CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 25 février 2011, n° 09-28311
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fromageries Bel (SA)
Défendeur :
Fromageries Rambol (SAS), Bongrain (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Girardet
Conseillers :
Mmes Nerot, Regniez
Avoués :
SCP Grappotte-Benetreau Jumel, SCP Gerigny Freneaux
Avocats :
Mes Moatty, Monegier du Sorbier
La société anonyme Fromageries Bel, constituée en 1865, fabrique et commercialise des produits laitiers, parmi lesquels, depuis 1979, le " mini Babybel ", fromage à pâte pressée demi-cuite offert à la vente en portions individuelles emballées dans une coque de cire alimentaire.
En 2007, informée que plusieurs magasins de la grande distribution (Super U, Auchan, Casino) commercialisaient des fromages en portions individuelles (sous la dénomination " mini-coque fromagère ", " bouchées fromagères " " tom et pilou "), tous fabriqués par la société Rambol, filiale de la société Bongrain, dont le conditionnement présentait des similitudes visuelles avec celui de ses produits, elle a fait procéder à cinq mesures de constat en avril et mai 2007 ainsi qu'à deux saisies-contrefaçon, le 02 juillet 2007, dans les locaux des fabricants, puis a assigné les sociétés Bongrain, Rambol et SB Alliance (conseil en gestion et courtier en assurances) en contrefaçon de sa marque tridimensionnelle communautaire n° 004266979, leur reprochant en outre des faits de concurrence déloyale et des agissements parasitaires.
Par jugement rendu le 20 octobre 2009, le tribunal de grande instance de Paris a :
- ordonné la mise hors de cause de la société en nom collectif Alliance,
- débouté la société Fromageries Bel de ses demandes au titre de la contrefaçon de sa marque tridimensionnelle communautaire n° 004266979, des actes de concurrence déloyale et parasitaires ainsi que du surplus de ses demandes, notamment de publication judiciaire,
- débouté les sociétés Bongrain et Fromageries Rambol de leur demande tendant à se voir donner acte de ce qu'elles se réservent le droit de contester la validité de cette marque en cause d'appel,
- condamné la société Fromageries Bel à verser à la société Bongrain et à la société Fromageries Rambol une somme de 5.000 euro, au profit de chacune, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.
Par dernières conclusions signifiées le 13 janvier 2011, la société anonyme Fromageries Bel, appelante, demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et :
- de considérer qu'en faisant fabriquer, en fabriquant, en important, en introduisant en France et en détenant des fromages " dont " l'emballage litigieux, les sociétés Bongrain et Fromageries Rambol ont commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme au sens de l'article 1382 du Code civil ainsi que des pratiques commerciales déloyales au sens de l' article L. 120-1 du Code de la consommation,
- de faire interdiction à chacune de poursuivre ces actes de concurrence déloyale sous astreinte de 10.000 euro par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, chaque infraction étant constituée par la fabrication ou la vente de produits dans l'emballage incriminé,
- de leur ordonner de procéder au retrait et à la destruction, à leurs frais, des produits commercialisés dans l'emballage litigieux dans un délai de 8 jours à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 1.000 euro par jour de retard,
- de condamner in solidum les sociétés Bongrain et Fromageries Rambol à lui payer la somme de 300.000 euro de dommages-intérêts,
- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou périodiques de son choix, aux frais in solidum des intimées sans que le coût de chaque insertion n'excède la somme de 10.000 euro HT,
- de débouter les intimées de l'ensemble de leurs prétentions et de les condamner in solidum à lui verser la somme de 50.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
Les sociétés anonymes Fromageries Rambol et Bongrain, par dernières conclusions signifiées le 16 décembre 2010, demandent à la cour de confirmer le jugement déféré, de constater que la société Fromageries Bel renonce à invoquer sa marque communautaire et le grief de contrefaçon de ladite marque, de la déclarer mal fondée en toutes ses prétentions, de la condamner à verser à chacune d'elles une somme de 150.000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire, outre celle de 15.000 euro, à leur commun profit, au titre de leurs frais non répétibles en la condamnant à supporter les entiers dépens et, enfin, d'ordonner la publication du " jugement " à intervenir dans trois journaux ou revues de leur choix, aux frais de l'appelante, sans que le coût global de ces insertions ne puisse excéder la somme de 15.000 euro HT.
Sur ce,
Considérant qu'en cause d'appel, la société Fromageries Bel, renonçant à se prévaloir d'un droit privatif sur le mode de conditionnement des produits fromagers litigieux, poursuit l'infirmation du jugement qui l'a déboutée de son action en concurrence déloyale et parasitaire en faisant grief aux premiers juges de n'avoir porté leur appréciation que sur les seules étiquettes des produits ou d'avoir occulté, dans leur appréciation, la notoriété du " mini Babybel " et les éléments constituant son identité visuelle délibérément reproduits ;
Que, revendiquant un conditionnement propre aux produits " Babybel " lui permettant de s'opposer à son imitation, elle le caractérise par la combinaison des éléments suivants :
- la présentation de portions individuelles dans des coques de cire alimentaire rouge recouvertes d'un papier cellophane rouge et d'une étiquette blanche,
- rassemblées dans un filet scellé par deux attaches métalliques,
- ce filet étant muni d'une étiquette cartonnée à fond rouge reliée au filet par une bande étroite de carton ;
Qu'elle se prévaut, au titre de la concurrence déloyale, de l'antériorité de son mode d'exploitation sur ce conditionnement, puisqu'il remonte à 1970, en se défendant de toute volonté de monopoliser le concept du filet, de l'imitation fautive de son " packaging " par les intimées de nature à entraîner un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle du fait de leurs ressemblances d'ensemble et de simples différences de détail susceptibles de conduire le consommateur à attribuer à des produits d'une grande proximité une origine commune et ajoute que ce risque de confusion trouve sa confirmation dans une étude qu'elle a fait réaliser par l'institut de sondage IFOP en avril 2007 ;
Que leur imputant, par ailleurs, à faute des faits de parasitisme, elle tire argument de la notoriété du produit " Babybel " qui tient, pour partie, à sa présentation ludique, du fait que son conditionnement est un élément d'identification primordial, qu'il possède un pouvoir attractif et constitue, de ce fait, une valeur économique issue de l'innovation et d'investissements importants dont il serait, selon elle, injuste de laisser des concurrents s'emparer indûment ;
Qu'en réplique, les intimées font valoir qu'ayant renoncé à tout grief de contrefaçon de marque, l'appelante ne peut, sans contradiction, reprendre les caractéristiques alléguées de cette marque au soutien de sa demande au titre de la concurrence déloyale, que seule l'étiquette ajoutée au filet n'était pas comprise dans la marque et qu'à ce titre, il n'existe pas de risque de confusion ;
Qu'elles estiment qu'en toute hypothèse, le mode de conditionnement revendiqué est banal, que la mise en pratique d'une idée commerciale largement répandue du fait de sa commodité ne peut faire l'objet d'une appropriation, que le mode d'étiquetage ou la commercialisation par six ne constituent pas des caractéristiques susceptibles d'être revendiquées, que les conditionnements incriminés ne reprennent pas les caractéristiques de celui des produits " mini Babybel " et que l'appelante, qui produit un sondage dont la cour ne peut tirer aucune conséquence juridique, ne démontre pas le risque de confusion dont elle fait état ;
Qu'elles observent qu'au titre du parasitisme l'appelante incrimine les mêmes actes que précédemment, à savoir l'utilisation d'un conditionnement en filet, critiquent son argumentation tenant à sa notoriété et à l'ampleur de sa communication en lui reprochant de faire l'amalgame entre le produit et son conditionnement et soulignent qu'elles ont elles-mêmes consenti des efforts financiers sur la coque particulière qui contient les produits qu'elles commercialisent et sur leurs qualités gustatives, desquelles dépend essentiellement le succès d'un produit fromager ;
Qu'elles font enfin valoir que l'appelante vise une disposition du Code de la consommation sans développer de moyen particulier sur ce fondement et que, quel que soit son fondement, elle n'établit pas l'existence d'un préjudice ni ne justifie du quantum de l'indemnité réclamée ;
Considérant, ceci exposé, qu'il résulte des constats d'huissier produits par l'appelante que les éléments constituant le conditionnement des produits incriminés reprennent, dans leur combinaison, divers éléments caractérisant l'emballage des fromages en portions individuelles " mini Babybel " du fait de la présence conjuguée des attaches métalliques en bout de filet, de la forme circulaire des portions de fromage emballées, et d'une étiquette cartonnée reliée à ce filet par une bande de carton ;
Que la société Bel ne peut, toutefois, reprocher aux intimées d'avoir détourné sa clientèle en reprenant les éléments caractérisant son conditionnement sans démontrer que leur combinaison constitue un signe d'identification ou ce qu'elle nomme son "capital de reconnaissance " et qu'il existe une clientèle attachée à ce mode précis de conditionnement ;
Qu'à cet égard, tant l'utilisation d'un filet pour des produits alimentaires, dont les intimées établissent qu'il est d'usage ancien et banal dans ce secteur, que la couleur rouge du produit et de l'étiquette - au demeurant de couleur orange, jaune ou blanche pour les produits incriminés à l'exclusion de l'inscription rouge des " mini coques fromagères " - et que l'appelante modifie d'ailleurs elle-même en commercialisant des déclinaisons de "mini Babybel " à l'emmenthal (en adoptant la couleur jaune), au chèvre (verte), au cheddar (violette) ou du " mini Bonbel " (orange) ne permettent pas d'affirmer qu'il s'agit de caractéristiques dont la combinaison permettra au consommateur d'identifier le produit ;
Que le sondage que la société Bel a fait réaliser par l'institut IFOP ne vient pas contredire cette appréciation dès lors que l'institut s'est attaché au " visionnage ", par les consommatrices, des produits opposés présentés à la vente dans les mêmes linéaires et que ceci ne permet pas de démontrer que la confusion que ce sondage relève est générée par le conditionnement litigieux et non par la présentation, en portions individuelles enserrées dans un emballage coloré, de petits fromages ;
Que, par ailleurs, si les éléments de communication interne que la société Fromageries Bel verse aux débats pour attester de la notoriété du produit litigieux comportent des scores tant dans sa propre gamme de produits que dans le " top 20 " du marché des fromages (pièce 30), il convient de relever que ces performances portent indifféremment sur le " Babybel " ou sur le " mini Babybel " ;
Qu'en outre, en l'absence de représentation graphique, sur lesdits documents, du conditionnement tel que revendiqué ou même d'une simple mention de ses caractéristiques, l'appelante peut, certes, prétendre prouver qu'elle est parvenue à séduire une clientèle importante grâce aux qualités du produit fromager lui-même ou qu'elle a réussi à attirer, sous le slogan " mini Babybel, les petits fromages des grands sourires ", une tranche de jeunes consommateurs attirés par les usages ludiques de sa coque en cire, mais ne peut, en revanche, tirer de ces éléments de communication la preuve qu'elle a fidélisé une clientèle attribuant à son mode de conditionnement des qualités que n'auraient pas les autres emballages de produits de même nature ;
Qu'en conséquence, faute de démontrer que la reprise des éléments de conditionnement qu'elle revendique caractérise un comportement déloyal, la société Bel doit être déboutée de sa demande à ce titre et le jugement déféré confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de ce chef ;
Considérant, s'agissant du parasitisme également invoqué, que les parties étant en situation de concurrence, les griefs invoqués pour caractériser la déloyauté prétendue des intimées doivent être appréhendés non point sur le terrain du parasitisme mais au regard des principes applicables en matière de concurrence déloyale ;
Que l'appelante développe, au surplus, à ce titre, qu'il s'agisse de la notoriété du produit ou de la communication sur le " mini Babybel " qu'aucune des pièces produites ne permet de rattacher précisément au conditionnement revendiqué, une argumentation à laquelle la cour a déjà répondu ;
Qu'il suit que le jugement mérite confirmation de ce chef ;
Sur les demandes accessoires :
Considérant que les intimées ne sont pas fondées en leur demande indemnitaire tendant à voir sanctionner une procédure et un appel qu'elles qualifient d'abusifs dès lors que l'appréciation inexacte qu'une partie porte sur l'étendue de ses droits n'est pas, en soi, fautive et qu'il résulte de ce qui précède qu'elle n'a pas, sans moyens juridiques, exercé la voie de recours ordinaire offerte par les textes ;
Qu'elles en seront, par voie de conséquence, déboutées ;
Qu'elles ne sont pas, non plus, fondées en leur demande de publication du 'jugement' à intervenir, comme en a jugé le tribunal ;
Considérant que l'équité commande, en revanche, d'allouer aux intimées une somme complémentaire de 6.000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que, déboutée de ce dernier chef de prétentions, l'appelante qui succombe supportera les dépens d'appel ;
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré et, y ajoutant ; Déboute les intimées de leur demande indemnitaire en raison d'un appel abusif ; Condamne la société anonyme Fromageries Bel à verser aux sociétés anonymes Fromageries Rambol et Bongrain la somme complémentaire de 6.000 euro au titre de leurs frais non répétibles ; Déboute la société Fromageries Bel de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Fromageries Bel aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.