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Décisions

CJUE, 4e ch., 1 décembre 2011, n° C-442/10

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Churchill Insurance Company Limited, Equity Claims Limited

Défendeur :

Wilkinson, Evans

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Bonichot

Avocat général :

M. Mengozzi

Juges :

Mmes Prechal, Toader, MM. Bay Larsen, Jarašiunas (rapporteur)

Avocats :

Mes Randolph, Herzog

CJUE n° C-442/10

1 décembre 2011

LA COUR (quatrième chambre),

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 12, paragraphe 1, et 13, paragraphe 1, de la directive 2009-103-CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité (JO L 263, p. 11).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre de litiges opposant, d'une part, Churchill Insurance Company Limited (ci-après " Churchill ") à M. Wilkinson et, d'autre part, Mme Evans à Equity Claims Limited (ci-après " Equity ") au sujet de l'indemnisation de préjudices subis du fait d'accidents de la circulation.

Le cadre juridique

Le droit de l'Union

3. Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 72-166-CEE du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité (JO L 103, p. 1, ci-après la " première directive ") :

" Chaque État membre prend toutes les mesures utiles [...] pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance. Les dommages couverts ainsi que les modalités de cette assurance sont déterminés dans le cadre de ces mesures. "

4. La deuxième directive 84-5-CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (JO 1984, L 8, p. 17, ci-après la " deuxième directive "), énonce à ses sixième à huitième considérants :

" considérant qu'il est nécessaire de prévoir qu'un organisme garantira que la victime ne restera pas sans indemnisation dans le cas où le véhicule qui a causé le sinistre n'est pas assuré ou n'est pas identifié; qu'il est important, sans modifier les dispositions appliquées par les États membres en ce qui concerne le caractère subsidiaire ou non de l'intervention de cet organisme ainsi que les règles applicables en matière de subrogation, de prévoir que la victime d'un tel sinistre puisse s'adresser directement à cet organisme comme premier point de contact; qu'il convient, toutefois, de donner aux États membres la possibilité d'appliquer certaines exclusions limitées en ce qui concerne l'intervention de cet organisme et de prévoir dans le cas des dommages matériels causés par un véhicule non identifié, vu les risques de fraude, que l'indemnisation de tels dommages peut être limitée ou exclue ;

considérant qu'il est de l'intérêt des victimes que les effets de certaines clauses d'exclusion soient limités aux relations entre l'assureur et le responsable de l'accident ; que, toutefois, dans le cas des véhicules volés ou obtenus par la violence, les États membres peuvent prévoir que l'organisme précité interviendra pour indemniser la victime ;

considérant que, pour alléger la charge financière à supporter par cet organisme, les États membres peuvent prévoir l'application de certaines franchises lorsqu'il intervient pour l'indemnisation des dommages matériels causés par des véhicules non assurés ou, le cas échéant, volés ou obtenus par la violence ".

5. L'article 1er, paragraphe 4, de la deuxième directive prévoit que chaque État membre crée ou agrée un organisme ayant pour objet de réparer, au moins dans les limites de l'obligation d'assurance, les dommages matériels ou corporels causés par un véhicule non identifié ou non assuré (ci-après l'" organisme national "). Cette disposition énonce à son troisième alinéa :

" [...] [L]es États membres peuvent exclure de l'intervention de cet organisme les personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage, lorsque l'organisme peut prouver qu'elles savaient que le véhicule n'était pas assuré. "

6. En vertu du quatrième alinéa de cette disposition, les États membres peuvent également limiter ou exclure l'intervention de cet organisme en cas de dommages matériels causés par un véhicule non identifié et, selon le cinquième alinéa de ladite disposition, ils peuvent autoriser, pour les dommages matériels causés par un véhicule non assuré, une franchise opposable à la victime, ne dépassant pas 500 euros.

7. Les règles applicables à ces organismes nationaux ont par la suite été précisées et complétées, notamment par la directive 2005-14-CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, modifiant les directives 72-166-CEE, 84-5-CEE, 88-357-CEE et 90-232-CEE du Conseil et la directive 2000-26-CE du Parlement européen et du Conseil sur l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (JO L 149, p. 14). L'article 1er, paragraphe 4, troisième alinéa, de la deuxième directive est ainsi devenu, en substance, l'article 1er, paragraphe 5, second alinéa, de la deuxième directive, telle que modifiée par la directive 2005-14.

8. L'article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive dispose :

" Chaque État membre prend les mesures utiles pour que toute disposition légale ou clause contractuelle qui est contenue dans une police d'assurance délivrée conformément à l'article 3 paragraphe 1 de la [première directive], qui exclut de l'assurance l'utilisation ou la conduite de véhicules par :

- des personnes n'y étant ni expressément ni implicitement autorisées,

ou

- des personnes non titulaires d'un permis leur permettant de conduire le véhicule concerné,

ou

- des personnes qui ne se sont pas conformées aux obligations légales d'ordre technique concernant l'état et la sécurité du véhicule concerné,

soit, pour l'application de l'article 3 paragraphe 1 de la [première directive], réputée sans effet en ce qui concerne le recours des tiers victimes d'un sinistre.

Toutefois, la disposition ou la clause visée au premier tiret peut être opposée aux personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage, lorsque l'assureur peut prouver qu'elles savaient que le véhicule était volé.

[...] "

9. Aux termes des quatrième et cinquième considérants de la troisième directive 90-232-CEE du Conseil, du 14 mai 1990, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (JO L 129, p. 33, ci-après la " troisième directive ") :

" considérant qu'il y a lieu de garantir aux victimes d'accidents de la circulation automobile un traitement comparable quels que soient les endroits de la Communauté où les accidents se sont produits ;

considérant qu'il existe en particulier des lacunes dans la couverture d'assurance obligatoire des passagers des véhicules automobiles dans certains États membres ; que, pour protéger cette catégorie particulièrement vulnérable de victimes potentielles, il convient de combler ces lacunes".

10. L'article 1er, premier alinéa, de la troisième directive prévoit :

" Sans préjudice du deuxième alinéa de l'article 2 paragraphe 1 de la [deuxième directive], l'assurance visée à l'article 3 paragraphe 1 de la [première directive] couvre la responsabilité des dommages corporels de tous les passagers autres que le conducteur résultant de la circulation d'un véhicule. "

11. La directive 2009-103 a codifié les directives préexistantes en matière d'assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs (ci-après la "responsabilité civile automobile") et a, par conséquent, abrogé celles-ci avec effet au 27 octobre 2009. Selon le tableau de correspondance figurant à l'annexe II de cette directive, l'article 3, paragraphe 1, de la première directive correspond à l'article 3, premier et deuxième alinéas, de la directive 2009-103, les articles 1er, paragraphe 4, troisième alinéa, et 2, paragraphe 1, de la deuxième directive correspondent respectivement aux articles 10, paragraphe 2, second alinéa, et 13, paragraphe 1, de la directive 2009-103, et l'article 1er, premier alinéa, de la troisième directive correspond à l'article 12, paragraphe 1, de la directive 2009-103.

Le droit national

12. L'article 151 de la loi de 1988 sur la circulation routière (Road Traffic Act 1988, ci-après la " loi de 1988 "), relatif à l'obligation pour les assureurs d'exécuter un jugement portant sur une responsabilité civile du type de celle couverte par la police d'assurance obligatoire, dispose :

" 1. Le présent article est applicable lorsque, après qu'une attestation d'assurance [...] a été délivrée [...] à la personne ayant souscrit la police [...], un jugement auquel le présent paragraphe est applicable est obtenu.

[...]

5. Nonobstant le fait que l'assureur puisse être en droit de résoudre ou de résilier, ou peut avoir résolu ou résilié, la police [...], il est tenu, sous réserve des dispositions du présent article, de verser aux personnes en droit de se prévaloir du jugement :

a) en ce qui concerne la responsabilité du fait d'un décès ou d'un dommage corporel, toute somme payable en vertu du jugement portant sur [cette] responsabilité [...],

[...]

[...]

8. Lorsqu'un assureur est tenu, en vertu du présent article, de verser une somme au titre de la responsabilité d'une personne qui n'est pas assurée par une police d'assurance [...], il est en droit de recouvrer cette somme auprès de cette personne ou de toute personne qui:

a) est assurée par la police d'assurance [...], en vertu de laquelle la responsabilité serait couverte si la police assurait toutes les personnes [...] et

b) qui a causé ou permis l'utilisation du véhicule ayant donné lieu à la responsabilité.

[...] "

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

13. M. Wilkinson avait été désigné comme conducteur dans une police d'assurance souscrite auprès de Churchill pour l'utilisation d'un véhicule. Le 23 novembre 2005, il a permis à un ami de conduire cette voiture et a pris place dans celle-ci en tant que passager. Il est constant que M. Wilkinson savait que cette personne n'était pas assurée par cette police d'assurance. Le conducteur a perdu le contrôle de ladite voiture, laquelle a heurté un véhicule venant en sens inverse. M. Wilkinson a été gravement blessé. Churchill a reconnu devoir indemniser M. Wilkinson, mais lui a réclamé, en vertu de l'article 151, paragraphe 8, de la loi de 1988, un dédommagement, en sa qualité d'assuré, à concurrence du même montant que celui de l'indemnisation lui étant due, ce que M. Wilkinson a contesté. Le juge de première instance ayant pris une décision favorable à ce dernier, Churchill a interjeté appel de celle-ci devant la juridiction de renvoi.

14. Mme Evans, qui était propriétaire d'un cyclomoteur assuré auprès d'Equity, était, à l'exception de toute autre personne, assurée pour conduire ce véhicule. Le 4 août 2004, elle a permis à un ami de conduire ledit cyclomoteur et a pris place à l'arrière de celui-ci comme passager. Par négligence, le conducteur a heurté l'arrière d'un camion. Mme Evans a été gravement blessée. Le juge de première instance a considéré que, lorsqu'elle avait donné à ce conducteur la permission de conduire son cyclomoteur, Mme Evans ne s'était pas posé la question de savoir si celui-ci était assuré pour ce faire. Il a aussi jugé qu'Equity était en droit, en vertu de l'article 151, paragraphe 8, de la loi de 1988, d'obtenir une indemnité pour les sommes qu'elle aurait dû payer à Mme Evans, cette dernière ayant autorisé une personne à conduire le cyclomoteur sans qu'elle soit assurée. Mme Evans a interjeté appel de cette décision devant la juridiction de renvoi.

15. Churchill et Equity font valoir devant cette dernière que l'article 151, paragraphe 8, de la loi de 1988 ne constitue pas une disposition "qui exclut de l'assurance", au sens de l'article 13, paragraphe 1, de la directive 2009-103, et que chacun des conducteurs en cause disposait de l'autorisation requise pour utiliser ou conduire le véhicule concerné. En revanche, M. Wilkinson et Mme Evans font valoir, d'une part, que cette disposition, lorsqu'elle s'applique à un assuré victime de sorte qu'il ne puisse pas recevoir de versement de la part de son assureur, exclut cette victime de l'assurance, au sens dudit article 13, paragraphe 1, et, d'autre part, que l'autorisation à laquelle cette disposition fait référence est celle de l'assureur, et non celle de l'assuré.

16. La juridiction de renvoi indique que, en droit anglais, la portée de l'article 151, paragraphe 8, de la loi de 1988 a pour effet d'exclure de manière automatique du bénéfice de l'assurance l'assuré qui, ayant pris place en tant que passager dans le véhicule pour la conduite duquel il est assuré, a donné à un conducteur non assuré la permission de conduire celui-ci. Elle se demande si le droit de l'Union s'oppose à une telle exclusion et si, le cas échéant, cette disposition pourrait faire l'objet d'une interprétation conforme au droit de l'Union.

17. La juridiction de renvoi estime que, selon la jurisprudence, l'article 12, paragraphe 1, de la directive 2009-103 doit être interprété largement. Elle relève toutefois que, dans des circonstances telles que celles portées devant elle, une telle interprétation entraînerait une différence de traitement par rapport à la situation régie par l'article 10, paragraphe 2, de ladite directive. Elle souligne également que la situation dans laquelle se trouve le passager d'un véhicule, qui est l'assuré et qui permet à un conducteur non assuré de conduire celui-ci, peut varier selon que ce passager a ou non connaissance du fait que ce conducteur n'est pas assuré ou selon que ledit passager s'est ou non demandé si ledit conducteur était assuré.

18. C'est dans ces conditions que la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

" 1) Les articles 12, paragraphe 1, et 13, paragraphe 1, de la directive [2009-103] doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à des dispositions nationales ayant pour effet, sur le plan du droit national pertinent, d'exclure du bénéfice de l'assurance une victime d'un accident de la circulation, dans des circonstances où :

- cet accident a été causé par un conducteur non assuré ;

- ce conducteur non assuré a reçu la permission de la victime de conduire le véhicule ;

- cette victime était un passager du véhicule au moment de l'accident, et

- cette victime était assurée pour la conduite du véhicule en question.

En particulier :

- Une disposition nationale de cette nature est-elle une disposition qui 'exclut de l'assurance' au sens de l'article 13, paragraphe 1, de la directive [2009-103] ?

- Dans des circonstances telles que celles survenant dans la présente affaire, la permission donnée par l'assur[é] à la personne non assurée constitue-t-elle une '[autorisation] express[e ou] implicite' au sens de l'article 13, paragraphe 1, sous a), de la directive [2009-103] ?

- La réponse à cette question est-elle affectée par le fait que, conformément à l'article 10 de la directive [2009-103], les organismes nationaux en charge de l'indemnisation en cas de dommages causés par un véhicule non identifié ou non assuré peuvent exclure leur intervention en ce qui concerne les personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage, lorsque l'organisme peut prouver qu'elles savaient que le véhicule n'était pas assuré ?

2) La réponse à la [première question] dépend-elle du fait que la permission en cause [...] était basée sur la connaissance effective du fait que le conducteur en question n'était pas assuré, ou [...] était basée sur la croyance que le conducteur était assuré ou [encore] [...] [dépend-elle du fait] que la permission en cause a été accordée par l'assuré qui ne s'est pas posé la question ? "

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

19. Il convient de relever à titre liminaire que la directive 2009-103 n'était pas en vigueur aux dates des faits au principal. Dès lors, il y a lieu de comprendre la question posée comme se référant non pas aux dispositions de la directive 2009-103, mais aux dispositions correspondantes des deuxième et troisième directives, lesquelles sont applicables ratione temporis à ces faits et ont été reprises par la suite dans la directive 2009-103.

20. Il s'ensuit que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 1er, premier alinéa, de la troisième directive et 2, paragraphe 1, de la deuxième directive doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui a pour effet d'exclure de manière automatique du bénéfice de l'assurance une victime d'un accident de la circulation lorsque cet accident a été causé par un conducteur non assuré et que cette victime, passager du véhicule au moment de l'accident, était assurée pour la conduite de ce véhicule et avait donné à ce conducteur la permission de le conduire.

21. À cet égard, Churchill et Equity font, tout d'abord, valoir que les dispositions de la directive 2009-103 correspondant à l'article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive ne sont pas applicables en l'espèce. L'article 151, paragraphe 8, de la loi de 1988 ne constituerait pas une exclusion de la couverture d'assurance obligatoire. Cette dernière disposition a, selon elles, simplement pour effet d'autoriser un assureur, lorsqu'il est tenu de verser une indemnisation du fait de la responsabilité d'un conducteur non couvert par l'assurance, à exercer une action récursoire contre l'assuré afin de recouvrer cette indemnisation lorsque cet assuré a causé ou a permis l'utilisation du véhicule par ce conducteur.

22. Toutefois, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure prévue à l'article 267 TFUE, les fonctions de la Cour et celles de la juridiction de renvoi sont clairement séparées et c'est à cette dernière exclusivement qu'il appartient d'interpréter le droit national et d'apprécier ses effets (voir arrêts du 3 février 1977, Benedetti, 52-76, Rec. p. 163, point 25; du 21 septembre 1999, Kordel e.a., C-397-96, Rec. p. I-5959, point 25, ainsi que du 17 juillet 2008, Corporación Dermoestética, C-500-06, Rec. p. I-5785, point 21).

23. Or, il ressort de la décision de renvoi que la juridiction saisie au principal interprète l'article 151, paragraphe 8, de la loi de 1988, dans des circonstances telles que celles décrites dans la première question préjudicielle, non pas comme prévoyant le versement d'une indemnisation par l'assureur à l'assuré victime, suivi d'un remboursement de cette indemnisation par l'assuré à l'assureur, mais comme ayant pour effet d'exclure automatiquement du bénéfice de l'assurance un passager victime d'un accident de la circulation qui était assuré et qui a donné à un conducteur non assuré la permission de conduire.

24. Il s'ensuit que les questions dont la Cour est saisie en l'espèce ne portent pas sur la compatibilité avec le droit de l'Union d'une règle régissant la responsabilité civile, mais ont trait à la compatibilité avec ce droit d'une disposition qui, selon l'interprétation de la juridiction de renvoi, en excluant de manière automatique le bénéfice de l'indemnisation éventuellement due à l'assuré, limite l'étendue de la couverture de la responsabilité civile. Les questions posées relèvent donc bien du champ d'application de la réglementation de l'Union en cette matière.

25. Churchill, Equity ainsi que le gouvernement du Royaume-Uni font valoir en outre que la première question appelle une réponse négative. En effet, des personnes se trouvant dans une situation telle que celle de M. Wilkinson et de Mme Evans ne pourraient être qualifiées de tiers victimes au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive.

26. M. Wilkinson, Mme Evans et la Commission européenne considèrent, en revanche, que la réglementation de l'Union en matière d'assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile s'oppose à une disposition nationale telle que celle décrite dans la première question. La Commission estime, notamment, que la victime d'un accident de la circulation ne saurait être exclue de la qualification de passager au simple motif qu'elle est également la personne assurée. Par conséquent, selon la Commission, une victime qui est également l'assuré doit être assimilée à un tiers victime au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive.

27 À cet égard, il importe de rappeler que la réglementation de l'Union en matière d'assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile vise à assurer la libre circulation tant des véhicules stationnant habituellement sur le territoire de l'Union que des personnes qui sont à leur bord ainsi qu'à garantir que les victimes des accidents causés par ces véhicules bénéficient d'un traitement comparable, quel que soit le point du territoire de l'Union où l'accident s'est produit (voir, notamment, arrêts du 28 mars 1996, Ruiz Bernáldez, C-129-94, Rec. p. I-1829, point 13, ainsi que du 30 juin 2005, Candolin e.a., C-537-03, Rec. p. I-5745, point 17). Elle vise également, aux termes du cinquième considérant de la troisième directive, à protéger cette catégorie particulièrement vulnérable de victimes potentielles que sont les passagers des véhicules automobiles, en comblant les lacunes dans la couverture d'assurance obligatoire de ces passagers existant dans certains États membres (arrêt du 19 avril 2007, Farrell, C-356-05, Rec. p. I-3067, point 24).

28. À ces fins, l'article 3, paragraphe 1, de la première directive, tel que précisé et complété par les deuxième et troisième directives, impose aux États membres de garantir que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur leur territoire soit couverte par une assurance et précise, notamment, les types de dommages et les tiers victimes que cette assurance doit couvrir (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2000, Mendes Ferreira et Delgado Correia Ferreira, C-348-98, Rec. p. I-6711, points 25 à 27, ainsi que du 17 mars 2011, Carvalho Ferreira Santos, C-484-09, non encore publié au Recueil, points 25 à 27).

29. À ce dernier égard, la Cour a déjà relevé que l'objectif des articles 3, paragraphe 1, de la première directive, 2, paragraphe 1, de la deuxième directive et 1er de la troisième directive consiste à garantir que l'assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile permette à tous les passagers victimes d'un accident causé par un véhicule d'être indemnisés des dommages qu'ils ont subis (voir, en ce sens, arrêt Candolin e.a., précité, point 27). Elle a ainsi considéré que, en prévoyant que l'assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile couvre la responsabilité des dommages corporels de tous les passagers autres que le conducteur, l'article 1er de la troisième directive établit uniquement une distinction entre ce conducteur et les autres passagers et octroie incontestablement une couverture d'assurance à tous les passagers (arrêts précités Candolin e.a., point 32, et Farrell, point 23).

30. Au vu de cet élément, la Cour a jugé que l'objectif de protection des victimes poursuivi par les première, deuxième et troisième directives, et rappelé au point 27 du présent arrêt, impose que la situation juridique du propriétaire du véhicule, qui se trouvait dans celui-ci au moment de l'accident en tant que passager, soit assimilée à celle de tout autre passager victime de l'accident (arrêt Candolin e.a., précité, point 33). De même, elle a jugé que cet objectif s'oppose aussi à ce qu'une réglementation nationale réduise indûment la notion de passager couvert par l'assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile, en excluant de cette notion les personnes ayant pris place dans une partie du véhicule qui n'était ni conçue pour leur transport ni équipée à cette fin (voir, en ce sens, arrêt Farrell, précité, points 28 à 30).

31. L'unique distinction admise par la réglementation de l'Union en matière d'assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile étant ainsi, comme cela a été relevé au point 29 du présent arrêt et souligné par M. l'avocat général au point 28 de ses conclusions, celle entre conducteur et passager, le même objectif de protection des victimes impose également que la situation juridique de la personne qui était assurée pour la conduite du véhicule, mais qui était passager de ce véhicule au moment de l'accident, soit assimilée à celle de tout autre passager victime de cet accident.

32. Il s'ensuit que le fait qu'une personne était assurée pour conduire le véhicule qui a causé l'accident ne permet pas d'exclure cette personne de la notion de tiers victime au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive, dès lors qu'elle était passager, et non conducteur, de ce véhicule.

33. S'agissant des droits reconnus à de tels tiers victimes, il convient de rappeler que la Cour a jugé que l'article 3, paragraphe 1, de la première directive s'oppose à ce que l'assureur de la responsabilité civile automobile puisse se prévaloir de dispositions légales ou de clauses contractuelles pour refuser d'indemniser ces derniers d'un accident causé par un véhicule assuré (voir, en ce sens, arrêts précités Ruiz Bernáldez, point 20; Candolin e.a., point 18, ainsi que Carvalho Ferreira Santos, point 29).

34. La Cour a également jugé que l'article 2, paragraphe 1, premier alinéa, de la deuxième directive ne fait que rappeler cette obligation en ce qui concerne les dispositions ou les clauses d'une police d'assurance visée par ledit article excluant de la couverture par l'assurance de la responsabilité civile automobile les dommages causés aux tiers victimes en raison de l'utilisation ou de la conduite du véhicule assuré par des personnes non autorisées à conduire ce véhicule, par des personnes non titulaires d'un permis de conduire ou par des personnes qui ne se sont pas conformées aux obligations légales d'ordre technique concernant l'état et la sécurité dudit véhicule (arrêts précités Ruiz Bernáldez, point 21; Candolin e.a., point 19, ainsi que Carvalho Ferreira Santos, point 30).

35. Certes, par dérogation à cette obligation, l'article 2, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la deuxième directive prévoit que certaines victimes pourront ne pas être indemnisées par l'assureur, compte tenu de la situation qu'elles ont elles-mêmes créée, à savoir les personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage, lorsque l'assureur peut prouver qu'elles savaient qu'il avait été volé (arrêts précités Ruiz Bernáldez, point 21, ainsi que Candolin e.a., point 20). Toutefois, et comme la Cour l'a déjà constaté, il ne saurait être dérogé à l'article 2, paragraphe 1, premier alinéa, de la deuxième directive que dans cette seule hypothèse particulière (voir, en ce sens, arrêt Candolin e.a., précité, point 23).

36. Il découle de ce qui précède que les articles 1er, premier alinéa, de la troisième directive et 2, paragraphe 1, de la deuxième directive doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet d'exclure de manière automatique l'obligation pour l'assureur de dédommager un passager, victime d'un accident de la circulation, au motif que ce passager était assuré pour conduire le véhicule qui lui a causé le dommage et que le conducteur ne l'était pas.

37. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi interroge aussi la Cour sur le point de savoir si l'autorisation de conduire donnée par l'assuré à un conducteur non assuré constitue, dans des circonstances telles que celles des affaires au principal, une "[autorisation] express[e ou] implicite" au sens de l'article 2, paragraphe 1, premier tiret, de la deuxième directive. Ainsi que l'a souligné M. l'avocat général au point 42 de ses conclusions, elle pose cette question afin de savoir si des dispositions légales ou des clauses contractuelles qui excluent la couverture d'assurance en cas de conduite par une personne n'y ayant pas été expressément ou implicitement autorisée par l'assureur pourraient être opposées à la victime.

38. Cet argument ne saurait être retenu. À supposer même que les termes " [autorisation expresse[e ou] implicite" ne visent que l'autorisation donnée par l'assuré, il ne saurait, en tout état de cause, en découler qu'une clause excluant la couverture en cas de conduite par une personne n'ayant pas reçu l'autorisation de l'assureur serait valide et opposable à un tiers victime d'un sinistre. En effet, la seule hypothèse dans laquelle un tiers victime peut être exclu de la couverture est celle visée à l'article 2, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la deuxième directive. Or, il est constant que, en l'espèce, il ne s'agit pas de cette hypothèse.

39. Cela étant, la juridiction de renvoi s'interroge également sur le point de savoir si la circonstance que, en vertu de l'article 1er, paragraphe 4, troisième alinéa, de la deuxième directive, les États membres peuvent exclure l'intervention de l'organisme national en ce qui concerne les personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage, lorsque ledit organisme peut prouver que ces personnes savaient que ni le conducteur ni le véhicule n'étaient assurés, peut avoir une incidence sur la réponse qu'il convient de donner à la première question.

40. À cet égard, il importe, en premier lieu, de souligner que la situation dans laquelle le véhicule qui a causé le dommage était conduit par une personne non assurée pour ce faire, alors qu'un conducteur était par ailleurs assuré pour conduire ce véhicule, et celle visée par l'article 1er, paragraphe 4, troisième alinéa, de la deuxième directive, dans laquelle le véhicule à l'origine de l'accident n'était visé par aucune police d'assurance, ne sont des situations ni similaires ni comparables. En effet, la circonstance qu'un véhicule soit conduit par une personne non désignée dans la police d'assurance y relative ne saurait, compte tenu, en particulier, de l'objectif de protection des victimes d'accidents de la circulation poursuivi par les première, deuxième et troisième directives, permettre de considérer qu'un tel véhicule n'est pas assuré au sens de ladite disposition.

41. En second lieu, comme l'a relevé la Commission, l'intervention de l'organisme national est conçue comme une mesure de dernier recours, prévue uniquement dans le cas où les dommages ont été causés par un véhicule non identifié ou par un véhicule pour lequel il n'a pas été satisfait à l'obligation d'assurance visée à l'article 3, paragraphe 1, de la première directive.

42. Cela explique que, malgré l'objectif général de protection des victimes recherché par la réglementation de l'Union en matière d'assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile, le législateur de l'Union ait permis aux États membres d'exclure l'intervention de cet organisme dans certains cas limités, et notamment en ce qui concerne les personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage lorsque ledit organisme peut prouver qu'elles savaient que ni le conducteur ni le véhicule n'étaient assurés.

43. Par conséquent, la circonstance que, en vertu de l'article 1er, paragraphe 4, troisième alinéa, de la deuxième directive, les États membres peuvent exclure l'intervention de l'organisme national en ce qui concerne les personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage, lorsque cet organisme peut prouver que ces personnes savaient que ni le conducteur ni le véhicule n'étaient assurés, est, en l'occurrence, sans incidence sur l'interprétation à donner des articles 1er, premier alinéa, de la troisième directive et 2, paragraphe 1, de la deuxième directive.

44. Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que les articles 1er, premier alinéa, de la troisième directive et 2, paragraphe 1, de la deuxième directive doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet d'exclure de manière automatique l'obligation pour l'assureur de dédommager une victime d'un accident de la circulation lorsque cet accident a été causé par un conducteur non assuré par la police d'assurance et que cette victime, passager du véhicule au moment de l'accident, était assurée pour la conduite de ce véhicule et avait donné à ce conducteur la permission de le conduire.

Sur la seconde question

45. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la réponse à la première question pourrait être différente selon que l'assuré victime avait connaissance du fait que la personne qu'il a autorisée à conduire le véhicule n'était pas assurée pour ce faire, ou qu'il croyait qu'elle l'était, ou encore qu'il s'était ou non interrogé à cet égard.

46. À cet égard, il y a lieu de rappeler, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 50 de ses conclusions, que l'assurance de la responsabilité civile automobile visée à l'article 3, paragraphe 1, de la première directive doit couvrir toutes les victimes autres que le conducteur du véhicule qui a causé le dommage, à moins que l'une des exceptions expressément prévues par les première, deuxième ou troisième directives ne soit applicable.

47. Dès lors, la circonstance que l'assuré victime avait connaissance du fait que la personne qu'il a autorisée à conduire le véhicule n'était pas assurée pour ce faire, ou qu'il croyait qu'elle l'était, ou encore qu'il s'était ou non interrogé à cet égard, est dépourvue de pertinence pour la réponse à donner à la première question.

48. Cela n'exclut toutefois pas la possibilité pour les États membres de tenir compte de cet élément dans le cadre de leurs règles relatives à la responsabilité civile, à condition, cependant, que leurs compétences dans ce domaine soient exercées dans le respect du droit de l'Union, et en particulier de l'article 3, paragraphe 1, de la première directive, de l'article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive et de l'article 1er de la troisième directive, et que lesdites règles nationales n'aboutissent pas à priver ces directives de leur effet utile (arrêts précités Ruiz Bernáldez, point 19; Candolin e.a., points 27 et 28; Farrell, point 34, et Carvalho Ferreira Santos, points 35 et 36, ainsi que arrêt du 9 juin 2011, Ambrósio Lavrador et Olival Ferreira Bonifácio, C-409-09, non encore publié au Recueil, point 28).

49. Ainsi, une réglementation nationale, définie en fonction de critères généraux et abstraits, ne saurait refuser ou limiter de façon disproportionnée le droit du passager d'être indemnisé par l'assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile sur le seul fondement de sa contribution à la réalisation du dommage. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles que, sur la base d'une appréciation individuelle, l'étendue de l'indemnisation peut être limitée (arrêts précités Candolin e.a., points 29, 30 et 35; Farrell, point 35; Carvalho Ferreira Santos, point 38, ainsi que Ambrósio Lavrador et Olival Ferreira Bonifácio, point 29).

50. Il résulte de ce qui précède qu'il convient de répondre à la seconde question que la réponse à la première question posée n'est pas différente selon que l'assuré victime avait connaissance du fait que la personne qu'il a autorisée à conduire le véhicule n'était pas assurée pour ce faire, ou qu'il croyait qu'elle l'était, ou encore qu'il s'était ou non interrogé à cet égard.

Sur les dépens

51. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1) L'article 1er, premier alinéa, de la troisième directive 90-232-CEE du Conseil, du 14 mai 1990, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, et l'article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive 84-5-CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet d'exclure de manière automatique l'obligation pour l'assureur de dédommager une victime d'un accident de la circulation lorsque cet accident a été causé par un conducteur non assuré par la police d'assurance et que cette victime, passager du véhicule au moment de l'accident, était assurée pour la conduite de ce véhicule et avait donné à ce conducteur la permission de le conduire.

2) La réponse à la première question posée n'est pas différente selon que l'assuré victime avait connaissance du fait que la personne qu'il a autorisée à conduire le véhicule n'était pas assurée pour ce faire, ou qu'il croyait qu'elle l'était, ou encore qu'il s'était ou non interrogé à cet égard.