CA Orléans, ch. com., économique et financière, 26 janvier 2012, n° 11-01716
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Studiosanté (SAS)
Défendeur :
Bilgal Distribution (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Raffejeaud
Conseillers :
MM. Garnier, Monge
Avoués :
SCP Desplanques Devauchelle, SCP Laval Lueger
Avocats :
Me Bensoussan, SCP Referens-Laloum & Arnoult
La société Bilgal Distribution (la société Bilgal) a conclu le 18 juin 2008 avec la société Studiosanté un contrat de franchise en vue de l'exploitation de cette marque dans le cadre d'une activité de coordination de soins à domicile pour les particuliers. A la suite d'une mésentente entre les parties, le contrat a été résilié amiablement avec effet au 16 juin 2009. Prétendant que la société Bilgal se livrait à des actes de concurrence déloyale en continuant la même activité sous une nouvelle marque, Actimed, la société Studiosanté l'a assignée, par acte du 10 février 2010, en vue de lui voir interdire l'exercice de cette activité et en dommages et intérêts.
Par jugement du 13 mai 2011, le Tribunal de commerce de Tours a rejeté les prétentions de la société Studiosanté et l'a condamnée à payer à la société Bilgal la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
La société Studiosanté a relevé appel.
Par ses dernières conclusions signifiées le 17 novembre 2011, elle fait valoir que la société Bilgal a orchestré son entrée dans le réseau Studiosanté en vue de piller le savoir-faire du franchiseur puis d'entreprendre la création d'un réseau directement concurrentiel. Elle fait grief à la société intimée d'utiliser des plaquettes commerciales similaires, de reproduire les mêmes slogans publicitaires et de fabriquer des packs de soins de mêmes caractéristiques. Elle prétend que la société Bilgal a continué de se présenter comme une agence Studiosanté afin d'entretenir la confusion. Elle demande à la cour de condamner sous astreinte la société Bilgal à cesser purement et simplement son activité jusqu'à ce qu'elle soit en mesure de justifier de l'exploitation d'un concept propre. Elle estime son préjudice à 200 000 euro soit 100 000 euro pour violation contractuelle et un montant identique pour la réparation de la concurrence déloyale.
Par ses dernières écritures du 31 octobre 2011, la société Bilgal réplique que la société Studiosanté n'a pas considéré la rupture comme abusive ou fautive et que le savoir-faire allégué n'a rien d'original au regard de la concurrence sur ce marché. Elle dénie que sa plaquette commerciale soit une copie servile de celle de l'ancien franchiseur, les différences permettant d'exclure tout risque de confusion. Elle souligne que les mentions sont communes à l'activité exercée et résultent des textes réglementant ces prestations prises en charge par la sécurité sociale. Elle indique ne plus utiliser le slogan contesté et que la preuve de la prétendue utilisation de la marque Studiosanté n'est pas rapportée. Elle relève qu'il n'existe pas de clause de non-concurrence après la résiliation du contrat, de sorte qu'aucun manquement contractuel ou post-contractuel ne peut être retenu et que l'invocation d'une intention frauduleuse dès l'origine est absurde. Elle affirme que la demande d'interdiction totale d'activité viole le principe de la liberté d'entreprendre et que la demande indemnitaire n'est pas justifiée dès lors que le franchiseur n'est pas victime d'un détournement de clientèle. Elle conclut à la confirmation du jugement, sauf à porter à 6 000 euro le montant des dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur quoi
Attendu que le bien-fondé d'une action en concurrence déloyale ou en reconnaissance du caractère parasitaire d'un comportement est uniquement subordonné à l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice, et non à l'existence d'une situation de concurrence directe et effective entre les sociétés concernées ;
Qu'aucun élément ne démontre que les associés de la société Bilgal auraient eu, dès l'origine, l'intention de se libérer des contraintes de la franchise pour exercer la même activité en toute indépendance, et la production par la société Studiosanté de deux invitations adressées par un distributeur de matériel médical à des infirmières installées dans la région lyonnaise avec les références " Studiosanté-Actimed " ne suffit pas à établir que la société Bilgal a continué d'utiliser l'enseigne Studiosanté après la rupture du contrat de franchise pour entretenir la confusion ;
Attendu que le savoir-faire transmis par le franchiseur ne peut lui être restitué, dès lors qu'il s'agit de connaissances qui, une fois assimilées, pourront être mises en œuvre par l'ancien franchisé dans sa nouvelle activité ; qu'au vu des attestations de présence des associés de la société Bilgal à la formation initiale, le savoir-faire enseigné n'était pas aussi banal qu'ils le prétendent dans la mesure où ils ont estimé que cette formation était claire et précise et indispensable pour les futurs franchisés ; que l'utilisation du savoir-faire après la rupture du contrat de franchise ne saurait toutefois conduire à se livrer à des actes de concurrence déloyale à l'encontre du réseau de franchise abandonné ;
Qu'en l'occurrence, le tribunal a estimé que les plaquettes commerciales utilisées par la société Bilgal sous la marque Actimed n'étaient en rien comparables avec les documents Studiosanté ; que, néanmoins, la société Bilgal a reproduit à l'identique dans un premier temps le slogan Studiosanté, à savoir " plus jamais seul face au retour à domicile " ; que surtout, il apparaît à la cour que les développements sur les engagements du prestataire Actimed sont, pour l'essentiel, une copie servile des rubriques figurant dans la plaquette Studiosanté, la société Bilgal s'étant bornée à mettre à l'infinitif le premier verbe de chaque phrase au lieu de le conjuguer à la première personne du présent de l'indicatif ;
Qu'il suffira, à titre d'exemple, de citer l'une des six rubriques concernées :
Studiosanté : " je recherche l'infirmière libérale de proximité, qui réalisera les soins en particulier si le patient n'en connaît pas ou si le traitement nécessite des exigences particulières comme par exemple l'agrément chimiothérapie " ;
Actimed : " Rechercher l'infirmière libérale de proximité qui réalisera les soins, en particulier si le patient n'en connaît pas, ou si le traitement nécessite ces exigences particulières comme l'agrément en chimiothérapie " ;
Qu'une telle imitation, qui n'est pas imposée par les textes réglementant l'activité de prestataire de santé à domicile, constitue une exploitation parasitaire du travail d'autrui, permettant de s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer, sans frais, profit de ses efforts et de son savoir-faire, et caractérise une faute au sens de l'article 1382 du Code civil ; que, même si la société Studiosanté ne démontre pas avoir subi des détournements de clientèle, tout acte de concurrence déloyale, nécessairement générateur d'un trouble commercial, implique l'existence d'un préjudice, fût-il seulement moral, et il sera alloué à la société Studiosanté, eu égard aux éléments d'appréciation communiqués, la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts, le jugement étant infirmé de ce chef ;
Et attendu que l'interdiction totale d'activité sollicitée par la société Studiosanté aurait pour effet de violer le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle et cette demande sera rejetée ;
Attendu que le sens du présent arrêt commande de débouter la société Bilgal de sa demande d'indemnité pour procédure abusive ;
Que la société Bilgal supportera les dépens de première instance et d'appel et versera, en outre, la somme de 6 000 euro à la société Studiosanté sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Infirme le jugement entrepris ; Et statuant à nouveau ; Condamne la société Bilgal Distribution à payer à la société Studiosanté la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts pour actes de parasitisme ; Rejette la demande de la société Studiosanté d'interdiction de toute activité à la société Bilgal Distribution ; Déboute la société Bilgal Distribution de sa demande tendant à l'allocation d'une somme pour procédure abusive ; Condamne la société Bilgal Distribution aux dépens de première instance et d'appel et à verser à la société Studiosanté la somme de 6 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Accorde à la SCP Desplanques-Devauchelle, titulaire d'un office d'avoué, le droit reconnu par l'article 699 du même Code.