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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 4 novembre 2011, n° 10-15477

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Jean Cassegrain (SAS), Longchamp (SAS)

Défendeur :

SN C3SH " Helline "

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lachacinsky

Conseillers :

Mmes Nerot, Appelle

Avoués :

SCP Alain Ribaut, Vincent Ribaut, SCP Narrat Peytavi

Avocats :

Mes Coursin, Dehors

TGI Paris, 3e ch. sect. 1, du 22 juin 20…

22 juin 2010

La société par actions simplifiée Jean Cassegrain se présente comme titulaire de droits patrimoniaux sur un modèle de sac référencé 2923 et dénommé " Rival ", objet d'un dépôt communautaire du 14 juillet 2006, n° 000 561 022-0010, auprès de l'OHMI, dont la fabrication et la distribution sont assurées, depuis l'été 2006, par sa filiale, la société par actions simplifiée Longchamp.

Ayant constaté qu'était offert à la vente, sur le catalogue de vente par correspondance " Helline mode citadine - printemps 2009 " accessible à l'adresse internet <www.helline.fr> au moyen duquel la société 3SH (qui a pour associées les sociétés française 3 Suisses France et allemande Heine) vend ses produits, un modèle de sac référencé 028 453 70 reprenant, selon, elle, de manière servile les caractéristiques de son modèle " Rival ", la société Jean Cassegrain a fait établir un procès-verbal de constat, le 11 mars 2009, a fait procéder à un achat en ligne, le 27 mars 2009, puis a fait dresser, dûment habilitée, un procès-verbal de saisie-contrefaçon les 09 et 21 avril suivants dans les locaux de la société 3SH, avant d'assigner cette dernière, conjointement avec la société Longchamp, en contrefaçon de droits d'auteur, contrefaçon de modèle au sens du Livre V du Code de la propriété intellectuelle et en concurrence déloyale.

Par jugement rendu le 22 juin 2010, le Tribunal de grande instance de Paris a, avec exécution provisoire à l'exception des mesures de publication judiciaire, en substance :

- dit que la société 3SH a commis, au préjudice de la société Jean Cassegrain, des actes de contrefaçon de droits d'auteur et de modèle en important, reproduisant et offrant à la vente le sac reprenant les caractéristiques du sac revendiqué et dit qu'en commercialisant le sac contrefaisant, elle a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Longchamp,

- condamné, en conséquence, la société 3SH à verser à la société Jean Cassegrain la somme de 15 000 euro au titre de la contrefaçon outre celle de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus du remboursement des frais de constat et de saisie-contrefaçon, et à la société Longchamp la somme de 1 000 euro au titre de la concurrence déloyale ainsi que celle de 2 000 euro au titre de ses frais non répétibles, en la condamnant, de plus, à supporter les dépens ,

- ordonné les mesures d'interdiction et de publication judiciaire d'usage, la première sous astreinte dont il s'est réservé la liquidation.

Par dernières conclusions signifiées le 22 novembre 2011, les sociétés par actions simplifiées Jean Cassegrain et Longchamp, appelantes, demandent à la cour de confirmer le jugement en ses dispositions qui leur sont favorables et de le réformer pour le surplus en portant de 100 à 1 000 euro le montant de l'astreinte ordonnée, à 200 000 euro le montant des dommages-intérêts au titre de la contrefaçon et à cette même somme ceux réparant le préjudice résultant des actes de concurrence déloyale ; de modifier les termes et les conditions financières de la mesure de publication étendue à la page d'accueil du site internet <www.helline.fr> et au catalogue, dans une rubrique 'publication judiciaire' ; de condamner enfin l'intimée à leur verser une somme complémentaire de 10 000 euro au titre de leurs frais non répétibles et à supporter les dépens.

Par dernières conclusions signifiées le 9 mars 2011, la société en nom collectif 3SH " Helline " demande à la cour, au visa des articles L. 111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle et de l'article 1382 du Code civil, de déclarer les appelantes " irrecevables et mal fondées " en leurs prétentions en infirmant le jugement qui a retenu des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale à leur encontre et l'a condamnée ; principalement, de les débouter de leurs prétentions, subsidiairement, de constater que les appelantes ne justifient pas d'un préjudice en relation directe avec les faits fautifs allégués en les déboutant de leurs demandes indemnitaires ou en leur allouant, tout au plus, un euro symbolique ; en tout état de cause, de les débouter de leur demande de publication, de les condamner, eu égard au caractère exorbitant et abusif de leurs demandes, à lui verser une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du " nouveau " Code de procédure civile et à supporter tous les dépens.

Sur ce,

Considérant qu'il convient de relever, à titre liminaire, que si la société 3SH intimée entend voir juger, dans le dispositif de ses écritures, que les sociétés appelantes sont 'irrecevables' en leurs actions respectives et si elle présente, sur le mode conditionnel, la titularité des droits patrimoniaux sur le modèle de sac revendiqué dont se prévaut la société Jean Cassegrain ou encore le fait que ce modèle a été créé en 2005 par son bureau de style, force est de relever qu'elle ne développe, dans le corps desdites écritures, aucun moyen précis d'irrecevabilité ou qui tendrait à contester l'éligibilité de ce sac à la protection organisée par les Livres I et V du Code de la propriété intellectuelle ;

Que le débat se trouve circonscrit à l'imputation à la société 3SH qui se présente comme commercialisant par correspondance des produits finis fournis par la société allemande Heine des faits incriminés et à la juste réparation que les sociétés appelantes entendent obtenir de cette société 3SH ;

Sur la contrefaçon :

Considérant que, formant appel incident et pour se dédouaner de toute responsabilité, la société 3SH qui ne conteste pas le fait que le sac présenté dans son catalogue, en page de couverture et en page 4, constituait une reproduction quasi-servile du modèle de sac " Rival " revendiqué fait valoir qu'elle offre essentiellement à la vente des vêtements et marginalement des accessoires fournis par la société allemande Heine, soulignant que cette dernière n'a pas été attraite en la cause ;

Qu'elle ajoute qu'elle n'est pas maroquinier, que le sac litigieux, s'il a pu faire l'objet d'une opération ponctuelle de marketing, n'était nullement un produit phare, qu'il était vendu dans une couleur jaune " difficile " à seule fin de s'harmoniser avec une tenue vestimentaire et qu'en toute hypothèse, elle n'en a vendu que quatre ;

Mais considérant qu'à juste titre, la société Jean Cassegrain rétorque, ainsi qu'en a pertinemment jugé le tribunal sur le fondement des articles L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle et 19 § 1 du règlement communautaire 6/2002, que la société 3SH a distribué à plus de 100 000 exemplaires son catalogue qui présentait une copie quasi-servile du modèle de sac revendiqué et l'a diffusé sur son site internet destiné au public français, et qu'elle établit que cette société a effectivement importé ce modèle de sac en France et en a vendu quatre exemplaires ;

Qu'elle est, par ailleurs, fondée à lui opposer le fait que la stratégie marketing qu'elle a adoptée en mettant en avant le sac incriminé, fût-elle ponctuelle, était bien destinée à attirer l'attention du public et à provoquer des ventes et qu'elle ne peut valablement se prévaloir de la seule responsabilité de la société Heine, son fournisseur ;

Qu'ainsi, le jugement qui a imputé à faute à la société 3SH des actes de contrefaçon tant de droits d'auteur que de modèle mérite confirmation ;

Sur la concurrence déloyale et les faits de parasitisme :

Considérant que la société 3SH soutient que la société Longchamp se fonde sur une situation de concurrence et une identité de clientèle qui ne sont que prétendues ;

Qu'elle fait valoir qu'une demande à ce titre ne peut prospérer qu'autant que sont démontrés des actes distincts de ceux caractérisant la contrefaçon et que tel n'est pas le cas, en l'espèce ; que, selon elle, c'est à tort que la société Longchamp tire argument de ce qu'elle-même analyse en une présomption de responsabilité en matière de concurrence déloyale et qu'il n'est nullement démontré que les agissements incriminés sont de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle et qu'ils ont porté atteinte à la valeur commerciale du modèle ;

Considérant, ceci rappelé, que c'est vainement que l'intimée conteste la situation de concurrence de la société Longchamp et d'elle-même en se prévalant du fait qu'elle vend essentiellement des articles de confection et que la présence dans son catalogue de produits de maroquinerie n'est qu'accessoire dès lors que la présence de différents sacs dans diverses pages de son catalogue atteste de la commercialisation effective de produits de maroquinerie ; qu'en outre, elle n'établit pas que ces deux sociétés aient une clientèle exclusive l'une de l'autre ;

Que les parties se trouvant en situation de concurrence, les griefs invoqués par la société Longchamp appelante pour caractériser la déloyauté de l'intimée doivent être appréhendés non sur le terrain du parasitisme, ainsi qu'elle entend le voir juger, mais au regard des principes applicables en matière de concurrence déloyale ;

Que, sur ce dernier terrain et contrairement à ce qu'affirme l'intimée, la société Longchamp qui ne dispose pas d'un droit privatif sur le modèle de sac, peut se prévaloir d'un préjudice distinct résultant du risque de confusion pour le public en invoquant, comme en l'espèce, la présence d'une copie quasi- servile du modèle de sac 'Rival' dont elle assure, en sa qualité de distributeur exclusif, la commercialisation et de la volonté de tirer profit de la réputation du modèle de sac 'Rival', acquise du fait de ses efforts de promotion, auprès de la clientèle ;

Que le jugement doit, par voie de conséquence, être confirmé en ce qu'il a retenu l'existence de faits de concurrence déloyale préjudiciables à la société Longchamp ;

Sur les mesures réparatrices :

Considérant que pour voir porter à la somme de 200 000 euro la réparation du préjudice causé à la société Jean Cassegrain du fait des actes de contrefaçon incriminés, et à cette même somme de 200 000 euro le montant des dommages-intérêts réparant le préjudice subi par la société Longchamp, les sociétés appelantes soutiennent que leurs préjudices respectifs sont d'ordre à la fois patrimonial et commercial et invoquent indifféremment :

- l'atteinte à leur notoriété et à leur image commerciale attestée par divers articles de presse parus de septembre 2000 à août 2006 (pièces 28, 29, 34, 54, 91, 113, 114 et 118),

- l'avilissement du modèle de sac 'Rival' en tant que création intellectuelle attestée par différents extraits de presse ( pièces 23, 32, 42, 67, 85, 115, 123 et 125),

- la banalisation du modèle revendiqué en tant que produit commercial en produisant le catalogue " Helline " litigieux, un article du magazine " Courrier cadres " de septembre 1999 et une analyse des ventes du modèle de sac " Rival " de 2006 à mars 2010 (pièce 164),

- la dépréciation des investissements, notamment publicitaires, réalisés en versant aux débats le plan presse pour les années 2006, 2007, 2008 (pièces 157 à 159), diverses publicités réalisées (pièces 17, 19, 30, 44, 46, 52, 60, 62, 66, 68, 70, 80, 81, 86, 89 et 90) outre deux articles de septembre et novembre 2008 portant sur les efforts de communication et d'innovation de la " maison-mère ",

- l'atteinte à la valeur patrimoniale du modèle et la réduction de sa durée de vie commerciale, attestée, selon elles, par la présence persistante du sac " Rival " dans les catalogues 2010 et 2011 (pièces 165 et 166),

- outre quatre facteurs d'aggravation de leurs préjudices tenant :

* en premier lieu, à l'importance des actes poursuivis (soit la distribution de plus de 100 000 catalogues et d'une diffusion sur un site internet où le sac incriminé a figuré parmi 'les meilleures ventes', ainsi que cela ressort des mesures de constat réalisées - pièces 105 et 107),

* en deuxième lieu, à la notoriété du sac " Rival " qu'elles présentent comme un modèle-phare (attestée, selon elles, par les catalogues 2006 à 2011, par les plans presse 2006 à 2008 et les budgets correspondants ainsi que par divers articles de la presse professionnelle et publique),

* en troisième lieu, à la commercialisation à un prix " considérablement inférieur " (puisque le sac commercialisé par la société Helline était vendu au prix de 99,90 euro TTC tandis que le sac 'Rival' était vendu au prix de 460 euro TTC),

* et enfin, en quatrième lieu, à la médiocre qualité des " copies " litigieuses alors qu'elles entendent faire la démonstration de leur souci de qualité en versant divers articles de presse (pièces 118, 122, 124 et 125) et que le sac argué de contrefaçon est, de plus, proposé en divers coloris qu'elles n'ont pas souhaité adopter ;

Considérant, ceci rappelé, qu'il convient, pour évaluer le préjudice de chacune des appelantes, de distinguer les éléments pertinents ressortant, dans le cadre de l'action en contrefaçon, de l'atteinte au droit privatif dont est titulaire la société Jean Cassegrain de ceux qui caractérisent plus spécifiquement, une violation des usages loyaux du commerce préjudiciable au distributeur ;

Considérant, s'agissant de la réparation des actes de contrefaçon, que le tribunal a, de manière circonstanciée, pris en considération l'ensemble des éléments qui étaient soumis à son appréciation - lesquels sont à nouveau invoqués devant la cour - pour retenir, par motifs pertinents que la cour adopte, que le sac " Rival " a connu, au prix d'investissements humains et financiers, un réel succès commercial en acquérant une notoriété dont la presse s'est fait l'écho et que l'offre à la vente du modèle contrefaisant, de moindre qualité et vendu à un prix qui, sans être vil, est inférieur de plus d'un quart à celui du modèle " Rival ", ce par la diffusion d'un catalogue tiré à plus de 100 000 exemplaires et accessible sur un site internet, a contribué à sa banalisation ;

Que la société Cassegrain ne précisant pas quels préjudices n'auraient pas été réparés par le tribunal, il convient de considérer que ce dernier a justement évalué le préjudice qu'elle a subi en lui allouant la somme de 15 000 euro ;

Considérant, s'agissant de la réparation du préjudice résultant des faits distincts de concurrence déloyale préjudiciables à la société Longchamp, que l'intimée souligne avec justesse que la masse contrefaisante est de faible importance puisque les opérations de saisie-contrefaçon menées ont permis de constater que sur une commande de 50 articles, 4 avaient été vendus ; qu'elle se prévaut, sans être contestée, de la circonstance suivant laquelle, à la suite de ces opérations, elle a rapidement cessé la commercialisation du modèle de sac incriminé ;

Que, de son côté, la société Longchamp, tenue de rapporter la preuve d'une faute au sens de l'article 1382 du Code civil, produit en cause d'appel (en pièce 164) un relevé des ventes du modèle " Rival " de 2006 à mars 2010, établissant qu'elle a vendu 6 927 exemplaires de ce produit en 2006, 11 863 en 2007, 10 997 en 2008, 6. 95 en 2009 et 966 durant les trois premiers mois de l'année 2010 ;

Que ce document interne, s'il atteste d'une baisse des ventes à compter de 2009 ne permet toutefois pas d'établir à lui seul, s'agissant d'un produit sensible aux courants de la mode et commercialisé depuis trois ans, que la perte de clientèle qu'il révèle a pour seule cause les agissements de la société 3SH et que le détournement incriminé puisse être mesuré à proportion de la perte de chiffre d'affaires ainsi enregistrée ;

Qu'il n'en reste pas moins, eu égard à l'ensemble de ces éléments permettant de retenir que la commercialisation du produit imitant, selon les modalités sus-précisées, a créé un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle, que la volonté de tirer profit de l'engouement cette clientèle pour la capter est patente et que la société Longchamp, distributeur exclusif du modèle de sac " Rival ", est fondée à prétendre que son préjudice a été sous-évalué par le tribunal ;

Que le jugement sera, en conséquence, infirmé en son évaluation et la société 3SH condamnée à verser à la société Longchamp une somme de 5 000 euro en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale ;

Que les mesures d'interdiction et de publication telles qu'ordonnées réparant à suffisance les préjudices subis, il n'y a pas lieu d'y ajouter, sauf à modifier le libellé de la publication judiciaire pour tenir compte du présent arrêt ;

Sur les demandes accessoires :

Considérant que l'équité conduit à condamner la société 3SH à verser aux appelantes une somme complémentaire de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Que la société 3SH qui succombe sera déboutée de ce dernier chef de prétentions et condamnée aux dépens d'appel ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris à l'exception de ses dispositions portant sur l'évaluation du préjudice résultant des faits de concurrence déloyale et du libellé de la mesure de publication requérant actualisation et, statuant à nouveau en y ajoutant, Condamne la société en nom collectif 3SH " Hellline " à verser à la société par actions simplifiée Longchamp la somme de 5.000 euro en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale subis ; Dit que le libellé de la publication telle qu'ordonnée par le tribunal sera ainsi modifié : " Par arrêt rendu le 04 novembre 2011, la Cour d'appel de Paris a confirmé, sauf en son évaluation du préjudice subi par le distributeur, le jugement rendu le 22 juin 2010 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a condamné la société 3SH " Helline " pour des faits de contrefaçon et de concurrence déloyale commis au préjudice, respectivement, de la société Jean Cassegrain et de la société Longchamp " du fait de la commercialisation, dans son catalogue 2009, d'un sac constituant la contrefaçon du sac " Rival " sur lequel la société Cassegrain dispose de droits d'auteur et de modèle et qui est commercialisé par la société Longchamp' ; Condamne la société 3SH " Helline " à verser aux sociétés Jean Cassegrain et Longchamp la somme complémentaire globale de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société 3SH " Helline " aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.