CA Bordeaux, 2e ch. civ., 21 novembre 2011, n° 10-02746
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Delmond Foies Gras (SA)
Défendeur :
Tôlerie Chaudronnerie Mécanique (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bancal
Conseillers :
Mmes Rouger, Faure
Avoués :
SCP Michel Puybaraud, SCP Rivel-Combeaud
Avocats :
Mes Veyssière, Potot-Nicol
Vu le jugement du 6.4.2010 du Tribunal de commerce de Bordeaux,
Vu l'appel interjeté par la SA Delmond Foies Gras le 28.4.2010,
Vu les conclusions signifiées et déposées le 3.2.2011 par la SA Delmond Foies Gras,
Vu les conclusions signifiées et déposées le 5.4.2011 par la SA Tôlerie Chaudronnerie Mécanique TCM,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 26.9.2011,
Motifs de la décision :
Sur le délai de livraison et la résiliation de la vente :
En application de l'article 1134 du Code civil :
" Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi ".
L'article 1135 du même Code stipule :
" Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature ".
Dans les relations entre professionnels peuvent être sanctionnées des clauses qui créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Ainsi, l'article L. 442-6 du Code de commerce, dans sa version en vigueur au moment de la signature du bon de commande du 22 janvier 2008, (c'est-à-dire dans sa version applicable entre le 5 janvier 2008 et le 6 août 2008), concernant les pratiques restrictives de concurrence ou pratiques discriminatoires, énonçait notamment qu'"engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
1) de pratiquer à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ;
2) ... b) d'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées, notamment en lui imposant des pénalités disproportionnées au regard de l'inexécution d'engagements contractuels ... ".
Dans un contrat de vente, les parties peuvent exprimer leur volonté quant au délai de livraison de la chose vendue en lui donnant soit un caractère impératif, soit un caractère facultatif. Lorsque les parties ont entendu fixer un délai de rigueur pour la livraison et donc en faire une condition essentielle, l'arrivée du terme vaut preuve de l'inexécution sans qu'une mise en demeure du vendeur soit nécessaire.
Et si, malgré manquement du vendeur à cette obligation essentielle de livrer la chose à la date convenue, l'application d'une clause limitative de responsabilité contredit cette obligation et donc la portée de l'engagement pris, cette clause doit être réputée non écrite en application de l'article 1131 du Code civil.
Enfin, l'article 1610 du Code civil énonce :
" Si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties, l'acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente, ou sa mise en possession, si le retard ne vient que du fait du vendeur ".
En l'espèce, en formulant son offre par devis du 21 janvier 2008, la SA Tôlerie Chaudronnerie Mécanique TCM a fixé elle-même, sans aucune réserve, un délai de livraison libellé comme suit : " délai de livraison à ce jour : juin 2008 - semaine 24 ". Le bon de commande du 22 janvier 2008 concernant une semi-remorque benne fond mouvant au prix hors-taxes de 62 800 euro, fixait un délai de livraison : " date de livraison : 1re quinzaine juin 2008 ".
Le vendeur n'étant pas en mesure de livrer à la date prévue, indique avoir acheté une semi-remorque d'occasion et l'avoir, à compter du 12 juin 2008, mise à la disposition de l'acquéreur dans le cadre d'une location moyennant versement d'un dépôt de garantie de 10 000 euro.
Le 5 août 2008, la SA Delmond Foies Gras lui restituait cette semi-remorque. A la même période, elle notifiait par téléphone à la SA Tôlerie Chaudronnerie Mécanique TCM l'annulation de sa commande du 22 janvier 2008, annulation confirmée par lettre du 3 septembre 2008, à laquelle elle joignait un chèque de 956,80 euro en règlement de la location, tout en demandant la restitution du chèque de dépôt de garantie de 10 000 euro.
Par lettre du 3 novembre 2008 le vendeur accusait réception de ce courrier du 3 septembre 2008 concernant l'annulation de la commande, faisait valoir qu'à cette date la fabrication du véhicule était pratiquement terminée, estimait que la résiliation de la commande le pénalisait et rappelait les conditions générales de vente pour estimer qu'en cas de résiliation de la vente portant sur une fabrication spécifique, il lui était dû une indemnité de 25 120 euro, la somme de 10 000 euro ne couvrant ainsi qu'une faible partie de cette indemnité, dont il était en droit de réclamer le complément.
Par requête du 13 février 2009, la SA Delmond Foies Gras engageait une procédure en injonction de payer la somme de 10 000 euro en principal, donnant lieu à ordonnance portant injonction de payer du 17 février 2009, signifiée le 2 mars 2009, dont il n'est pas contesté qu'elle n'a pas été frappée d'opposition.
Par acte du 27 juillet 2009, invoquant les conditions générales de vente et notamment les articles 3.1 et 4.3, la SA Tôlerie Chaudronnerie Mécanique TCM faisait assigner la SA Delmond Foies Gras devant le Tribunal de commerce de Bordeaux aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 30 043,52 euro à titre de dommages et intérêts pour résiliation fautive de la vente par l'acquéreur.
Par jugement du 6.4.2010 le Tribunal de commerce de Bordeaux a notamment condamné la SA Delmond Foies Gras à payer à la SA Tôlerie Chaudronnerie Mécanique TCM 25 120 euro à titre de dommages et intérêts.
Cependant, contrairement à ce que décidèrent les premiers juges et à ce qu'elle invoque, la SA Tôlerie Chaudronnerie Mécanique TCM n'est pas fondée à se prévaloir de l'article 3.1 des conditions générales de vente qui stipule que " les délais de livraison sont toujours donnés à titre indicatif sauf stipulation expresse contraire. Aucun dépassement de délai n'ouvre droit à dommages et intérêts au profit de l'acheteur, ni à retenue, ni à annulation ou résolution de la commande ".
En effet, comme indiqué précédemment, le bon de commande comportait un délai de livraison précis, ne faisant d'ailleurs que reprendre la proposition du vendeur formulée par devis du 21 janvier 2008.
Le vendeur ne conteste pas ne pas avoir été en mesure de livrer la chose commandée à la date prévue, pas plus qu'il ne le fut au début du mois d'août 2008 quand son acquéreur lui a restitué le véhicule loué et lui a notifié l'annulation de la commande, puis au début du mois de septembre 2008 lorsqu'il a reçu confirmation écrite de cette annulation.
Appliquer purement et simplement les seules conditions générales précitées concernant le délai de livraison et donc une clause limitative de responsabilité reviendrait ici à contredire l'obligation essentielle du vendeur de livrer la chose à la date convenue et donc la portée de l'engagement pris par lui. Aussi, cette clause doit être réputée non écrite en application de l'article 1131 du Code civil.
Invoquant les articles 3.1 et 4.3 des conditions générales de vente, le vendeur estime en outre pouvoir réclamer des dommages et intérêts correspondant à 40 % du montant de la commande. En effet, l'article 4. 3 de ces conditions stipule notamment " en cas de résiliation, il nous sera dû à titre de dommages et intérêts une indemnité de 20 % (vingt pour cent) du prix de vente s'il s'agit d'un matériel de série, et de 40 % (quarante pour cent) s'il s'agit d'une fabrication spécifique ".
Cependant, alors que les conventions doivent être exécutées de bonne foi, qu'elles obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature, que dans les relations entre professionnels, en vertu notamment de l'article L. 442-6 du Code de commerce, peuvent être sanctionnées des clauses qui créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, appliquer une telle clause reviendrait sans contrepartie à priver l'acquéreur de toute possibilité de résiliation et à le contraindre à payer des dommages et intérêts à son vendeur, alors que celui-ci a manqué à l'une de ses obligations essentielles : livrer la chose commandée à la date convenue.
En conséquence, le vendeur ne peut invoquer utilement ces conditions générales pour obtenir de l'acquéreur des dommages et intérêts et s'opposer à la résolution de la vente que la SA Delmond Foies Gras sollicite à juste titre en vertu des manquements graves du vendeur, des textes précités et de l'article 1610 du Code civil.
Le jugement déféré doit donc être infirmé.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :
L'équité ne commande nullement d'allouer à la SA Tôlerie Chaudronnerie Mécanique TCM la moindre somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par contre, l'équité commande d'allouer à la SA Delmond Foies Gras une indemnité de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Succombant, la SA Tôlerie Chaudronnerie Mécanique TCM supportera les dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement, Contradictoirement, Infirme le jugement déféré, Et statuant à nouveau, Déboute la SA Tôlerie Chaudronnerie Mécanique TCM de toutes ses demandes notamment à titre de dommages et intérêts et d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SA Tôlerie Chaudronnerie Mécanique TCM à payer à la SA Delmond Foies Gras 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SA Tôlerie Chaudronnerie Mécanique TCM aux dépens de première instance et d'appel et en ordonne la distraction en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.