CA Poitiers, 2e ch. civ., 29 novembre 2011, n° 10-03763
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Auroma (SARL), Leblanc (ès qual.)
Défendeur :
Geneviève Lethu (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. du Rostu (faisant fonctinons)
Conseillers :
Mme Pignon, M. Ralincourt
Avoués :
SCP Gallet Allerit, SCP Paille Thibault Clerc
Avocats :
Me Kalopissis, SCP Clara Cousseau Ouvrard Pagot Reye Saubole Sejourne, Associés
Après un premier contact au mois de mars 2005, la société Geneviève Lethu a conclu avec Monsieur et Madame Perreau un contrat de franchise en date du 11 juillet 2005. Monsieur Martial Perreau a été nommé gérant de la société Auroma, pour l'exploitation par cette dernière d'un magasin à l'enseigne Geneviève Lethu, situé à Compiègne (60200).
La société Auroma a assigné la société Geneviève Lethu devant le Tribunal de commerce de La Rochelle au titre des différents manquements de cette dernière tant avant qu'après la conclusion du contrat de franchise.
Par jugement du 25 mars 2009, le Tribunal de commerce de Compiègne a prononcé la liquidation judiciaire de la société Auroma et désigné en qualité de liquidateur la SCP Leblanc-Lehericy-Herbault, laquelle a repris l'instance en cours devant le Tribunal de commerce de La Rochelle.
Il était demandé, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la condamnation de la société Geneviève Lethu à payer à la société Auroma, prise en la qualité de son liquidateur, la SCP Leblanc-Lehericy-Herbaut, à titre de restitution des sommes perçues et de dommages et intérêts la somme de 250 000 euro, outre celle de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SCP Leblanc-Lehericy-Herbaut ès qualités concluait à la nullité du contrat de franchise, en faisant valoir que la société Geneviève Lethu n'avait pas respecté les obligations qui lui incombaient au titre de son obligation d'information précontractuelle.
Par jugement du 10 septembre 2010, le Tribunal de commerce de La Rochelle a débouté la SCP Leblanc-Lehericy-Herbaut de l'ensemble de ses prétentions, débouté la société Geneviève Lethu de ses demandes reconventionnelles, et condamné la SCP Leblanc-Lehericy-Herbaut aux dépens.
La SCP Leblanc-Lehericy-Herbaut (SCP Leblanc) a relevé appel par déclaration du 14 octobre 2010.
Aux termes de ses conclusions du 14 octobre 2011, elle demande à la cour de :
- débouter la société Geneviève Lethu de sa demande d'irrecevabilité de ses demandes ès qualités,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Geneviève Lethu de sa demande de dommages et intérêts,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Auroma de l'intégralité de ses demandes,
- statuant à nouveau,
- dire et juger que la société Geneviève Lethu a gravement manqué à l'exécution loyale et de bonne foi du contrat de franchise,
- dire et juger que la société Geneviève Lethu a violé son obligation d'aide et assistance,
- dire et juger que la société Geneviève Lethu doit réparer l'intégralité des préjudices commerciaux consécutifs à ses fautes,
- prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts et griefs exclusifs de la société Geneviève Lethu,
- admettre au passif de la sauvegarde de la société Geneviève Lethu les sommes de :
- 15 000 euro HT au titre du remboursement du droit d'entrée,
- 26 621,22 euro HT au titre du remboursement des redevances versées depuis la signature du contrat,
- 7 948,28 euro HT au titre du remboursement des investissements publicitaires réalisés par la société Auroma,
- 163 014,52 euro au titre du remboursement des comptes courants,
- dire que ces condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 25 mars 2009, date de l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Auroma, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1154 du Code Civil,
- débouter la société Geneviève Lethu de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la SCP P. Courret G. Courret-Guguen ès qualités (en fait, la société Geneviève Lethu, un plan de sauvegarde ayant été adopté par jugement du Tribunal de commerce de La Rochelle du 16 décembre 2010) à payer à la société Auroma la somme de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la SCP P. Courret-G. Courret-Guguen ès qualités aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés par la SCP Gallet Allerit avoués en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par ses écritures du 13 octobre 2011, la société Geneviève Lethu demande à la cour de :
- À titre liminaire :
- constater que Maître Leblanc, ès qualités, formule des demandes nouvelles,
- en conséquence, juger que lesdites demandes sont irrecevables,
- débouter Maître Leblanc, ès qualités de liquidateur de la société Auroma de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- À titre principal :
- constater l'absence de vice de consentement de la société Auroma,
- constater la validité du contrat de franchise,
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de La Rochelle du 10 septembre 2010 en ce qu'il a débouté Maître Leblanc, ès qualités de liquidateur de la société Auroma de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- statuant à nouveau,
- constater que la société Geneviève Lethu a parfaitement satisfait à ses obligations tirées du contrat de franchise,
- constater que la société Auroma a manqué à ses obligations tirées de ce même contrat notamment en cessant de s'approvisionner auprès de fournisseurs référencés,
- constater que les manquements de la société Auroma causent un préjudice en termes d'image de marque de la société Geneviève Lethu,
- en conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Geneviève Lethu de sa demande de dommages et intérêts,
- statuant à nouveau, et faisant droit à l'appel incident de la concluante,
- condamner la société Auroma à verser à la société Geneviève Lethu la somme de 30 000 euro au titre de l'atteinte à son image de marque,
- vu la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la société Auroma, fixer la créance de la société Geneviève Lethu au passif de la liquidation de ladite société,
- condamner Maître Leblanc ès qualité à lui payer la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 octobre 2011.
Motifs
Attendu que par application des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou révélation d'un fait ; que selon l'article 565, les prétentions ne sont pas nouvelles lorsqu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ;
Attendu en l'espèce que c'est à tort que la société Geneviève Lethu soulève l'irrecevabilité des demandes de la société Auroma, représentée par la SCP Leblanc, au motif que celle-ci a abandonné sa demande en nullité du contrat de franchise et demande la résiliation du contrat aux torts exclusifs et sa résolution, dès lors, d'une part, que la question des manquements de la société Geneviève Lethu à ses obligations dans le cadre de l'exécution du contrat de franchise a été évoquée devant les premiers juges, et, d'autre part, que la demande de la société Auroma en appel, qui tend à voir prononcer la résiliation du contrat de franchise, et non plus sa nullité, a le même objet, à savoir l'anéantissement du contrat de franchise, et tend donc aux mêmes fins que la demande initiale ; qu'en outre, les postes d'indemnisation sollicités sont identiques, la société Auroma continuant à demander le remboursement du droit d'entrée, des redevances versées depuis la signature du contrat, le remboursement des investissements publicitaires réalisés et le remboursement des comptes courants ; que sa demande est en conséquence recevable ;
Attendu que la société Auroma représentée par la SCP Leblanc, ne sollicite plus la nullité du contrat de franchise pour dol, mais le prononcé de sa résiliation aux torts de la société Geneviève Lethu pour manquement de celle-ci à ses obligations contractuelles ; qu'il sera observé, sur cette demande, que, du fait de la liquidation judiciaire de la société Auroma, qui n'est pas produit aux débats, et alors qu'il n'est pas soutenu que la société liquidée a été autorisée à poursuivre l'exploitation du fonds, le contrat de franchise semble être d'ores et déjà résilié ;
Attendu que l'article L. 330-3 du Code de commerce impose au franchiseur de fournir au franchisé "un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause", ce document devant préciser notamment :
- l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise,
- l'état et les perspectives de développement du marché concerné,
- l'importance du réseau d'exploitants,
- la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat,
- le champ des exclusivités ;
que l'article R. 330-1 du même Code apporte des précisions quant à ces éléments d'information et indique qu'ils doivent être complétés par "une présentation de l'état général et local du marché de produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché" ;
Attendu tout d'abord que c'est à tort que la société Auroma prétend que la société Geneviève Lethu n'a pas respecté ses obligations précontractuelles et a fait preuve de légèreté en ne s'assurant pas au préalable de la faisabilité de son concept sur la ville de Compiègne, en se contentant de valider le compte d'exploitation prévisionnel établi par ses futurs franchisés, Monsieur et Madame Perreau, dès lors que le franchiseur n'est pas tenu de fournir d'études de marchés ou de comptes prévisionnels, ces documents étant établis par le franchisé ; qu'en outre, la société Geneviève Lethu justifie avoir communiqué le chiffre d'affaires réalisé par chacun de ses franchisés pour l'année 2004, ainsi que celui réalisé pour le magasin de Compiègne, précédemment exploité sous franchise de 1984 à 1986 (pièces n° 10 et 12 de la société Auroma) ; que le tableau comparatif des chiffres d'affaires réalisés dans des villes de même importance que Compiègne par les autres magasins Geneviève Lethu entre 2001 et 2004 démontre que, contrairement à ce qu'affirme la société Auroma, le compte d'exploitation prévisionnel établi par les époux Perreau, et validé par la société Geneviève Lethu n'était pas exagérément optimiste ; que ce compte prévisionnel n'a d'ailleurs été validé qu'après plusieurs remarques sur la masse salariale et le respect du plan d'investissements effectuées par la société Geneviève Lethu auprès des époux Perreau (pièces n° 14 et 18), ce qui démontre le sérieux de l'étude préalable réalisée par le franchiseur ;
Attendu qu'en vertu du contrat de franchise, le franchiseur est tenu d'assister le franchisé pour la mise en œuvre du savoir-faire et pour l'utilisation de la marque ; que cette obligation d'assistance et de collaboration doit être permanente ;
Attendu que la société Auroma soutient que la société Geneviève Lethu a gravement manqué à ses obligations en ne lui apportant aucune assistance effective et approfondie pendant toute la durée contractuelle, les quelques solutions proposées lors des visites, tenant principalement à la réfection de vitrines et à un changement de présentation des produits, s'étant révélées totalement inefficaces et insuffisantes ;
Attendu cependant, qu'il résulte des pièces versées aux débats :
- qu'entre le 1er décembre 2005 et le 17 juillet 2008, 19 visites ont été rendues à la société Auroma, ayant donné lieu à des compte rendus contenant des analyses du chiffre d'affaires, des objectifs, du stock et des commentaires sur l'informatique et la présentation des marchandises préconisée (pièces n° 9 à 27 de la société Geneviève Lethu) ;
- que contrairement à ce qu'avance la société Auroma, et ainsi qu'en justifie la société Geneviève Lethu, celle-ci ne s'est pas contentée de suggérer quelques modifications mineures, mais a régulièrement prodigué ses conseils, émis des recommandations et prescrit des actions correctives pour permettre notamment une meilleure présentation des produits en magasin, une meilleure gestion des achats et des stocks ;
- que notamment, il a été constaté que :
- le stock administratif était supérieur au stock informatique (compte-rendus des 12 juillet 2006, 18 octobre 2006, 11 mai 2007, pièces n° 13, 14, 17) ;
- les procédures de suivi des achats n'étaient pas respectées (compte-rendus des 14 et 15 mars 2006 et18 octobre 2006, pièces n° 11 et 14) ;
- les produits étaient au sol et donc peu visibles (compte-rendus des 11 et 12 janvier 2006, 12 juillet 2006,18 octobre 2006, 22 novembre 2006, pièces n° 10, 13, 14 et 15) ;
- les ventes complémentaires étaient insuffisantes (compte-rendus 14 et 15 mars 2006, pièce n° 11) ;
- les remises commerciales étaient trop importantes (visite du 12 juillet 2006, pièce n° 13) ;
que des conseils ont été régulièrement prodigués pour remédier aux difficultés constatées (chiffrer les achats prévisionnels et réels chaque mois, pièce n° 9; conseils sur la politique d'achats, pièce n° 10, développement de vente complémentaire, et tenue à jour du cahier des achats, pièce n° 11, respect des procédures basiques de suivi des achats, et conseils sur la communication, pièce n° 14, mise en place d'outils de gestion du stock, pièce n° 15, conseils pour les achats et les remises, pièce n° 21, suggestions sur les achats et notamment les réassorts, pièce n° 25) ;
que seules cinq visites n'ont donné lieu qu'à des conseils de merchandising, lesquels font partie en tout état de cause, des obligations à la charge du franchiseur ;
que c'est donc à tort que la société Auroma prétend que les conseils de la société Geneviève Lethu se sont limités à quelques suggestions sur la réfection des vitrines et la présentation des produits, alors au contraire que nombre des remarques effectuées ont porté sur la gestion du magasin, de manière à l'aider à améliorer l'exploitation de son magasin et donc ses résultats ;
que la société Geneviève Lethu ayant respecté ses obligations de franchiseur, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SCP Leblanc ès qualités de l'ensemble de ses demandes ;
Attendu que la société Geneviève Lethu n'explique pas en quoi la société Auroma aurait porté atteinte à son image de marque, alors que l'approvisionnement auprès d'autres fournisseurs que les fournisseurs agréés par le réseau Geneviève Lethu ne constitue pas en soi une faute, dès lors les produits commandés sont similaires à ceux commercialisés par Geneviève Lethu, et que la liquidation judiciaire de la société Auroma ne constitue pas plus une atteinte à l'image sanctionnable, d'autant que la société Auroma affirme, sans être contredite, qu'un nouveau magasin à l'enseigne Geneviève Lethu s'est installé à Compiègne à la suite de sa déconfiture, et qu'en conséquence aucune atteinte à l'image de la société n'est établie ; que le jugement sera également confirmé de ce chef ;
Attendu enfin qu'il convient, en équité, de condamner la SCP Leblanc-Lehericy-Herbaut à payer à la société Geneviève Lethu, laquelle n'est plus sous le mandat de la SCP P. Courret- G. Courret-Guguen, la somme de 2 000 euro en application, en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, le jugement déféré étant par ailleurs confirmé ; que la demande présentée sur le même fondement par la SCP Leblanc-Lehericy-Herbaut , qui succombe, sera en revanche rejetée, et elle supportera seule les dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, Déclare recevables les demandes de la SCP Leblanc-Lehericy-Herbaut ès qualités de liquidateur de la société Auroma ; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la SCP Leblanc-Lehericy-Herbaut ès qualités à payer à la société Geneviève Lethu la somme de 2 000 euro en application, en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SCP Leblanc-Lehericy-Herbaut ès qualités aux entiers dépens, et autorise leur recouvrement conformément aux dispositions régissant les procédures collectives.