CA Versailles, 12e ch., 13 décembre 2011, n° 11-06556
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Carrefour (Sté), Carrefour France (Sté), Centros Commerciales Carrefour (SA), Carrefour World Trade (Sté)
Défendeur :
Pro Trade (SA), Verrecchia (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
Mmes Brylinski, Poinseaux
Avoué :
Me Binoche
Avocats :
Mes Demeyere, Courtois
Vu le contredit formé le 9 août 2011, par les sociétés Carrefour, Carrefour France, Centros Commerciales Carrefour, Carrefour World Trade à l'encontre d'un jugement rendu le 29 juillet par le Tribunal de commerce de Nanterre, rectifié par décision du 5 octobre 2011, qui a :
* renvoyé les parties à se pourvoir devant le Tribunal de commerce de Paris,
* condamné les demandeurs aux dépens;
Vu les observations écrites en date du 15 novembre 2011, par lesquelles les sociétés Carrefour, Carrefour France, Centros Commerciales Carrefour, Carrefour World Trade, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a renvoyé les parties à se pourvoir devant le Tribunal de commerce de Paris, demandent à la cour de:
* se déclarer incompétent au profit du tribunal arbitral tel que convenu dans l'accord-cadre,
* débouter la société Pro Trade et Maître Verrechia ès qualités de toute demande contraire,
* subsidiairement, faire application des dispositions de l'article 90 du Code de procédure civile,
* en toute hypothèse, condamner la société Pro Trade au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
Vu les observations en date du 14 novembre 2011, aux termes desquelles la société Pro Trade et Maître Verrechia prient la cour de :
* dire que le Tribunal de commerce de Paris est compétent,
* à titre subsidiaire, si la cour se prononçait sur le fond du litige :
- condamner le groupe Carrefour au paiement de la somme de 17 200 000 euro, de celle de 298 861,34 euro avec intérêts de droit à compter de l'assignation, de celle de 444 782,90 euro avec intérêts de droit à compter de la première mise en demeure,
* condamner chaque défendeur au paiement de la somme de 50 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens dont distraction ;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il suffit de rappeler que :
* la société Pro Trade a entretenu des relations commerciales avec des sociétés à l'enseigne Carrefour de l'année 2005 à l'année 2007,
* cette société a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 15 décembre 2009,
* le 9 et 21 juin 2010, la société Pro Trade et son mandataire liquidateur, Maître Verrecchia, ont assigné devant le Tribunal de commerce de Nanterre les sociétés Carrefour, Carrefour France, Centros Commerciales Carrefour, Carrefour World Trade leur reprochant, au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce, d'avoir brutalement rompu leurs relations commerciales établies,
* les sociétés Carrefour, Carrefour France, Centros Commerciales Carrefour, Carrefour World Trade ont soulevé une exception d'incompétence au profit du tribunal arbitral convenu dans un accord-cadre,
* le tribunal, au fondement de la combinaison des articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce, retenant que la rupture brutale de relations commerciales établies relève de juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret, a renvoyé les parties à se pourvoir devant le Tribunal de commerce de Paris ;
Sur l'exception d'incompétence :
Considérant que les sociétés Carrefour, Carrefour France, Centros Commerciales Carrefour, Carrefour World Trade, au soutien de leur contredit, font valoir que le tribunal a procédé par violation du principe "compétence-compétence" tel que résultant des articles 1448 et 1465 du Code de procédure civile ;
qu'elles exposent que le litige porte certes sur une rupture brutale de relations commerciales établies, ainsi qu'une prétendue exploitation abusive d'un état de dépendance économique, mais qu'il n'en demeure pas moins que le contrat cadre en vertu duquel les relations se sont nouées comporte une clause compromissoire ainsi libellée :
"22. Résolution des litiges.
Tout litige relatif aux présentes conditions générales, leurs annexes et avenants portant notamment leur validité, leur interprétation et leur exécution ou leur expiration devra être réglé conformément aux dispositions des articles 22.2 à 22.4 ci-après et ce nonobstant toute clause contraire qui pourrait figurer sur les bons de commande, bons de livraison, confirmations de commande ou tout autre document de quelque nature qu'il soit échangé entre les parties postérieurement à la signature des présentes conditions générales ;
22.4.1 Arbitrage.
Dans l'hypothèse où aucune solution amiable ne serait trouvée pendant la période de conciliation décrite à l'article 22.3 ci-dessus, tout litige, interne ou international, sera réglé conformément au règlement d'arbitrage de la Chambre de Commerce International (CCI), par un ou plusieurs arbitres qui seront désignés par la Cour Internationale de la CCI (le litige existant). La procédure d'arbitrage aura lieu à Genève (Suisse) et la langue utilisée sera le français" ;
qu'elles font valoir que dans la mesure où le litige concerne non seulement la société Carrefour France mais aussi la société Centros Commerciales Carrefour, elles ont soulevé l'exception d'incompétence du Tribunal de commerce de Nanterre au profit de la juridiction arbitrale qui fait la loi des parties ;
qu'elles relèvent que le Tribunal de commerce de Nanterre ne pouvait relever d'office son incompétence au profit du Tribunal de commerce de Paris au motif que ce dernier serait exclusivement compétent pour statuer sur la rupture brutale de relations commerciales établies ;
Considérant que l'article 1448 du Code civil dispose que lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci doit se déclarer incompétente, sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ;
qu'il appartient à l'arbitre, au sens de l'article 1465 du même Code qui prévoit que le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel, de statuer sur sa propre compétence ;
Considérant que la société Pro Trade et Maître Verrechia exposent qu'avant d'introduire la présente instance, des litiges ont déjà opposé la société Pro Trade aux sociétés du groupe Carrefour, notamment une procédure en référé devant le Tribunal de commerce d'Evry, une procédure devant le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence et qu'à aucun moment la société Carrefour France ou la société Centros Commerciales Carrefour ne se sont prévalues d'une éventuelle clause compromissoire, de sorte qu'elles y auraient renoncé à l'époque ;
Mais considérant que cet argument ne constitue pas un cas de nullité ou d'inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire et que le Tribunal de commerce de Nanterre n'avait pas à se prononcer sur la question de la renonciation à cette clause qui relève de la compétence du tribunal arbitral ;
qu'au surplus, le présent litige n'est pas identique à ceux portés devant le juge des référés d'Evry et le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence ;
qu'ainsi, les litiges antérieurs ne constituent pas la démonstration d'une renonciation à la clause d'arbitrage ;
Considérant que la société Pro Trade et Maître Verrechia prétendent que la clause compromissoire serait inapplicable et aboutirait à un déni de justice dès lors que la société Pro Trade est en liquidation judiciaire et ne peut satisfaire à la demande de versement des sommes réclamées à titre de provision par la CCI ;
Or considérant que cette circonstance n'est pas de nature à démontrer une impossibilité générale de recourir à l'arbitrage et une impossibilité pratique de saisir la juridiction arbitrale de nature à caractériser un déni de justice ;
qu'il n'est pas établi que le recours à l'arbitrage ne garantisse pas un recours effectif au juge et le droit à un procès équitable ;
Considérant que Maître Verrechia soutient également que la clause compromissoire ne lui serait pas opposable et que le tribunal de commerce ayant prononcé la liquidation judiciaire de la société Pro Trade serait naturellement compétent pour connaître du litige ;
mais considérant que force est de constater que la procédure collective a été ouverte par le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence et non par le Tribunal de commerce de Nanterre ;
que la présente instance qui vise à engager la responsabilité des sociétés Carrefour pour abus de position économique et rupture brutale des relations commerciales n'est pas née de la procédure collective ;
que la clause d'arbitrage convenue antérieurement à l'ouverture de la procédure collective est opposable au mandataire liquidateur ;
Considérant que la société Pro Trade et Maître Verrechia soutiennent enfin que le contrat contenant la clause d'arbitrage de 2006 a été signé par les parties et a pris fin le 31 décembre 2006, qu'en revanche le contrat de 2007, contenant la même clause est parvenu à la société Pro Trade seulement le 23 septembre 2007, de sorte, selon eux, qu'au moment des faits litigieux il n'existait aucune clause d'arbitrage ;
Or considérant que la société Pro Trade a poursuivi se relations avec les sociétés du groupe Carrefour sur la base des stipulations du contrat-cadre de 2006 ;
qu'en tout état de cause, il appartient au tribunal arbitral de statuer sur sa propre compétence ;
Considérant par voie de conséquence que la clause compromissoire visant tout litige relatif aux présentes conditions générales, leurs annexes et avenants portant notamment leur validité, leur interprétation et leur exécution ou leur expiration n'est pas manifestement nulle ou inapplicable dès lors que la demande de la société Pro Trade présente un lien avec le contrat puisqu'elle se rapporte notamment aux conditions dans lesquelles il y a été mis fin, peu important que des dispositions d'ordre public régissent le fond du litige dès lors que le recours à l'arbitrage n'est pas exclu du seul fait que des dispositions impératives fussent-elles d'une loi de police, sont applicables ;
Considérant qu'il s'ensuit, que faisant droit au contredit, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a renvoyé les parties à se pourvoir devant le Tribunal de commerce de Paris ;
qu'il sera dit que ce tribunal était incompétent au profit d'un tribunal arbitral à constituer;
Sur les autres demandes :
Considérant que l'équité ne commande pas, en l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de la procédure de contredit ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant par décision contradictoire, Dit le contredit fondé, Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Dit le Tribunal de commerce de Nanterre incompétent au profit d'un tribunal arbitral à constituer, Rejette toutes autres demandes contraires à la motivation, Condamne la société Pro Trade et Maître Verrechia aux frais du contredit, Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.