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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 18 octobre 2011, n° 09-04713

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Finatech (SA)

Défendeur :

GmbH Seith Fördertechnick (Sté), Seith France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Marion

Conseillers :

MM. Hoffbeck, Babo

Avocats :

Mes Alexandre, Schneider

TGI Mulhouse, du 7 juill. 2004

7 juillet 2004

La SAS Auramo France a été créée en 1988 et a pour activité le négoce d'équipements et de matériels de manutention.

Se plaignant d'une brusque rupture des relations contractuelles avec son fournisseur allemand et de la création concomitante d'une filiale venant prendre sa place de distributeur en France, la SAS Auramo France a fait assigner la société de droit allemand Seith Fördertechnik GmbH (ci-après dénommée société Seith GmbH) et la filiale nouvellement créée, la SAS Seith France, en indemnisation du préjudice subi sur le fondement de l'article 36.5° de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ultérieurement devenu l'article L. 442-6.I.5° du Code de commerce, ainsi qu'en concurrence déloyale.

Elle a ainsi réclamé leur condamnation in solidum à payer une somme de 1 250 081,90 euro à titre de dommages-intérêts.

Elle a subsidiairement réclamé l'instauration d'une expertise comptable et le versement d'une provision.

Les défenderesses se sont opposées aux prétentions de la SAS Auramo France et ont réclamé reconventionnellement le paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Par un jugement du 7 juillet 2004, la Chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Mulhouse a débouté les parties de leurs prétentions respectives.

Pour débouter la SAS Auramo France de sa demande fondée sur la rupture sans préavis suffisant d'une relation commerciale établie, les premiers juges ont essentiellement relevé :

- que la société Seith GmbH était en droit d'organiser la distribution de ses produits, respectivement de modifier les conditions de diffusion de ses produits ;

- que la SAS Auramo France, qui ne bénéficiait d'aucun droit acquis au maintien de sa situation, a été avertie de la réorganisation à intervenir à l'issue d'un délai de préavis d'un mois et dix jours pour les nouvelles commandes (de deux mois et dix jours pour les commandes de pièces détachées) ;

- qu'elle n'a passé aucune nouvelle commande de produits Seith et qu'elle n'établit donc pas s'être heurtée, en dépit de la création de la SAS Seith France, à un quelconque refus de vente de la part de cette dernière, ni à une quelconque difficulté d'approvisionnement ;

- qu'à défaut de s'être rapprochée de la SAS Seith France, elle n'établit pas s'être heurtée au refus de celle-ci de lui consentir des remises équivalentes à celles dont elle bénéficiait de la part de la société Seith GmbH pour vendre des produits Seith sous son propre nom ;

- qu'ainsi donc, faute de démontrer l'impossibilité d'approvisionnement auprès du distributeur désigné par la société Seith GmbH, la SAS Auramo France ne caractérise pas l'infraction aux dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Selon une déclaration enregistrée au greffe le 9 septembre 2004, la SAS Auramo France a interjeté appel de ce jugement.

Par un arrêt du 7 juillet 2004 [sic], la Cour d'appel de Colmar est venue confirmer le débouté des prétentions respectives, notamment de la demande émanant de la SAS Auramo France fondée tant sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce que sur la concurrence déloyale.

Sur pourvoi formé par la SA Finatech venant aux droits de la SAS Auramo France, la Cour de cassation, par un arrêt du 21 octobre 2008, a cassé la décision rendue par la Cour de Colmar, mais uniquement en ce qu'elle avait rejeté la demande de dommages-intérêts sur la violation de l'article L. 442-6 du Code de commerce, et a renvoyé les parties devant la même cour autrement composée.

Elle a estimé que pour rejeter la demande de dommages-intérêts fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies, la cour d'appel avait retenu que l'article L. 442-6 du Code de commerce ne pouvait pas s'appliquer aux relations commerciales internationales, quels que puissent être les raisonnements sur la loi applicable ou sur son caractère plus ou moins impératif ; qu'en statuant ainsi, alors que le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur, et que la loi applicable à cette responsabilité est celle de l'Etat du lieu où le fait dommageable s'est produit, la cour d'appel avait violé les dispositions susvisées.

Le 18 novembre 2008, la SA Finatech venant aux droits de la SAS Auramo France a repris l'instance d'appel après cassation.

Une radiation est intervenue le 10 mars 2009, faute pour les parties d'avoir déposé des conclusions depuis la reprise d'instance.

Un acte de reprise d'instance a été déposée le 7 octobre 2009, accompagné des conclusions de la société appelante.

Par ses dernières conclusions déposées le 14 septembre 2010, la SA Finatech venant aux droits de la SAS Auramo France reprend ses prétentions initiales et demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de ses prétentions dirigées contre la société Seith GmbH et, statuant à nouveau, de :

- condamner la société Seith GmbH à payer à la concluante une somme de 1 250 081,90 euro, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 2000, date d'effet de la rupture ;

- en tant que de besoin, ordonner une expertise comptable avec pour mission de chiffrer le préjudice subi par la concluante en raison de la rupture brutale des relations commerciales ;

- condamner dans ce cas la société Seith GmbH à payer à la concluante une provision de 750 000 euro, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 2000, et réserver à la concluante de chiffrer son complet préjudice après dépôt du rapport d'expertise ;

- condamner la société Seith GmbH aux entiers frais et dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de son appel, la SA Finatech venant aux droits de la SAS Auramo France expose préalablement :

- que depuis sa création, elle avait deux fournisseurs principaux, d'une part la société Auramo Finlande (laquelle est également actionnaire à 25 % de la société française) et d'autre part la société Seith GmbH ; qu'elle avait assuré l'implantation des produits Seith en France ; que le chiffre d'affaires de la société allemande était passé de zéro à 10 millions d'euros par an entre 1988 et l'an 2000 ; que l'importance du courant d'affaires entre les parties était prépondérante, tant pour l'une que pour l'autre ; qu'il n'existait pas d'autre distributeur de produits Seith en France ;

- qu'en octobre 2000 avait été créée une société Seith France, dont les associés étaient la société Seith GmbH à hauteur de 25 % et Monsieur Glaentzlin (ancien responsable commercial de la SAS Auramo France), devenu associé majoritaire de la SAS Seith France et son dirigeant ;

- que le 20 octobre 2000, la société Seith GmbH avait notifié à la SAS Auramo France la rupture de leurs relations commerciales avec effet au 1er décembre 2000 (soit un préavis d'un mois et dix jours) ;

- que le 7 novembre 2000, dans la continuité de la lettre du 20 octobre, la société Seith GmbH avait confirmé à la concluante que les accords commerciaux existant jusqu'alors entre elles devenaient caducs et qu'il appartenait à la SAS Auramo France de se fournir désormais auprès de la SAS Seith France, sans pouvoir bénéficier des remises commerciales antérieures de 32 % et 35 % sur les prix et tarifs ;

- que cette situation avait mis la concluante en grave difficulté, puisque s'étant trouvée privée quasiment du jour au lendemain d'un fournisseur essentiel.

Elle fait ensuite valoir, s'agissant des conditions d'application de l'article L. 442-6.I.5° du Code de commerce :

- que ces conditions sont remplies, la concluante ayant été de fait le seul distributeur des produits Seith en France de 1988 à 2000 ; qu'en tout cas, la société Seith GmbH était devenue un fournisseur tout à fait essentiel pour la concluante, puisque cela représentait un tiers de son chiffre d'affaires ;

- qu'ensuite, la rupture est intervenue sans préavis suffisant ; qu'en effet, dans la mesure où la SAS Auramo France était le distributeur en France des produits de la société Seith GmbH, et que les relations duraient depuis 1988, le changement de méthode de distribution (ayant consisté pour la société Seith GmbH à créer une société Seith France et à lui confier la distribution de ses produits) ne pouvait se faire qu'en respectant un préavis ;

- que cela signifie concrètement que, pendant la durée d'un préavis normal, la SAS Auramo France aurait dû continuer à bénéficier de la distribution des produits par la société allemande, avec les taux de remise de 32 et 35 % ; qu'il y a eu incontestablement rupture des relations commerciales établies ;

- qu'il est admis en jurisprudence que la notion de rupture au sens de l'article L. 442-6 peut être totale ou partielle, et qu'elle peut prendre la forme d'une modification des conditions d'un contrat ou de la demande de s'approvisionner désormais auprès d'un tiers ;

- que le fait pour la concluante de pouvoir se fournir, sans remise (ou même avec d'éventuelles remises à négocier avec le nouveau fournisseur), auprès d'une autre société (Seith France), constituait de nouvelles relations, dans un cadre juridique et économique tout à fait distinct ;

- que pour le moins, il y a eu rupture partielle par modification des conditions économiques de la relation ;

- qu'en second lieu, la société Seith GmbH ne peut sérieusement soutenir qu'il aurait suffi à la SAS Auramo France de travailler désormais avec la SAS Seith France; qu'en effet, par le fait de la société allemande, la SAS Seith France devenait un concurrent direct de la SAS Auramo France ; qu'en outre, la concluante ne pouvait s'approvisionner auprès de la SAS Seith France, laquelle lui proposait désormais des produits Seith sans les remises de 32 % et 35 % qui existaient antérieurement ; qu'en privant la concluante de toute marge, les société adverses rendaient bien évidemment impossible une quelconque poursuite des relations ;

- qu'enfin, la durée du préavis était totalement inadmissible ; qu'en effet, le matériel Seith est un matériel de manutention tout à fait spécifique, pour lequel le travail de prospection auprès de la clientèle est particulièrement long ; que dans ces secteurs d'activité, une durée de deux ans est nécessaire pour trouver un fournisseur industriel remplaçant, pour former les vendeurs aux nouveaux produits techniques, pour prospecter et convaincre la clientèle ; qu'en outre, la concluante se trouvait en état de dépendance économique à l'égard de la société Seith GmbH ; que de fait, elle n'a jamais pu remplacer la société allemande ;

- que la société Seith GmbH n'a jamais invoqué une faute grave et a reconnu le principe d'un droit au préavis, mais en le limitant à cinq semaines ; qu'elle s'est de ce seul fait privée de la possibilité d'invoquer une faute grave, de nature à justifier la rupture avec effet immédiat des relations ;

- que la concluante a toujours respecté ses paiements et la société Seith GmbH n'a pas rompu les relations en invoquant des incidents de paiement.

S'agissant de son préjudice, la société appelante fait encore valoir :

- que la rupture avec un préavis " quasi nul " a été source d'un préjudice important pour la SAS Auramo France ;

- qu'elle doit être indemnisée par la perte de marge sur la durée normale de préavis qui aurait dû être respectée ;

- que le bilan clos au 31 décembre 2001 fait apparaître une baisse de chiffre d'affaires par rapport à l'exercice précédent, correspondant précisément à la perte de la distribution des produits Seith ;

- que la rupture des relations avec la société Auramo Finlande n'a aucunement impacté le bilan clos au 31 décembre 2001, puisque cette rupture s'est faite avec effet au 31 décembre 2002 ;

- que de son côté, la SAS Seith France, qui a récupéré les fruits du travail de 12 années de la SAS Auramo France, a réalisé un démarrage éblouissant ;

- que la concluante (devenue Finatech) n'a pu poursuivre son activité et se trouve aujourd'hui en sommeil ;

- que le chiffrage du préjudice sur deux années de marge, avec pour référence le dernier exercice complet de 12 mois, est donc parfaitement justifié.

Par ses dernières conclusions déposées le 8 février 2011, la société Seith GmbH sollicite la confirmation du jugement entrepris. Elle reprend en outre sa demande de paiement d'une somme de 15 000 euro pour procédure abusive et réclame une indemnité de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle expose préalablement :

- que depuis de nombreuses années, elle comptait un certain nombre de clients en France, parmi lesquels figurait la SAS Auramo France ; que celle-ci était la filiale de la société Auramo Finlande, laquelle fabrique des équipements de série et commercialise sous sa marque des produits en provenance de divers fournisseurs ; que c'était un des leaders mondiaux dans le domaine du matériel de manutention ;

- que la SAS Auramo France commercialisait elle-même tous ses produits sous la marque Auramo et non Seith ;

- que les relations commerciales entre les parties se sont déroulées normalement jusqu'au printemps 2000, période à partir de laquelle la SAS Auramo France n'a plus réglé les factures de la concluante dans les délais usuels, ce qui a généré des encours de paiement de plus en plus importants, au sujet desquels de nombreuses lettres de réclamation et de relance ont été vainement adressées à la société française ;

- qu'à la fin de l'année 2000, la société Seith GmbH a été contactée par Monsieur Glaentzlin, cadre commercial chez Auramo France, celui-ci cherchant un troisième partenaire avec une société italienne Roncari, pour créer, après son départ de chez Auramo, libre de tout engagement, une entreprise dont l'objet serait d'assurer notamment la distribution des produits Seith et Roncari sur le territoire français ;

- que c'est dans ce contexte que la société Seith GmbH a accepté d'entrer à hauteur de 26 % dans le capital de la nouvelle société au nom de Seith France ;

- que c'est également ainsi qu'à la fin de l'année, elle a demandé aux clients français, dont la SAS Auramo France, de passer les futures commandes, à partir du 1er décembre, par l'intermédiaire de la SAS Seith France.

La société intimée fait ensuite observer en réplique :

- que la SAS Auramo France n'était pas la seule entreprise en France à commercialiser des produits fabriqués par la société Seith GmbH ; que l'appelante prétend également faussement qu'elle représentait 100 % des ventes en France du matériel Seith, cette affirmation n'étant étayée par aucun élément ;

- que la SAS Auramo France n'a jamais été le distributeur des fabrications de la société Seith GmbH sur le territoire français ;

- qu'elle commercialisait, à titre principal, des produits en provenance de nombreux autres fournisseurs, parmi lesquels figuraient, outre les produits fabriqués par la société Auramo Finlande, son principal actionnaire et fournisseur, des produits élaborés par d'autres sociétés, telles que Durwen et Mandigers ;

- que les clients de la SAS Auramo France ignoraient en conséquence quels étaient le ou les fabricants des éléments qu'ils pouvaient acquérir auprès de la demanderesse ;

- que les problèmes ont apparu à partir du printemps 2000, avec les difficultés liées au non-paiement à terme des factures, la partie adverse décidant unilatéralement d'augmenter les encours de paiement de près de 50 %, ce qui a mis la concluante en difficulté ; que pas moins de 37 lettres de réclamation et de relance ont vainement été envoyées à la SAS Auramo France ; que celle-ci a manifestement voulu, avec l'arrivée de ses nouveaux dirigeants, imposer le système du crédit-fournisseur, ce que la défenderesse était légitimement en droit de refuser ;

- qu'il est faux de prétendre que la société Seith GmbH aurait rompu les relations commerciales qui existaient jusqu'alors, et sans préavis suffisant ; que la lettre du 20 octobre 2000, transmise par fax du même jour, ne peut d'aucune manière s'analyser comme un refus de vente ou une rupture d'approvisionnement, mais simplement comme l'annonce d'une modification des modalités de distribution de ses produits ;

- que si par impossible la cour devait estimer que la lettre du 20 octobre 2000 constituait l'annonce d'une rupture d'approvisionnement en produits Seith, il y aurait lieu de considérer que le préavis écrit était suffisant pour modifier les modalités de distribution des produits de la société Seith GmbH sur le territoire français ;

- qu'il n'y a pas eu de rupture brutale, puisque toutes les commandes en cours ont été honorées, à l'exception de celles que la SAS Auramo France avait elle-même décidé d'annuler ; que celle-ci pouvait par ailleurs continuer à s'approvisionner auprès du distributeur officiel des produits Seith, ce qu'elle a décidé de ne pas faire ;

- qu'il est constant que la SAS Auramo France n'a jamais pris le moindre contact avec la SAS Seith France en vue de passer des commandes ou même de prendre connaissance de ses conditions de vente et tarifs ; que l'appelante ne peut donc affirmer que la SAS Seith France "lui proposait désormais des produits... sans les remises de 32 et 35 % qui existaient antérieurement" ;

- que la SAS Auramo France, dans les temps qui ont suivi la lettre du 20 octobre 2000, s'est adressée à d'autres fabricants et a pu ainsi, comme cela résulte de son catalogue 2001, trouver d'autres sources d'approvisionnement en produits identiques ou similaires ; qu'elle n'a même pas eu à modifier ses descriptions et dessins ;

- qu'il en résulte que la partie adverse a pu, dès le début de l'année 2001, continuer à commercialiser ses produits, en s'approvisionnant auprès d'autres fabricants.

La société intimée ajoute encore :

- qu'il n'est pas démontré que les diminutions du chiffre d'affaires résultant des bilans des années 2001 et 2002 seraient en relation avec la "rupture brutale" alléguée ;

- qu'en effet, en 2001, la société Auramo Finlande a été rachetée par un groupe italien dirigé par Monsieur Bolzoni (2e mondial dans le domaine des accessoires de levage), lequel disposait de son propre réseau de distribution en France ; que les produits de la société finlandaise, jusqu'alors commercialisés par sa filiale Auramo France, ont donc dorénavant été distribués par le réseau Bolzoni ; que c'est d'ailleurs en raison de l'achat du Groupe Auramo par le Groupe Bolzoni que la SA Finatech a acquis toutes les actions de la SAS Auramo France, auparavant détenues par la maison mère finlandaise ;

- que la chute du chiffre d'affaires que la demanderesse a connu en 2001 et 2002 a donc été provoquée par la défection de la société Auramo Finlande après son rachat par le Groupe Bolzoni, et non pas du fait de la concluante ;

- qu'en réalité, c'est la lettre du 19 décembre 2001, adressée par la société Auramo Finlande à la SAS Auramo France, lui annonçant la rupture de leurs relations commerciales, qui se trouve à l'origine des difficultés rencontrées par l'appelante ;

- qu'il n'est pas soutenu que les nouveaux fournisseurs lui auraient consenti des tarifs moins attrayants que ceux dont la demanderesse bénéficiait auprès de la défenderesse ;

- que cela confirme bien que la chute du chiffre d'affaires connue par la SAS Auramo France en 2001 et 2002 n'a pu être provoquée par la société Seith GmbH ;

- qu'en outre, la partie adverse n'a jamais justifié de la perte de clients qui se seraient approvisionnés auprès de la SAS Seith France plutôt que chez elle ;

- qu'ainsi, l'appelante ne démontre pas l'existence et l'étendue d'un préjudice qui lui aurait été occasionné par la société Seith GmbH.

Sur ce, LA COUR

Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits et moyens ;

Attendu que le débat, sur renvoi après cassation devant la Cour d'appel de Colmar autrement composée, est limité à la demande de dommages-intérêts formée par la SA Finatech venant aux droits de la SAS Auramo France dirigée contre la société Seith GmbH sur le fondement de l'article L. 442-6.I.5° du Code de commerce ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou artisan, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels ;

Attendu qu'il est ajouté que ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résolution sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou de force majeure ;

Attendu qu'il n'est plus discuté de l'applicabilité de ce texte aux deux parties en présence, la loi française devant s'appliquer aux relations commerciales entretenues par un fabricant allemand avec un distributeur français et pour des fournitures effectuées en France ;

Attendu de même que la société Seith GmbH ne conteste plus vraiment l'existence de relations commerciales établies, étant admis que la SAS Auramo France s'approvisionnait régulièrement depuis 1988 auprès de son fournisseur allemand, soit pendant une douzaine d'années, et que la SAS Auramo France représentait la quasi totalité ou du moins la part prépondérante des ventes du matériel Seith en France (équipements et matériels pour la manutention) ;

Attendu qu'à cet égard, l'absence de contrat d'exclusivité signé entre les parties ne modifie en rien la constance de leurs relations commerciales, le chiffre d'affaires réalisé par le distributeur français augmentant d'année en année jusqu'à atteindre 10 millions de francs soit plus de 1 500 000 euro ;

Attendu qu'il importe également peu que la SAS Auramo France n'ait pas été liée par un contrat d'exclusivité auprès de la société Seith GmbH, ou même que d'autres sociétés françaises aient pu se fournir ponctuellement auprès de la société allemande, ou encore de savoir sous quelle marque les matériels étaient vendus en France, dans la mesure où ces éléments ne sont pas nécessaires à la constatation de " relations commerciales établies " ;

Attendu par contre que la société intimée se défend d'avoir rompu brutalement les relations commerciales et estime en tout état de cause que le délai d'un mois et dix jours consenti dans la télécopie du 20 octobre 2000 était largement suffisant ;

Attendu que cette télécopie, adressée par la société Seith GmbH à la SAS Auramo France, était rédigée en ces termes :

" Nous vous informons que nous, société Seith Fördert à Neuendorf, avons pris une participation dans une société française afin de vendre nos produits sous notre nom.

De ce fait, veuillez passer vos commandes à partir du 01.12.2000 à Seith France [...].

Les commandes actuellement en cours seront honorées aux conditions convenues.

Les commandes de pièces détachées pour les équipements livrés seront à passer à partir du 01.01.2001 à Seith France à Guebwiller.

En vous remerciant pour votre collaboration passée et souhaitant pouvoir la continuer par Seith France..." ;

Attendu qu'il était précisé dans un courrier ultérieur du 7 novembre 2000 :

" Nous vous confirmons les termes de notre courrier du 20.10.2000, à savoir que la société Seith GmbH a une participation dans la société Seith France SAS Guebwiller qui de ce fait a le droit d'exister sous notre nom.

Cette société est à partir du 01.12.2000 notre importateur officiel pour la France.

De ce fait, les statuts existants avec Auramo France sont caducs.

En conséquence, les remises de 32 % et 35 % que nous accordions à votre société sur notre prix tarif sont annulées...

Les remises accordées sur nos prix tarifs ainsi que pour les études spéciales ne figurant pas à notre tarif sont à négocier avec la SAS Seith France.

Comptant sur votre compréhension et restant à votre disposition..." ;

Attendu qu'il ressort de façon claire et non équivoque de ces courriers que la société Seith GmbH a mis fin aux relations d'affaires existantes et a demandé à son partenaire de passer dorénavant ses commandes auprès de la SAS Seith France, nouvellement constituée entre la société allemande, un ancien cadre commercial de la SAS Auramo France et un troisième associé italien ; qu'un délai d'un mois et dix jours était toutefois consenti à la SAS Auramo France pour la prise d'effet de cette modification (deux mois et 10 jours pour la commande de pièces détachées) ;

Attendu que cette modification des modalités d'approvisionnement de la SAS Auramo France en matériels Seith, avec perte des remises de 32 % et 35 % accordées jusqu'alors, constituait une rupture des relations commerciales établies, qui se perpétuaient depuis 12 ans ;

Attendu que le volume d'affaires entre les deux sociétés était si important que la société Seith GmbH s'est bien rendue compte qu'elle ne pouvait pas rompre ses relations d'affaires avec la SAS Auramo France sans respect d'un préavis ; qu'elle a toutefois limité ce préavis à une période d'un mois et dix jours ;

Attendu que la société Seith GmbH, dans ses conclusions d'intimée, bien que faisant allusion aux protestations émises tout ou long de l'année 2000 auprès de la SAS Auramo France, laquelle n'avait pas cessé d'allonger les délais de paiement et d'augmenter son encours client, n'a jamais explicitement invoqué le bénéfice de l'exception figurant à l'article L. 442-6.I.5° et écartant toute rupture brutale en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ;

Attendu au demeurant qu'en accordant un délai de préavis, elle a nécessairement admis que les difficultés survenues au cours des derniers mois, liées à l'allongement des délais de paiement par la SAS Auramo France, ayant conduit la société Seith GmbH à lui faire parvenir de nombreuses lettres de rappel, n'étaient pas suffisamment graves pour caractériser une inexécution des obligations contractuelles, de nature à légitimer une rupture sans préavis ; que dans les courriers de rupture susvisés, la société Seith GmbH n'invoque d'ailleurs aucun motif d'insatisfaction vis-à-vis de la SAS Auramo France et paraît plutôt souhaiter la pérennisation des relations commerciales par l'intermédiaire de son nouveau distributeur, la SAS Seith France ;

Attendu en tout état de cause que, si la société Seith GmbH avait le droit de réorganiser la distribution de ses produits en France, elle ne pouvait le faire qu'en respectant un préavis suffisant ;

Attendu qu'au regard de la durée des relations commerciales (12 ans), de l'importance du volume d'affaires traité (jusqu'à dix millions de francs par année, soit plus de 1 500 000 euro) et de la part que représentait ce volume dans le chiffre d'affaires de la SAS Auramo France (près d'un tiers), le délai d'un mois et dix jours consenti par la société Seith GmbH à son ancien partenaire pourrait apparaître trop bref dans un contexte classique ;

Attendu cependant qu'en l'occurrence, et comme la société Seith GmbH l'a toujours soutenu, il ressort des pièces versées aux débats que les matériels vendus par le fournisseur allemand étaient systématiquement revendus par la SAS Auramo France sous la marque Auramo, de sorte que les clients du distributeur français ne savaient pas précisément quel était le fabricant desdits matériels (dans son fax du 20 octobre 2000, la société Seith GmbH indique d'ailleurs sa volonté de vendre dorénavant ses produits "sous notre nom") ; que le catalogue Auramo France 2001, dont il n'est aucunement contesté qu'il a pu paraître et être distribué à temps, et ce en dépit de la cessation des relations avec le fournisseur allemand, révèle que la société française a été en mesure de prendre très rapidement de nouvelles dispositions auprès d'un ou plusieurs fournisseurs pour remplacer les produits Seith ; qu'à cet égard, il est important de relever que, si la SAS Auramo France faisait jusqu'alors 30 % de son chiffre d'affaires avec la société Seith GmbH, elle faisait la part prépondérante de son chiffre avec sa société mère, la société Auramo Finlande, également fabricante du même type de matériel que celui fabriqué et commercialisé par la société Seith GmbH (le conseil de l'appelante l'a oralement admis lors des débats, sur interrogation de la cour), le tout étant commercialisé sous la marque Auramo ;

Attendu que l'appelante, qui se plaint essentiellement dans ses conclusions écrites de la brutalité de la rupture avec la société allemande, lui ayant fait perdre ses avantages commerciaux (remises de 32 % et 35 %), n'a jamais soutenu qu'elle n'aurait pu obtenir les mêmes remises auprès de la société mère finlandaise, laquelle était son principal fournisseur et pratiquait certainement des prix tout à fait intéressants en faveur de sa filiale ;

Attendu ainsi que d'évidentes solutions de substitution se présentaient à la SAS Auramo France, même si l'on peut comprendre que celle-ci n'avait pas très envie de se rapprocher de la nouvelle société Seith France, qui devenait un concurrent direct ; qu'il en résulte que, normalement, la société appelante aurait dû pouvoir réaliser en 2001 un chiffre d'affaires proche de celui réalisé antérieurement ;

Attendu qu'au regard de ces circonstances particulières, l'on peut considérer qu'il n'y a pas eu de rupture brutale des relations commerciales établies entre la SAS Auramo France et son fournisseur allemand ;

Attendu subsidiairement que, si l'on devait même admettre le contraire, la forte baisse du chiffre d'affaires subie par la SAS Auramo France en 2001 et 2002, ne saurait être imputée à une " rupture brutale " des relations avec la société Seith GmbH ;

Attendu en effet que, au cours de l'année 2001, la société Auramo Finlande, société mère et principal fournisseur de la SAS Auramo France, avait projeté de cesser ses relations commerciales avec sa filiale, elle-même devant être rachetée par un groupe italien dirigé par Monsieur Bolzoni (2e mondial dans le domaine des accessoires de levage), lequel disposait de son propre réseau de distribution en France ; que les produits de la société finlandaise, jusqu'alors commercialisés par sa filiale Auramo France, devaient à l'avenir être distribués par le réseau Bolzoni ; qu'il n'est d'ailleurs pas contesté par l'appelante que c'est en raison de l'achat du Groupe Auramo par le Groupe Bolzoni que la SA Finatech a acquis les actions de la SAS Auramo France, auparavant détenues par la maison mère finlandaise ;

Attendu certes que la société Auramo Finlande n'a notifié sa décision de rupture à sa filiale française que par un courrier du 19 décembre 2001, et en lui laissant un sursis d'une année ; qu'il y a cependant tout lieu de retenir que ce changement stratégique, nécessairement imaginé bien avant l'envoi dudit courrier, a d'ores et déjà eu des incidences sur le volume des commandes passées au cours de l'année 2001 entre la filiale et la société mère ; que la société Auramo Finlande avait manifestement l'intention d'en arriver à une liquidation de sa filiale et en aucun cas de favoriser une poursuite d'activité ; que cela ne fait aucun doute, dans la mesure où la SA Finatech venant aux droits de la SAS Auramo France, a dû admettre à l'audience que cette dernière société avait rapidement perdu toute activité consécutivement à la décision stratégique prise par Auramo Finlande de se rapprocher du Groupe Bolzoni, la SAS Auramo France devenant ainsi une coquille vide, uniquement reprise par la SA Finatech agissant comme "holding" (précision apportée lors des débats), lui permettant ainsi la poursuite de la présente procédure ;

Attendu qu'il apparaît dès lors que, indépendamment même du préavis accordé par la société Seith GmbH à la SAS Auramo France, le sort de cette dernière était pratiquement scellé en même temps qu'intervenait la rupture avec le fournisseur allemand ; que la chute de son chiffre d'affaires au cours des deux années suivantes ne peut donc être sérieusement rattachée à une prétendue rupture brutale des relations commerciales avec la société Seith GmbH ; qu'il y a tout lien de considérer que c'est au contraire la modification de la stratégie du groupe Auramo qui a provoqué la disparition programmée de la SAS Auramo France ;

Attendu en conséquence que, substituant partiellement ces motifs à ceux des premiers juges, il convient de rejeter l'appel et de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS Auramo France de sa demande fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce ;

Attendu par contre que le caractère abusif de la procédure n'est pas établi, de sorte que les prétentions à dommages-intérêts formées par la société Seith GmbH ne peuvent qu'être rejetées ;

Attendu de même que les circonstances particulières du litige et l'équité ne justifient pas qu'il soit fait application de l'article 700 du Code de procédure civile dans l'instance d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 21 octobre 2008 ; Statuant en tant que Cour de renvoi autrement composée, Confirme en ses dispositions attaquées le jugement entrepris rendu le 7 juillet 2004 par la Chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Mulhouse ; Rejette toutes autres prétentions, y compris celles fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SA Finatech venant aux droits de la SAS Auramo France aux dépens.