CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 septembre 2011, n° 09-07975
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Laboratoires Arkopharma (SA)
Défendeur :
Pierre Fabre Médicament (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Le Fèvre
Conseillers :
MM. Roche, Vert
Avoués :
Me Olivier, SCP Duboscq, Pellerin
Avocats :
Mes Giudice, Dumont
LA COUR,
Vu le jugement du 20 mars 2009 par lequel le Tribunal de Commerce de Paris a notamment :
- dit que la société Laboratoires Arkopharma avait commis des actes de concurrence déloyale en commercialisant un produit Lipoféine dont la présentation imite celle de Percutaféine,
En conséquence,
- fait interdiction à la société Laboratoires Arkopharma de commercialiser ou d'offrir au public son produit Lipoféine sous un conditionnement présentant les caractéristiques du conditionnement Percutaféine, sous astreinte de 500 euro par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement,
- condamné cette dernière à payer à la société Pierre Fabre Médicament une somme de 150 000 euro au titre des actes de concurrence déloyale de sa présentation,
- ordonné l'insertion dans cinq journaux au choix de la société Pierre Fabre Médicament et aux frais de la société Laboratoires Arkopharma, dans la limite de 7 000 euro HT par insertion suivant la signification du présent jugement,
- condamné la société Laboratoires Arkopharma à payer une somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire sauf en ce qui concerne les publications ;
Vu l'appel interjeté par la société Laboratoires Arkopharma et ses conclusions du 29 avril 2011 ;
Vu les conclusions de la société Pierre Fabre Médicament en date du 30 mai 2011 ;
Sur ce,
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
Courant 1982 la société Pierre Fabre Médicament, laquelle est spécialisée dans le domaine de la conception, du développement ainsi que de la commercialisation de médicaments au sein du groupe pharmaceutique Laboratoires Pierre Fabre, a lancé un produit dénommé "Percutaféine", et représentant un médicament consistant en un gel amincissant d'application locale à base de 5 % de caféine destiné à lutter contre la cellulite.
Ayant découvert, à la fin du mois de février 2007, le lancement par la société Laboratoires Arkopharma, entreprise spécialisée dans la commercialisation de produits de phytothérapie et de compléments alimentaires à base de plantes, d'un gel amincissant se présentant sous la forme d'un médicament composé également de 5 % de caféine et dont le conditionnement fut estimé par la société Pierre Fabre Médicament de nature à engendrer un risque de confusion avec celui de son produit Percutaféine, cette dernière a, le 27 mars 2007, mis en demeure l'intéressée de modifier son "packaging de Lipoféine".
Cette mise en demeure étant restée vaine, la société Pierre Fabre Médicament a, par acte du 20 juillet 2007, assigné la société Laboratoires Arkopharma devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins d'indemnisation de son préjudice ainsi que d'injonctions de cesser de tels actes de concurrence déloyale et parasitaire.
C'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement susvisé présentement déféré.
Sur la responsabilité
Considérant que s'il ne saurait être reproché à des sociétés concurrentes de commercialiser des produits destinés à une même clientèle et qui répondent aux mêmes besoins et s'il appartient à tout opérateur économique de choisir à sa convenance le décor ou le conditionnement de ses produits dès lors que celui-ci reprend des éléments non protégés, la loyauté commerciale commande de maintenir une différenciation suffisante sur le plan graphique et de ne pas s'approprier des caractéristiques du conditionnement du produit diffusé le premier sur le marché considéré et ce afin d'éviter tout risque de confusion dans l'esprit de la clientèle potentielle ; que, par ailleurs, il sera rappelé que le bien-fondé de l'action en concurrence déloyale fondée sur la similitude du conditionnement des produits concurrents s'apprécie d'après les ressemblances et non d'après les différences, le juge devant rechercher si l'impression d'ensemble est de nature à générer une confusion dans l'esprit de la clientèle qui n'a pas les deux éléments en même temps sous les yeux ;
Considérant, en l'espèce, que les sociétés parties au litige sont en relation de concurrence directe sur le même segment de marché, les mêmes réseaux étant chargés de présenter leurs produits à une clientèle identique ; que les produits litigieux étant eux-mêmes intrinsèquement semblables, le mode de présentation de ceux-ci, et notamment leur conditionnement, joue un rôle essentiel dans leur commercialisation ;
Considérant, en l'occurrence, que le conditionnement du produit Lipoféine reprend la plupart des éléments caractéristiques de l'emballage de Percutaféine ; qu'ainsi le conditionnement est de taille et de forme quasi-identique, retient une même combinaison de couleur verte, bleue et blanche et présente une même courbe sinusoïdale descendant du haut de la boîte vers le premier tiers à gauche puis se poursuivant vers le centre en bas, départageant les couleurs susmentionnées ; que s'y observe également une disposition identique des mentions imprimées :
- la dénomination placée au premier tiers de l'emballage en partant du haut sur fond bleu, soulignée d'une fine ligne horizontale, se terminant par la désinence "féine",
- les indications relatives au traitement au dessous de la ligne horizontale soulignant la dénomination,
- l'indication "caféine" placée dans le tiers bas de la boîte, à droite,
- un motif symbolisant l'action du produit sur la courbe, accompagné de l'indication du composant "caféine", placé exactement au même endroit, au deuxième tiers de l'emballage ;
Considérant, enfin, qu'aucun élément du dossier ne permet de démontrer que la présentation choisie par l'appelante pour le produit Lipoféine était induite par la nature de celui-ci ou les exigences de sa commercialisation ;
Considérant qu'il s'ensuit que l'impression d'ensemble dégagée par les emballages conduit à penser que le produit commercialisé par la société Laboratoires Arkopharma ne serait qu'une déclinaison de celui antérieurement mis sur le marché par la société intimée ; qu'une semblable présentation du produit Lipoféine avec le risque susanalysé de confusion avec un produit concurrent et, donc, de détournement de clientèle est constitutive, en tant que telle, d'un acte de concurrence déloyale engageant la responsabilité de son auteur ;
Considérant, de même, que l'appelante en s'inspirant sensiblement de l'emballage du produit Percutaféine s'est approprié une valeur économique individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'une recherche et d'un travail de conception spécifique ; qu'elle a ainsi également commis un agissement parasitaire fautif, lequel rompt l'égalité entre les divers intervenants, fausse le jeu normal du marché et provoque ainsi un trouble commercial ;
Sur le préjudice
Considérant qu'au regard des fautes ainsi commise par la société appelante, des sommes engagées par l'intimée pour la promotion de Percutaféine, notamment depuis la mise en place de son nouveau conditionnement, du chiffre d'affaires généré par ledit produit et de l'évolution de celui-ci telle qu'elle résulte des différentes attestations versées aux débats, la cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour évaluer à 150 000 euro le préjudice indemnisable de la société Pierre Fabre Médicament à mettre à la charge de la société Laboratoires Arkopharma ;
Sur les mesures d'interdiction et de publication sollicitées par l'intimée
Considérant que la cour fait siennes les mesures prononcées à ce titre par les premiers juges et dit n'y avoir lieu à des mesures supplémentaires que n'exige aucunement la nature du litige opposant les parties ;
Sur la demande en dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Laboratoires Arkopharma ainsi qu'en restitution des sommes déjà versées du fait de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré
Considérant que l'appelante succombant en toutes ses prétentions ne saurait utilement imputer à l'intimée d'avoir engagé une prétendue "procédure abusive" à son encontre ; que, de même, la confirmation de la condamnation prononcée à son encontre exclut toute possible restitution de sommes versées ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer en toutes ses dispositions le jugement sauf en ce qu'il a dit que la société Laboratoires Arkopharma n'avait pas commis d'acte de parasitisme, de l'infirmer de ce chef et, statuant à nouveau, de dire que l'appelante a également commis un tel acte, y ajoutant, de débouter les parties du surplus de leurs demandes respectives ;
Par ces motifs : - Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a dit que la société Laboratoires Arkopharma n'avait pas commis d'acte de parasitisme. - L'infirme de ce seul chef. Et statuant à nouveau, - Constate la commission par l'appelante d'acte de parasitisme. Y ajoutant, - déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives. - Condamne la société Laboratoires Arkopharma aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile. - La condamne aussi à payer à la société Pierre Fabre Médicament la somme de 6 000 euro au titre des frais hors dépens.