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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 27 avril 2011, n° 09-12968

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Asics France (SAS)

Défendeur :

Cora (SAS), International Sport Fashion (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Giroud

Conseillers :

Mmes Mouillard, Saint-Schroeder

Avoués :

Me Teytaud, SCP Duboscq, Pellerin, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Fabre, Binder, Mergui

T. com. Paris, du 29 avr. 2009

29 avril 2009

Vu le jugement rendu le 29 avril 2009 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :

- débouté la société Asics France de la totalité de ses demandes,

- débouté la société International Sport Fashion (ISF) de ses demandes reconventionnelles formées à l'encontre de la société Asics France,

- dit sans objet les demandes formées par la société Cora à l'encontre de la société ISF,

- condamné la société Asics France, par application de l'article 700 du Code de procédure civile, à payer la somme de 7 000 euro à la société ISF et celle de 4 000 euro à la société Cora,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société Asics France aux dépens ;

Vu l'appel relevé par la société Asics France et ses dernières conclusions signifiées le 15 février 2011 par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles L. 121-1 et L. 213-1 du Code de la consommation ainsi que des articles 1382 et suivants du Code civil, de :

- in limine litis, faire injonction à la société Cora de lui communiquer, dans le délai à fixer par la cour, le nombre d'exemplaires de catalogues distribués à l'intérieur et en dehors de supermarchés Cora et Record ainsi que le nombre et la nature de tous autres supports publicitaires qui ont décliné la publicité incriminée,

- au fond, sur la demande principale, infirmer le jugement et, statuant à nouveau :

* dire que l'encart publicitaire promouvant la vente du modèle " Whizzer Lo " commercialisé par la société Cora est constitutif d'une publicité trompeuse et mensongère,

* dire que les agissements de la société Cora sont constitutifs d'une faute délictuelle et qu'ils ont porté atteinte à son image et à sa notoriété ainsi qu'à celle de la marque Asics et des produits vendus sous cette marque,

* condamner la société Cora à lui payer la somme de 100 000 euro,

* faire interdiction à cette société d'utiliser à l'avenir la publicité considérée quel que soit le support utilisé et, de façon générale, d'utiliser toutes nouvelles allégations mensongères et trompeuses concernant les chaussures Asics sur tout nouveau support publicitaire de quelque nature qu'il soit,

- sur les demandes reconventionnelles de la société ISF :

* confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes formées à son encontre,

* à titre subsidiaire, constater que la société ISF ne justifie ni de l'existence ni du quantum de son préjudice et, en conséquence, la débouter de ses demandes,

- en tout état de cause, débouter les sociétés Cora et ISF de leurs demandes et les condamner solidairement à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Cora aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 9 juin 2010 par la société Cora qui demande à la cour, au visa de l'article 1382 du Code civil :

- à titre principal, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions la concernant, condamner la société Asics à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l' article 700 du Code de procédure civile, la condamner aux dépens de première instance et d'appel,

- à titre subsidiaire, si la cour estimait que l'erreur commise sur la composition du produit est constitutive d'une faute, de dire que cette faute engage la responsabilité de la société ISF, condamner cette dernière à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre en principal, intérêts et frais et à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l' article 700 du Code de procédure civile, la condamner aux dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions signifiées les 25 février 2011 par la société International Sport Fashion (ISF) qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement, notamment en ce qu'il a débouté la société Asics de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Asics à lui payer :

* la somme de 20 000 euro, à titre de dommages-intérêts, pour tromperie et publicité mensongère à son détriment, par application des articles L. 121-1 et L. 213-1 du Code de la consommation,

* la somme de 20 000 euro, à titre de dommages-intérêts, pour abus de son droit d'agir en justice,

* la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture du 1er mars 2011 ;

Vu les conclusions du 1er mars 2001 par lesquels la société Cora demande le rejet des pièces n° 16 à 21 communiquées par la société Asics France le 1er mars 2011 ;

Vu les conclusions du 2 mars 2011 par lesquelles la société Asics France s'oppose au rejet de ces pièces ;

Sur ce, LA COUR

Considérant, sur la procédure, qu'il n'y a pas lieu d'écarter des débats la pièce n° 16, qui est la chaussure " Whizzer Lo ", déjà communiquée aux parties en première instance ; qu'en revanche, en communiquant de nouvelle pièces n° 17 à 21 le jour de la clôture, la société Asics France a mis la société Cora dans l'impossibilité de les examiner et de faire valoir ses observations les concernant, manquant ainsi au principe de la contradiction et à la loyauté des débats; que ces pièces doivent donc être écartées des débats par application des articles 15 et 16 du Code de procédure civile ;

Considérant, au fond, que la société Asics France, ci-après Asics, se présente comme fabricant des vêtements ainsi que des chaussures de sport et de détente ; que la société International sport fashion, ci-après ISF, qui a pour activité la commercialisation en gros de vêtements de prêt-à-porter dit sportswear et de chaussures de sport, a revendu à Cora, qui exploite des hypermarchés sous les enseignes Cora et Record, des chaussures fabriquées par Asics, modèle " Whizzer Lo " ;

Que reprochant à Cora d'avoir diffusé un catalogue fin janvier/début février, à l'occasion de la Saint Valentin, catalogue distribué dans les boîtes aux lettres et à l'intérieur des hypermarchés et contenant des informations fausses sur ce modèle et d'avoir ainsi commis une publicité mensongère, Asics l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Paris et Cora a appelé ISF en garantie; que par le jugement déféré, le tribunal a débouté Asics de ses demandes et a dit sans objet l'appel en garantie de Cora contre ISF;

Considérant que Asics, appelante, expose qu'en page 11 du catalogue figure un encart contenant une photographie du modèle " Whizzer Lo " et le message suivant : "Jogger lacet femme ou homme "Asics Whizzer" dessus cuir et synthétique, doublure et semelle intérieure textile, semelle extérieure caoutchouc, du 36 au 44", avec indication du prix de 49,90 euro la paire; qu'elle soutient que cette publicité diffusée par Cora par voie de prospectus et sur son site Internet contient des informations mensongères, différentes de celles qu'elle a fournies, qui ont induit en erreur le consommateur moyen et lui ont causé préjudice à elle; qu'elle reproche à Cora d'avoir agi en violation de l'article L. 121 du Code de la consommation et, par le même fait, commis une faute délictuelle au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Que l'appelante fait valoir, pour l'essentiel :

- que la désignation de la chaussure sous le terme " jogger " est mensongère et trompeuse, cette chaussure n'étant pas destinée à la pratique du jogging, c'est-à-dire la course à pied,

- que la composition du modèle est elle-aussi mensongère et trompeuse, la tige du modèle correspondant au dessus de la chaussure étant exclusivement composée de synthétique de type cuir et non de cuir et synthétique ;

Qu'elle se réfère aux mentions figurant sur son catalogue, à l'étiquette intérieure de la chaussure et aux pictogrammes figurant sur l'une des étiquettes pour justifier des informations qu'elle a fournies qu'elle estime dépourvues de toute ambiguïté; qu'elle en déduit que ISF ne peut valablement prétendre que c'est elle qui aurait enfreint les dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;

Considérant que pour s'opposer aux prétentions de l'appelante, Cora allègue que seule Asics est à l'origine de la mention erronée figurant sur le catalogue; qu'elle conteste le caractère trompeur du terme "jogger" en soulignant que la publicité litigieuse ne laisse nullement entendre que le modèle est une chaussure de sport, que l'examen du modèle permet de se rendre compte que la chaussure, basse et sans contreforts, à la semelle particulièrement mince, n'est pas adaptée au sport, mais à la marche urbaine et aux déplacements quotidiens et que Asics n'a fourni aucune information au consommateur sur l'usage de la chaussure qui figure à son catalogue sous la rubrique "Sportstyle"; qu'elle fait valoir que la désignation de la composition de la chaussure figurant sur l'étiquette intérieure apposée par Asics, non conforme à la réglementation, est de nature à induire en erreur le consommateur, le mot cuir étant utilisé alors qu'il s'agissait exclusivement d'une matière synthétique; que selon elle, le tribunal a justement retenu que le litige n'aurait pas existé si Asics avait pris le soin de fournir une traduction exacte de la mention "synthetic leather upper", soit dessus synthétique semblable à du cuir; qu'elle se réfère au rapport d'expertise privée produit par ISF selon lequel l'expression "cuir synthétique" est un non-sens;

Que Cora ajoute qu'elle n'a pas commis de faute, mais une simple erreur provoquée par Asics elle-même, que s'il y avait eu publicité mensongère de sa part, seuls les consommateurs effectivement lésés auraient été fondés à s'en plaindre et que les responsabilités encourues doivent être appréciées en tenant compte des qualités de professionnels de chacun des intervenants ;

Qu'à titre subsidiaire, Cora demande la condamnation de ISF à la garantir de toutes condamnations ;

Considérant qu'ISF soutient, en se fondant sur les conclusions du rapport d'expertise privée qu'elle a fait établir :

- que l'expression "synthetic leather upper" est un non-sens, l'association des termes "leather" et "synthetic" étant antinomique, que leur traduction en français est "synthétique cuir dessus" et que l'ensemble a pour but de créer une confusion dans l'esprit du consommateur moyen ainsi que d'induire en erreur le professionnel averti,

- que la chaussure est composée de deux matériaux différents : du tissu synthétique traversé par des bandes ayant un aspect de cuir,

- qu'en raison de la mention "synthétique cuir dessus", elle a cru que "le dessus de la chaussure était composé de synthétique (les bandes) et de cuir (le tissu)" ;

- que pour éviter tout risque de confusion, le fabricant aurait dû utiliser le terme "leathery", se traduisant par "semblable à du cuir" ;

Qu'elle précise que les étiquettes étaient les seuls éléments d'information dont elle disposait pour établir sa fiche technique, que dans son catalogue Asics décrit le modèle de la façon suivante : "synthétique de type cuir" ou encore "synthétique de type cuir ou suéde" mais qu'elle n'a jamais eu ces éléments en sa possession ;

Qu'elle ajoute que Asics, leader sur le marché de la chaussure de sport, a joué de sa notoriété en entretenant volontairement la confusion sur la composition de ses modèles, son catalogue présentant trois modèles de chaussures de sport qui sont décrits comme étant composés de "synthétique de type cuir", alors qu'il existe d'autres modèles ayant exactement la même apparence mais en cuir;

Qu'elle en déduit que Asics est la seule responsable de la publicité trompeuse concernant la composition et la qualité de son modèle de chaussure, son but étant de laisser croire au consommateur moyen qui achète une paire de chaussures de sport Asics qu'elle contient du cuir ;

Considérant, cela exposé, que même si ISF n'a pas eu en main le catalogue de Asics, il demeure que :

- l'étiquette intérieure de la chaussure modèle "Whizzer Lo" porte l'indication "Synthetic leather upper "suivie de "Rubber sole", ce qui signifie cuir synthétique dessus et semelle en gomme,

- conformément à la directive européenne 94-11-CE du 30 mai 1996 transposée en droit français par décret du n° 96-477 du 30 mai 1996, prévoyant que la totalité des matières employées dans la confection des chaussures entre dans quatre catégories : cuir, cuir enduit, textile et autre matériau, symbolisées chacune par un pictogramme, l'étiquette extérieure de la chaussure comporte trois pictogrammes signifiant clairement que la tige, c'est-à-dire le dessus de la chaussure est en autre matériau, l'intérieur en textile et la semelle en autre matériau ;

Que la simple consultation des pictogrammes permet d'exclure le cuir comme composant de la chaussure; qu'en sa qualité de professionnelle de la vente de chaussures, ISF n'a pu être induite en erreur par l'indication de cuir synthétique sur l'étiquette intérieure, ne pouvant ignorer la différence entre le cuir, matériau naturel d'origine animale et le cuir synthétique qui ne l'est pas ;

Que de plus, le modèle de chaussure a été inexactement qualifié de "jogger" alors qu'il ne s'agit pas d'une chaussure de sport ;

Considérant, en conséquence, qu'en diffusant des informations erronées pour présenter le modèle de chaussure à la vente dans ses hypermarchés, Cora a commis une faute qui engage sa responsabilité à l'égard du fabricant Asics; qu'en présentant la chaussure comme composée de cuir et synthétique, alors qu'elle n'était pas constituée de cuir, et comme une chaussure de sport, ce qu'elle n'était pas, Cora a porté atteinte à l'image et à la notoriété de Asics, lui causant ainsi un préjudice direct et certain; que sans qu'il soit nécessaire d'enjoindre à Cora de communiquer le nombre d'exemplaires de catalogues distribués à l'intérieur et en dehors de ses hypermarchés, ni le nombre et la nature des autres supports publicitaires ayant décliné la publicité incriminée, les éléments résultant du dossier et des faits permettent à la cour d'évaluer le préjudice subi, en réparation duquel Cora devra payer la somme de 25 000 euro , à titre de dommages-intérêts; qu'il convient de lui interdire d'utiliser à l'avenir la publicité incriminée, sans qu'il y ait lieu de lui interdire d'utiliser " toutes nouvelles allégations mensongères et trompeuses concernant les chaussures Asics ", ce qui constituerait une condamnation préventive, non justifiée ;

Considérant que ISF a signé avec Cora un engagement de garantie par lequel elle s'est engagée à la garantir et relever de toute action judiciaire en contrefaçon, concurrence déloyale et publicité mensongère et toutes condamnations de quelque nature que de ce soit qui pourraient être prononcées à son encontre; qu'en conséquence, ISF doit garantir Cora de l'intégralité des condamnations prononcées contre Cora envers Asics ;

Considérant que pour les motifs plus haut développés, c'est en vain que ISF reproche à Asics d'avoir fourni une information insuffisante, imprécise ou génératrice de confusion; qu'elle ne démontre en aucune façon que Asics aurait voulu tromper le consommateur en lui faisant croire que la chaussure était en cuir; que sa demande en dommages-intérêts pour tromperie sur le fondement des articles L. 121-1 et L. 213-1 du Code de la consommation est donc mal fondée; que succombant en ses prétentions, elle est tout aussi mal fondée en sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Considérant, vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, qu'il y a lieu d'allouer une indemnité de ce chef à Asics et de rejeter les demandes des autres parties à ce titre ;

Par ces motifs, Rejette des débats les pièces communiquées par la société Asics France le 1er mars 2011 sous les numéros 17 à 21, Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société International Sport Fashion de ses demandes indemnitaires contre la société Asics France, Statuant à nouveau : Condamne la société Cora à payer à la société Asics France la somme de 25 000 euro, à titre de dommages-intérêts, Fait interdiction à la société Cora d'utiliser à l'avenir la publicité incriminée quel que soit le support utilisé, à savoir, pour le modèle Whizzer Lo : "Jogger lacet femme ou homme "Asics Whizzer" dessus cuir et synthétique, doublure et semelle intérieure textile, semelle extérieure caoutchouc", Condamne in solidum la société Cora et la société International Sport Fashion à payer la somme de 6 000 euro à la société Asics France par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société International Sport Fashion à garantir la société Cora de toutes les condamnations prononcées contre elle, Rejette toutes les autres demandes des parties, Condamne in solidum la société Cora et la société International Sport Fashion aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.