CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 janvier 2012, n° 09-06620
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Mikit France (SA)
Défendeur :
Home Invest (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roche
Conseillers :
M. Vert, Mme Luc
Avoués :
SCP Baufume Galland Vignes, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Mes de Balmann, Metais, SCP Amsellem-Azran & Associés
LA COUR,
Vu le jugement en date du 25 février 2009 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a prononcé la nullité du contrat de franchise conclu entre M. Jacob et la société Mikit France le 31 juillet 2006, condamné la société Mikit France, sous le régime de l'exécution provisoire, à payer à M. Jacob et à la société Home Invest la somme de 47 242 euro, majorée des intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2007, celle de 1 euro de dommages-intérêts et enfin celle de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté le 12 mars 2009 par la société Mikit France et ses conclusions enregistrées le 14 novembre 2011 et tendant à faire infirmer le jugement entrepris, prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts de M. Jacob, ès qualités, condamner solidairement M. Jacob et la société Home Invest à lui payer la somme de 59 800 euro et celle de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; à titre subsidiaire, si l'annulation du contrat venait à être prononcée, réduire les sommes mises à sa charge et ordonner la compensation des sommes dues par elle avec celles due par M. Jacob, ès qualités de gérant de la société Home Invest, soit 35 648 euro ;
Vu les conclusions de la société Home Invest et de M. Jacob du 8 novembre 2011, tendant à faire confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat et condamné la société Mikit France à leur rembourser la somme de 47 242 euro au titre du droit d'entrée et du coût d'intégration ; l'infirmer pour le surplus, et condamner la société Mikit France à rembourser à la société Home Invest et à M. Jacob la somme de 539,90 euro au titre de frais de déplacement liés à l'exécution du contrat, à leur payer la somme de 24 000 euro à titre de dommages-intérêts, ainsi que celle de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; à titre infiniment subsidiaire, dire que le prévis de résiliation du contrat de franchise a débuté le 27 janvier 2007 et qu'en conséquence, aucune indemnité n'est due et enfin dire que la clause pénale égale à 14 planchers mensuels est excessive et en réduire le montant à un euro ;
Sur ce,
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société Mikit France exploite un réseau de 200 franchisés qui commercialisent des " maisons en prêt à finir ". Les franchisés fournissent à leurs clients des " kits " leur permettant de faire seuls les travaux de finition, à partir du gros œuvre qui leur est livré. M. Jacob a eu un premier contact avec la société Mikit France, au printemps 2006, lors du salon de la franchise de Strasbourg. Après avoir reçu le document d'information précontractuelle (ci-après DIP), il a signé, le 31 juillet 2006, un contrat de franchise lui donnant l'exclusivité d'utilisation de la marque et des modèles déposés sur une partie des arrondissements d'Haguenau et de Wissembourg, dans le département du Bas Rhin. Il a versé une somme de 47 242 euro TTC, en règlement du droit d'entrée et du coût d'intégration. Il a ensuite participé à des séances de formation en septembre 2006, pendant quatre semaines, et en janvier 2007. Début 2007, M. Jacob a créé la société Home Invest pour exercer son activité de franchisé. Le 27 janvier 2007, il a avisé la société Mikit France de son intention de mettre fin à leur collaboration. Cette démarche n'ayant pas été suivie d'effets, M. Jacob et la société Home Invest ont, par acte du 19 juillet 2007, assigné la société Mikit France devant le Tribunal de commerce de Paris, afin de voir, sous le régime de l'exécution provisoire, juger que le consentement de M. Jacob avait été vicié du fait du manquement du franchiseur à son obligation d'information précontractuelle, et, en conséquence, prononcer la nullité du contrat de franchise, et condamner la société Mikit France à leur rembourser la somme de 47 781,90 euro versée au titre du droit d'entrée, du coût d'intégration et des frais liés à l'exécution du contrat de franchise, à leur payer la somme de 24 000 euro à titre de dommages-intérêts, outre celle de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par le jugement entrepris, le Tribunal de commerce de Paris a prononcé la nullité du contrat de franchise, estimant non remplie l'obligation d'information précontractuelle à la charge du franchiseur, a condamné la société Mikit France à rembourser à M. Jacob et à la société Home Invest la somme de 47 242 euro (au titre du droit d'entrée et du coût d'intégration), majorée des intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2007, celle de 1 euro à titre de dommages-intérêts et enfin celle de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur la demande d'annulation du contrat de franchise pour non-respect de l'obligation précontractuelle d'information
Considérant que si les intimés font grief à la société Mikit France d'avoir méconnu son obligation précontractuelle d'information en fournissant des informations erronées ou incomplètes, méconnaissance constitutive d'un dol et d'une réticence dolosive qui aurait vicié leur consentement, il convient de rappeler, tout d'abord, que l'article L. 330-3 du Code commerce dispose que " toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ", mais également que le dol suppose, pour être caractérisé, de rapporter la preuve de l'intention dolosive ayant animé son auteur;
Considérant que, selon les dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce, le document d'information pré-contractuelle (ci-après DIP), " dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités " ; qu'en vertu du 5° de l'article R. 330-1 du Code commerce, le DIP doit contenir " une présentation du réseau d'exploitants qui comporte : a) la liste des entreprises qui en font partie (...) ; b) l'adresse des entreprises établies en France (...) c) le nombre d'entreprises qui (...) ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant celle de la délivrance du document, (...) ; (...) " ; qu'il convient de rappeler que le franchiseur n'est pas tenu de fournir une étude du marché local ;
Considérant en l'espèce qu'en premier lieu, l'information donnée à M. Jacob comportait toutes les indications utiles sur la société Mikit France ainsi que sur le marché local concerné, contenues dans le document " Marché de la maison individuelle en 2004 " inclus en pages 12 à 21 du DIP ; que ces documents énumèrent, pour le Bas-Rhin, le nombre de constructions de maisons en secteur diffus, leurs caractéristiques en surface et nombre de pièces, le nombre des acheteurs, le positionnement du département et l'évolution de la conjoncture sur plus de dix ans ; que si la société Mikit France aurait dû actualiser ces chiffres pour 2005, le contrat de franchise ayant été conclu en juillet 2006, les intimés ne démontrent pas que la conjoncture ait changé au point que les données 2004 auraient été obsolètes et de nature à les avoir induits en erreur ; que s'il est reproché à ces chiffres d'être trop globaux et de porter non sur la seule zone concernée et sur les seules maisons prêtes à construire, mais sur tout le département et sur toutes les maisons individuelles, il faut noter que, d'une part, les lieux de construction pouvaient être situés, selon le contrat, en dehors du territoire exclusif de prospection et que, par conséquent, le choix du département comme échelle d'analyse paraissait pertinent et que, d'autre part, la demande des consommateurs finals se porte alternativement sur une maison traditionnelle ou sur une maison en kit, les deux catégories de maisons étant substituables pour une partie de la clientèle ; qu'il appartenait par ailleurs au franchisé de faire lui-même une analyse d'implantation précise ; que les informations globales fournies dans le DIP pouvaient facilement être complétées à l'aide d'informations recueillies sur Internet ou par l'intermédiaire d'agences immobilières ; qu'ainsi, l'évaluation du coût de foncier pour 2006 du DIP a pu aisément être confrontée par M. Jacob à celle de la DRE de Strasbourg ; que si l'évaluation de la valeur moyenne des terrains figurant dans le DIP était de 30 000 euro, donnée sous-évaluée par rapport à celle de la DRE qui la fixait à 98 999 euro, il en résulte, selon la page 80 du DIP, une augmentation du produit revenant à chaque franchisé, baptisé " commission d'apport d'affaires à la SOFRANAC ", calculé en pourcentage de ce montant (1,5 %) ; que M. Jacob ne démontre pas que la prospection de la clientèle serait par ailleurs devenue très difficile, voire impossible, à cause de ce prix, trois fois supérieur aux prévisions ; que M. Jacob ne saurait se plaindre de ce que la population de son secteur était limitée à 185 000 personnes, la taille standard des territoires de franchise Mikit France étant de 120 000 habitants ; que le potentiel de vente de maisons s'élevait à plus de 20 maisons par an et que le franchisé voisin de Belfort avait réalisé 37 constructions par an, pour une population de 140 000 habitants ; qu'enfin, les résultats des franchisés d'Alsace démontraient la rentabilité potentielle de l'activité de franchisé Mikit ;
Considérant, en deuxième lieu, que M. Jacob ne démontre pas avoir été trompé par la société Mikit France sur la détention de la marque ou des modèles, les dates de dépôt de la marque et des brevets étant indifférentes, du moment que M. Jacob n'établit pas que ces titres de propriété intellectuelle auraient été usurpés ; que la circonstance que les maisons Mikit aient des concurrentes sur le segment de marché des " maisons prêtes à finir ", Castor ou Olry, ne démontre pas en soi l'absence de spécificité et d'originalité des procédés et du savoir-faire de la franchise Mikit ;
Considérant, en troisième lieu, que la loi n'imposant pas au franchiseur de retracer son passé commercial, M. Jacob ne saurait se plaindre de ne pas avoir été informé des diverses sociétés gérées par le dirigeant de la société Mikit France, la stabilité du réseau depuis 1991 étant, par contre, un signe de sa solidité ;
Considérant, en quatrième lieu, que le franchisé n'a nullement l'obligation de réserver des terrains, mais de prospecter, pour le compte de la Sofranac, filiale du groupe Mikit et centrale de réservation qui préempte certains terrains, spécifiques en termes de rareté ou de coûts ; que le dépôt de garantie que les franchisés doivent lui verser sur chaque maison est récupéré, en cas de vente de la maison, et que le dépôt initial est prévu en page 96 du DIP au titre du besoin en fonds de roulement ; qu'il s'agit d'un avantage offert aux franchisés, pour leur permettre de vendre davantage de maisons, et non d'un poste de coûts rendant en soi l'exploitation de la franchise non rentable ;
Considérant, en cinquième lieu, que si la liste des franchisés ayant quitté le réseau ne lui a pas été communiquée, cette lacune du DIP ne porte pas sur un des éléments essentiels du contrat dont l'omission aurait pu vicier son consentement ;
Considérant, en sixième lieu, que si les résultats d'exploitation obtenus par les franchisés au titre de la première année sont parfois inférieurs à ceux annoncés dans le DIP, il ne saurait en être fait grief au franchiseur, la première année ne constituant pas une année de croisière de l'exploitation et les charges étant exigibles avant l'encaissement du produit des premières maisons vendues ;
Considérant, enfin, que si M. Jacob se plaint du défaut d'assistance de la société Mikit France lors du lancement de son activité, ce moyen ne peut être soutenu pour appuyer sa demande d'annulation du contrat, mais une résiliation pour inexécution des obligations contractuelles du franchiseur ; qu'il ne saurait en effet démontrer en quoi ce défaut aurait vicié son consentement, puisque ces prestations d'assistance sont postérieures à la conclusion du contrat ; qu'au surplus, M. Jacob ne conteste pas avoir reçu les " bibles " Mikit, de plusieurs centaines de pages, transmettant un savoir-faire, contenant de nombreuses indications techniques, juridiques, commerciales, organisationnelles, et quant à la conduite à tenir en diverses circonstances avec divers partenaires, clients, banquiers, et autres ; qu'aucune faute à la charge de la société Mikit France n'est démontrée ; que les compte-rendus de formation versés aux débats par la société Mikit France, remplis et signés par M. Jacob au titre des formations de septembre 2006 et janvier 2007, témoignent, au contraire, de sa satisfaction à l'égard de l'accompagnement du franchiseur;
Considérant en définitive qu'eu égard à l'absence de tout dol ou de toute réticence dolosive imputable à la société Mikit France lors de la conclusion du contrat du 31 juillet 2006, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il en a prononcé la nullité ;
Sur la résiliation du contrat et les demandes d'indemnités
Considérant que la société Mikit France demande la condamnation de M. Jacob et de la société Home Invest à lui payer la somme de 59 800 euro TTC, se décomposant en six mois de préavis contractuel et quatorze planchers mensuels, prévus à l'article IX du contrat de franchise ; que M. Jacob sollicite quant à lui la restitution des sommes versées par lui lors de la conclusion du contrat ;
Considérant que le B de l'article IX du contrat a prévu l'indemnisation du franchiseur en cas de résiliation unilatérale du contrat par le franchisé ; que cet article dispose, en cas de résiliation à l'initiative du franchisé, que le contrat doit être dénoncé par lettre recommandée avec accusé de réception au moins six mois à l'avance et que " le franchiseur aurait droit s'agissant d'un contrat à durée déterminée, à réclamer au franchisé une somme représentant le produit d'un montant de redevances annuelles sur le nombre d'années du contrat restant à courir " ; que, toutefois, " afin de faciliter la sortie éventuelle du réseau du franchisé, cette somme est ramenée à 14 planchers mensuels tels que définis à l'article VI (du contrat) " ; que ce plancher mensuel est fixé par l'article VI à 2 300 euro HT, soit 2 773 euro TTC ;
Considérant que M. Jacob aurait, selon la société Mikit France, pris l'initiative de la résiliation, dès le 27 janvier 2007, soit cinq mois après la signature du contrat et sans avoir respecté un quelconque préavis ; que toutefois, le courrier électronique informel adressé le 27 janvier 2007 à M. Penariez, le dirigeant de la société Mikit France, faisait seulement part de son " intention " de mettre fin au contrat, mais annonçait également au franchiseur la proposition d'un successeur pour reprendre la franchise, proposition non suivie d'effets ; que les motifs invoqués pour cette intention de résiliation avaient trait à son sentiment d' " incapacité commerciale " personnelle ; qu'ainsi, son premier courrier ne constituait pas un courrier de résiliation du contrat, mais annonçait, plus de six mois à l'avance, sa saisine du tribunal de commerce aux fins de voir prononcer l'annulation du contrat ; que les relations contractuelles ont ainsi pris fin avec le jugement du 25 février 2009 prononçant l'annulation du contrat, avec exécution provisoire ; que la cour ne disposant d'aucune preuve de l'inexécution du contrat jusqu'à cette date, il convient de débouter la société Mikit France de sa demande tendant au paiement de six planchers annuels de redevance, correspondant selon elle, à l'indemnisation au titre du préavis ; qu'au surplus, le B de l'article IX du contrat ne prévoit pas, à ce titre, le versement, par le franchisé, d'une indemnité forfaitaire mensuelle égale au plancher de l'article VI pendant chacun des six mois du préavis ;
Considérant qu'en revanche, M. Jacob et la société Home Invest sont redevables, envers le franchiseur, de l'indemnité de résiliation, réduite à la somme forfaitaire de 14 planchers mensuels ; que, contrairement à ce qu'allégué par les intimés, il ne s'agit pas d'une clause pénale, susceptible d'être modulée par la cour ; qu'ils seront donc condamnés, in solidum, à payer à la société Mikit France l'indemnité de résiliation prévue au B de l'article IX du contrat, soit " 14 planchers mensuels " de 2 773 euro TTC, soit 38 822 euro TTC ;
Considérant que le contrat de franchise étant valide et M. Jacob ne rapportant pas la preuve que la société Mikit France n'aurait pas exécuté ses obligations de franchiseur et n'aurait supporté aucun coût, ni accompli à son égard aucune de ses obligations de formation et d'assistance, les compte-rendus de formation versés aux débats par M. Jacob, remplis et signés par lui au titre des formations de septembre 2006 et janvier 2007, attestant, au contraire, que la formation dispensée par le franchiseur lui avait donné toute satisfaction, il sera débouté de sa demande de remboursement de la somme de 47 242 euro au titre du droit d'entrée et du coût d'intégration ; qu'en l'absence de preuves des débours effectués et de leur cause, il sera également débouté de sa demande tendant à obtenir le remboursement de frais de déplacement de 539,90 euro ;
Sur la demande en dommage-intérêts du franchisé
Considérant que le franchisé ne démontrant aucune faute qui serait imputable au franchiseur, il sera débouté de sa demande de paiement d'une somme de 24 000 euro à titre de dommages-intérêts ;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris, et, statuant à nouveau, Constate la résiliation du contrat de franchise ayant lié les parties à l'initiative de M. Jacob, Condamne in solidum M. Jacob et la société Home Invest, à payer à la société Mikit France la somme de 38 822 euro TTC, Déboute les parties du surplus de leurs prétentions respectives, Condamne in solidum M. Jacob et la société Home Invest, à supporter la charge des dépens exposés en première instance et en appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.