ADLC, 15 décembre 2011, n° 11-DCC-199
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à l'acquisition de deux fonds de commerce alimentaire du groupe Galeries Lafayette par la société Monoprix Exploitation
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 14 novembre 2011, relatif à l'acquisition de deux fonds de commerce à dominante alimentaire situés à Bron et à Nantes appartenant au groupe Galeries Lafayette par Monoprix, formalisée par une lettre d'intention en date du 27 octobre 2011 ; Vu les informations complémentaires transmises par les parties au cours de l'instruction ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. La société Monoprix Exploitation est l'entité du groupe Monoprix qui exploite les 404 points de vente sous les enseignes Monoprix, Inno, Monop', Dailymonop, Beautymonop et Naturalia. L'enseigne Monoprix regroupe des points de vente d'une moyenne de 1 800 m² proposant des produits alimentaires ainsi qu'un large assortiment de produits autres tels que des vêtements, des objets de décoration, des cosmétiques, etc. L'enseigne Monop' regroupe des points de vente d'une surface moyenne de 300 m² proposant également des produits alimentaires ainsi que des produits de beauté, de bricolage et de papeterie. L'enseigne Dailymonop regroupe des points de vente alimentaire d'une surface moyenne de 100 m². Enfin, les enseignes Naturalia et Beautymonop' proposent respectivement des produits biologiques et naturels et des produits de beauté et d'hygiène. Le groupe Monoprix est contrôlé conjointement par les groupes Galeries Lafayette et Casino (1).
2. Le groupe Casino gère un parc de plus de 9 400 magasins en France (hypermarchés, supermarchés, magasins de proximité, magasins discompteurs) sous enseignes Géant Casino, Casino Supermarché, Petit Casino, Franprix, Spar, Vival et Leader Price. Il est de plus présent dans le secteur de la distribution sur internet de produits non alimentaires avec l'enseigne Cdiscount. Le groupe Casino appartient au groupe Euris, lui-même contrôlé par M. Jean-Charles Naouri.
3. Le groupe Galeries Lafayette intervient dans différents secteurs d'activité. En premier lieu, il est présent dans la vente au détail de biens de consommation principalement via les enseignes Galeries Lafayette (vente d'articles de mode, de beauté et de maison), BHV (essentiellement vente d'articles de bricolage, de décoration et d'aménagement) ainsi que Royal Quartz et Louis Pion (vente d'articles d'horlogerie). Il propose des produits alimentaires haut de gamme via ses magasins Lafayette Gourmet. En deuxième lieu, il est présent dans le secteur de l'intermédiation et de la relation client, au travers de la société Lafayette Services (2). En dernier lieu, il propose des services de crédit à la consommation, principalement via la marque Cofinoga. Le capital du groupe Galeries Lafayette est quasiment exclusivement détenu par la société Motier, dont le capital est entièrement partagé entre des membres de la famille X (3).
4. Les fonds de commerce appartenant actuellement au groupe Galeries Lafayette situés à Bron (69) et à Nantes (ci-après "les fonds de commerce") sont actuellement exploités sous enseignes Lafayette Gourmet, enseigne d'épicerie fine du groupe Galeries Lafayette.
5. L'opération formalisée par une lettre d'intention en date du 27 octobre 2011 prévoit la cession des fonds de commerce à la société Monoprix Exploitation, qui les exploitera sous enseigne Monoprix. Dans la mesure où le groupe Monoprix est contrôlé conjointement par les groupes Casino et Galeries Lafayette, d'une part, et où, le groupe Lafayette contrôlait déjà les fonds de commerce, l'opération se traduit par le passage d'un contrôle exclusif du groupe Galeries Lafayette sur les deux fonds de commerce à un contrôle conjoint des groupes Galeries Lafayette et Casino sur les fonds de commerce. L'opération notifiée constitue donc une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
6. Les entreprises concernées (4) réalisent ensemble un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 75 millions d'euro (groupe Monoprix (5) : [...] milliards d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2010 ; les fonds de commerce : [...] millions d'euro pour la même année). Chacune réalise, en France, un chiffre d'affaires supérieur à 15* millions d'euro (groupe Monoprix : [...] milliards d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2010 ; les fonds de commerce : [...] millions d'euro pour la même année). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point II de l'article L. 430-2 du Code de commerce relatifs au commerce de détail sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
7. Selon la pratique constante des autorités nationale et communautaire de la concurrence, deux catégories de marché peuvent être délimitées dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire (6). Il s'agit, d'une part, des marchés "aval", de dimension locale, qui mettent en présence les entreprises de commerce de détail et les consommateurs pour la vente de biens de consommation et, d'autre part, des marchés "amont" de l'approvisionnement des entreprises de commerce de détail en biens de consommation courante, de dimension nationale.
A. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION
1. LES MARCHÉS DE SERVICE
8. En ce qui concerne la vente au détail des biens de consommation courante, les autorités de concurrence, tant communautaires que nationales (7), ont distingué six catégories de commerce en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l'ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés, (ii) les supermarchés, (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail, (v) les maxi discompteurs, (vi) la vente par correspondance.
9. Les hypermarchés sont usuellement définis comme des magasins à dominante alimentaire d'une surface légale de vente égale ou supérieure à 2 500 m². Les supermarchés sont, pour leur part, usuellement considérés comme des magasins à dominante alimentaire d'une surface de vente inférieure à 2 500 m² et supérieure à 400 m². Ces seuils doivent néanmoins être utilisés avec précaution et peuvent être adaptés au cas d'espèce, lorsque des magasins ont une surface située à proximité d'un seuil, soit en dessous, soit au-dessus, et peuvent se trouver en concurrence directe dans les faits.
10. En l'espèce, le magasin de Bron occupe aujourd'hui une surface de vente 2 596 m² qui devrait être portée à 2 650 m² à l'issue de travaux et rentre donc dans la catégorie des hypermarchés. Le magasin de Nantes occupe une surface de vente de 932 m², il rentre donc dans la catégorie des supermarchés.
2. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE
11. Dans ses décisions récentes relatives à des opérations concernant des hypermarchés ou des supermarchés (8), l'Autorité de la concurrence a rappelé qu'en fonction de la taille des magasins concernés, les conditions de la concurrence devaient s'apprécier sur deux zones différentes :
- un premier marché où se rencontrent d'une part la demande des consommateurs d'une zone et d'autre part l'offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes de déplacement en voiture et qui sont, de leur point de vue, substituables entre eux ;
- un second marché où se rencontrent d'une part la demande de consommateurs et d'autre part l'offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture. Ces dernières formes de commerce peuvent comprendre, outre les supermarchés, les hypermarchés situés à proximité des consommateurs et les magasins discompteurs.
12. D'autres critères peuvent néanmoins être pris en compte pour évaluer l'impact d'une concentration sur la situation de la concurrence sur les marchés de la distribution de détail, ce qui peut conduire à affiner les délimitations usuelles.
13. En l'espèce, le magasin de Bron entrant dans la catégorie des hypermarchés, l'analyse concurrentielle sera menée sur les deux marchés, celui incluant les hypermarchés situés dans un rayon de 30 minutes autour du magasin de Bron et celui incluant l'ensemble des hypermarchés, supermarchés et maxi-discompteurs localisés dans une zone de chalandise de 15 minutes autour de ce magasin. Le magasin de Nantes entrant dans la catégorie des supermarchés, l'analyse concurrentielle sera menée sur le marché incluant l'ensemble des hypermarchés, supermarchés et maxi-discompteurs localisés dans une zone de chalandise de 15 minutes autour de ce magasin.
B. MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
14. En ce qui concerne les marchés de l'approvisionnement, la Commission européenne (9) a retenu l'existence de marchés de dimension nationale par grands groupes de produits, délimitation suivie par les autorités nationales (10).
15. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de la présente opération.
III. Analyse concurrentielle
A. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION
16. Il convient à titre liminaire de préciser qu'hormis ses participations dans les fonds de commerce, le groupe Lafayette ne détient aucune autre surface de vente alimentaire dans les zones de chalandises considérées. Par ailleurs, les parts de marché attribuées au point de vente de Bron ont été calculées en tenant compte de la surface de vente totale et non de la seule surface de vente alimentaire, la répartition entre la surface de vente utilisée pour l'alimentaire et celle utilisée pour le non-alimentaire n'étant pas encore arrêtée.
17. Sur le marché comprenant les hypermarchés situés dans une zone de chalandise de 30 minutes en voiture autour du magasin de Bron, ce magasin représente [0-5] % des surfaces de vente (11). Le groupe Monoprix n'exploite actuellement pas d'autres hypermarchés dans cette zone tandis que le groupe Casino (hors groupe Monoprix) représente [0-5] % des surfaces de vente. Ces magasins font face à la concurrence des hypermarchés exploités sous les enseignes Carrefour ([40-50] %), Auchan ([20-30] %) et Leclerc ([10-20] %).
18. De même, sur le marché comprenant l'ensemble des hypermarchés, supermarchés et maxi-discompteurs situés dans un rayon de 15 minutes autour du magasin de Bron, ce magasin représente [0-5] % de l'ensemble des surfaces de vente. Le groupe Monoprix détient actuellement [5-10] % des surfaces de ventes. Le groupe Casino (hors groupe Monoprix) détient par ailleurs [20-30] % des surfaces de vente de la zone. Ces magasins représentent donc globalement [20-30] % des surfaces de vente et font face à la concurrence des magasins exploités sous les enseignes Carrefour ([20-30] %), Auchan ([10-20] %), Système U ([5-10] %) et Intermarché ([5-10] %),
19. Sur le marché comprenant l'ensemble des hypermarchés, supermarchés et maxi-discompteurs situés dans un rayon de 15 minutes en voiture autour du magasin de Nantes, ce magasin représente [0-5] % de l'ensemble des surfaces de vente. Le groupe Monoprix détient actuellement [0-5] % des surfaces de ventes. Le groupe Casino (hors groupe Monoprix) détient par ailleurs [5-10] % des surfaces de vente de la zone. Ces magasins représentent donc globalement [5-10] % des surfaces de vente et font notamment face à la concurrence des magasins exploités sous les enseignes Leclerc ([30-40] %), Carrefour ([20-30] %), Système U ([10-20] %), Intermarché ([10-20] %), Lidl ([5-10] %).
20. Les magasins des groupes Casino et Lafayette restent confrontés, dans les zones de chalandises concernées par l'opération, à la concurrence de plusieurs magasins, adossés aux grands groupes de distribution alimentaire. En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés aval.
B. MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
21. En ce qui concerne les marchés amont de l'approvisionnement, les deux fonds de commerce s'approvisionnaient déjà à près de 90 % auprès de la centrale d'achat du groupe Monoprix, qui est elle-même affiliée à la centrale de référencement du groupe Casino, EMC Distribution.
L'opération n'est donc pas susceptible de renforcer significativement la puissance d'achat du groupe Casino, tous produits confondus comme par grands groupes de produits.
22. Par conséquent, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence tant sur le marché aval que sur le marché amont de l'approvisionnement.
DECIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 11-211 est autorisée.
Notes :
1 Voir la lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 2 octobre 2000 au conseil de la société Casino.
2 La société Lafayette Services est contrôlée conjointement par les groupes Galeries Lafayette et BNP Paribas (cf. la lettre C2005-34 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 1er juillet 2005 aux conseils de sociétés BNP Paribas et Galeries Lafayette relative à une concentration dans le secteur bancaire.
3 Hormis Madame X, aucun des membres de la famille X ne détient de participations contrôlantes dans des sociétés autres que la société Motier. Concernant Madame X, elle détient une participation contrôlante dans la société [...], qui n'est toutefois pas active dans le secteur de la distribution alimentaire au détail, secteur concerné par la présente opération, ni sur des marchés aval ou connexes à ce secteur. La société [...] est en effet active dans le secteur de la distribution de plastique. L'intégration de cette société n'ayant aucune incidence sur l'analyse concurrentielle ainsi que sur la contrôlabilité de l'opération, cette société ne sera plus évoquée dans la suite de la présente décision.
4 Le point 146 de la Communication consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement (CE) n°139-2004 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises précise que " lorsque l'acquisition est faite par une entreprise commune de plein exercice, présentant les caractéristiques décrites ci-dessus, qui opère déjà sur le même marché, la Commission considérera normalement que l'entreprise commune elle-même et l'entreprise cible sont les entreprises concernées (et non les sociétés mères de l'entreprise commune).
5 Le point 182 de la Communication consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement (CE) n°139-2004 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises précise que " lorsqu'au moins deux entreprises contrôlent en commun l'entreprise concernée, en ce sens que leur accord unanime est requis pour en assurer la gestion, le chiffre d'affaires de toutes ces entreprises est pris en considération ". Le chiffre d'affaires consolidé du groupe Monoprix correspond ainsi à la somme des chiffres d'affaires des groupes Casino et Galerie Lafayette, qui intègrent chacun pour moitié le chiffre d'affaires du groupe Monoprix, à laquelle le chiffre d'affaires total des fonds de commerce a été soustrait, afin que ce dernier ne soit pas doublement comptabilisé.
* Erreur matérielle corrigée.
6 Décisions de la Commission M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000 et M.2115 Carrefour/GB du 28 septembre 2000. Voir également la lettre du Ministre C2005-98 du 10 novembre 2005 aux conseils du groupe Carrefour, relative à une concentration dans le secteur de la grande distribution alimentaire.
7 Lettres du Ministre C2005-98 du 10 novembre 2005 aux conseils du groupe Carrefour, relative à une concentration dans le secteur de la grande distribution alimentaire ; C2006-15 du 14 avril 2006, relative à une concentration dans le secteur de la grande distribution alimentaire ; C2007-154 du 3 décembre 2007, au conseil de la société Système U Centrale Régionale Sud, relative à une concentration dans le secteur de la grande distribution alimentaire ; C2007-172 du 13 février 2008 à Monsieur le Président du groupe Carrefour, relative à une concentration dans le secteur de la grande distribution alimentaire ;C2008-32 du 9 juillet 2008 au Président de la société Amidis & Compagnie, relative à une concentration dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire.
8 Voir notamment les décisions n° 09-DCC-04 du 29 avril 2009 relative à la prise de contrôle de la société Noukat par la société d'Exploitation Amidis & Cie SAS, filiale du groupe Carrefour ; n° 09-DCC-06 du 20 mai 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Evolis SAS par la société ITM Entreprises ; n° 09-DCC-10 du 28 mai 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Frandis par la société Financière Perdis ; n° 09-DCC-24 du 23 juillet 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Floritine par la société CSF, filiale du groupe Carrefour.
9 Voir les décisions de la Commission M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000 et M.2115 Carrefour/GB du 28 septembre 2000.
10 Voir notamment les décisions C2007-172 Carrefour Plane/Plamidis du 13 févier 2008, C2006-15 Amidis/Hamon du 14 avril 2006, 2005-98 Carrefour/Penny market du 19 novembre 2005.
11 La surface de vente retenue afin de calculer la part de marché du magasin de Bron correspond à celle après travaux soit 2 650 m².