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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 17 janvier 2012, n° 11-05212

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pepsico France (SNC)

Défendeur :

Dark Dog France (SAS), Brasserie Licorne (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hoffbeck

Conseillers :

MM. Cuenot, Allard

Avocats :

Mes Toison, Richard-Frick, Gumuschian

TGI Saverne, du 4 oct. 2011

4 octobre 2011

La SAS Dark Dog France est propriétaire de la marque et de la recette énergisante Dark Dog.

La SAS Brasserie Licorne est le distributeur exclusif des produits Dark Dog.

Selon convention du 22 septembre 2008, la SAS Dark Dog France et la SAS Brasserie Licorne ont concédé à la SNC Pepsico France un contrat de sous-distribution exclusive CHD (consommation hors domicile), et selon une seconde convention du 30 mars 2009 un contrat de sous-distribution exclusive GMS (grandes et moyennes surfaces).

Il était également prévu dans ces contrats le règlement par la SNC Pepsico France d'une "redevance de marketing", contrepartie de la sous-distribution exclusive, de l'utilisation de la marque et des prestations assurées par le propriétaire de la marque (dépenses marketing nécessaires pour pérenniser et développer favorablement l'image et la notoriété de la marque Darg Dog, pour lesquelles la SAS Dark Dog France s'engageait à mettre en œuvre, du moins pour la première année, un budget marketing-communication de quatre millions d'euro).

Par acte du 12 août 2011, se plaignant de ce que les objectifs de vente n'avaient pas été réalisés par la SNC Pepsico France, ce qui avait eu pour conséquence de réduire le montant de la redevance de marketing due par cette société, alors que l'équilibre financier de l'opération était subordonné à la réalisation des objectifs et au versement de l'entière redevance prévue contractuellement (laquelle redevance devait permettre à la SAS Dark Dog France d'équilibrer le budget marketing consacré au développement de la marque), la SAS Dark Dog France et la SAS Brasserie Licorne ont fait assigner la SNC Pepsico France devant la Chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Saverne en réparation du préjudice ainsi occasionné, correspondant notamment au défaut de paiement de la redevance de marketing prévue aux contrats.

La SNC Pepsico France a soulevé une exception d'incompétence territoriale au profit du Tribunal de commerce de Nanterre, juridiction dont dépend son siège social.

Par jugement du 4 octobre 2011, la juridiction saisie a rejeté l'exception d'incompétence territoriale et a enjoint la SNC Pepsico France de conclure au fond.

Pour statuer dans ce sens, elle retient :

- que l'article 46 du Code de procédure civile édicte une option à deux branches, à savoir le domicile du défendeur d'une part, le lieu de la livraison effective ou de l'exécution de la prestation de service d'autre part, dont les éléments découlent de la qualification des rapports contractuels ;

- que les parties sont liées par un contrat de distribution exclusive qui se distingue d'une simple vente au regard de son objet et de sa finalité ;

- que le lieu d'exécution de la prestation de service doit dès lors déterminer la compétence juridictionnelle ;

- qu'il est admis que la prestation caractéristique du contrat de distribution consiste en la fourniture du produit par le fournisseur dont le siège est situé dans le ressort du Tribunal de grande instance de Saverne ;

- que le lieu d'exécution de l'obligation principale du contrat est ainsi normalement situé au lieu où le fournisseur est installé, soit en l'espèce au siège de la SAS Dark Dog France à Saverne.

- que c'est donc à juste titre que les parties demanderesses ont saisi la juridiction de Saverne au regard du lieu d'exécution de la principale obligation du contrat de distribution.

Selon un acte parvenu au greffe du Tribunal de grande instance de Saverne le 18 octobre 2011, la SNC Pepsico France a formé un contredit de compétence.

Elle sollicite l'infirmation du jugement entrepris et le renvoi de l'affaire devant le Tribunal de commerce de Nanterre. Elle réclame en outre le paiement d'une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de son contredit de compétence, la SNC Pepsico France fait valoir:

- que le tribunal a justement considéré que chacun des contrats était un contrat de prestation de services et qu'il convenait d'en définir le lieu d'exécution pour déterminer la juridiction territorialement compétente ;

- qu'en effet, l'objet des contrats s'entend de la distribution exclusive par la SNC Pepsico France des produits Dark Dog dans les circuits GMS et CHD ;

- que le contrat de distribution est une convention par laquelle le distributeur va réaliser une prestation de service complète pour le compte de son mandant, dès lors que les produits à distribuer lui auront été livrés ;

- que c'est donc le lieu d'exécution de la prestation de service de distribution qui doit être appréhendé pour déterminer la juridiction territorialement compétente, et non le lieu de fourniture des produits ;

- que la prestation de services des contrats s'entend de l'ensemble des actions de distribution et non de la simple fourniture des marchandises au distributeur ; que c'est à tort que le premier juge a retenu, sans aucune motivation, que la prestation caractéristique du contrat de distribution consistait en la fourniture du produit par le fournisseur ; que cette notion était d'ailleurs réservée autrefois au règlement des conflits de lois dans les situations internationales; que tel n'est pas ici le cas, puisque les parties au litige sont toutes des sociétés de droit français;

- que les services que la concluante doit exécuter ne sont donc pas réalisés dans les locaux des sociétés demanderesses, mais là où sont distribués les produits, c'est-à-dire en France métropolitaine et dans les départements d'Outre-Mer ;

- que c'est en outre à son siège, situé dans le ressort du Tribunal de commerce de Nanterre, que la SAS Dark Dog France met en œuvre la politique de distribution des produits de marque Dark Dog ;

- qu'aucune prestation de service n'est donc réalisée dans le ressort des sièges sociaux de la SAS Dark Dog France et de la SAS Brasserie Licorne ;

- que les prestations de distribution, objets des contrats, ne sont pas exécutées dans le ressort du Tribunal de grande instance de Saverne, lequel ne peut donc connaître du litige, mais dans le ressort du Tribunal de grande instance de Nanterre.

Par des conclusions déposées le 1er décembre 2011, la SAS Dark Dog France et la SAS Brasserie Licorne demandent à la cour de rejeter le contredit et de confirmer le jugement entrepris. Elles réclament en outre le paiement d'une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elles font observer en réplique :

- que des contrats peuvent comporter à la foi des obligations de vente et de prestations de services ;

- qu'en l'occurrence, le lieu de livraison effective de la chose est dans le ressort de la juridiction de Saverne ; qu'en effet, il avait été contractuellement prévu que les produits Dark Dog seront remis à la SNC Pepsico "départ Saverne", c'est-à-dire que la marchandise lui serait réellement remise à Saverne et que ladite société assumerait les frais et risques du transport ; que le transporteur était mandaté par la SNC Pepsico ; que la remise matérielle à cette dernière était donc réalisée par la SAS Brasserie Licorne à Saverne;

- qu'en outre, le lieu d'exécution de la prestation de service se situe également dans le ressort de la juridiction de Saverne ; qu'en effet, la prestation caractéristique du contrat, objet du présent litige, est non seulement la fabrication et la fourniture des produits Dark Dog par les sociétés demanderesses, mais encore la réalisation par la SAS Dark Dog d'une prestation marketing (budget de quatre millions d'euro par an) ; que ces prestations de service sont réalisées à Saverne dans les locaux de la SAS Dark Dog France ;

- qu'il est de jurisprudence que la prestation du contrat de distribution est l'obligation de fourniture contractée par le fournisseur ;

- que même à considérer que seule l'option du lieu de l'exécution de la prestation doit être retenue, il conviendrait alors de déterminer celui des prestations apparaissant comme caractéristiques ;

- que si le juge du fond n'a plus, en la matière, à se poser la question de la prestation caractéristique du contrat de distribution pour déterminer la loi applicable au contrat, cela ne signifie pas que ce critère ne permet pas de déterminer la juridiction compétente et que cette prestation caractéristique n'est plus la fourniture du produit ; que la prestation caractéristique du contrat de distribution reste la fourniture du produit ;

- qu'à titre infiniment subsidiaire, si la cour devait retenir que la prestation caractéristique du contrat est la distribution des produits Dark Dog, il apparaîtrait que cette distribution est organisée sur la France métropolitaine et les départements d'Outre-Mer, et donc pour partie dans le ressort du Tribunal de grande instance de Saverne ; que le demandeur peut saisir tout tribunal dans le ressort duquel la prestation a été effectuée.

Sur ce, LA COUR

Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits et moyens ;

Attendu qu'en vertu de l'article 42 du Code de procédure civile, la juridiction territorialement compétente est normalement celle du lieu où demeure le défendeur ;

Attendu qu'aux termes de l'article 46 du Code de procédure civile, en matière contractuelle, le demandeur peut toutefois saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ;

Attendu en l'occurrence que la SAS Dark Dog France et la SAS Brasserie Licorne, dont les sièges sociaux se trouvent dans le ressort du Tribunal de grande instance de Saverne, ont porté leur action devant cette juridiction en soutenant qu'elle était non seulement le lieu de la livraison effective de la chose, mais encore celui de l'exécution de la prestation de service ;

Attendu que, s'agissant du lieu de la livraison effective de la chose, c'est à bon droit que le tribunal a refusé aux sociétés demanderesses de se prévaloir des dispositions dérogatoires au principe de l'article 42 ; qu'en effet, les deux conventions sur le fondement desquelles l'action a été introduite ne renferment pas des ventes portant livraison d'une quantité définie de produits; que si des ventes sont naturellement projetées au titre de la distribution exclusive mise en place dans les rapports des parties, les deux conventions ne constituent à cet égard, que de simples contrats-cadre prévoyant notamment les conditions de l'exclusivité consentie, les conditions générales d'approvisionnement, d'achat et de transport, ainsi qu'une grille de prix applicables; qu'ainsi, elles ne stipulent aucunement une livraison effective de marchandises, mais fixent uniquement les conditions générales pour la passation de ventes ultérieures à intervenir ;

Attendu que la compétence du Tribunal de grande instance de Saverne ne se justifie donc pas au regard du lieu de livraison effective de la chose ;

Attendu par contre que la juridiction de Saverne a pu être valablement saisie comme étant la juridiction du lieu de l'exécution de prestations de service ;

Attendu qu'il ressort en effet des deux conventions litigieuses signées les 22 septembre 2008 et 30 mars 2009 qu'au-delà de l'exclusivité consentie à la SNC Pepsico France pour la sous-distribution des produits Dark Dog, il a été mis à la charge de la SAS Dark Dog France l'obligation d'assurer "toutes les dépenses marketing nécessaires pour pérenniser et développer favorablement l'image et la notoriété de la marque Dark Dog en France, ainsi que les engagements de sponsoring et réalisation événementielles" ; qu'il était précisément stipulé la mise en œuvre par la SAS Dark Dog France d'un budget marketing de quatre millions d'euro par année, en contrepartie de quoi la SNC Pepsico France s'engageait à payer une "redevance marketing", destinée normalement à équilibrer économiquement l'opération ;

Attendu que c'est d'ailleurs le non-versement total de cette redevance marketing, consécutif au fait prétendu que les objectifs assignés n'auraient pas été atteints, qui se trouve en litige ;

Attendu ainsi que, dès lors que les deux conventions mettaient à la charge de la SAS Dark Dog France des prestations de service bien définies, et que l'exécution de ces prestations, telles que décrites plus haut, ne pouvait que se faire principalement au siège social de la demanderesse, soit dans le ressort du Tribunal de grande instance de Saverne, la compétence de cette juridiction se justifiait par application de l'article 46 du Code de procédure civile ;

Attendu que, substituant ces motifs à ceux des premiers juges, il convient de rejeter le contredit de compétence et de confirmer la décision entreprise ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la SAS Dark Dog France et à la SAS Brasserie Licorne la charge de leurs frais relevant de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur de la somme de 1 000 euro pour chacune d'elles ;

Attendu enfin qu'il n'y a pas lieu à paiement de dépens en matière de contredit de compétence ;

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit le contredit de compétence, régulier en la forme ; Le déclare cependant non fondé et confirme le jugement entrepris ; Condamne la SNC Pepsico France à payer à chacune des deux sociétés Dark Dog France et Brasserie Licorne une somme de 1 000 euro (mille euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit n'y avoir lieu à paiement de dépens.