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Décisions

ADLC, 27 mai 2011, n° 11-A-07

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif à une demande d'avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes portant sur un projet d'analyse des marchés de la téléphonie fixe

ADLC n° 11-A-07

27 mai 2011

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la demande d'avis du 15 avril 2011, présentée par le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), enregistrée sous le numéro 11/0030 A ; Vu le livre IV du code de commerce ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur général adjoint et les représentants de l'ARCEP, entendus lors de la séance du 16 mai 2011 ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations suivantes :

1. Par lettre en date du 15 avril 2011 enregistrée sous le numéro 11/0030 A, le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a saisi pour avis l'Autorité de la concurrence dans le cadre de la procédure d'analyse des marchés de la téléphonie fixe de gros et de détail.

2. Après avoir présenté la demande d'avis (I), l'Autorité limitera ses remarques aux évolutions constatées sur ces marchés depuis l'avis n° 08-A-11 du 18 juin 2008 qu'elle a rendu à l'ARCEP (II).

I. Constatations

1. LA TÉLÉPHONIE FIXE

Le troisième cycle d'analyse des marchés de la téléphonie fixe

3. La procédure d'analyse des marchés, issue du cadre communautaire du " paquet télécom ", adopté en 2002, prévoit que chacun des régulateurs sectoriels des Etats Membres de l'Union européenne conduit une analyse concurrentielle des marchés des communications électroniques nationaux et impose ex ante, le cas échéant, les obligations nécessaires pour assurer le développement de la concurrence sur ces marchés.

4. Le présent avis concerne trois des marchés identifiés par la Commission européenne dans sa recommandation du 17 décembre 2007 comme étant susceptibles de faire l'objet d'une régulation ex ante par les régulateurs sectoriels des Etats Membres (1) :

- un marché de détail, celui de l'" accès au réseau téléphonique public en position déterminée pour la clientèle résidentielle et non résidentielle " ;

- un premier marché de gros, celui du " départ d'appel sur le réseau téléphonique public en position déterminée " ;

- un second marché de gros, celui de la " terminaison d'appel sur divers réseaux téléphoniques publics individuels en position déterminée ".

5. Le dispositif de régulation envisagé par l'ARCEP porte sur la période 2011-2014. Il s'agit pour l'ARCEP du troisième cycle d'analyse de ces marchés.

Fonctionnement des marchés concernés

6. Les marchés concernés par la présente demande d'avis concernent les " réseaux téléphoniques publics en position déterminée ", c'est-à-dire les réseaux des opérateurs qui fournissent des services de téléphonie fixe, par opposition à la téléphonie mobile.

7. Le premier de ces réseaux est celui de France Télécom, hérité de l'ancien monopole public. Il se compose d'une boucle locale (la " paire de cuivre ") et d'un réseau de transmission commuté permettant de mettre en relation les différents correspondants potentiels. Dès l'ouverture à la concurrence, en 1997, ce réseau a été ouvert aux nouveaux entrants pour leur permettre de fournir des services de communication téléphonique. Les abonnés de France Télécom ont pu dès lors passer leurs appels via d'autres opérateurs grâce à un mécanisme de " sélection du transporteur " qui pouvait se faire soit appel par appel, via un préfixe, ou pour l'ensemble des appels (" présélection "). Pour fournir ce service, les opérateurs alternatifs accèdent au réseau de France Télécom par le biais d'une offre de gros dite de " départ d'appel ", en se raccordant au réseau de France Télécom en différents points d'interconnexion.

8. France Télécom n'est cependant pas le seul à disposer d'une boucle locale téléphonique. D'autres opérateurs, comme le câblo-opérateur Numéricâble, disposent d'une infrastructure en propre raccordée au client final, leur permettant de commercialiser des services téléphoniques sur le marché de détail : non seulement des communications téléphoniques mais aussi l'accès au réseau téléphonique, en concurrence avec France Télécom. Les opérateurs qui déploient des réseaux en fibre optique jusqu'à l'abonné sont dans la même situation.

9. Les opérateurs de dégroupage, qui accèdent à la paire de cuivre de France Télécom au niveau des centraux téléphoniques, peuvent également fournir des services téléphoniques, à la fois pour les communications et pour l'accès. En pratique, le déploiement d'un réseau de transmission commuté parallèle à celui de France Télécom serait difficilement rentable et ces opérateurs ont par ailleurs préféré commercialiser des offres multiservices de technologie DSL intégrant des services téléphoniques en complément de l'accès à Internet haut débit. Ces services téléphoniques empruntent les infrastructures haut débit DSL de l'opérateur de dégroupage et utilisent le protocole IP en lieu et place de la commutation traditionnelle. Ils sont appelés " voix sur large bande " (VLB).

10. Lorsque le client a choisi une offre en dégroupage dit " partiel ", il conserve son abonnement au réseau téléphonique commuté mais peut bénéficier de communications téléphoniques en voix sur large bande de la part de son fournisseur d'accès à Internet, souvent offertes en quantité illimitée. Lorsque le client choisit une offre en dégroupage dit " total ", toutes ses communications téléphoniques passent par son fournisseur d'accès à Internet. De plus, depuis 2006, l'offre de gros haut débit DSL activée de France Télécom, aussi appelée " bitstream ", n'est plus nécessairement conditionnée à la souscription par le client d'un abonnement téléphonique commuté. Cette fonctionnalité dite de " bitstream nu " permet à un fournisseur d'accès à Internet de proposer des offres multiservices haut débit sans abonnement téléphonique, y compris en zone non dégroupée.

11. Les services de voix sur large bande se distinguent des services de " voix sur Internet ", qui sont fournis par des sites Internet tel que Skype et qui ne sont pas des services gérés par le fournisseur d'accès à Internet. Par ailleurs, on relèvera que France Télécom commercialise également des services de voix sur large bande, sous la marque Orange.

12. En outre, depuis 2005, France Télécom fournit aux opérateurs alternatifs une offre de vente en gros de l'accès au service téléphonique (VGAST), aussi appelée " revente de l'abonnement ". Cette prestation de gros permet aux opérateurs tiers de proposer sur le marché de détail des services d'accès au réseau téléphonique commuté concurrents de l'abonnement de France Télécom. Il s'agit ainsi de prolonger le mécanisme de présélection du transporteur, non seulement aux communications téléphoniques commutées mais aussi à l'accès, pour permettre aux opérateurs alternatifs de proposer l'ensemble des services, et ce avec une facture unique, aux ménages attachés à la téléphonie commutée ou qui ne sont pas intéressés par une offre d'accès à Internet haut débit.

13. Enfin, l'ensemble des opérateurs qui fournissent au client final l'accès au service téléphonique (abonnement de France Télécom, abonnements concurrents via l'offre de VGAST ou une infrastructure de boucle locale concurrente à la paire de cuivre, offres multiservices haut débit sans abonnement téléphonique s'appuyant sur le dégroupe total ou le bitstream nu) proposent sur le marché de gros de l'interconnexion une prestation de " terminaison d'appel ". Cette prestation est indispensable aux opérateurs tiers qui souhaitent acheminer les appels émanant de leurs abonnés pour les mettre en relation avec ceux de l'opérateur concerné.

2. LE CADRE RÉGLEMENTAIRE

Le cas particulier des services à valeur ajoutée

14. Les clients des services téléphoniques ne sont pas seulement des consommateurs ou des entreprises qui souhaitent émettre et recevoir des appels interpersonnels. Certaines entreprises, administrations, ou prestataires de services mettent également en place des centres d'appels pour pouvoir être joints par le public au travers de numéros dits " spéciaux ", qui commencent par " 08 " ou sont des numéros courts tels que 3BPQ, 118XYZ, 116XYZ et 10YZ. Il peut s'agir de services clients (ex : " hotline "), de services d'information et de vente (ex : SNCF), de services fournissant spécifiquement un contenu auditif ou encore d'automates permettant de commander des opérations diverses à distance. L'ensemble de ces services sont désignés " services à valeur ajoutée " (SVA).

15. Du point de vue des marchés concernés par le présent avis, ces SVA ont une double particularité. En premier lieu, une partie des revenus perçus par l'opérateur de l'appelant peut être reversée à l'opérateur de l'appelé avant d'être transmis au fournisseur de SVA, en rémunération du service rendu à l'appelant. Cette chaîne de facturation appelle au niveau des marchés de gros des prestations spécifiques de reversement.

16. En second lieu, les fournisseurs de SVA souhaitent que leurs services soient accessibles pour l'ensemble des appelants potentiels, quel que soit leur opérateur, et ce à un tarif aussi homogène que possible afin de faciliter leur communication commerciale en direction de ces derniers. Ainsi, chaque opérateur qui fournit au client final l'accès au service téléphonique est amené à fournir une prestation de gros de départ d'appel pour permettre à l'opérateur du fournisseur de SVA de mettre en relation ce dernier et les appelants concernés. De plus, les modalités, notamment tarifaires de cette prestation, impactent in fine l'équilibre économique du fournisseur de SVA.

17. Ces spécificités ont amené l'ARCEP à mettre en place un ensemble d'obligations règlementaires " symétriques ", c'est-à-dire touchant l'ensemble des opérateurs (2). En vertu de ce dispositif, les opérateurs des appelants ont l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables relatives à des prestations de départ d'appel et de reversement pour les SVA. Les opérateurs des fournisseurs des SVA ont par ailleurs l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables d'accessibilité de leurs numéros émanant des opérateurs des appelants.

Le dispositif d'analyse des marchés envisagé par l'ARCEP et soumis à l'examen de l'Autorité

18. Certaines décisions d'application du premier cycle d'analyse des marchés de la téléphonie fixe, et plus encore le deuxième cycle d'analyse, conduit en 2008, avaient marqué la suppression progressive du régime d'homologation tarifaire qui pesait sur France Télécom sur les marchés de détail de l'accès et des communications téléphoniques.

19. Le troisième cycle d'analyse se situe dans la continuité du précédent. Ses principales dispositions sont décrites ci-après :

20. Sur le marché de détail de l'" accès au réseau téléphonique public en position déterminée pour la clientèle résidentielle et non résidentielle ", France Télécom dispose d'une position dominante et se voit imposer de ce fait l'obligation de fournir une offre de gros de départ d'appel pour la sélection du transporteur ainsi que l'offre de VGAST.

21. S'agissant du marché de gros du " départ d'appel sur le réseau téléphonique public en position déterminée ", l'ARCEP estime qu'appartiennent à ce marché à la fois les prestations de départ d'appel relatives à la sélection du transporteur, que seule France Télécom fournit, ainsi que les prestations de départ d'appel SVA, qui sont assurées par l'ensemble des opérateurs. France Télécom, qui occupe selon l'ARCEP une position dominante sur ce marché, se voit imposer des obligations d'accès, de non discrimination, de transparence, notamment de publication d'une offre de référence et de contrôle tarifaire.

22. Ce contrôle tarifaire se traduit, pour les prestations de départ d'appel relatives à la sélection du transporteur, par une obligation d'orientation des tarifs vers les coûts. Pour le départ d'appel SVA, France Télécom est simplement tenue à une " interdiction de pratiquer des tarifs excessifs ". Dans ce cadre, l'ARCEP prévoit de définir un encadrement pluriannuel des tarifs de gros de France Télécom (" price cap ") afin d'assurer une transition entre la situation tarifaire actuelle, dans laquelle les prix de gros des alternatifs sont environ doubles de ceux de France Télécom, à une situation de convergence des tarifs de gros entre tous les opérateurs. L'ARCEP estime que cette obligation est nécessaire pour éviter que France Télécom ne profite de cette période de transition pour remonter ses tarifs de gros au niveau de ceux des opérateurs alternatifs.

23. Enfin, sur les marchés de la " terminaison d'appel sur divers réseaux téléphoniques publics individuels en position déterminée ", chaque opérateur est considéré comme occupant une position dominante pour l'accès à ses abonnés et se voit imposer de ce fait des obligations d'accès, de non discrimination, de transparence et d'orientation des tarifs vers les coûts. Cette dernière obligation doit être mise en œuvre au travers d'un encadrement pluriannuel des tarifs de l'ensemble des opérateurs, qui doit aboutir à la convergence entre les tarifs de gros de terminaison d'appel de France Télécom et ceux des opérateurs alternatifs, ces derniers étant plus élevés à l'heure actuelle.

II. Analyse

24. Comme elle le fait désormais dans le cadre de l'examen des nouveaux cycles d'analyse des marchés soumis par l'ARCEP, l'Autorité limite ses remarques aux évolutions constatées depuis le cycle précédent. Il s'agit en l'occurrence de la question de la transition vers le tout IP (1) et du traitement des services à valeur ajoutée dans l'analyse (2).

25. Pour le reste, l'Autorité renvoie à ses précédents avis (n° 05-A-05, n° 05-A-10 et n° 08-A-11), notamment en ce qui concerne la nécessité de réduire rapidement les asymétries tarifaires entre opérateurs sur les marchés de gros de la terminaison d'appel (§ 32 à 38 de l'avis n° 08-A-11).

1. LA TRANSITION VERS LE TOUT IP

26. Comme le souligne l'ARCEP dans son projet d'analyse de marchés, les réseaux téléphoniques sont amenés à connaître une évolution importante du fait de la généralisation de l'IP (Internet protocol) comme protocole de transport des données. Alors que les réseaux ont historiquement été construits de manière spécialisée en fonction d'un usage donné (le réseau téléphonique pour la voix, les réseaux hertziens terrestres et les réseaux câblés pour la télévision, etc.), la numérisation des contenus induit en effet une convergence de ces réseaux, amenés progressivement à acheminer toutes sortes de contenus échangés sous la forme de données contenues dans des " paquets IP ". Le réseau de transmission téléphonique commuté n'échappera pas à ce phénomène. Comme le montrent les chiffres de l'ARCEP, plus de la moitié des minutes en voix sur large bande de communications de téléphonie fixe sont aujourd'hui acheminées.

27. Cette transition est anticipée par l'ARCEP, qui entend accompagner la réorganisation, par France Télécom, de son réseau téléphonique pour la généralisation de l'IP. En pratique, cela peut signifier une diminution du nombre de points d'interconnexion par rapport au réseau téléphonique actuel pour l'écoulement de tout ou partie du trafic. D'un côté, cette évolution peut déstabiliser un certain nombre d'opérateurs, notamment de transit, qui avaient investi dans des infrastructures capillaires calées sur l'architecture du réseau commuté de France Télécom. D'un autre côté, cette réorganisation constitue un facteur d'efficacité qui peut bénéficier à l'ensemble du secteur. D'ailleurs, France Télécom et Orange mettent en œuvre aujourd'hui une architecture d'interconnexion pour la voix sur large bande sur un nombre limité de points d'interconnexion. Cette architecture n'est cependant pas ouverte aux autres opérateurs au motif que les interconnexions IP ne sont pas aujourd'hui normalisées.

28. Schématiquement, ceci amène l'ARCEP à envisager : (i) pour le trafic en voix sur large bande, que France Télécom fournisse aux autres opérateurs une interconnexion équivalente à celle offerte aujourd'hui à Orange, et ce, dans un délai de dix-huit mois et (ii) pour le trafic en voix commutée, de laisser France Télécom réorganiser son réseau à son rythme, mais en donnant une incitation forte, de nature tarifaire, à la modernisation du réseau, consistant à prendre comme référence de coût pour les obligations de contrôle tarifaire celui d'un opérateur efficace " NGN " (next generation newtork), c'est-à-dire adoptant une architecture tout IP.

29. Comme l'Autorité de la concurrence le rappelait récemment à propos de l'analyse de marché de l'ARCEP relative aux marchés de gros du haut débit et du très haut débit : " Seule une intervention ex ante permet de définir un cadre prévisible permettant aux acteurs de prendre des décisions d'investissement efficaces (on parle de level playing field). Dans un secteur innovant et capitalistique comme celui des communications électroniques, la définition de ce " cadre d'investissement " et les incitations que le régulateur adresse ainsi, tant à l'opérateur historique qu'à ses concurrents ou à d'éventuels nouveaux entrants, est au coeur de la légitimité de la régulation ex ante. " (3) S'agissant plus particulièrement des questions d'architecture technique, l'Autorité relevait par ailleurs, s'agissant du déploiement des réseaux en fibre optique jusqu'aux abonnés : " A la différence du réseau cuivre, qui était déjà installé lorsqu'il a été ouvert à la concurrence par le biais du dégroupage, l'architecture du réseau fibre constitue un enjeu de régulation ex ante. L'opérateur qui déploie la fibre pourrait en effet être tenté d'opérer des choix d'architecture limitant les possibilités des concurrents de fournir des services très haut débit sur le réseau. Or, ces choix ne sont généralement pas réversibles à un coût raisonnable, particulièrement dans les zones moins denses. Il est par conséquent indispensable que la régulation ex ante puisse les encadrer. " (4)

30. Si l'Autorité de la concurrence n'est pas en mesure de porter une appréciation détaillée sur les mesures envisagées par l'ARCEP dans le cadre du présent avis, elle estime pleinement légitime la démarche du régulateur sectoriel tendant à encadrer l'architecture d'interconnexion de France Télécom et à donner les incitations aux acteurs pour faire migrer leurs réseaux vers le tout IP.

2. LE TRAITEMENT DES SERVICES À VALEUR AJOUTÉE

31. Les remarques de l'Autorité de la concurrence sur le traitement des services à valeur ajoutée (SVA) sont d'ordre uniquement méthodologique. Elles portent sur la question de la délimitation des marchés pertinents ainsi que sur l'opportunité de soumettre ces marchés à la régulation ex ante et ne remettent pas en cause les obligations que l'ARCEP entend imposer à ce titre.

32. L'ARCEP propose d'inclure dans un même marché des prestations de nature différente :

- D'un côté, la prestation de départ d'appel depuis le réseau de France Télécom pour la mise en œuvre du mécanisme de sélection du transporteur. France Télécom est le seul offreur de ce marché qui est par ailleurs déclinant. En effet, compte tenu du développement du dégroupage et de la voix sur large bande, les opérateurs alternatifs cherchent à se placer en tant que fournisseurs de l'ensemble des services fixes des abonnés et non des seuls services téléphoniques ;

- D'un autre côté, la prestation de départ d'appel vers les numéros SVA depuis l'ensemble des réseaux de téléphonie fixe. Cette prestation est fournie par l'ensemble des opérateurs proposant l'accès au réseau téléphonique (en voix commutée ou sur large bande) aux consommateurs finaux. Contrairement à la présélection, le marché du départ d'appel SVA n'est pas en déclin. Il se développe même si l'on considère les opérateurs mobiles, qui fournissent également ce type de prestation.

33. Si ces deux types de prestations ont pu apparaître comme étant substituables par le passé, lorsque l'essentiel des appels vers les numéros SVA provenaient d'abonnés au réseau téléphonique commuté, cela ne paraît plus pouvoir être le cas aujourd'hui. En effet, les deux types de prestations diffèrent à la fois au niveau des offreurs (France Télécom dans le premier cas, tous les opérateurs dans le second), des prix (minimes dans le premier cas, pouvant atteindre plusieurs centimes voire dizaines de centimes d'euro dans le second cas), du type de prestation (pas de reversement dans le premier cas), ainsi qu'au niveau des demandeurs finaux (consommateur dans le premier cas, entreprise ou organisme éditeur de contenu ou de service dans le second cas). En outre, les contraintes concurrentielles paraissent hétérogènes entre ces deux segments : France Télécom occupe une position de monopole sur le premier alors que sa part de marché serait selon l'ARCEP d'environ 50 % en valeur sur le second.

34. Ces considérations pourraient appeler une analyse séparée du marché de gros du départ d'appel SVA. Comme le souligne l'ARCEP dans son analyse, le départ d'appel en provenance de chaque réseau est susceptible de constituer un goulot d'étranglement pour un éditeur de contenus souhaitant que ses services soient accessibles au plus grand nombre d'appelants potentiels. Les rigidités sur les prix dues aux paliers tarifaires des numéros spéciaux rendent difficile l'exercice d'un contre-pouvoir d'acheteur par les éditeurs de contenus : ces derniers n'ont pas la possibilité de facturer un prix plus élevé aux abonnés d'un opérateur qui demanderait un tarif de gros supérieur aux autres. A l'instar de l'analyse menée sur les terminaisons d'appel, il est donc plausible que tout opérateur dispose d'une position dominante sur le marché du départ d'appel au départ de ses abonnés. Cette conclusion pourrait d'ailleurs concerner non seulement les opérateurs fixes mais aussi les opérateurs mobiles.

35. Une telle hypothèse n'impliquerait pas nécessairement que chacun de ces marchés soit soumis à une régulation ex ante. La régulation " symétrique " mise en place par l'ARCEP sur les SVA limite fortement l'exercice du pouvoir de marché que chaque opérateur détient sur ses abonnés. En application de ces dispositions, l'ARCEP a récemment pu imposer à SFR de réduire ses tarifs de gros à l'issue d'un règlement des différends introduit par France Télécom. Seul le marché de gros du départ d'appel au départ de la boucle locale de France Télécom pourrait faire l'objet d'une régulation ex ante, compte tenu, d'une part, de la situation particulière de France Télécom, qui est verticalement intégré en tant qu'opérateur de transit sur les SVA et, d'autre part, de la nécessité, avancée par l'ARCEP, d'accompagner la convergence tarifaire entre les prestations de départ d'appel des différents opérateurs.

36. En séance, les représentants de l'ARCEP ont toutefois précisé le contexte communautaire dans lequel devait se situer l'analyse du marché de gros du départ d'appel. D'une part, dans la recommandation évoquée au § 4, la Commission européenne estime que le départ d'appel de sélection du transporteur et le départ d'appel SVA appartiennent à un même marché (5). D'autre part, les régulateurs européens, réunis au sein de l'ORECE (6), travaillent actuellement à l'élaboration d'une position commune portant sur la régulation des SVA, qui doit être proposée à la Commission européenne dans les prochains mois.

CONCLUSION

37. L'Autorité de la concurrence émet un avis favorable au projet d'analyse de marchés de l'ARCEP, particulièrement en ce qui concerne la nécessité d'accompagner la migration des réseaux vers le tout IP. L'Autorité invite par ailleurs l'ARCEP à prendre pleinement en compte la spécificité des services à valeur ajoutée (SVA) dans les travaux européens auxquels elle est amenée à participer. Sous réserve de l'issue de ces travaux, l'ARCEP pourrait être amenée à amender son analyse de marché de la téléphonie fixe pour identifier un marché pertinent spécifique des prestations de gros de départ d'appel vers les numéros SVA au départ de la boucle locale de France Télécom.

Délibéré sur le rapport oral de M. Sébastien Soriano, rapporteur général adjoint, par Mme Anne Perrot, vice-présidente, présidente de séance, Mmes Françoise Aubert et Elisabeth Flüry-Hérard, vice-présidentes et M. Patrick Spilliaert, vice-président.

Notes

1 2007-879-CE : recommandation de la Commission du 17 décembre 2007 concernant les marchés pertinents de produits et de services dans le secteur des communications électroniques susceptibles d'être soumis à une réglementation ex ante conformément à la directive 2002-21-CE du Parlement européen et du Conseil relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques.

2 Décision n° 2007-0213 du 16 avril 2007 portant sur les obligations imposées aux opérateurs qui contrôlent l'accès à l'utilisateur final pour l'acheminement des communications à destination des services à valeur ajoutée.

3 Avis n° 11-A-05 du 8 mars 2011 relatif à une demande d'avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) portant sur le troisième cycle d'analyse des marchés de gros du haut débit et du très haut débit.

4 Avis n° 10-A-18 du 27 septembre 2010 relatif à un projet de décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes portant sur le déploiement de la fibre optique en dehors des zones très denses.

5 La Commission a par ailleurs eu l'occasion d'émettre des " doutes sérieux ", début 2007, sur une analyse de marché de l'AGCOM, autorité de régulation sectorielle italienne, tendant à déclarer pertinents les marchés du départ d'appel SVA depuis le réseau de chacun des opérateurs mobiles. Les doutes de la Commission ne portaient cependant pas uniquement sur la question de la délimitation des marchés pertinents mais aussi sur la cohérence de l'analyse entre les marchés fixes et les marchés mobiles, ainsi que sur la nécessité de réguler ces marchés (case IT/2007/0575).

6 Organe des régulateurs européens des communications électroniques, institué par les directives du " paquet télécom " à l'occasion de se révision fin 2009.