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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 3 janvier 2012, n° 10-08881

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Merlo France (SARL)

Défendeur :

Duclos (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mmes Beauvois, Poinseaux

Avoués :

SCP Bommart Minault, SCP Jupin, Algrin

Avocats :

Mes Hiblot, Bost

T. com. Versailles, 3e ch., du 22 oct. 2…

22 octobre 2010

Vu l'appel interjeté par la société Merlo France d'un jugement rendu le 22 octobre 2010 par le Tribunal de commerce de Versailles, lequel, disant n'y avoir lieu à exécution provisoire :

* l'a condamnée à payer à la société Duclos la somme de 75 000 euro à titre de dommages et intérêts pour perte de marge,

* a dit la société Duclos mal fondée en ses demandes d'indemnisation du préjudice économique, de la brusque rupture, et de paiement des factures de garantie d'un montant de 21 797,09 euro,

* l'a déboutée de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour perte de marchés,

* l'a condamnée à payer à la société Duclos la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les écritures en date du 23 novembre 2011, par lesquelles la société Merlo France demande à la cour, au visa des articles 1382 et suivants du Code civil, L. 442-6 I 5° du Code de commerce :

* de confirmer le jugement sur le rejet des demandes de la société Duclos, relatives à son préjudice économique, à la brusque rupture et au paiement des factures de garantie d'un montant de 21 797,09 euro,

* de l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau, de rejeter la demande de la société Duclos pour perte de marge,

* de condamner la société Duclos à lui payer la somme de 400 000 euro de dommages et intérêts au titre de la perte de marchés sur le territoire concédé,

* de condamner la société Duclos à lui verser la somme de 12 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens avec distraction;

Vu les dernières écritures en date du 16 novembre 2011, aux termes desquelles la société Duclos prie la cour, au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce :

* de confirmer cette décision sur l'indemnisation de sa perte de marge et le rejet de la demande de la société Merlo France au titre de la perte de marchés,

* de l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau, de rejeter l'ensemble des demandes de la société Merlo France,

* de condamner la société Merlo France à lui payer la somme de 1 145 000 euro, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 février 2008, en réparation de son entier préjudice,

* de condamner la société Merlo France à lui régler la somme de 21 697,09 euro au titre des factures impayées, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 février 2008,

* de condamner la société Merlo France à lui régler la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers avec distraction;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il convient de rappeler que :

* En l'absence de contrat écrit, la société Duclos, ayant pour activité la vente et la location de matériel pour le bâtiment et les travaux publics, a représenté et vendu les chariots élévateurs et nacelles de la société Merlo France durant plusieurs années;

* le 12 février 2007, la société Merlo France a adressé, par lettre recommandée avec accusé de réception, des reproches sur l'insuffisance de son équipe technique et commerciale à la société Duclos, contestés par cette dernière par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 février 2007;

* le 17 décembre 2007, par lettre recommandée avec accusé de réception, la société Merlo France a mis fin à ses relations avec la société Duclos à compter du 31 mars 2008;

* par acte d'huissier de justice du 22 octobre 2008, la société Duclos a assigné la société Merlo France devant le Tribunal de commerce de Versailles, aux fins d'indemnisation à hauteur de 1 145 000 euro de son préjudice causé, par la rupture brutale et illégitime des relations entre les parties, et de paiement de ses factures d'un montant de 21 697,09 euro;

Sur la brutalité de la rupture :

Considérant que la société Duclos, soutenant la rupture brutale, compte tenu de relations commerciales suivies durant dix-sept années, et abusive, eu égard aux motifs fallacieux invoqués, du contrat de concession qu'elle conteste avoir refusé de signer, réclame l'indemnisation de son préjudice à hauteur de 500 000 euro, au regard des investissements réalisés et de la situation financière délicate dans laquelle elle s'est trouvée;

qu'elle soutient que le préavis, à compter de la réception de la lettre recommandée au mois de décembre, aurait dû être fixé au minimum à quinze mois, et non à trois mois, durée sur laquelle elle n'a jamais été consultée, afin de tenir compte de l'ancienneté des relations commerciales, de la qualité des rapports entre les parties, de l'importance et de l'évolution du chiffre d'affaires réalisé de concert, et de la mauvaise foi de l'auteur de la rupture;

que, faisant valoir son respect des clauses d'exclusivité imposées par la société Merlo France, sur la base d'un contrat de contrat de distribution exclusive, elle soutient avoir respecté l'interdiction de vendre des matériels de marque différente ou hors secteur, et n'avoir noué de nouvelles relations commerciales avec la société Dieci qu'au mois de septembre 2008, postérieurement à la rupture;

qu'elle réclame des dommages et intérêts d'un montant de 500 000 euro pour brusque rupture, ainsi que l'indemnisation à hauteur de 245 000 euro de la perte de sa marge annuelle, fixée à la somme annuelle de 196 000 euro par son expert-comptable, outre son préjudice économique estimé à 400 000 euro et la somme de 645 000 euro au titre de la réparation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal à compter du 28 février 2008, date de la sommation;

qu'elle fait valoir le pourcentage très conséquent de son chiffre d'affaires représenté par la société Merlo France, laquelle était son premier fournisseur en volume de chiffre d'affaires, renvoyant à l'évaluation de son expert-comptable;

Considérant que la société Merlo France, relevant la contradiction des premiers juges, rejetant la brusque rupture de l'article L. 442-6 I 5°, mais indemnisant la société Duclos d'une perte de marge sur ce même fondement, conteste l'octroi d'une prime d'ancienneté et non l'indemnisation d'un préjudice;

qu'elle fait valoir le défaut de mise en place par la société Duclos de solutions de nature à remédier aux griefs formulés, sa lettre du 26 février 2007 et l'absence d'évolution au mois de décembre 2007, dix mois après son premier courrier, constituant l'annonce d'une cessation de la relation, soit un préavis suffisant et conforme aux usages;

qu'elle conteste l'existence d'investissements réalisés par la société Duclos et la mauvaise foi, génératrice d'abus, que lui reproche celle-ci, alors que la société Duclos a délaissé la vente des chariots élévateurs pour se consacrer à leur location, au détriment du fabricant;

que, contestant le principe et le montant du préjudice réclamé, elle oppose à la société Duclos la faiblesse de ses résultats en 2007, soit sept commandes dont trois n'ont pas été suivies, et souligne qu'un chiffre d'affaires de l'ordre de 1 200 000 euro, pouvant expliquer le montant des sommes réclamées par l'application d'une marge de 17 %, n'est pas démontré;

qu'elle souligne l'absence de pièces établissant le chiffre d'affaires généré par la vente de ses produits et conteste, outre les investissements allégués, le chiffre d'affaires à hauteur de 37 000 euro avancé pour l'année 2011, inférieur au prix de vente d'un seul chariot élévateur, dont, au demeurant, aucune facture n'est produite, et se rapportant plutôt à la location de matériel;

Considérant qu'il est acquis qu'aucun contrat de concession, ni de distribution, encore moins exclusive, n'a existé entre les parties; qu'ainsi, la société Duclos, agissant sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, ne peut prétendre à l'indemnisation de la rupture des relations commerciales, mais seulement du préjudice occasionné par sa brutalité;

que l'unique attestation fournie en faveur de relations datant de dix-sept ans, émanant de M. Gay se présentant comme inspecteur commercial et indiquant avoir collaboré avec la société Duclos pour le compte de la société Merlo en tant qu'inspecteur commercial de 1989 à juillet 1993, n'est pas circonstanciée et ne peut, à elle seule, permettre d'établir l'existence de relations commerciales stables entre les parties depuis 1989; qu'en revanche la durée de douze années, retenue par le tribunal de commerce, est conforme aux pièces du dossier;

qu'en l'absence de tout contrat entre les parties, la société Duclos a pu librement représenter plusieurs fabricants et choisir sa politique commerciale entre la vente et la location de matériel pour le bâtiment et les travaux publics;

qu'il résulte des courriers adressés par la société Merlo France à la société Duclos que, le 12 février 2007, la première a souhaité "discuter (avec vous) le futur de la représentation de notre marque sur votre secteur, évoquant la nécessité d'embauche de collaborateurs à la suite de la dissolution de l'équipe commerciale de la société Duclos, l'insuffisance de techniciens pour le parc Merlo, l'absence de couverture du département 43 et l'insuffisance des résultats";

qu'à la suite d'une réponse insatisfaisante de la société Duclos, la société Merlo France lui a reproché, par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 février 2007, ses protestations et refus, ainsi que l'absence d'élément sur le développement futur de (leur) activité commune; qu'elle a conclu en ces termes : "Nous ne pouvons pas arrêter le développement de nos ventes sur votre secteur avec une incertitude et sans réelle volonté de votre part de poursuivre l'engagement vis-à-vis de notre société.

C'est pour cette raison que nous vous donnons jusqu'au 30 juin 2007 pour remettre en place une force de vente appropriée et donner suite à nos autres demandes.

Avant l'expiration de cette date, nous regarderons ensemble les résultats obtenus en vue de voir la suite à donner à notre collaboration";

qu'il résulte clairement des termes de ce courrier que la société Duclos a été avisée à cette date du terme des relations commerciales au 30 juin 2007, faute par elle de remplacer sa force de vente, de renforcer son équipe technique et de s'implanter sur le département voisin;

que la rupture officialisée par lettre du 17 décembre 2007 n'était donc pas imprévisible; que la brutalité invoquée doit être appréciée eu égard à l'annonce, certes conditionnelle, mais dépourvue d'ambiguïté, du 26 février 2007; que le délai, ainsi repoussé au 31 mars 2008, était suffisant pour permettre à la société Duclos de réorganiser son activité et de trouver un nouveau fournisseur; que la rupture ne peut être qualifiée de brusque et, dès lors, ouvrir droit à indemnisation sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce;

que le jugement du Tribunal de commerce de Versailles, refusant le caractère brutal de la rupture, mais allouant cependant à la société Duclos des dommages et intérêts en constatant la rupture unilatérale des relations commerciales avec un préavis de trois mois, sera infirmé de ce chef;

Sur le paiement des factures :

Considérant que la société Duclos réclame le paiement de factures à hauteur de 21 697,09 euro, que la société Merlo France n'aurait jamais contestées, mais rejetées au motif de la clôture des exercices comptables de 1999 à 2002;

qu'elle fait valoir que ces factures correspondent aux frais forfaitaires de début et de fin de garantie accordées sur les chariots, soit la rétribution forfaitaire des interventions sous garantie, dont elle a cependant réglé les matériels et pièces couverts par la garantie;

Considérant que la société Merlo France demande confirmation du jugement rejetant la demande en paiement de trente-quatre factures d'un montant unitaire de 638,13 euro, dont trente-trois en date du 31 mai 2006 et la dernière du 20 juin 2006, ayant toutes pour objet intervention de fin de garantie;

qu'elle rappelle avoir accepté et réglé un certain nombre de factures, lors d'une revue des factures de garantie effectuée le 15 novembre 2006, et rejeté certaines, tardives et insuffisamment documentées, dont la société Duclos demande à présent le paiement en justice;

qu'elle souligne que ces factures se rapportent à des ventes de machines livrées en 1999, 2000 et 2001 et sont dépourvus de justificatifs d'installation, ainsi que des bons de livraison justifiant le service après-vente;

Considérant que les factures présentées par la société Duclos, bien que relatives à des commandes datant de 1999, 2000 et 2001, ont été émises le même jour, à une exception près, et portent toutes sur une intervention fin de garantie, avec la mention coupon fin de garantie;

que, les garanties supposées des matériels étant venues à expiration entre 2000 et 2002, l'établissement tardif de ces factures en mai et juin 2006 ne peut être accepté, en considération du seul souci de préserver de bonnes relations avec la société Merlo France, sans pour autant justifier de leur cause; qu'aucune pièce complémentaire, telle que bon de commande et de livraison, n'étant communiquée sur ce point, la créance de la société Duclos ne peut être établie au seul vu de factures contestées;

que le jugement du tribunal de commerce rejetant la demande de ce chef sera en conséquence confirmé;

Sur la demande reconventionnelle :

Considérant que la société Merlo France demande la condamnation de la société Duclos à l'indemniser du manque à gagner entraîné par son changement de stratégie et son absence de mise en place des moyens sollicités;

qu'elle chiffre son préjudice à la moyenne des ventes réalisée durant les trois dernières années, telle que résultant des éléments et de la marge fournis par l'expert-comptable de la société Duclos, soit une somme de 400 000 euro;

Considérant que la société Duclos s'oppose à cette demande, reprenant l'absence de justification de pertes de marché et de leur montant, retenue par le tribunal de commerce;

Considérant qu'en l'absence de relations contractuellement définies, l'action fondée sur l'article 1382 du Code civil suppose établie à l'encontre de la société Duclos une faute que la société Merlo France ne démontre pas par l'insuffisance de l'activité de son partenaire au cours de l'année 2007, dont il n'est, au surplus, pas établi qu'une perte de marché en ait résulté;

que le rejet de cette demande sera confirmé;

Sur les autres demandes:

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser totalement à la société Merlo France la charge de ses frais irrépétibles;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, - Infirme la décision déférée, sauf sur le rejet des demandes relatives au paiement de factures et à l'indemnisation de perte de marché, - Statuant à nouveau, rejette les demandes de la société Duclos, - Condamne la société Duclos à payer à la société Merlo France la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, - Condamne la société Duclos aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.