Cass. com., 15 novembre 2011, n° 10-20.527
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Veolia transport (SA)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi , Autorité de la concurrence, Transdev (SA), Kéolis (SA), Procureur général près la Cour d'appel de Paris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
M. Jenny
Avocat général :
M. Carre-Pierrat
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Monod, Colin, SCP Piwnica, Molinié, SCP Baraduc, Duhamel
LA COUR : - Joint les pourvois n° 10-20.851, 10-20.527 et 10-20.881, qui attaquent le même arrêt ; - Statuant tant sur les pourvois principaux formés par les sociétés Kéolis, Veolia transport (anciennement dénommée Connex) et Transdev, que sur le pourvoi incident formé par la société Kéolis ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 9 octobre 2007, pourvois n° 06-12.446 et n° 06-12.596), qu'à l'issue d'une enquête réalisée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (la DGCCRF), ayant donné lieu à des visites et saisies dans les locaux de plusieurs entreprises à la suite d'une autorisation délivrée par le président du tribunal de grande instance, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a, le 7 juillet 2000, saisi le Conseil de la concurrence (le Conseil) de pratiques relatives à l'exercice de la concurrence dans le secteur du transport public de voyageurs ; que par décision du 5 juillet 2005 (n° 05-D-38), le Conseil a estimé que la société Connex, anciennement société CGEA transport et devenue Veolia transport (la société Veolia transport), la société Kéolis, anciennement société VIA-GTI (la société Kéolis), et la société Transdev s'étaient rendues coupables de faits d'entente, prohibés par l'article L. 420-1 du Code de commerce ainsi que par l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne, en se concertant pour coordonner, au niveau national, leurs comportements dans le cadre des procédures de délégation de service public qui ont été suivies pour l'attribution, dans diverses villes du territoire national, des marchés du transport public urbain de voyageurs venus à échéance entre 1994 et 1999 ; qu'en raison de ces faits, le Conseil, par cette même décision, a infligé à la société Kéolis, à la société Veolia transport et à la société Transdev une sanction pécuniaire s'élevant respectivement à 3 900 000, 5 050 000 et 3 000 000 euros, leur a enjoint de faire publier à leurs frais, dans deux revues spécialisées, certains passages de ladite décision et de justifier de ces publications ;
Sur l'irrecevabilité du pourvoi incident n° 10-20.527, relevée d'office, après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du Code de procédure civile : - Vu l'article 611-1 du Code de procédure civile ; - Attendu qu'une même personne, agissant en la même qualité, ne peut former qu'un seul pourvoi en cassation contre la même décision ;
Attendu que la société Kéolis a formé le 19 octobre 2010, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 15 juin 2010, un pourvoi incident en réponse au pourvoi formé par la société Veolia transport et enregistré sous le n° 10-20.527 ;
Attendu que la société Kéolis, qui, en la même qualité, avait déjà formé contre la même décision, le 19 juillet 2010, un pourvoi enregistré sous le n° 10-20.851, n'est pas recevable à former un nouveau pourvoi en cassation ;
Sur le moyen unique du pourvoi de la société Keolis n° 10-20.851 pris en ses deux premières branches et le moyen unique du pourvoi de la société Transdev n° 10-20.881 pris en ses deux premières branches, réunis : - Attendu que les sociétés Kéolis et Transdev font grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevables leurs recours incidents, alors, selon le moyen : 1°) que lorsqu'il existe un lien d'indivisibilité entre les parties, le rejet du pourvoi en cassation de l'une d'elles ne fait pas obstacle à ce qu'elle profite de la cassation intervenue sur le pourvoi d'une autre partie ; qu'il existe un lien d'indivisibilité entre les participants à une même entente et plus encore entre les coauteurs d'une entente globale à trois ; qu'en interdisant à la société Kéolis d'intervenir devant la juridiction de renvoi à défaut de justifier d'un lien d'indivisibilité et dans la mesure où son pourvoi en cassation avait été rejeté, la cour de renvoi a violé l'article 615 du Code de procédure civile, ensemble les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, devenu 101 du TFUE ; 2°) qu'en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, le pourvoi de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l'instance de cassation ; que l'indivisibilité à l'égard du demandeur au pourvoi et de la partie qui ne s'est pas jointe à l'instance de cassation s'apprécie essentiellement au regard de l'objet du litige et, s'agissant d'une procédure engagée devant le Conseil de la concurrence contre plusieurs entreprises sur la base d'un grief d'entente entre elles, au regard des faits constitutifs de ce grief et non pas au regard de questions de forme ou de procédure ni des modalités de fixation ou d'exécution des sanctions ; qu'en se fondant, pour écarter l'indivisibilité, sur des éléments inopérants tirés de ce que le grief identique d'entente reproché aux trois entreprises leur a été notifié séparément et que la sanction a été déterminée de manière individuelle et qu'elle peut faire l'objet d'une appréciation et d'une exécution séparée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 615 du Code de procédure civile ; 3°) qu'en affirmant que la société Kéolis ne pouvait justifier d'aucun lien d'indivisibilité dans la mesure où les griefs ont été notifiés séparément à chaque entreprise et que chaque sanction peut être exécutée séparément, tout en constatant que l'existence d'une entente à trois notifiée aux intéressées ne pouvait pas être établie sans examiner le comportement de la société Kéolis, ce dont il résultait que les comportements des trois sociétés en cause étaient indivisibles, la cour de renvoi a violé de plus fort l'article 615 du Code de procédure civile, ensemble les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, devenu 101 du TFUE ; 4°) qu'il existe un lien d'indivisibilité entre les intérêts des diverses entreprises faisant l'objet d'une poursuite unique pour avoir constitué entre elles une entente prohibée ; que le grief n° 3 d'entente notifié aux sociétés Transdev, Kéolis et Veolia transport était conjoint aux trois entreprises puisqu'il leur était reproché d'avoir organisé au plan national une concertation pour se répartir les marchés du transport public urbain de voyageurs entre 1994 et 1999 et que, sur ce grief, le Conseil de la concurrence avait conclu que les trois sociétés avaient cordonné leurs comportements, au plan national, dans le cadre des procédures de délégation de service public en matière de transport collectif urbain, mis en œuvre une coopération explicite au niveau de leurs directions générales et constitué un cartel en instituant une entente horizontale, stable et pérenne pour se partager ces marchés et ne pas se faire concurrence, ces pratiques de cartel étant contraires aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et justifiant par conséquent l'application de sanctions ; qu'en considérant cependant que le pourvoi de la société Veolia transport et la cassation prononcée dans le cadre de ce pourvoi ne produisaient pas d'effet à l'égard de la société Transdev, la cour d'appel a violé l'article 615 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'indivisibilité au sens des dispositions de l'article 615 du Code de procédure civile est caractérisée lorsqu'il existe une impossibilité juridique d'exécution simultanée de deux décisions, tenant à leur contrariété irréductible; que l'arrêt retient que le seul fait qu'un grief identique d'entente ait été reproché à la société Transdev et à la société Veolia transport ne suffit pas à forger un lien d'indivisibilité susceptible de conduire la société Transdev et la société Kéolis à se prévaloir de la cassation qui est intervenue, dès lors qu'au regard de ce grief notifié séparément à chacune de ces entreprises, le Conseil leur a infligé, après l'avoir déterminée de manière individuelle, une sanction qui peut être appréciée, puis, le cas échéant, exécutée séparément ; qu'ayant ainsi fait ressortir l'absence d'indivisibilité juridique de la décision à l'égard des sociétés Transdev, Veolia transport et Kéolis, la cour d'appel en a exactement déduit que les recours incidents de la société Transdev, laquelle n'avait pas formé de pourvoi à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel en date du 7 février 2006, et de la société Kéolis, dont le pourvoi avait été rejeté par la Cour de cassation, étaient irrecevables ; que le moyen, inopérant en ses troisième et quatrième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu que le moyen unique du pourvoi de la société Kéolis n° 10-20.851 pris en sa troisième branche et le moyen unique du pourvoi de la société Transdev n° 10-20.881, pris en sa troisième branche ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi de la société Veolia transport n° 10-20.527, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 6 § 1er de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; - Attendu que pour rejeter le recours de la société Veolia transport contre l'ordonnance d'autorisation de visites et de saisies rendue le 17 décembre 1998 par le président du tribunal de grande instance, l'arrêt relève qu'en dépit du prononcé entre-temps par le Conseil d'une décision de condamnation, un tel recours satisfait cependant aux exigences de l'article 6 § 1 er de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales en ce qui concerne le droit à un procès équitable, dès lors qu'il revient seulement à la cour d'appel de vérifier, indépendamment de l'examen du fond de l'affaire, et sans que cela implique pour autant une appréciation préalable de sa part sur le bien-fondé des griefs et des sanctions, si le juge qui a autorisé les opérations de visites et saisies l'a fait, dans les conditions prescrites par l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 450-4 du Code de commerce, au vu de présomptions suffisantes d'une pratique anticoncurrentielle ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'examen de l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles autorisant les visite et saisie par la même formation de jugement que celle appelée à statuer sur le bien-fondé des griefs retenus et de la sanction prononcée au titre de ces pratiques est de nature à faire naître un doute raisonnable sur l'impartialité de la juridiction, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : déclare irrecevable le pourvoi incident formé par la société Kéolis ; casse et annule, mais seulement en ce qu'il a rejeté le recours de la société Veolia transport, l'arrêt rendu le 15 juin 2010, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.