de la distribution, que son préjudice doit être évalué par référence aux usages de la profession, ainsi que le rappelle le contrat, que la somme réclamée n'est nullement excessive alors qu'au cours des années 2005 et 2006 il a perçu plus de 22 000 euro de commissions.

Motifs de l'arrêt

En application des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce l'agent commercial, auquel est assimilé le sous-agent exerçant une activité de représentation pour le compte d'un agent principal, ne peut être privé d'une indemnité compensatrice de rupture qu'à charge pour le mandant d'établir que la cessation du contrat est provoquée par sa faute grave.

Une telle faute, qui peut certes résulter de la non-réalisation d'objectifs commerciaux, doit cependant rendre impossible le maintien du lien contractuel.

La cour observe tout d'abord qu'à aucun moment au cours de la relation contractuelle, qui a duré deux ans et demi, la société Afa ne s'est plaint d'une insuffisance de résultat ni n'a déploré une quelconque incurie ou inertie de la part de son agent. Celui-ci verse au contraire au dossier un message électronique du 5 décembre 2005 aux termes duquel la société Afa reconnaît que " l'ensemble de l'opération Auchan est un franc succès " et lui adresse ses vifs remerciements pour le travail accompli. Il a été également destinataire, comme les autres sous-agents, d'un message du 28 août 2006 par lequel la société Afa se déclare satisfaite des résultats en ces termes " l'année se passe très bien et nous sommes en ligne par rapport aux objectifs que nous nous étions fixés en début d'année tant en chiffre d'affaires qu'en rentabilité ", ce qui atteste qu'à cette date, qui est très proche de la cessation du contrat, la société mandante n'avait pas de motifs particuliers de mécontentement.

La lettre de rupture du 30 septembre 2006, qui n'est pas motivée, ne fait pas davantage état d'un quelconque comportement fautif de l'agent, ce qui décrédibilise sérieusement la thèse tardivement défendue par la société Afa, selon laquelle la cessation du contrat aurait été rendue nécessaire par la faute grave de Monsieur Jean-Paul Aunave, alors que la passivité commerciale et le manque de résultats allégués constituent des griefs qui étaient nécessairement connus du mandant et qui n'auraient donc pas dû être tolérés eu égard à leur prétendu caractère de gravité.

En ne contestant à aucun moment avant l'introduction de l'instance le principe du droit à indemnité compensatrice, la société Afa a en outre implicitement, mais nécessairement, admis que la cessation du contrat n'avait pas été provoquée par la faute grave de l'agent.

Répondant à la demande d'indemnisation du 3 octobre 2006, elle a écrit en effet qu'elle restait attentive " à toute proposition d'indemnité qui soit sérieuse ", ce qui démontre que seul le montant de la somme réclamée était discuté.

De la même façon par message électronique du 11 décembre 2006 elle a proposé à M. Jean-Paul Aunave un rendez-vous afin " de discuter ensemble du montant de l'indemnité " de cessation du contrat.

En toute hypothèse elle ne démontre nullement que ce dernier aurait fait preuve d'une grave incurie dans l'exercice de son mandat en négligeant de prospecter de nouveaux clients ou en lui faisant perdre la clientèle de 11 grandes enseignes de la distribution.

A cet effet il sera observé d'une part que le contrat du 17 avril 2004 n'assigne à l'agent aucun objectif particulier tant en volume d'activité qu'en nombre de clients ou de référencements, et d'autre part que les tableaux de chiffres d'affaires et de magasins référencés versés au dossier n'apportent nullement la preuve d'une perte de la clientèle existante sur le secteur concédé, dont M. Jean-Paul Aunave affirme, sans être contredit sur ce point précis, qu'il était initialement vierge de toute clientèle appartenant à la grande distribution.

Pièces justificatives à l'appui ce dernier apporte au contraire la preuve de ses diligences commerciales en vue de l'obtention de référencements auprès de très grandes enseignes de la distribution, dont notamment Auchan, Carrefour, Champion et Casino, ce qui atteste d'une exécution diligente et loyale du mandat.

Les autres griefs faits à M. Jean-Paul Aunave ne sont pas plus établis, alors que si le contrat prévoit une information réciproque il n'impose pas à l'agent d'établir des rapports périodiques d'activité, que par mail du 11 décembre 2006 celui-ci a été remercié pour avoir récupéré avec diligence les " grill paninis " mis à sa disposition, ce qui démontre que ces matériels n'ont pas été fautivement immobilisés sans profit pour la société Afa, et enfin qu'il n'est pas techniquement démontré que contrairement aux instructions reçues, notamment le 10 juin 2005, il aurait été pratiqué des ristournes et des avantages clients excessifs.

La preuve n'étant pas rapportée d'une faute grave rendant impossible la poursuite du mandat d'intérêt commun et nécessitant une rupture immédiate de la relation contractuelle au sens de l'article L. 134-13 du Code de commerce, M. Jean-Paul Aunave réclame par conséquent à bon droit une indemnité compensatrice du préjudice subi, tant en application des dispositions d'ordre public de l'article L. 134-12 du Code de commerce qu'en exécution de l'article 9 du contrat, qui reprend ces dispositions et qui précise que l'indemnité sera calculée selon les usages de la profession d'agent commercial.

Il n'est pas établi que selon les usages professionnels l'agent évincé après deux ans et demi seulement d'activité au service du mandant a droit à une indemnité équivalente à deux années de commissions.

Il est par ailleurs de principe constant que l'indemnisation prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce est destinée à réparer un manque à gagner, et non pas, comme le soutient à tort la société Afa, à compenser la part revenant à l'agent dans la clientèle apportée, créée, ou développée par lui.

Compte tenu de la durée limitée de la relation contractuelle (deux ans et demi) et sur la base des commissions perçues au cours des années 2005 et 2006 à hauteur de la somme non contestée dans son quantum de 22 489 euro, il sera par conséquent alloué à M. Jean-Paul Aunave une indemnité compensatrice de 11 250 euro représentant une année de commissions.

Le redressement judiciaire faisant désormais obstacle à toute condamnation, la créance de Monsieur Jean-Paul Aunave, qui justifie d'une déclaration régulière, sera simplement fixée au passif de la SARL Afa, y compris l'indemnité de procédure de 1 000 euro à laquelle cette dernière a été condamnée en première instance.

L'équité commande enfin de faire à nouveau application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'intimé.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Donne acte à Me Guyot de son intervention volontaire en qualité de mandataire judiciaire de la société Afa, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a consacré le principe du droit à indemnité compensatrice après rupture par la société Afa du contrat de sous-agent commercial conclu le 17 avril 2004 avec M. Jean-Paul Aunave et alloué à ce dernier une indemnité de procédure de 1 000 euro, Réforme le jugement déféré sur le quantum de la condamnation et statuant à nouveau en y ajoutant : ' fixe la créance indemnitaire de M. Jean-Paul Aunave à inscrire au passif chirographaire du redressement judiciaire de la SARL Afa à la somme de 11 250 euro, outre indemnité de 1 000 euro au titre des frais irrépétibles exposés par le demandeur en première instance ' condamne la SARL Afa et Me Guyot ès qualités à payer à M. Jean-Paul Aunave une nouvelle indemnité de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Afa et Me Guyot ès qualités aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP d'avoués Pougnand.