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Décisions

ADLC, 8 mars 2011, n° 11-A-05

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif à une demande d'avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) portant sur le troisième cycle d'analyse des marchés de gros du haut débit et du très haut débit

ADLC n° 11-A-05

8 mars 2011

L'Autorité de la concurrence (commission permanente) ;

Vu la lettre enregistrée le 26 janvier 2011 sous le numéro 11/0010 A, par laquelle l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a sollicité l'avis de l'Autorité de la concurrence ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu le Code des postes et des communications électroniques ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale, le commissaire du Gouvernement, les représentants de l'ARCEP entendus lors de la séance du 23 février 2011 ; Les représentants des sociétés France Télécom, SFR et Free entendus sur le fondement de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

1. Par lettre en date du 26 janvier 2011 enregistrée sous le numéro 11/0010 A, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci-après ARCEP) a sollicité l'avis de l'Autorité de la concurrence dans le cadre de la procédure d'analyse des marchés de gros du haut débit et du très haut débit.

2. Après avoir présenté la demande d'avis de l'ARCEP (I), l'Autorité de la concurrence rappellera les enjeux d'une bonne articulation entre régulation sectorielle ex ante et application ex post du droit de la concurrence et formulera plusieurs observations sur les documents soumis à son examen (II).

I. Présentation

3. Après avoir présenté le contexte de la demande d'avis de l'ARCEP et des marchés concernés (A), seront évoquées les évolutions que propose d'apporter l'ARCEP au dispositif actuel de régulation (B).

A. CONTEXTE

1. LA DEMANDE D'AVIS

4. La procédure d'analyse des marchés, issue du cadre communautaire du " paquet télécom ", adopté en 2002, prévoit que chacun des régulateurs sectoriels des Etats Membres de l'Union européenne conduit une analyse en trois volets : (i) identification des marchés de produits et de services du secteur des communications électroniques pour lesquels une intervention ex ante est nécessaire pour développer la concurrence au vu des circonstances nationales, (ii) désignation des opérateurs qui, le cas échéant, sont considérés comme étant " puissants sur le marché ", (iii) imposition à ces opérateurs des obligations ex ante nécessaires.

5. Dans la mise en œuvre des deux premiers volets de cet exercice, les régulateurs sectoriels doivent tenir le plus grand compte d'une recommandation de la Commission européenne, qui a été mise à jour le 17 décembre 2007 (1) et qui est accompagnée d'un document issu des services de la Commission (ci-après " notice explicative ").

6. Le présent avis concerne deux des marchés de gros identifiés par la Commission européenne dans sa recommandation du 17 décembre 2007 comme étant susceptibles de faire l'objet d'une régulation ex ante par les régulateurs sectoriels des Etats Membres :

- le marché de la " fourniture en gros d'accès (physique) à l'infrastructure du réseau (y compris l'accès partagé ou totalement dégroupé) en position déterminée ", aussi appelé " marché 4 ") ;

- le " marché de la fourniture en gros d'accès à large bande ", appelé " marché 5 ".

7. Pour ces deux marchés, la Commission européenne a spécifiquement adopté une recommandation relative à la question de la prise en compte des réseaux de nouvelle génération dans l'exercice de définition des obligations ex ante (troisième volet du processus d'analyse des marchés), que l'on désignera ci-après " recommandation NGA " (2).

8. Le dispositif de régulation envisagé par l'ARCEP porte sur la période 2011-2014. S'il s'agit pour l'ARCEP du troisième cycle d'analyse de ces marchés (3), c'est la première fois que cet exercice se fait en référence à la recommandation NGA de la Commission.

9. Conformément aux articles L. 37-1, D. 301 et D. 302 du Code des postes et des communications électroniques, la demande d'avis de l'ARCEP, qui porte à titre principal sur les deux premiers volets du processus d'analyse des marchés, contient les " projets de mesures " envisagés. L'ARCEP a également joint à sa saisine un document intitulé " la montée en débit via l'accès à la sous-boucle locale cuivre de France Télécom " à destination des opérateurs et des collectivités territoriales, qu'elle a mis en consultation publique jusqu'au 7 mars 2011 (ci-après " consultation publique relative à l'accès à la sous-boucle locale cuivre ").

2. PRÉSENTATION DES MARCHÉS CONCERNÉS

10. Les documents examinés dans le présent avis visent, in fine, à assurer le développement de la concurrence sur les marchés de détail du haut débit et du très haut débit. Ces marchés incluent les offres de services qui permettent aux clients finaux, qu'il s'agisse de particuliers (clientèle résidentielle) ou d'entreprises ou administrations publiques (clientèle professionnelle), d'accéder à Internet ou à d'autres services avec des débits de données importants en position fixe (par opposition aux services mobiles). On parle généralement d'accès à haut débit à partir de 512 kb/s ou 2 Mb/s et d'accès à très haut débit à partir de 30 ou 50 Mb/s.

11. Comme l'Autorité le rappelait dans son avis n° 10-A-13 : " initialement limitées à la seule fourniture d'un accès à Internet, les offres haut débit se sont considérablement enrichies au long de la décennie. Les offres commercialisées par les opérateurs sur le marché résidentiel sont aujourd'hui le plus souvent des offres " triple-play " ou plus généralement des offres multiservices. Elles fournissent, en sus d'un accès à Internet à haut débit, un service téléphonique de voix sur large bande ainsi que, pour les clients éligibles, un nombre croissant de services audiovisuels (chaînes gratuites de télévision, vidéo à la demande, télévision de rattrapage, bouquets de chaînes payantes). Les opérateurs proposent également toute une gamme de services multimédias additionnels : antivirus, contrôle parental, espace de stockage, messagerie électronique, routeur Wifi, serveur FTP, compte SIP, etc. " (4).

12. En France, la paire de cuivre du réseau téléphonique de France Télécom est le principal réseau de boucle locale (dernier maillon du réseau jusqu'à l'abonné) utilisé pour la fourniture de ces services (plus de 90% des accès haut débit), par le biais de la technologie DSL (ADSL notamment). Depuis quelques années, plusieurs opérateurs français investissent dans de nouveaux réseaux en fibre optique jusqu'à l'abonné (FTTH pour fibre to the home), qui permettent de dépasser les limites physiques de la paire de cuivre et fournir des services à très haut débit. Le câble coaxial (environ 5 % des accès), principalement opéré par Numéricâble, qui constitue également une alternative à la paire de cuivre, est en outre l'objet d'une modernisation par le remplacement partiel du réseau par de la fibre optique. Le nombre de foyers abonnés à des services à très haut débit reste cependant limité à ce jour (460 000 en très haut débit contre 21,3 millions en haut débit au 31 décembre 2010).

13. Les opérateurs et fournisseurs souhaitant commercialiser, sur les marchés de détail, des services à haut débit et à très haut débit disposent de plusieurs possibilités, en fonction du niveau d'investissement qu'ils sont prêts à consentir :

- s'appuyer sur leur propre infrastructure de boucle locale : c'est le cas de France Télécom, qui peut fournir des services à haut débit sur la paire de cuivre sur une zone recouvrant plus de 98 % de la population française, de Numéricâble sur les réseaux câblés (moins de 40 % de la population) ainsi que des opérateurs (France Télécom, SFR, Free, Bouygues Télécom) qui investissent dans les réseaux FTTH (environ 4 % de la population à ce stade, eu égard à l'installation progressive de la fibre dans les immeubles) ;

- installer leurs propres noeuds de réseaux (on parle d'équipements actifs) sur une boucle locale louée à un opérateur tiers (on parle d'infrastructure passive) : c'est l'option retenue par de nombreux opérateurs (SFR, Free, Bouygues Télécom, Completel, Axione, etc.), qui connectent les paires de cuivre de leurs clients à leurs équipements actifs de technologie DSL installés au niveau des centraux téléphoniques de France Télécom ; cette option, dite de dégroupage, est disponible sur une zone qui couvre au total environ 80 % de la population française à ce jour ; pour relier les centraux téléphoniques à leurs plateformes de services, les opérateurs de dégroupage doivent s'appuyer sur un réseau de collecte, détenu en propre ou loué à un tiers ;

- acheter sur le marché de gros des accès activés par un opérateur tiers (on parle aussi d'offre d'accès au flux de données ou " bitstream "), comme le font les opérateurs alternatifs en complément de couverture des options précédentes ; les flux de données peuvent être livrés au fournisseur de services par l'opérateur tiers en un seul point (livraison nationale) ou de manière moins agrégée pour les fournisseurs qui s'appuient sur des réseaux de collecte (livraison infranationale, par exemple régionale ou départementale) ;

- acheter une offre en " marque blanche ", s'appuyant non seulement sur le réseau mais aussi sur la plateforme de services de l'opérateur offreur, comme le font Darty et Auchan auprès de Numéricâble.

B. LES ÉVOLUTIONS ENVISAGÉES PAR L'ARCEP

1. LE DISPOSITIF ACTUEL DE RÉGULATON

Le dispositif mis en place pour le haut débit

14. Les 22 millions de foyers français abonnés au haut débit et au très haut débit se répartissent approximativement de la manière suivante en fonction des différentes modalités d'accès au marché présentées ci-dessus : environ 50 % par des infrastructures en propre (dont environ

45 % pour France Télécom sous la marque Orange et 5 % pour Numéricâble), environ 40 % par le biais du dégroupage de la paire de cuivre, environ 10 % par le biais d'offres de gros activées (essentiellement au travers de la technologie DSL sur paire de cuivre) et moins de 5 % par l'achat d'offres en marque blanche.

Les offres de gros de dégroupage de la paire de cuivre et d'accès DSL activés

15. Le dégroupage de la paire de cuivre de France Télécom constitue l'axe principal de la régulation sectorielle. L'obligation de dégroupage a été imposée en 2000 à l'ensemble des opérateurs historiques des Etats Membres par un règlement communautaire (5). Elle a été reprise depuis 2005 par l'ARCEP dans ses analyses de marché et constitue aujourd'hui le principal moyen d'accès au marché des opérateurs alternatifs. C'est par le biais du dégroupage que se sont développées en France les offres multiservices, notamment les offres " triple play " sur les lignes téléphoniques qui le permettent (6).

16. Le dégroupage nécessitant de la part des opérateurs qui le mettent en œuvre d'importants investissements, principalement dans les équipements actifs et les réseaux de collecte, l'extension de sa couverture géographique ne s'effectue que progressivement sur le territoire. En complément du dégroupage, l'ARCEP impose ainsi à France Télécom de fournir une offre de gros d'accès DSL activés à un niveau infranational (l'obligation de fournir une offre au niveau national a été levée en 2006). Cette offre de gros permet aux opérateurs qui en sont clients de commercialiser sur l'ensemble du territoire des services d'accès à Internet et des services téléphoniques sur les marchés de détail. En revanche, l'offre ne permet pas de fournir des services de télévision car elle ne prévoit pas d'option " multicast " permettant de mutualiser les flux audiovisuels entre les centraux téléphoniques et les points de livraison des flux (7).

17. La fourniture des offres de gros de dégroupage et d'accès DSL activés est encadrée par l'ARCEP. France Télécom est soumise à des obligations de transparence et de non-discrimination. Elle doit également publier une offre de référence et tenir une comptabilité séparée de ces activités, faisant apparaître les conditions dans lesquelles la branche de détail de l'opérateur historique s'approvisionne sur les marchés de gros.

Régulation tarifaire : orientation vers les coûts et " non-éviction "

18. Sur un plan tarifaire, l'offre de gros de dégroupage est soumise à une obligation d'orientation des tarifs vers les coûts. En pratique, le régulateur sectoriel vérifie régulièrement que les tarifs de dégroupage pratiqués par France Télécom sont fondés sur des données et des méthodes de comptabilisation des coûts qui sont auditées par un professionnel désigné par l'ARCEP ou, lorsque ces éléments ne sont pas disponibles, sur des modèles de coûts.

19. L'offre de gros d'accès DSL activés est soumise à une double obligation tarifaire (i) d'orientation vers les coûts et (ii) de non-éviction. L'obligation de non-éviction consiste à maintenir un écart de prix suffisant entre l'offre de gros de dégroupage et l'offre de gros d'accès DSL activés, dans le but d'inciter les opérateurs alternatifs à investir dans le dégroupage et de prévenir un éventuel effet de ciseau tarifaire entre ces deux offres de gros. En pratique, l'ARCEP publie un modèle évaluant le coût de fourniture d'une offre de gros d'accès DSL activés par un opérateur alternatif efficace s'appuyant sur le dégroupage de la paire de cuivre. Le coût qui ressort de ce modèle constitue schématiquement un plancher pour le prix de gros d'accès DSL activés que peut pratiquer France Télécom. Ce plancher étant supérieur au coût de fourniture effectif du service par France Télécom, compte tenu des économies d'échelle et de l'intégration verticale dont bénéficie cette dernière, l'obligation de non-éviction l'emporte en pratique sur l'obligation d'orientation vers les coûts.

Le dispositif spécifique au très haut débit

L'accès au génie civil de France Télécom

20. France Télécom a hérité de l'ancien monopole public d'infrastructures de génie civil (fourreaux, chambres souterraines, appuis aériens, etc.) supportant le réseau téléphonique et susceptibles d'accueillir de nouveaux réseaux en fibre optique. Lors du précédent cycle d'analyse, à la suite de la décision n° 08-D-02 du Conseil de la concurrence (8), l'ARCEP a imposé à France Télécom l'obligation de donner accès à ces infrastructures pour que ses concurrents puissent, comme elle, y installer un réseau en fibre optique jusqu'à l'abonné (FTTH). A l'instar du dégroupage, France Télécom est dans ce cadre soumise à des obligations de transparence, de non discrimination, de publication d'une offre de référence, de comptabilisation des coûts et de séparation comptable, enfin d'orientation des tarifs vers les coûts. Par le biais de cette régulation, l'ARCEP entend permettre à tous les opérateurs qui le souhaitent d'investir dans un réseau FTTH sur un pied d'égalité avec l'opérateur historique.

La régulation " symétrique " des réseaux FTTH

21. Si la régulation du génie civil de France Télécom peut faciliter le déploiement des réseaux en fibre optique sur le domaine public, elle ne traite pas la question de la fibre optique installée dans le domaine privé. Pour permettre aux habitants de choisir leur fournisseur de services à très haut débit indépendamment de l'identité de l'opérateur qui installe la fibre optique dans l'immeuble (ci-après l'opérateur d'immeuble), la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie a imposé une obligation générale, par laquelle tout opérateur d'immeuble doit donner accès aux opérateurs tiers à la fibre optique installée dans l'immeuble et le cas échéant à proximité (" partie terminale " du réseau).

22. Par opposition au cadre communautaire de l'analyse des marchés, qui permet d'imposer des obligations " asymétriques ", c'est-à-dire s'imposant aux seuls opérateurs puissants sur leur marché, il s'agit là d'une obligation d'accès " symétrique ", pouvant concerner tout opérateur. L'ARCEP a adopté, après avis de l'Autorité de la concurrence (n° 09-A-47 et n° 10-A-18) deux décisions réglementaires précisant les modalités d'application de la loi (9).

23. Le dispositif adopté par l'ARCEP est différencié sur le territoire en fonction de la densité de population. L'ARCEP identifie des " zones très denses ", au sein desquelles une concurrence par les infrastructures entre plusieurs boucles locales en fibre optique lui semble envisageable, sous la forme d'une liste de 148 communes. Dans ces zones très denses, l'accès à la fibre de l'immeuble se fait en un " point de mutualisation " qui est situé au pied de celui-ci ou à proximité immédiate, chaque opérateur étant supposé pouvoir déployer un réseau en fibre optique " horizontal " dans les rues, en s'appuyant notamment sur les infrastructures de génie civil de France Télécom. Dans ce cadre, l'opérateur d'immeuble peut être amené à installer plusieurs fibres pour desservir les logements de l'immeuble (architecture dite " multifibres ") si un ou plusieurs opérateurs tiers lui en font la demande suffisamment tôt et acceptent de participer au financement de l'installation. Il s'agit par ce biais de permettre aux opérateurs qui le souhaitent de disposer de leur propre boucle locale de bout-en-bout et d'éviter la reconstitution d'un monopole à l'intérieur des immeubles.

24. En dehors des zones très denses, l'ARCEP estime que la boucle locale en fibre optique revêt le caractère d'un monopole naturel, de sorte que le " point de mutualisation " au niveau duquel s'effectue l'accès à la fibre optique doit rassembler un nombre suffisant de logements (10). Sur un plan tarifaire, l'ARCEP prévoit deux types d'offres d'accès au point de mutualisation : (i) une offre de " location à la ligne ", qui permet à l'opérateur client de payer uniquement pour l'accès aux fibres correspondant à ses abonnés, en rémunérant l'opérateur investisseur pour le risque encouru ; (ii) une offre de " droit d'usage pérenne ", par laquelle l'opérateur client peut prendre à sa charge une partie du risque d'investissement en échange d'un accès plus large au réseau.

2. LES PROPOSITIONS DE L'ARCEP POUR LE TROISIÈME CYCLE D'ANALYSE DES MARCHÉS

La recommandation NGA de la Commission européenne

25. La recommandation NGA de la Commission européenne recommande aux régulateurs sectoriels des Etats membres d'imposer aux opérateurs puissants sur les marchés 4 et 5 des obligations complémentaires à celles prévues pour le haut débit afin d'assurer un déploiement concurrentiel des réseaux de nouvelle génération. S'agissant plus particulièrement des réseaux FTTH, la Commission recommande schématiquement d'imposer les obligations suivantes :

- sur le marché 4 : (i) accès aux infrastructures de génie civil ; (ii) accès au niveau d'un " point de mutualisation " au " segment terminal " de la fibre optique, installé dans les immeubles et à proximité ; (iii) dégroupage de la fibre optique au niveau du " répartiteur optique ", qui se situe en principe en amont du " point de mutualisation " ;

- sur le marché 5 : fourniture d'une offre de gros activée à très haut débit.

26. La Commission estime cependant que le dégroupage de la fibre pourrait ne pas être justifié " dans les zones géographiques où la coexistence de plusieurs infrastructures, comme des réseaux FTTH et/ou câblés, associée à des offres d'accès concurrentielles, serait susceptible de produire une concurrence effective en aval ". S'agissant de l'obligation de proposer une offre de gros activée à très haut débit, la Commission estime que celle-ci pourrait ne pas être justifiée dans les zones où " l'accès dégroupé à la boucle optique (…) est effectif et que cet accès est susceptible de produire une concurrence effective en aval ".

Le projet d'analyse des marchés 4 et 5 de l'ARCEP

27. Dans son projet, l'ARCEP propose pour l'essentiel de reconduire l'analyse précédente.

28. Le marché 4 est défini comme le marché des offres de gros d'accès aux infrastructures constitutives de la boucle locale filaire. Il inclut l'offre de dégroupage de la paire de cuivre ainsi que les éventuelles offres de gros de dégroupage de la fibre optique qui pourraient être proposées sur le marché. Le marché 4 inclut également les offres de gros d'accès aux infrastructures de génie civil, cette notion recouvrant tant les infrastructures souterraines (fourreaux, chambres) qu'aériennes (poteaux, appuis divers), alors que l'analyse précédente se limitait aux seules infrastructures souterraines. Enfin, le marché 4 est, selon l'ARCEP, de dimension nationale.

29. L'ARCEP propose de désigner France Télécom comme opérateur puissant sur le marché 4. Comme lors du cycle précédent, les obligations imposées à France Télécom concernent la fourniture d'une offre de dégroupage de la paire de cuivre et d'une offre de gros d'accès au génie civil (celui-ci incluant cette fois les infrastructures aériennes).

30. L'ARCEP prévoit par ailleurs d'adopter des mesures particulières pour la mise en œuvre du dégroupage de la sous-boucle locale cuivre (cf. partie II.C.) et de généraliser deux principes définis pour le marché professionnel à l'occasion de l'analyse de marché des services de capacités de 2009 (11).

31. Le marché 5 est défini comme le marché des offres de gros d'accès activés à haut débit et très haut débit livrées à un niveau infranational. Il inclut les offres de gros d'accès DSL activés ainsi que les éventuelles offres activées qui pourraient être proposées sur les réseaux FTTH. En revanche, le marché exclut les offres fournies sur les réseaux en câble coaxial, y compris les offres à très haut débit. Enfin le marché 5 est, selon l'ARCEP, de dimension nationale.

32. L'ARCEP propose de désigner France Télécom comme opérateur puissant sur le marché 5. Comme lors du cycle précédent, les obligations imposées à France Télécom concernent la fourniture d'une offre de gros d'accès DSL activés livrée au niveau départemental ou régional.

33. En revanche, l'ARCEP propose de supprimer l'obligation tarifaire de " non-éviction " pour ne conserver que la seule obligation d'orienter les tarifs vers les coûts sur le marché 5. Cette évolution devrait conduire à une baisse du tarif de gros de l'offre d'accès DSL activés de France Télécom pour les raisons évoquées plus haut (§ 18 et 19).

34. Sur le marché 4 comme sur le marché 5, l'ARCEP ne prévoit pas d'imposer à France Télécom d'obligation d'accès à son réseau FTTH. L'ARCEP estime que la régulation du génie civil de France Télécom combiné aux obligations de régulation symétrique, dont elle a précisé les modalités dans ses décisions récentes, suffisent à garantir l'exercice d'une concurrence effective.

II. Analyse

35. Après un développement de portée générale concernant l'articulation entre régulation ex ante et application ex post du droit de la concurrence (A), l'Autorité de la concurrence limitera ses remarques aux principales questions qui ont retenu son attention dans ce troisième cycle d'analyse des marchés 4 et 5 (B). Comme l'y invite la saisine de l'ARCEP, l'Autorité reviendra également sur la question de la montée en débit à l'occasion de la consultation publique lancée par l'ARCEP sur l'accès à la sous-boucle locale cuivre (C). Pour le reste, l'Autorité renverra à ses précédents avis, particulièrement aux plus récents concernant la question du déploiement de la fibre optique (n° 09-A-47, n° 09-A-57, n° 10-A-07, n° 10-A-18 et n° 10-A-23).

A. L'ARTICULATION ENTRE RÉGULATION EX ANTE ET APPLICATION EX POST DU DROIT DE LA CONCURRENCE

La transition depuis le monopole public vers le plein exercice de la concurrence

36. Comme l'a récemment rappelé l'Autorité de la concurrence dans son avis 10-A-29 (12), " l'adoption d'un cadre de régulation sectoriel doit rester l'exception, soumise à trois conditions :

- le fonctionnement de la concurrence sur le marché considéré se heurte à des obstacles avérés ;

- le droit de la concurrence n'est pas en mesure d'y apporter une réponse adaptée et suffisante ;

- les mesures de régulation envisagées doivent rester proportionnées aux obstacles démontrés ".

37. Dans le secteur des communications électroniques, la mise en place d'une régulation sectorielle a été justifiée dès son origine par la nécessité d'accompagner la sortie du régime de monopole public et l'ouverture du secteur à la concurrence, tout en veillant au respect d'objectifs d'intérêt général spécifiques, au travers par exemple des obligations de service universel.

38. Dans le cadre de cette transition entre la situation, initiale, de monopole et l'objectif, à terme, de plein exercice de la concurrence, les obligations d'accès aux réseaux et aux infrastructures ainsi que les obligations d'interconnexion entre les réseaux ont joué et continuent à jouer un rôle déterminant. Des obligations équivalentes pourraient découler en principe de la seule application du droit de la concurrence, au moins dans certaines situations telles que les cas de contrôle par un opérateur verticalement intégré d'une " facilité essentielle ". Mais l'application ex post du droit de la concurrence ne permet pas toujours d'apporter la visibilité que requiert le processus d'ouverture à la concurrence d'un secteur. Seule une intervention ex ante permet de définir un cadre prévisible permettant aux acteurs de prendre des décisions d'investissement efficaces (on parle de level playing field). Dans un secteur innovant et capitalistique comme celui des communications électroniques, la définition de ce " cadre d'investissement " et les incitations que le régulateur adresse ainsi, tant à l'opérateur historique qu'à ses concurrents ou à d'éventuels nouveaux entrants, est au coeur de la légitimité de la régulation ex ante.

39. La régulation ex ante étant dérogatoire au fonctionnement normal des marchés, elle doit cependant rester proportionnée, dans son champ comme dans ses outils. C'est d'ailleurs bien l'esprit du cadre communautaire que d'assurer, à travers le processus d'analyse des marchés, une complémentarité adéquate entre régulation ex ante et application ex post du droit de la concurrence. Ce processus prévoit ainsi de ne soumettre à la régulation ex ante que les seuls marchés remplissant les trois critères suivants : existence de barrières à l'entrée importantes, absence d'évolution prévisible vers une situation de concurrence, insuffisance de la seule application du droit de la concurrence.

40. Cet impératif de proportionnalité implique en particulier un ajustement permanent de la régulation sectorielle aux évolutions du marché. C'est ainsi qu'à mesure que la concurrence se développe sur les marchés des communications électroniques, grâce à la régulation sectorielle, le champ de celle-ci a vocation à se réduire et, le cas échéant, à se déplacer vers de nouveaux enjeux. Entre 2002 et 2007, la Commission européenne a ainsi réduit de dix-sept à sept le nombre de marchés pertinents pour lesquels elle estime que les trois critères précédemment mentionnés sont remplis. En France, l'ARCEP a été amenée au cours des dernières années à lever la régulation sur plusieurs marchés de détail (marchés des communications téléphoniques, marché des services de capacité) et marchés de gros (marché de gros du transit téléphonique, marché de gros de l'accès DSL activé livré au niveau national) pour concentrer sa régulation sur les principaux " goulots d'étranglement " du secteur (boucle locale fixe et terminaison d'appels fixes et mobiles principalement). Inversement, le déploiement des nouveaux réseaux en fibre optique peut appeler la mise en place de mesures spécifiques, ainsi que l'Autorité de la concurrence l'a signalé à de nombreuses reprises.

41. Au-delà de la question du champ de la régulation sectorielle, la définition des outils auxquels elle recourt constitue un autre facteur d'adaptation aux évolutions du marché. C'est ainsi que les solutions adoptées peuvent différer en fonction des zones ou des technologies concernées, combiner des mesures " symétriques " et " asymétriques " et parfois procéder par recommandations ou contraintes indirectes plutôt que par l'imposition d'un dispositif juridiquement contraignant.

Concurrence par les infrastructures et concurrence par les services

42. De manière générale, un double mouvement de fond paraît de nature à structurer le fonctionnement des marchés concernés par le présent avis. Tout d'abord, la palette de services proposée aux consommateurs s'enrichit constamment, comme l'illustrent dans un passé récent l'inclusion des appels illimités vers les mobiles dans les offres " triple play ", les nouvelles fonctionnalités audiovisuelles développées sur les " box " ou encore l'apparition des offres " quadruple play ", incluant la téléphonie mobile, sans compter les services qui se développeront demain grâce au très haut débit. Ensuite et de manière incidente, le marché se concentre autour d'un nombre réduit d'acteurs maîtrisant leurs infrastructures fixes et mobiles, capables de répondre à l'ensemble des besoins des consommateurs et de développer de manière autonome et fluide les fonctionnalités utiles pour se différencier ou s'adapter aux évolutions du marché.

43. A mesure que le contrôle des réseaux devient un enjeu croissant d'accès au marché, il est légitime que l'exercice d'une concurrence par les infrastructures constitue l'objectif de premier rang de la régulation sectorielle. Il ne saurait pour autant s'agir de son seul objectif, car la présence d'une pluralité d'acteurs ne constitue pas toujours une garantie suffisante d'exercice de la concurrence, comme l'a montré la situation insatisfaisante résultant sur le marché mobile de la présence de seulement trois opérateurs de réseaux et comme le constate régulièrement l'Autorité de la concurrence dans d'autres secteurs de l'économie. Certes, la concurrence par les infrastructures peut conduire à l'émergence spontanée d'un marché de gros permettant à des acteurs sans réseau d'exercer une concurrence par les services. Mais, dans un marché oligopolistique, les opérateurs n'ont pas nécessairement intérêt à fournir des offres de gros à des tiers, car si ces offres permettent à court terme de générer des revenus supplémentaires, elles conduisent à long terme à une intensification de la concurrence sur le marché de détail et par voie de conséquence sur le marché de gros. Là encore, l'expérience du marché mobile et les conditions encore très imparfaites dans lesquelles les MVNO exercent leur activité en sont une illustration.

44. En imposant l'ouverture d'un marché de gros pour favoriser l'exercice d'une concurrence par les services, le régulateur sectoriel peut cependant influer de manière négative sur les décisions d'investissement des acteurs. Dans une phase d'investissement, cela peut conduire les plus petits d'entre eux à renoncer à certains investissements et préférer bénéficier de l'accès aux réseaux des acteurs plus importants. Ces derniers peuvent à leur tour être amenés à diminuer leurs investissements compte tenu du moindre avantage compétitif que ceux-ci leur confèreront. Ce deuxième effet pervers peut toutefois être contenu, comme le suggère la recommandation NGA de la Commission européenne. Des mesures favorisant la participation du plus grand nombre d'opérateurs à l'investissement dans le réseau, ou bien des principes de tarification des offres de gros d'accès à ce réseau rémunérant le risque encouru, peuvent par exemple permettre de combiner incitation à investir et concurrence par les services.

45. Comme évoqué précédemment, il appartient au régulateur sectoriel de définir, pour chaque marché, le bon équilibre et le phasage adéquat entre concurrence par les infrastructures et concurrence par les services, dans l'objectif d'inciter à l'investissement sans pour autant laisser le marché se restreindre exagérément.

Le rôle des mesures structurelles dans la " boîte à outils " du régulateur sectoriel

46. La régulation de l'accès aux infrastructures et aux réseaux qui sont indispensables à l'exercice de la concurrence (" goulot d'étranglement " ou " facilité essentielle "), telle que la paire de cuivre, constitue une mission importante du régulateur sectoriel. En pratique, il s'agit de s'assurer que les opérateurs alternatifs disposent, avec une prévisibilité suffisante (transparence), d'un accès au réseau dans des conditions techniques raisonnables (objectivité) et équivalentes à celles de l'opérateur régulé lui-même (non-discrimination), et que les ressources tirées de cette activité ne subventionnent pas les activités en concurrence (séparation comptable et contrôle tarifaire).

47. Dans une phase d'ouverture à la concurrence et dans un secteur innovant comme celui des communications électroniques, le contrôle, par le régulateur sectoriel, du respect du principe de non-discrimination est particulièrement crucial. En se réservant des conditions d'accès au réseau (information, fonctionnalités, délais de fourniture, qualité de service, service après vente, etc.) privilégiées, un opérateur verticalement intégré bénéficierait d'un avantage compétitif indu sur les marchés de détail en termes de niveau de service.

48. Le principe de non-discrimination imposé à France Télécom procède aujourd'hui d'une obligation de résultat et non d'une obligation de moyen : si l'opérateur historique doit fournir aux concurrents un accès au réseau qui permette in fine à ces derniers d'assurer auprès de leurs clients un niveau de service équivalent à celui que fournit sa branche aval, cette dernière n'est, en revanche, pas tenue de s'approvisionner auprès de la branche amont dans des conditions strictement identiques aux concurrents, par exemple en termes d'interlocuteur, de processus et de systèmes d'information. En pratique, cette absence de séparation interne entre la branche amont et la branche aval de l'opérateur régulé appelle de la part de l'ARCEP un contrôle précis et régulier, sous la forme (i) d'indicateurs de qualité de service visant à mesurer les éventuels écarts entre le niveau de service assuré par les branches amont et aval, (ii) parfois de protocoles de cession interne retraçant les conditions dans lesquelles la branche aval accède à l'infrastructure régulée et (iii) d'enquêtes pouvant le cas échéant être conduites par les services de l'ARCEP dans les locaux de l'opérateur régulé.

49. Parmi les outils à la disposition de l'ARCEP figurera très prochainement, en application des directives de révision du " paquet télécom ", adoptées fin 2009, la possibilité d'" imposer à une entreprise verticalement intégrée l'obligation de confier ses activités de fourniture en gros des produits concernés à une entité économique fonctionnellement indépendante. Cette entité économique fournit des produits et services d'accès à toutes les entreprises, y compris aux autres entités économiques au sein de la société-mère, aux mêmes échéances et conditions, y compris en termes de tarif et de niveaux de service, et à l'aide des mêmes systèmes et procédés " (13).

50. Interrogés sur l'hypothèse d'une telle " séparation fonctionnelle ", les représentants de France Télécom ont fait valoir que cette option constituait, dans la lettre comme dans l'esprit du cadre communautaire, un instrument exceptionnel et de dernier recours et que son utilisation devrait en tout état de cause être précédée du constat d'une défaillance avérée du marché. Or, relèvent les représentants de France Télécom, le marché de détail du haut débit est l'un des plus concurrentiels d'Europe.

51. Les représentants de Free ont cependant fait part de leurs craintes qu'Orange, qui n'utilise pas les mêmes procédures et les mêmes systèmes d'information que ceux qui sont fournis par France Télécom aux opérateurs alternatifs, puisse proposer aux clients finals une meilleure qualité de service toutes choses étant égales par ailleurs. Or si certains consommateurs ont pu accepter un niveau de prestation parfois inégal dans la phase de décollage du marché, les représentants de l'ARCEP ont signalé en séance que dans un marché désormais mature, la qualité de service pouvait devenir un argument de vente et un facteur de différenciation significatif. En tout état de cause et comme souligné au § 82, la dynamique concurrentielle mise en avant par France Télécom se limite aux zones denses du marché résidentiel et ce constat ne saurait être généralisé au-delà.

52. Comme elle le rappelait dans son avis n° 09-A-55, l'Autorité de la concurrence a eu l'occasion d'appeler de ses voeux la mise en place, dans un certain nombre de secteurs, de mesures structurelles visant à garantir une séparation entre les activités régulées ou en monopole légal et les activités concurrentielles ou de diversification. L'Autorité a rappelé à cette occasion les différentes formes de séparation qui pouvaient être envisagées : séparation de propriété, séparation juridique, séparation fonctionnelle (14).

53. Parmi les industries de réseaux régulées, le secteur des communications électroniques est celui pour lequel les mesures de séparation prévues à ce jour sont les moins fortes, puisqu'elles se limitent à la séparation comptable, ce qui appelle de la part de l'ARCEP l'exercice d'un contrôle précis et régulier, comme signalé plus haut. A terme, cette situation pourrait faire obstacle au processus de transition devant conduire in fine à l'effacement de la régulation ex ante au profit de la seule application ex post du droit de la concurrence. En effet, les autorités de concurrence ne sont pas outillées pour exercer le type de contrôle qu'exerce aujourd'hui l'ARCEP afin de s'assurer que l'obligation de résultat imposée par la régulation sectorielle est effectivement respectée. C'est ainsi que les autorités de concurrence privilégient, parmi les engagements qu'elles sont susceptibles d'accepter de la part des entreprises dans le cadre du contrôle des concentrations ou des procédures négociées relatives aux pratiques anticoncurrentielles, les engagements de nature structurelle aux engagements comportementaux.

54. Au total, l'Autorité de la concurrence relève que la séparation fonctionnelle fait désormais partie de la " boîte à outils " de l'ARCEP et l'invite à entamer les travaux préalables à son utilisation éventuelle.

B. LE TROISIÈME CYCLE D'ANALYSE DES MARCHÉS 4 ET 5

1. LA RÉGULATION DU TRÈS HAUT DÉBIT

55. Dans son projet d'analyse des marchés, l'ARCEP propose d'inclure dans le périmètre des marchés 4 et 5 les éventuelles offres de gros qui pourraient être fournies sur les réseaux FTTH, mais ne prévoit pas d'imposer à France Télécom, opérateur puissant sur ces marchés, d'obligations de fournir les offres de gros correspondantes. Aux termes du projet de l'ARCEP, les offres de gros sur fibre optique feraient donc partie du champ de la régulation sectorielle mais aucune obligation les concernant ne serait imposée. Autrement dit, elles seraient " régulables " mais non régulées.

56. Dans ce qui suit, l'Autorité confirme qu'une telle hypothèse est possible du point de vue de l'exercice de délimitation des marchés pertinents spécifique au cadre communautaire de l'analyse des marchés (a) avant d'inviter l'ARCEP à en tirer certaines conséquences du point de vue de la régulation (b).

a) La délimitation des marchés 4 et 5

Rappels méthodologiques

57. Les offres de gros sur fibre optique sont aujourd'hui marginales et le très haut débit reste un service émergent sur le marché de détail. Cette situation rend difficile l'exercice de délimitation des marchés pertinents en ce qui concerne ces offres de gros. A la différence du droit des pratiques anticoncurrentielles, qui s'applique ex post, l'analyse qui doit être conduite dans le cadre de l'analyse des marchés revêt une dimension prospective. La notice explicative de la Commission apporte à cet égard certains éclairages méthodologiques utiles.

58. En premier lieu, la délimitation des marchés pertinents au stade du détail constitue un préalable à l'examen des marchés de gros sous-jacents. La notice explicative indique que, lorsqu'il s'agit d'examiner un service émergent, il y a lieu de considérer que celui-ci appartient au même marché qu'un service existant si l'on peut présumer qu'à terme, les utilisateurs qui seront en mesure d'arbitrer entre les deux services migreront vers le nouveau. Si en revanche l'on peut présumer qu'une demande subsidiaire subsistera pour le service ancien, celui-ci constitue un marché distinct du service émergent. Cette grille d'analyse conduit implicitement à s'intéresser aux contraintes concurrentielles qui s'exercent sur les différentes offres de détail : si une offre émergente a vocation à remplacer une offre existante, cela implique que ces offres seront soumises à une pression concurrentielle commune, quand bien même elles offriraient pour le consommateur des fonctionnalités très différentes, justifiant d'ailleurs la migration.

59. En deuxième lieu, des offres de gros peuvent être prises en compte dans l'analyse de substituabilité quand bien même ces offres ne feraient pas l'objet d'un échange marchand effectif à la date de l'analyse. Des offres de gros peuvent d'abord être prises en compte s'il peut être raisonnablement présumé que de telles offres vont apparaître sur le marché à un horizon rapproché. Néanmoins, certaines configurations de marché sont peu propices à l'émergence spontanée d'offres de gros. Pour éviter un raisonnement circulaire, qui limiterait les possibilités d'intervention des régulateurs sectoriels des Etats Membres, la notice explicative de la Commission européenne prévoit que puisse être prise en compte dans l'analyse une offre fictive d'" autofourniture " correspondant à la prestation rendue par la branche amont d'un opérateur verticalement intégré à sa branche aval. La notice précise que l'autofourniture d'un ou de plusieurs opérateurs ne peut être prise en compte que s'il existe une demande sur le marché de gros et que l'absence d'offres de gros peut constituer une atteinte à l'intérêt des consommateurs.

60. En troisième lieu, les développements de la notice explicative relatifs aux marchés 4 et 5 soulignent les deux principaux facteurs à prendre en compte pour apprécier la substituabilité entre deux offres de gros : (i) le point de livraison des offres de gros : plus ce point est proche de l'abonné, plus l'opérateur client de l'offre doit disposer d'un réseau capillaire pour se raccorder au réseau de l'opérateur offreur ; (ii) les fonctionnalités, plus ou moins enrichies, que les offres de gros permettent de fournir sur le marché de détail, compte tenu de l'analyse de substituabilité conduite sur ce marché.

Mise en œuvre

61. Dans ce qui suit l'Autorité applique la méthodologie rappelée supra. Dans un premier temps elle examine dans quelle mesure les accès haut débit et très haut débit sont substituables sur le marché de détail. Dans un second temps elle examine, sur le marché 4 puis sur le marché 5, (i) s'il y a lieu de prendre en compte dans l'analyse des offres de gros sur fibre optique qui ne sont pas aujourd'hui fournies sur le marché, notamment l'autofourniture et (ii) si ces offres sont substituables aux offres de gros à haut débit.

Examen des marchés de détail

62. Il convient d'apprécier dans quelle mesure les offres d'accès à très haut débit, qui sont aujourd'hui émergentes, sont de nature à se substituer, ou sinon à compléter les offres existantes d'accès à haut débit. A titre liminaire, il est utile de rappeler les conclusions auxquelles était parvenue l'Autorité de la concurrence lors de l'examen du marché de détail du haut débit dans son avis n° 10-A-13 précité : " le marché des offres haut débit à destination des particuliers et des professionnels est susceptible de constituer un marché pertinent au sens du droit de la concurrence. Il n'est cependant pas exclu que des marchés plus étroits puissent être identifiés, notamment un marché des offres haut débit multiservices incluant des services audiovisuels, à condition de pouvoir en tracer les limites avec suffisamment de certitude et de stabilité ".

63. Les acteurs qui déploient des réseaux FTTH justifient en grande partie ces lourds investissements par les services futurs qui pourront être offerts aux consommateurs, au premier rang desquels figure la fourniture de contenus audiovisuels enrichis. A terme, il est donc vraisemblable que les opérateurs pousseront leurs clients d'offres multiservices d'accès à haut débit (" triple play ") à monter en gamme, c'est-à-dire à migrer vers des offres multiservices d'accès à très haut débit générant davantage de revenus et permettant de recouvrer leurs investissements. En suivant la grille d'analyse de la Commission, ces deux types d'offres pourraient donc appartenir à un même marché.

64. En revanche, s'agissant des offres permettant uniquement l'accès à Internet et le service téléphonique, il est difficile de prévoir le comportement des opérateurs et des consommateurs. Au-delà d'un débit de quelques Mb/s, les offres d'accès Internet semblent peu susceptibles d'influer sur la sensation de rapidité vécue par le consommateur compte tenu du type de contenus aujourd'hui disponibles sur Internet. Les opérateurs pourraient en outre avoir intérêt à maintenir une demande résiduelle pour des services haut débit pour élargir leurs gammes. Il est donc possible que demeure un marché des offres d'accès à Internet haut débit, incluant le cas échéant des services téléphoniques.

Marché 4

Atteinte à l'intérêt des consommateurs et prise en compte de l'autofourniture

65. Dans les " zones très denses ", la régulation " symétrique " définie par l'ARCEP ne concerne que la partie des réseaux qui se situe dans les immeubles ou à proximité. En marge de ce dispositif, Bouygues Télécom et SFR ont signé un accord de co-investissement portant sur la partie " horizontale " des réseaux, extérieure aux immeubles. En revanche, aucun opérateur investissant dans les réseaux FTTH ne propose aujourd'hui d'offre de gros d'accès à la fibre optique comparable à l'offre de gros de dégroupage de la paire de cuivre. Cette situation a peu de chances d'évoluer dès lors que Free, qui est l'opérateur le mieux placé pour proposer une offre de gros de type dégroupage compte tenu de l'architecture " point-à-point " qu'il a choisie, n'a jamais souhaité développer d'activité de gros sur le marché du haut débit.

66. Cette situation réduit à quatre le nombre d'offreurs potentiels sur le marché de détail. En pratique, le choix du consommateur sera encore plus limité compte tenu du temps nécessaire à chaque opérateur pour se raccorder au pied des immeubles et aux points de mutualisation équipés par les autres opérateurs. Ainsi, selon les chiffres de l'ARCEP, seuls 175 000 logements sur les 1 075 000 éligibles au FTTH étaient, au 31 décembre 2010, en mesure de faire jouer la concurrence entre au moins deux fournisseurs de services. Cette situation peut limiter sensiblement la liberté de choix des consommateurs et porter ainsi atteinte à l'intérêt de ces derniers. Ceci justifie que soient prises en compte dans l'analyse du marché 4 les offres d'autofourniture de type dégroupage des opérateurs qui investissent dans les réseaux FTTH.

67. En dehors des zones très denses, la régulation " symétrique " impose la fourniture d'une offre de " location à la ligne ", qui devrait jouer, pour la fibre optique, un rôle proche de celui du dégroupage pour la paire de cuivre. Dans une approche prospective, ces offres sont à prendre en compte dans l'analyse.

Examen de la substituabilité

68. Comme rappelé supra, les deux principaux facteurs à prendre en compte pour évaluer la substituabilité entre deux offres de gros sont (i) le point de livraison de ces offres et (ii) les fonctionnalités offertes au regard de l'analyse de substituabilité sur le marché de détail.

69. S'agissant tout d'abord du point auquel l'accès est fourni, les offres de gros de dégroupage de la paire de cuivre et de la fibre optique sont assez équivalentes puisqu'il s'agit dans les deux cas de points de concentration raccordant quelques milliers de foyers.

70. S'agissant ensuite des fonctionnalités qui peuvent être assurées sur le marché de détail, les offres de gros de dégroupage de la paire de cuivre et de la fibre optique permettent toutes deux de fournir des offres multiservices incluant notamment des services audiovisuels (à l'exception des lignes trop longues pour la paire de cuivre).

71. Il résulte de ce qui précède que les offres de gros de dégroupage de la paire de cuivre et les offres d'autofourniture de type dégroupage de la fibre optique appartiennent à un même marché pertinent.

Marché 5

Atteinte à l'intérêt des consommateurs et prise en compte de l'autofourniture

72. Les opérateurs qui investissent dans les réseaux FTTH ne fournissent pas davantage d'offres de gros activées à très haut débit. Compte tenu des travaux de normalisation encore en cours, il est peu probable que des offres de ce type émergent spontanément à un horizon proche.

73. Pourtant, l'existence d'offres de gros d'accès activés à très haut débit permettrait à tout opérateur de pouvoir servir l'ensemble des foyers équipés en fibre optique avec un minimum d'investissement, ce qui ne sera pas le cas en l'absence de telles offres compte tenu de la capacité hétérogène et nécessairement progressive des différents opérateurs à se raccorder aux réseaux des autres opérateurs. Comme signalé au § 66, cette situation peut limiter sensiblement la liberté de choix des consommateurs et porter ainsi atteinte à l'intérêt de ces derniers. Ceci justifie que soient prises en compte dans l'analyse du marché 5 les offres d'autofourniture d'accès activés à très haut débit des opérateurs qui investissent dans les réseaux FTTH.

Examen de la substituabilité

74. L'analyse de substituabilité sur le marché 5 fait intervenir trois types d'offres de gros d'accès activés : (i) les offres de gros d'accès activés DSL n'offrant pas la fonctionnalité multicast (comme France Télécom en fournit par exemple en application de ses obligations règlementaires) ; (ii) les offres de gros d'accès activés DSL offrant la fonctionnalité multicast (comme SFR en fournit par exemple, cf. § 84) ; (iii) les offres d'autofourniture d'accès activés à très haut débit des opérateurs qui investissent dans les réseaux FTTH.

75. S'agissant tout d'abord du point auquel l'accès est fourni, ces trois types d'offres peuvent être livrées à un niveau régional, ce qui les distingue des offres de gros d'accès activés sur câble coaxial et des offres de revente, qui sont livrées en un nombre réduit de points sur le territoire.

76. S'agissant ensuite des fonctionnalités qui peuvent être assurées sur le marché de détail au travers des trois types d'offres de gros examinées ici, les offres présentant la fonctionnalité multicast - c'est-à-dire celles énoncées aux points (ii) et en principe (iii) - apparaissent substituables du point de vue de la demande dans la mesure où elles permettent aux opérateurs clients de fournir des services de télévision et donc de servir le marché de détail des offres multiservices incluant notamment des services audiovisuels. Mais du point de vue de l'offre, ce sont les offres de gros d'accès DSL activés - c'est-à-dire (i) et (ii) - qui semblent substituables, dans la mesure où la fourniture de l'option multicast ne paraît pas appeler d'investissement ou de délai de mise en œuvre très important pour un opérateur fournissant déjà des offres d'accès DSL activés sans la fonctionnalité multicast.

77. Dans ces conditions, il est difficile de trancher la question de la substituabilité entre les différentes offres de gros activées mentionnées au § 74. L'Autorité de la concurrence suggère à l'ARCEP de laisser cette question aussi ouverte que possible dans la mesure où elle n'a pas d'implication immédiate dans la régulation envisagée.

b) Conséquences sur la régulation de la fibre optique

78. Il résulte de la lecture combinée des deux décisions de régulation " symétrique " et du projet d'analyse des marchés 4 et 5 de l'ARCEP que celle-ci n'envisage pas d'imposer la fourniture d'offres de gros sur les réseaux FTTH, à l'exception de l'offre de location à la ligne prévue en dehors des zones très denses.

79. Comme évoqué supra, l'absence d'offres de gros sur fibre optique limitera la liberté de choix des consommateurs, particulièrement dans la phase de déploiement des réseaux horizontaux et de raccordement des immeubles et des points de mutualisation par les différents opérateurs investissant dans les réseaux FTTH. A plus long terme, il existe un risque de fermeture du marché autour d'un nombre réduit d'acteurs maîtrisant leur infrastructure et ne fournissant pas spontanément d'offres de gros.

80. Le régulateur sectoriel est le mieux placé pour apprécier dans quelles conditions et à quel moment un marché de gros devra émerger (cf. discussion supra, § 43 à 45). A minima, les orientations actuelles de l'ARCEP impliquent une vigilance soutenue de sa part visant à assurer : (i) que la mise en œuvre de la régulation " symétrique " permette bien aux différents opérateurs en capacité d'investir dans les réseaux FTTH et ainsi d'y exercer une concurrence effective ; (ii) que le délai dans lequel les consommateurs pourront exercer un réel choix reste raisonnable.

81. Comme plusieurs acteurs l'ont évoqué dans le cadre de l'examen de la demande d'avis, une clause de rendez-vous pourrait être fixée à mi-parcours de l'analyse des marchés, c'est-à-dire à dix-huit mois, pour apprécier le caractère suffisant ou non du dispositif actuel de régulation et, le cas échéant, le compléter par des obligations, symétriques ou asymétriques, de fourniture d'offres de gros sur les réseaux FTTH.

2. LA RÉGULATION DU HAUT DÉBIT

82. A titre liminaire, il y a lieu de se féliciter du succès du dégroupage et du développement incontestable de la concurrence qui en résulte sur le marché de détail du haut débit dans les zones denses. La clientèle résidentielle y bénéficie en effet d'offres innovantes et dont les prix restent très attractifs au regard des comparaisons internationales. Dans certains centres urbains, Orange fait ainsi jeu égal sur les marchés de détail avec ses principaux concurrents, Free et SFR. Selon l'Autorité de la concurrence, cette situation justifie un allègement des obligations qui pèsent aujourd'hui sur France Télécom dans ces zones (a).

83. Inversement, Orange maintient des parts de marché élevées, d'une part, auprès de la clientèle résidentielle dans les zones les moins denses du territoire et, d'autre part, auprès de la clientèle professionnelle de manière semble-t-il assez générale. Ces situations justifient un effort soutenu de la part du régulateur sectoriel (b).

a) La régulation du marché 5 dans les zones concurrentielles

Eléments d'analyse géographique

84. Dans son projet d'analyse de marché, l'ARCEP indique que France Télécom détient une part de marché de 84 % sur le marché 5 (marché de gros des offres activées livrées au niveau infranational). La position de France Télécom est cependant très hétérogène en fonction des zones concernées : de 100 % dans les zones non dégroupées, cette position est marginale dans les zones dégroupées, où des acteurs tels que SFR proposent des offres de gros d'accès DSL activés à des tarifs souvent inférieurs à ceux de France Télécom et présentant la plupart du temps la fonctionnalité multicast.

85. Cette hétérogénéité amène à s'interroger sur la délimitation géographique du marché 5. Dans sa notice explicative, la Commission européenne rappelle qu'un marché géographique correspond à une zone dans laquelle les conditions d'exercice de la concurrence sont suffisamment homogènes et se distinguent des zones voisines dans lesquelles ces conditions sont substantiellement différentes. L'existence d'une concurrence par les infrastructures sur certaines zones peut conduire à définir un marché limité à ces zones sur la base d'une analyse de substituabilité de l'offre et de la demande.

86. Dans une zone donnée, le nombre d'offreurs sur le marché 5 dépend du nombre d'opérateurs ayant équipé les centraux téléphoniques de France Télécom de cette zone (principalement SFR, SFR Collectivités, Free, Completel, Bouygues Télécom et Axione (15)) et proposant des offres de gros (ce qui exclut Free et, à ce stade, Bouygues Télécom). Il s'établit comme suit :

- un seul offreur (France Télécom) pour environ 20 % de la population ;

- deux offreurs sont présents pour 30 à 35 % de la population ;

- au moins trois offreurs sont présents pour 45 à 50 % de la population.

87. Du point de vue de la demande, il convient de relever que les acteurs qui souhaiteraient s'approvisionner sur le marché 5 pour fournir des offres multiservices incluant l'audiovisuel (" triple play ") doivent, en pratique, bénéficier de la fonctionnalité multicast, ce qui exclut les offres de France Télécom. En revanche, la plupart des autres offreurs sur le marché de gros proposent la fonctionnalité multicast. Ainsi les zones dans lesquels un tel acteur fait face à au moins deux offreurs se limitent en réalité à 45 à 50 % de la population.

88. Du point de vue de l'offre, la possibilité d'accéder à une offre de collecte en fibre optique à des tarifs compétitifs constitue une condition déterminante d'accès au marché et de compétitivité dans la mesure (i) où la fibre optique (par opposition à la collecte sur réseau cuivre ou par faisceaux hertziens) est indispensable pour acheminer les flux audiovisuels et (ii) où la location de la fibre optique peut représenter la majeure partie des coûts de fourniture des accès activés (hors tarif de dégroupage de la boucle locale). Si France Télécom propose une offre de location de liens de collecte en fibre optique (offre " LFO ") sur une partie prépondérante du territoire, les opérateurs demandeurs ne sont en situation de faire jouer la concurrence que sur une portion plus limitée, recouvrant entre 60 et 65% de la population.

89. Ces premiers éléments d'analyse géographique mériteraient d'être complétés, notamment par l'examen des prix de gros pratiqués par les différents acteurs et sur les différentes zones du territoire. Il en ressort toutefois que dans les zones les plus denses du territoire, recouvrant une portion plus ou moins importante de la population en fonction du critère retenu (16), les conditions d'exercice de la concurrence sont nettement distinctes de celles qui prévalent sur le reste du territoire.

Conséquences sur la régulation

90. La notice explicative de la Commission indique que les différences relevées entre les contraintes concurrentielles sur les différents territoires peuvent conduire, sinon à la définition de marchés géographiques distincts, du moins à une application différenciée en fonction des territoires des obligations pouvant être imposées.

91. Cette dernière option pourrait être préférée à la délimitation de marchés géographiques distincts, afin d'assurer une transition, sur la période 2011-2014, entre le dispositif actuel de régulation et la soumission des zones concurrentielles au seul respect des règles de concurrence. Dans ce cadre, pourraient notamment être maintenues les obligations de comptabilisation des coûts et de séparation comptable, qui peuvent faciliter le contrôle ex post par l'Autorité de la concurrence d'éventuelles pratiques de ciseau tarifaire dans les zones concurrentielles. En revanche, le maintien d'obligations tarifaires ex ante dans ces zones, notamment l'obligation d'orienter les tarifs vers les coûts ne paraît pas pouvoir se justifier.

b) L'adaptation de la régulation dans les zones moins denses

92. Dans les zones moins denses, notamment dans les zones non dégroupées, la part de marché de France Télécom sur le marché 5 est de 100 % et la part de marché d'Orange sur le marché de détail est supérieure à 60 % (17).

93. Comme indiqué plus haut (§ 33), l'évolution de la régulation tarifaire envisagée par l'ARCEP sur le marché 5 devrait conduire à une baisse du tarif des offres de gros d'accès DSL activés de France Télécom. La compétitivité prix des opérateurs alternatifs pourrait s'en trouver renforcée, ceux-ci étant notamment susceptibles de supprimer d'éventuels suppléments de prix entre zones dégroupées et zones non dégroupées. Par ailleurs, SFR a annoncé l'utilisation de solutions satellitaires pour transporter les flux audiovisuels et fournir des offres " triple play " en dehors des zones dégroupées, à l'instar de ce que fait Orange depuis quelques années (18).

94. La fourniture de services à haut débit dans les zones moins denses reste cependant coûteuse pour les opérateurs alternatifs, particulièrement pour ceux d'entre eux qui disposent de bases d'abonnés encore limitées, eu égard aux coûts fixes importants liés au dégroupage dans ces zones et dans une moindre mesure à l'achat de capacités satellitaires. Bouygues Télécom indique ainsi ne pas être en mesure d'étendre de manière significative sa couverture en dégroupage et devoir se reposer dans les zones peu denses sur les offres de gros fournies par des opérateurs tiers. SFR et Free ont par ailleurs dénoncé le caractère excessif des tarifs de l'offre " LFO " de location de liens de collecte en fibre optique de France Télécom, qui ne serait pas adaptés au dégroupage des centraux téléphoniques de petite taille. En outre, selon plusieurs acteurs, l'acheminement des flux audiovisuels par satellite ne permettrait pas d'offrir des services aussi performants que par ADSL, comme l'illustrerait le fait qu'Orange continue à investir dans l'extension de la zone de couverture de son propre service de télévision par ADSL. En l'absence d'offres de gros d'accès DSL activés de France Télécom offrant la fonctionnalité multicast, Orange pourrait ainsi accroître sa compétitivité, déjà forte, sur le marché de détail en étant seul à commercialiser des offres " triple play " sur ADSL dans certaines zones.

95. Ces éléments pourraient justifier tout à la fois (i) un contrôle plus poussé de l'offre LFO de France Télécom, qui est aujourd'hui une offre commerciale non régulée et (ii) l'inclusion de la fonctionnalité multicast dans les obligations imposées à France Télécom au titre du marché 5. Comme indiqué aux § 43 à 45, il appartient à l'ARCEP de trouver le juste équilibre entre concurrence par les infrastructures et concurrence par les services.

C. LA QUESTION DE LA MONTÉE EN DÉBIT

96. La technologie DSL ne permet de fournir qu'un débit limité sur les lignes téléphoniques les plus longues. Pour accroître les débits disponibles sur leur territoire (on parle de " montée en débit "), certaines collectivités territoriales envisagent de " raccourcir " les lignes téléphoniques en installant les équipements actifs non pas au niveau des centraux téléphoniques de France Télécom mais au niveau des sous-répartiteurs, qui sont des points de concentration intermédiaires, plus proches des abonnés. On parle alors de modernisation du réseau téléphonique ou d'accès à la " sous-boucle locale cuivre ".

97. A la demande de l'ARCEP, l'Autorité de la concurrence a rendu, fin 2009, un avis n° 09-A-57 à ce sujet, dans lequel elle soulignait trois préoccupations d'ordre concurrentiel. (i) Tout d'abord, la modernisation du réseau téléphonique a conduit, dans les pays où elle a été mise en œuvre, à une régression du dégroupage de la paire de cuivre et de la concurrence. En effet, les sous-répartiteurs étant de plus petite taille que les centraux téléphoniques, les économies d'échelles dont bénéficient les opérateurs alternatifs sont moindres, ce qui avantage l'opérateur historique. (ii) Ensuite, la concurrence pourrait être faussée dans le cadre des procédures publiques par lesquelles les collectivités territoriales souhaitent moderniser le réseau téléphonique, compte tenu de la position particulière de France Télécom. (iii) Enfin, la multiplication des projets publics de montée en débit pourrait casser la dynamique de déploiement des nouveaux réseaux en fibre optique, qui constituent pourtant une réponse plus pérenne pour les territoires et plus favorable à la concurrence.

98. Au terme des travaux qu'elle a conduits avec les collectivités territoriales et les opérateurs concernés, l'ARCEP propose un schéma d'ensemble visant à répondre à la demande des territoires souhaitant bénéficier d'une augmentation rapide des débits disponibles dans le respect des règles de concurrence. Dans ce schéma, France Télécom supporterait une double responsabilité. Vis-à-vis des collectivités territoriales, France Télécom mettrait en œuvre la modernisation du réseau téléphonique selon certains critères d'éligibilité et à condition que la collectivité concernée finance l'opération et assure la collecte du sous-répartiteur par un réseau en fibre optique. Vis-à-vis des opérateurs alternatifs, France Télécom garantirait des processus opérationnels et des tarifs qui leur permettraient de dégrouper les sous-répartiteurs dans des conditions techniques et économiques équivalentes à celles qui prévalaient au central téléphonique d'origine.

99. Dans son principe, ce schéma paraît pouvoir répondre aux deux premières préoccupations formulées par l'Autorité de la concurrence dans son avis n° 09-A-57. (i) L'obligation de résultat imposée à France Télécom devrait notamment garantir la neutralité de l'opération pour les opérateurs alternatifs et par conséquent éviter un recul du dégroupage. (ii) Le rôle de " guichet unique " joué par France Télécom dans ce schéma pourrait par ailleurs être l'occasion d'une clarification des rôles et d'une séparation plus claire entre les activités de gestionnaire de la boucle locale cuivre, de soumissionnaire aux procédures publiques et d'opérateur commercial au sein du groupe France Télécom.

100. Le schéma proposé par l'ARCEP étant encore soumis à consultation publique, l'Autorité de la concurrence n'est pas en mesure de se prononcer sur ses modalités précises. Deux points ont cependant retenu son attention. En premier lieu, le principe de " guichet unique " conduirait les collectivités à accorder à France Télécom un droit d'usage de longue durée au niveau de la collecte en fibre optique. L'impact d'un tel système sur l'économie et le montage des projets des collectivités mériterait d'être évalué et mis en balance avec les avantages recherchés. En second lieu, les sommes que les collectivités territoriales seront amenées à verser dans le cadre de la modernisation du réseau téléphoniques ne sont pas définies à ce stade. L'ARCEP pourrait les préciser ou livrer des éléments de référence avec le souci de donner les bonnes incitations à France Télécom et aux collectivités territoriales.

101. Enfin, l'Autorité de la concurrence rappelle qu'au regard du droit communautaire, les interventions des collectivités locales doivent viser un objectif d'intérêt général clairement défini et formulé en des termes neutres technologiquement. Dans ce cadre, la modernisation du réseau téléphonique ne constitue qu'une des réponses possibles pour accroître les débits sur les territoires, le déploiement d'une nouvelle boucle locale en fibre optique restant, lorsqu'elle est possible, la meilleure solution sur le plan à la fois technologique et concurrentiel.

CONCLUSION

102. Au-delà des remarques d'ordre méthodologique relatives à la délimitation des marchés pertinents qui sont formulées dans le présent avis, l'Autorité de la concurrence a souhaité examiner le dispositif de régulation envisagé par l'ARCEP pour les marchés du haut débit et du très haut débit dans la perspective plus générale de la transition que traverse le secteur des communications électroniques depuis son ouverture à la concurrence, voilà bientôt quinze ans.

103. La régulation sectorielle joue un rôle déterminant dans cette phase de transition entre la situation, initiale, de monopole, et l'objectif, à terme, de plein exercice de la concurrence. Au travers des obligations d'accès aux réseaux et aux infrastructures qu'elle impose et précise ex ante, l'ARCEP définit un " terrain de jeu " prévisible (level playing field), qui fournit aux acteurs le cadre nécessaire à leurs décisions d'investissement.

104. A l'instar du marché, qui évolue constamment au gré des innovations et des stratégies d'acteurs, la régulation sectorielle a elle-même vocation à s'adapter de manière régulière, à la fois dans son champ et dans ses outils. A mesure que la concurrence se développe sur les marchés des communications électroniques, grâce à la régulation sectorielle, le champ de celle-ci est ainsi amené à se réduire et, le cas échéant, à se déplacer vers de nouveaux enjeux.

105. A cet égard, il y a lieu de se féliciter du succès du dégroupage, qui vaut à la France d'être régulièrement citée en exemple pour le dynamisme de son marché du haut débit. Dans les zones les plus denses du territoire, les opérateurs alternatifs font désormais jeu égal avec Orange sur le marché de détail résidentiel et dominent le marché de gros des offres activées (" bitstream "). Selon l'Autorité de la concurrence, cette situation appelle un allègement de la régulation ex ante qui pèse aujourd'hui sur France Télécom dans ces zones devenues concurrentielles. A l'inverse, la position de l'opérateur historique demeure forte sur les territoires moins denses et auprès de la clientèle professionnelle. Ces situations justifient un effort soutenu de la part du régulateur.

106. Les conditions de déploiement des nouveaux réseaux de boucle locale en fibre optique et d'exercice de la concurrence sur ces réseaux seront déterminantes pour l'avenir du secteur. L'ARCEP joue pleinement son rôle en cherchant un juste équilibre entre les incitations à installer ces infrastructures et les obligations pesant sur les opérateurs investisseurs. Cet équilibre doit être régulièrement évalué et une clause de rendez-vous à 12 ou 18 mois apparaît nécessaire pour s'assurer de la bonne marche du dispositif de régulation envisagé. Le cas échéant, ce dispositif pourra être complété par des obligations permettant l'exercice d'une concurrence par les services et garantissant la liberté de choix du consommateur.

107. Sur la question de la montée en débit, l'Autorité de la concurrence salue les travaux conduits par l'ARCEP pour permettre aux collectivités territoriales d'accroître rapidement les débits disponibles sur leur territoire dans le respect des règles de concurrence. Le schéma envisagé par le régulateur paraît pouvoir répondre, dans son principe, aux préoccupations concurrentielles formulées par l'Autorité dans son avis 09-A-57, à condition que les collectivités territoriales veillent par ailleurs à limiter leurs éventuels projets de montée en débit à ce qui est nécessaire et justifié.

108. Enfin, l'Autorité de la concurrence relève que la " boîte à outils " de l'ARCEP sera prochainement complétée par la faculté qu'aura cette dernière d'imposer à l'opérateur historique une séparation fonctionnelle entre les activités qui resteront durablement en monopole et celles qui relèvent du champ concurrentiel. Une telle mesure, de nature structurelle, peut apporter des garanties importantes quant au bon fonctionnement des marchés et alléger le contrôle de l'opérateur régulé. L'Autorité invite l'ARCEP à entamer les travaux préalables à son utilisation éventuelle.

Délibéré sur le rapport oral de M. Sébastien Soriano et l'intervention de Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale, par Mme Anne Perrot, vice-présidente, présidente de séance, Mme Flüry-Hérard, vice-présidente et M. Yves Brissy, membre.

Notes :

1 2007-879-CE : recommandation de la Commission du 17 décembre 2007 concernant les marchés pertinents de produits et de services dans le secteur des communications électroniques susceptibles d'être soumis à une réglementation ex ante conformément à la directive 2002-21-CE du Parlement européen et du Conseil relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques.

2 2010-572-UE : recommandation de la Commission du 20 septembre 2010 sur l'accès réglementé aux réseaux d'accès de nouvelle génération (NGA).

3 Pour les cycles précédents, voir notamment les avis n° 05-A-03, 06-A-21 et 08-A-09 rendus par le Conseil devenu Autorité de la concurrence.

4 Avis n° 10-A-13 du 14 juin 2010 relatif à l'utilisation croisée des bases de clientèle.

5 Règlement (CE) nº 2887-2000 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2000 relatif au dégroupage de l'accès à la boucle locale (abrogé en 2009).

6 Les lignes téléphoniques peuvent véhiculer un débit d'autant plus élevé qu'elles sont courtes. Les lignes les plus longues ne permettent pas de faire passer un signal audiovisuel.

7 En l'absence de cette option, un opérateur client souhaitant fournir un service de télévision serait obligé d'envoyer le signal télévisé d'une chaîne donnée à chaque abonné qui souhaiterait la regarder, ce qui génèrerait un trafic et donc un coût considérable.

8 Saisi d'une demande de mesures conservatoires par la société Free, le Conseil de la concurrence a pris acte dans cette décision des engagements pris par France Télécom auprès du régulateur sectoriel pour permettre à ses concurrents d'avoir accès à ces infrastructures de génie civil.

9 Décision n° 2009-1106 du 22 décembre 2009 précisant, en application des articles L. 34-8 et L. 34-8-3 du Code des postes et des communications électroniques, les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et les cas dans lesquels le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée et décision n° 2010-1312 du 14 décembre 2010 précisant les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sur l'ensemble du territoire à l'exception des zones très denses.

10 Ce nombre est d'au moins mille dans le cas général. Les points de mutualisation devraient donc être de dimension inférieure aux centraux téléphoniques, qui rassemblent en général plusieurs milliers de lignes.

11 Ces principes sont : (i) la possibilité pour les opérateurs mobiles d'utiliser, pour la collecte des antennes radios, certaines offres de gros régulées de France Télécom initialement prévues en principe pour la desserte du client final ; (ii) l'obligation pour France Télécom de préciser comment les offres sur mesure proposées à la clientèle professionnelle sont construites à partir des offres de gros

12 Avis du 14 décembre 2010 sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne.

13 Directive 2009-140-CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 modifiant les directives 2002-21-CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, 2002-19-CE relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu'à leur interconnexion, et 2002-20-CE relative à l'autorisation des réseaux et services de communications électroniques.

14 Avis n° 09-A-55 du 4 novembre 2009 sur le secteur du transport public terrestre de voyageurs.

15 Axione et SFR Collectivités interviennent en tant que partenaires de collectivités territoriales dans le cadre de réseaux d'initiative publique.

16 Cette portion serait par exemple de 45 à 50 % si l'on retient comme critère la présence d'au moins trois offreurs ou d'au moins dont deux proposant la fonctionnalité multicast, et de 60 à 65 % si l'on retient comme critère la présence d'au moins deux réseaux de collecte en fibre optique.

17 Cf. avis n° 10-A-13 précité, § 135.

18 L'accès à Internet et les services téléphoniques sont fournis par ADSL et les flux audiovisuels sont acheminés par satellite.