Cass. com., 29 novembre 2011, n° 10-26.969
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Suza international (SA)
Défendeur :
Professionnel Computer associés France (SA), Google France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Mandel
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Delaporte, Briard, Trichet, SCP Bénabent, Me Spinosi
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 septembre 2010), que la société Suza et la société Professionnal Computer associés France (société PCA), exerçant concurremment une activité de commerce de gros de produits informatiques et électroniques, sont titulaires, la première de la marque française semi-figurative "advance" déposée le 26 avril 2001 et enregistrée sous le no 01 097 595 pour désigner divers produits et services en classes 9 et 38, la seconde des marques françaises dénominatives "heden" déposée le 23 août 2001 et "max-in-power" déposée le 14 mai 2003, enregistrées sous les no 01 3118 286 et 03 3 227 515 pour désigner divers produits en classe 9 ; que la société PCA ayant fait constater par huissier de justice et par l'agence pour la protection des programmes que des requêtes sur le moteur de recherche Google, à partir des termes "heden" "max-in-power" et "PCA France" déclenchaient, par la mise en œuvre du service Adwords, l'affichage de liens commerciaux proposant à l'internaute la connexion à des sites Internet de revente de produits informatiques commercialisés sous la marque "advance", a fait assigner les sociétés Suza et Google France en contrefaçon de marques, concurrence déloyale et parasitisme, publicité trompeuse et mensongère ; que, reconventionnellement, la société Suza a sollicité la condamnation de la société PCA pour contrefaçon de la marque "advance" et concurrence déloyale ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Suza fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée pour contrefaçon de marques, alors, selon le moyen : 1°) que le titulaire d'une marque ne peut interdire à un annonceur de faire de la publicité pour des produits identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, à partir d'un mot-clé identique ou similaire à ladite marque, que s'il en résulte une atteinte à la fonction d'indication d'origine de celle-ci ; que dans ce cadre, il appartient au juge de rechercher, au cas par cas, eu égard à la présentation, dans son ensemble, de l'annonce commerciale et à son contenu, si celle-ci permet ou non à l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si l'annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou bien au contraire, s'il est économiquement lié à celui-ci ; qu'en décidant en l'espèce qu'existait un risque de confusion entre l'origine des produits advance et heden, sans analyser ni même se référer à la présentation dans leur ensemble des annonces commerciales générées par la société Suza et à leur contenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle interprété à la lumière de l'article 5 §1 a) de la directive no 89/104 du 21 décembre 1988 ; 2°) que seuls des faits qui lui sont personnellement imputables peuvent être retenus pour caractériser, à l'encontre d'un annonceur ayant recours à un système de référencement sur internet, des actes de contrefaçon ; qu'en se fondant en l'espèce sur la mention de la marque "heden", dans l'annonce commerciale générée par un tiers, pour imputer à la société Suza, dont l'annonce était pourtant dépourvue de toute référence à cette marque, la responsabilité d'un risque de confusion entre les produits "heden" et "advance", et caractériser à son encontre des faits de contrefaçon de marques, la cour d'appel a violé l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, ensemble l'article L. 716-1 du même Code ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt, après avoir constaté par un motif non critiqué que les signes "heden" et "max-in-power", réservés à titre de mots-clés par la société Suza, étaient identiques aux marques de la société PCA, relève que l'insertion dans le moteur de recherche de Google de ces deux mots-clés suscite l'apparition immédiate et simultanée tant des résultats de recherche traditionnels que de liens commerciaux, alors que le signe introduit comme critère de recherche reste exposé dans la fenêtre qui lui est destinée en haut de l'écran ; qu'il relève encore, par motifs propres et adoptés, que les liens commerciaux renvoient l'internaute vers des sites proposant des produits identiques de marque "heden" et de marque "advance" et que l'activation d'un comparateur de prix fait apparaître l'offre en vente de produits "advance" ; que la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que l'annonce publicitaire incriminée ne permettait pas ou ne permettait que difficilement à l'internaute moyen de savoir si les produits visés par l'annonce provenaient de la société PCA ou d'une entreprise économiquement liée à celle-ci, ce dont résultait une atteinte à la fonction d'identification d'origine de la marque, a pu retenir l'existence d'une contrefaçon ;
Attendu, d'autre part, qu'il ne résulte ni des conclusions de la société Suza, ni de l'arrêt que cette société ait soutenu, devant la cour d'appel, que la circonstance qu'un lien commercial généré par un tiers et comportant la mention de la marque "heden" ne pouvait être retenue pour lui imputer la responsabilité d'un risque de confusion entre les produits "heden" et "advance" ; que ce moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ; d'où il suit qu'irrecevable en sa seconde branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Suza fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée pour concurrence déloyale, alors, selon le moyen, qu'un internaute moyen, normalement informé et raisonnablement attentif qui entre une requête par mot-clé dans un moteur de recherche, est susceptible a priori de faire la différence entre les résultats naturels de sa recherche et les liens commerciaux générés qui s'affichent, sous une bannière dédiée, dans une partie nettement distincte de l'écran ; qu'en se bornant en l'espèce à relever que l'introduction du signe PCA dans le moteur de recherche faisait apparaître, en première ligne, sous la rubrique liens commerciaux les annonces publicitaires de la société Suza relatives aux produits Advance, pour retenir l'existence d'un risque de confusion, chez l'internaute moyen, quant à l'origine des produits et caractériser ainsi une faute à l'encontre de la société Suza, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt, après avoir constaté que la société PCA exerçait des activités concurrentes de celles de la société Suza sous le nom commercial "PCA", relève que l'insertion dans le moteur de recherche de Google du mot-clé "PCA"déclenche l'apparition immédiate et simultanée tant des résultats de recherche traditionnels que de liens commerciaux comportant des annonces publicitaires pour des produits "advance" et renvoyant à des adresses de sites Internet qui ne permettent pas d'identifier l'annonceur, alors que dans le même temps le signe "PCA" reste affiché dans la fenêtre affectée à la recherche ; qu'en l'état de ces constatations faisant ressortir l'existence d'un risque de confusion sur l'origine des produits commercialisés par les deux entreprises, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen : - Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir débouté la société Suza de sa demande en contrefaçon de la marque "advance" à l'encontre de la société PCA, alors, selon le moyen : 1°) qu'au sens de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, le risque de confusion doit s'apprécier globalement et se fonder, pour la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, sur l'impression d'ensemble produite par ces marques en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants ; qu'en ne se fondant en l'espèce que sur les détails opposant visuellement les signes en présence pour retenir qu'ils produisaient une impression d'ensemble distincte exempte de toute confusion, sans tenir compte de la similitude visuelle générée entre eux par leurs éléments dominants et distinctifs, la cour d'appel a violé la disposition susvisée ; 2°) que le risque de confusion doit s'apprécier globalement en se plaçant du point de vue du consommateur d'attention moyenne et normalement informé qui n'a pas en même temps les signes sous les yeux ; qu'en fondant en l'espèce son appréciation du risque de confusion entre les marques sur les détails opposant visuellement les signes, ce qui supposait nécessairement que les deux signes soient en présence l'un de l'autre, la cour d'appel a violé l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ; 3°) que le risque de confusion doit s'apprécier globalement, en tenant compte notamment de l'interdépendance des différents facteurs ; qu'il en résulte que le juge ne peut se déterminer au vu des seules similitudes et différences relevées entre les signes sans rechercher si leur faible similitude n'est pas compensée par l'identité ou la similitude des produits couverts ; qu'en se bornant à exclure en l'espèce tout risque de confusion entre les marques "advance" et "heden", sans prendre en compte pour l'appréciation de ce risque, la stricte identité des produits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que les produits concernés sont identiques, l'arrêt retient qu'au plan auditif les signes en cause produisent des sonorités parfaitement distinctes et qu'au plan conceptuel le terme "advance" évoque le progrès alors que le terme "heden" suggère le paradis ; qu'il retient encore qu'au niveau visuel les dénominations sont inscrites dans un graphisme différent, qu'elles ne présentent aucune similitude au niveau de leur construction et que, si chacune est placée dans un ovale, les couleurs employées confèrent au logo "heden" pris dans son ensemble un aspect de clarté contrairement à l'impression plus sombre qui se dégage de la marque opposée ; que l'arrêt en déduit qu'en l'absence de similarité entre les signes, l'identité des produits concernés ne suffit pas à créer un risque de confusion ; que la cour d'appel qui a ainsi procédé à une appréciation globale du risque de confusion vis à vis du consommateur d'attention moyenne en se fondant sur l'impression d'ensemble produite par les signes et en prenant en compte l'interdépendance des facteurs, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.