CA Orléans, ch. com., économique et financière, 8 décembre 2011, n° 11-01260
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Actif Développement Commercial (SARL)
Défendeur :
Whitefield (SARL), Imbretex (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Raffejeaud
Conseillers :
MM. Garnier, Monge
Avoués :
SCP Laval Lueger, Mes Garnier, Daude
Avocats :
SCP Ernst, Young, SCP Envergure Avocats, Me Gourves
Par contrat du 1er septembre 2005, la société Whitefield a confié à la société Actif Développement Commercial (la société ADC), pour une durée de trois ans, la distribution exclusive de ses produits de la gamme Penduick sur les réseaux de détail spécialisés et les manifestations nautiques pour tout le territoire français et européen. La société Whitefield a informé ses partenaires commerciaux par circulaire du 15 mai 2007 qu'elle avait cédé son fonds de commerce France à la société Imbretex en les invitant à adresser désormais leurs commandes à cette société. La société ADC ayant par ailleurs laissé impayées pour retard de livraison des factures de produits sans marque commandés à la société Whitefield en décembre 2006, cette dernière l'a assignée, par acte du 31 juillet 2008, en paiement. La société ADC a appelé en intervention forcée la société Imbretex et reconventionnellement a sollicité l'allocation de dommages et intérêts à la charge des deux fournisseurs pour rupture brutale et abusive des relations commerciales. La société Imbretex a également réclamé le paiement de factures, tandis que la société ADC a contesté la compétence territoriale de la juridiction commerciale saisie.
Par jugement du 28 janvier 2011, le Tribunal de commerce de Tours s'est déclaré compétent, a condamné la société ADC à payer à la société Whitefield la somme de 94 386,49 euro avec intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2008 et à la société Imbretex celle de 52 989,02 euro et l'a déboutée de ses demandes indemnitaires.
La société ADC a relevé appel.
Par ses dernières conclusions signifiées le 6 octobre 2011, elle fait valoir, in limine litis, que le Tribunal de commerce de Tours était incompétent pour statuer sur la demande en paiement de la société Whitefield au titre des produits sans marque, alors que l'accord du 1er septembre 2005 qui contient la clause d'attribution de compétence au Tribunal de Tours ne concerne que les produits portant la marque Penduick. Subsidiairement, à propos des factures Whitefield impayées, elle prétend qu'aucun accord n'a été trouvé avec le fournisseur, de mauvaise foi, pour la livraison des produits sans marque, qui ont été livrés avec un retard allant jusqu'à sept mois et étaient en grande partie non conformes ou défectueux, ce qui a entrainé un préjudice qu'elle estime de 125 509 euro. Par ailleurs, elle considère que le contrat du 1er septembre 2005, empreint d'un fort intuitus personae, a été rompu fautivement avant terme par Whitefield et n'a pu être transféré à Imbretex à défaut d'accord de sa part. Elle évalue son préjudice à 430 000 euro correspondant à la perte de marge brute. Subsidiairement, elle affirme que le contrat a été partiellement rompu en ce que l'exclusivité accordée initialement sur l'Europe a été supprimée ainsi que celle sur le secteur des grandes et moyennes surfaces, de même que les avantages commerciaux et tarifaires, ce qui justifie la condamnation de Whitefield à lui payer la somme de 223 600 euro et la condamnation solidaire de Whitefield et d'Imbretex à lui verser 206 400 euro. À titre infiniment subsidiaire, elle fait grief à Imbretex, en liaison avec Whitefield, de l'organisation fautive du réseau de distribution et des pratiques déloyales en matière tarifaire et de non-respect des exclusivités antérieurement accordées et réclame, derechef 430 000 euro. Elle demande, enfin, de débouter Imbretex de sa requête en paiement en raison des fautes commises et accessoirement de lui accorder un avoir de 6 974,55 euro.
Par ses écritures du 20 septembre 2011, la société Whitefield réplique que l'accord du 1er septembre 2005 portait sur les "produits de la gamme Penduick" et non sur les produits étiquetés Penduick, de sorte que la clause attributive de compétence doit s'appliquer à la commande dite "Armada". Elle indique que la société ADC a accepté le 10 juillet 2007 de réceptionner les marchandises en l'état moyennant une remise de 12 % sur le prix et que les livraisons se sont échelonnées de juillet à novembre 2007 en fonction des besoins de l'acheteur. Elle ajoute que l'appelante avait allégué l'envoi d'une lettre de change en paiement le 9 novembre 2007, ce qui démontre le mal fondé du refus de règlement qui n'a pas été accompagné d'un retour des marchandises. Elle dénie avoir rompu brutalement les relations contractuelles avec la société ADC dans la mesure où celles-ci devaient se poursuivre avec la société Imbretex et où des commandes passées à cette dernière ont bien été honorées et sont, au demeurant, encore impayées. Elle conteste avoir accordé une exclusivité contractuelle pour la grande distribution et le marché européen des magasins de détail et fait observer que les négociations entre Imbretex et ADC pour la conclusion d'un nouveau contrat ne la concernent pas et que le montant de dommages et intérêts réclamé par ADC est fantaisiste. Elle conclut à la confirmation du jugement, en sollicitant la capitalisation des intérêts à compter du 9 mai 2011.
Par conclusions du 14 septembre 2011, la société Imbretex relève que la société ADC n'est pas habile à soulever l'incompétence de la juridiction qu'elle a elle-même saisie. Elle expose que par acte du 4 mai 2007 elle s'est vue concéder par Whitefield la distribution exclusive des produits de la gamme Penduick pour la France, étant précisé que le client ADC était cédé avec la clientèle, et que les négociations avec lui n'ont pas abouti pour la rédaction d'un nouveau contrat. Elle remarque que Whitefield ne lui a pas concédé les ventes en Europe et que le contrat du 1er septembre 2005 ne comportait aucune clause sur la grande distribution. Elle réfute, eu égard aux pièces qu'elle verse aux débats, l'argumentation d'ADC sur des pratiques déloyales ou discriminatoires. Elle rappelle qu'ADC reste lui devoir la somme de 52 989,02 euro, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure et capitalisation.
Sur quoi
Sur la compétence du Tribunal de commerce de Tours
Attendu que le contrat conclu entre les parties le 1er septembre 2005 stipule que "tout litige afférent au présent accord sera soumis à la compétence du Tribunal de commerce de Tours" ; que le contrat litigieux est relatif à la distribution exclusive des produits de la gamme Penduick et, ainsi que le relève la société Whitefield, les commandes "Armada" dont les factures ultérieures sont demeurées impayées, se réfèrent pour chaque type de vêtement aux intitulés du catalogue des produits Penduick, lequel précise qu'un service de fabrication personnalisée est offert avec apposition éventuelle d'un autre logo ; que le jugement sera donc confirmé en ce que le Tribunal de commerce de Tours a retenu sa compétence pour statuer sur les demandes de paiement des factures litigieuses, ce d'autant plus que la société ADC a assigné en intervention forcée la société Imbretex et formé des demandes reconventionnelles à l'encontre de ses deux fournisseurs devant ce même tribunal, et que, compte tenu du lien entre les différentes demandes, il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de les faire juger ensemble ;
Sur les factures Whitefield impayées
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier que la société ADC a commandé le 12 décembre 2006 à la société Whitefield un certain nombre d'articles pour une opération "Armada" ; que le délai de livraison prévu en mai 2007 ayant été dépassé à la suite de retard du fabricant chinois, et certaines modifications sur les fermetures des vestes n'ayant pas été apportées, dont la société ADC était avertie le 3 juillet 2007, la société Whitefield a consenti le 10 juillet 2007 une remise de 12 % pour tenir compte de la non-conformité et du dépassement de délai, ainsi qu'un avoir de 5 % à titre de "remise de fin d'année" ; que la société Whitefield justifie que les marchandises importées ont été dédouanées en Belgique le 13 juillet 2007, mais la société ADC a simplement sollicité une livraison partielle pour le mois de juillet en reportant le solde au retour de vacances de son dirigeant, et les dernières commandes n'ont été passées par ADC que le 15 octobre 2007, pour livraison les 24 octobre et 12 novembre 2007 ; que la livraison de juillet 2007 a fait l'objet de réclamations de la part de la société ADC en raison de quelques malfaçons que la société Whitefield a accepté de compenser par des avoirs ; qu'ainsi que l'a relevé à juste titre le tribunal, il a existé un accord entre les parties pour régler le sort de la commande du 12 décembre 2006 et, à défaut de refus des livraisons ou de restitution des marchandises, la société ADC reste redevable à la société Whitefield de la somme réclamée de 94 386,49 euro, le jugement étant confirmé de ce chef ; que la capitalisation des intérêts, judiciairement demandée depuis le 9 mai 2011, et conforme aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, sera également ordonnée ;
Que le sens du présent arrêt commande de rejeter la demande en dommages et intérêts de 125 509 euro formée par la société ADC ;
Sur la rupture du contrat de distribution
Attendu que si la circulaire précitée de la société Whitefield du 15 mai 2007 informait ses clients de la cession de son fonds de commerce France à la société Imbretex, la transaction réellement conclue entre ces deux sociétés était, aux termes d'un acte du 4 mai 2007, une concession par Whitefield à Imbretex de la distribution exclusive des produits de la gamme Penduick pour la France et les Dom-Tom, avec la précision que "le client ADC était cédé avec la clientèle France" ; qu'en dépit des affirmations contraires des sociétés Whitefield et Imbretex, et sauf à dénaturer la convention du 1er septembre 2005, il apparait clairement que la distribution exclusive des produits de la gamme Penduick concédée à la société ADC sur les boutiques et les salons nautiques s'appliquait "sur tout le territoire français et européen pour une durée de trois ans" ; qu'il ressort, en outre, d'une correspondance aux explications embarrassées adressée par Whitefield à Imbretex le 4 juillet 2007 que la première société avait pris des "engagements moraux" à l'égard de la société ADC concernant des actions commerciales visant trois enseignes de la grande distribution, Système U, Leclerc et Intermarché afin de lui éviter des "démarchages sauvages d'autres distributeurs" ; qu'en s'engageant ainsi, même sans conclusion d'un contrat écrit d'exclusivité pour ces acheteurs, la société Whitefield a exprimé sa volonté non équivoque et délibérée de s'obliger envers la société ACD et cette déclaration a une valeur contraignante pour l'intéressée et lui est juridiquement opposable ;
Et attendu que le contrat de concession exclusive conclu entre les sociétés Whitefield et ADC, en considération de la personne du concédant, ne pouvait, en l'absence de clause autorisant la cession, être transféré à un tiers sans l'accord de la société ADC ; qu'il ne peut être soutenu que l'accord de la société ADC résulterait de la continuation des relations commerciales avec la société Imbretex dès lors que celle-ci a dénié l'existence d'une exclusivité pour le territoire européen et les trois grandes surfaces précitées ; qu'il résulte de ce qui précède que la société Whitefield a rompu brutalement le contrat conclu avec la société ADC et lui doit réparation ;
Attendu que la société ADC estime son préjudice à la perte de marge brute sur le chiffre de commandes prévisionnel prévu par l'accord du 1er septembre 2005 entre la date de rupture du contrat le 15 mai 2007 et son échéance au 31 août 2008 ; que, toutefois, les chiffres d'affaires réalisés par la société ADC sur les produits Penduick de 358 887 euro en 2006 et 337 821 euro en 2007 ne permettaient pas, compte tenu du taux de marge de 1,8 allégué, de satisfaire aux objectifs de commandes fixés à 300 000 euro HT du 1er septembre 2006 au 31 août 2007 puis à 450 000 euro HT du 1er septembre 2007 au 31 août 2008 ; que le chiffre d'affaires Penduick de la société ADC s'est réduit à 116 000 euro HT pour l'année 2008 ; que, compte tenu d'un chiffre d'affaires moyen de 348 000 euro pour les deux années 2006 et 2007, la cour estime que le préjudice subi par la société ADC correspond à la perte de marge sur la baisse de chiffre d'affaires enregistrée en 2008, soit [(348 000 - 116 000) / 1,8 ] - 232 000 = 103 000 euro, et par infirmation du jugement, la société Whitefield sera condamnée à payer cette somme à la société ADC ;
Sur les factures impayées Imbretex
Attendu que la rupture du contrat de distribution exclusive étant imputable à la société Whitefield, la société ADC ne peut invoquer des fautes commises par la société Imbretex pour se soustraire au paiement des factures litigieuses ; qu'elle ne peut davantage revendiquer les conditions tarifaires anciennement appliquées par la société Whitefield puisqu'il vient d'être jugé que le contrat n'avait pas été transféré ; qu'enfin, les malfaçons alléguées sont insuffisamment caractérisées, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société ADC à payer à la société Imbretex la somme de 52 989,02 euro ; que cette condamnation sera assortie des intérêts au taux légal à compter des mises en demeure, soit du 3 septembre 2008 pour 34 575,64 euro et du 3 octobre 2008 pour 18 413,38 euro, la capitalisation des intérêts étant également ordonnée, dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, à compter des conclusions du 14 septembre 2011 comportant cette demande ;
Attendu que les sociétés ADC et Whitefield, succombant partiellement en leurs prétentions, supporteront leurs propres dépens d'appel, sans indemnité de procédure ; qu'en revanche, la société ADC prendra en charge les dépens d'appel de la société Imbretex et lui versera la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence et condamné la société Actif Développement Commercial à payer à la société Whitefield la somme de 94 386,49 euro avec intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2008 et à la société Imbretex celle de 52 989,02 euro ; Y ajoutant ; Dit que la condamnation au profit de la société Imbretex sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2008 pour 34 575,64 euro et du 3 octobre 2008 pour 18 413,38 euro ; Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, à compter du 9 mai 2011 pour la créance de la société Whitefield et du 14 septembre 2011 pour celle de la société Imbretex ; L'infirmant dans ses dispositions relatives à la demande indemnitaire de la société Actif Développement Commercial pour rupture du contrat de distribution ; Et statuant à nouveau sur ce point ; Dit que la société Whitefield a rompu brutalement le contrat de distribution exclusive conclu avec la société Actif Développement Commercial ; Condamne, en conséquence, la société Whitefield à payer à la société Actif Développement Commercial la somme de 103 000 euro à titre de dommages et intérêts ; Rejette les demandes des sociétés Whitefield et Actif Développement Commercial tendant à l'allocation de sommes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, mais condamne la société Actif Développement Commercial à verser à la société Imbretex la somme de 3 000 euro à ce titre ; Laisse aux sociétés Whitefield et Actif Développement Commercial la charge leurs dépens d'appel, et dit que ceux de mise en cause de la société Imbretex seront supportés par la société Actif Développement Commercial ; Accorde à Maître Daude, avoué, le droit reconnu par l'article 699 du Code de procédure civile.