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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 25 janvier 2012, n° 10-17393

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Guarisco Fashion Srl (Sté)

Défendeur :

Melane EURL (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

Avoués :

SCP de Saint Ferreol Touboul, SCP Blanc Cherfils

Avocat :

Me Joly

T. com. Antibes, du 9 juill. 2010

9 juillet 2010

L'EURL Melane a exercé à compter du mois de juin 2004, dans des circonstances aujourd'hui controversées, une activité de prospection commerciale pour le compte de la société Guarisco Industria Tessile, société de droit italien, spécialisée dans la confection d'articles de lingerie et textiles, en vue de la vente d'accessoires de mode féminine (foulards, écharpes, étoles ...) auprès d'enseignes de la grande distribution, spécialisées ou généralistes. La société Guarisco Industria Tessile a fait l'objet, le 28 février 2007, d'une scission qui a donné lieu à la création de deux sociétés, dont la société Guarisco Fashion Srl, société de droit italien. La relation commerciale s'est poursuivie entre l'EURL Melane et la société Guarisco Fashion, sans contrat écrit, jusqu'au 20 avril 2009 ou 6 mai 2009, date controversée à laquelle l'EURL Melane a pris l'initiative de mettre fin à la relation commerciale.

Par jugement mixte contradictoire en date du 9 juillet 2010, le Tribunal de commerce d'Antibes a retenu sa compétence territoriale, a reconnu que le statut des agents commerciaux était applicable à la relation commerciale et que la société Guarisco Fashion était responsable de la rupture du contrat d'agent commercial et sur le montant des indemnités revenant à l'EURL Melane a prescrit une mesure d'instruction confiée à Monsieur Constant Viano, chargé de donner son avis sur le préjudice, le jugement étant assorti de l'exécution provisoire pour l'ensemble de ses dispositions.

La société Guarisco Fashion a régulièrement fait appel de ce jugement dans les formes et délais légaux.

Vu les dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile dans leur rédaction issue du décret n° 98-1231 en date du 28 décembre 1998.

Vu les conclusions de la société Guarisco Fashion Srl en date du 31 janvier 2011 tendant à faire juger :

- que le Tribunal de commerce d'Antibes était territorialement incompétent, le tribunal du lieu du domicile du défendeur en Italie étant compétent en l'absence de contrat d'agent commercial écrit ou de sa nullité,

- que la loi italienne a vocation à s'appliquer, le contrat écrit refusé par l'EURL Melane y faisant référence,

- que la relation contractuelle non formalisée dans un écrit et non permanente ne peut s'analyser en contrat d'agent commercial en l'absence de prise effective de commandes par l'EURL Melane,

- que l'EURL Melane a pris l'initiative de rompre la relation commerciale par son courrier du 14 mai 2009 en invoquant son caractère inorganisé qui lui était imputable et alors qu'elle manquait à son obligation de coopération, inhérente à un mandat d'intérêt commun (refus de rendre compte, d'informer sa mandante et de collaborer à la politique commerciale mise en place...) ;

Vu les conclusions au fond de l'EURL Melane en date du 18 avril 2011 tendant à faire juger :

- que le Tribunal de commerce d'Antibes était territorialement compétent en application du règlement CE n° 44-2001 du Conseil en date 22 décembre 2000, son article 5.1b visant comme critère en matière contractuelle, le lieu où la prestation de service doit être exécutée,

- que l'écrit n'est pas requis à titre sacramentel pour la validité d'un contrat d'agent commercial et les conditions d'exécution de la prospection faisaient relever le contrat du statut des agents commerciaux, tous les critères retenus par la jurisprudence étant réunis, peu important quant à la suite de l'intervention de l'agent commercial, les clients passaient commande directement auprès de la mandante,

- que la société Guarisco Fashion Srl n'a pas contesté la réalité de la nature d'une telle relation pendant qu'elle était exécutée,

- que la scission de la société Guarisco Industria Tessile en deux entités est sans incidence sur la continuité du contrat d'agent commercial, qui s'est poursuivi avec la société Guarisco Fashion Srl sur le même mode,

- que la loi française régit le contrat d'agent commercial, par application de la Convention de Rome du 19 juin 1980, la prestation caractéristique du contrat devant s'exécuter en France,

- que la société Guarisco Fashion Srl ne fait pas la preuve de fautes graves seules susceptibles de priver l'agent commercial des indemnités, les deux lettres contenant des griefs n'étant pas étayées d'éléments matériels les établissant,

- que la rupture du contrat d'agent commercial est imputable à la société Guarisco Fashion Srl qui n'a pas mis son mandataire en mesure d'exécuter le contrat d'agent commercial,

- que la société Guarisco Fashion Srl reste redevable des indemnités de rupture : 12 098 euro au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 96 785 euro au titre de l'indemnité légale de rupture ;

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 18 novembre 2011.

Attendu que selon l'article 5 1) a) et b) du Règlement (CE) n° 44-2001 du Conseil du 22 décembre 2000, le tribunal compétent territorialement pour connaître d'une demande en matière contractuelle est celui du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été exécutée et plus spécialement, dans le cas de fourniture de services, le tribunal compétent est celui du lieu où la prestation de services a été fournie ; qu'en l'espèce, s'agissant de demandes en paiement des indemnités dues en cas de cessation d'un contrat d'agence commerciale, le tribunal compétent était celui d'Antibes dans le ressort duquel l'EURL Melane qui y avait son siège social, exécutait principalement son contrat d'agence commerciale en organisant, à partir de son siège social, toute son activité de prospection à destination d'une clientèle et de prospects répartis sur tout le territoire de la France ;

Attendu que, selon l'article 4, 2. de la Convention de Rome du 19 juin 1980, la loi française est applicable au contrat d'agence commerciale dès lors qu'il présente les liens les plus étroits avec le " pays " (la France) où l'EURL Melane qui doit fournir la prestation caractéristique, avait au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle (et l'a conservée) ; que la prestation caractéristique du contrat consistait pour l'EURL Melane, installée en France à présenter à une clientèle et à des prospects installés uniquement en France des produits de la société Guarisco Fashion Srl ;

Attendu qu'il a existé entre la société Guarisco Fashion Srl, la mandante et l'EURL Melane, l'agent commercial, une relation telle que celle définie par l'article L. 134-1 du Code de Commerce consistant pour l'EURL Melane à présenter de manière exclusive et de manière indépendante quant aux modalités d'exercice de son activité, au nom et pour le compte de la société Guarisco Fashion Srl, des échantillons (collections saisonnières) de certains articles de confection en vue de négocier leur vente, peu important que la clientèle les conclut avec l'EURL Melane en lui passant directement les ordres ; que cette relation a été pérenne depuis le mois de juin 2004 et a donné lieu au paiement régulier de commissions d'une importance certaine ; qu'aucune condition de forme (existence d'un écrit comportant les obligations respectives des parties) n'est requise pour la validité d'un contrat d'agence commerciale ; que la commune intention des parties de se lier par un contrat d'intérêt commun organisant la présentation par l'EURL Melane d'articles de la société Guarisco Fashion Srl peut être également déduite de tout un ensemble de courriers et mails adressés notamment par la société Guarisco Fashion Srl à la clientèle dans lesquels elle reconnaît expressément à l'EURL Melane cette qualité, outre les projets de contrat d'agence commerciale que la société Guarisco Fashion Srl a, elle-même, établis et qui ne donne lieu à aucune adhésion de la part de l'EURL Melane, ainsi que le déplore la société Guarisco Fashion Srl ;

Attendu que la scission intervenue, le 28 février 2007, entre la société Guarisco Industria Tessile et ayant donné lieu à la création de la société Guarisco Fashion Srl, qui a repris "l'activité inhérente à la vente de foulards, écharpes et étoles" pour laquelle l'EURL Melane était initialement liée à la société Guarisco Industria Tessile par un contrat d'agence commerciale, est sans incidence sur la poursuite des relations commerciales entre l'agent commercial et la société bénéficiaire de la scission ; que la société Guarisco Fashion Srl a, elle-même, proposé, dans le courrier du 27 mars 2007, informant l'EURL Melane de la scission, la poursuite de "la collaboration" qui effectivement s'est poursuivie selon les mêmes modalités qu'avant la scission ;

Attendu que l'EURL Melane a pris l'initiative, le 14 mai 2009, de rompre le contrat d'agence commerciale au motif que la société Guarisco Fashion Srl ne lui a pas remis les collections Automne/Hiver 2009 et Printemps/Été 2010 qu'elle lui avait pourtant expressément réclamées, par lettre recommandée avec avis de réception du 20 avril 2009, ce qui la privait de la possibilité de présenter lesdites collections à la période idoine (avril/mai 2009) ; que la société Guarisco Fashion Srl n'a pas mis l'EURL Melane en mesure d'exécuter son mandat en s'abstenant de lui remettre les documents et échantillons indispensables à son activité de prospection ; que l'EURL Melane ne peut se voir privée de l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi de l'article L. 134-12 du Code de Commerce dès lors que la cessation de la relation commerciale résulte de l'absence de mise à disposition par la société Guarisco Fashion Srl à son agent commercial, l'EURL Melane de moyens permettant à ce dernier d'exécuter son activité dans des conditions normales ; que la société Guarisco Fashion Srl ne fait pas la preuve que la cessation du contrat a été provoquée par des fautes graves de l'EURL Melane ; que la société Guarisco Fashion Srl reproche à l'EURL Melane dans son courrier du 26 mars 2009, une absence de résultats et une absence de " collaboration " effective et d'information, outre le refus de signer un contrat d'agence commerciale et dans un second courrier en date du 6 mai 2009, la société Guarisco Fashion Srl ne vise plus que l'absence d'un contrat écrit consécutive au refus de l'EURL Melane de signer le projet de contrat établi par la mandante, ce qui induit, selon la société Guarisco Fashion Srl, " que la relation devient inexistante et ingérable par le fait " de l'agent commercial ; que les deux premiers griefs formulés pour la première fois, le 26 mars 2009, ne sont établis par aucune pièce probante ; que le troisième grief (qui semble être la pierre d'achoppement entre les parties) ne peut être allégué, l'EURL Melane ayant la liberté de discuter, sans faute de sa part, les clauses ayant trait à la loi régissant le contrat et à la juridiction compétente en cas de litige ; qu'au demeurant, postérieurement à la lettre du 14 mai 2009, par laquelle l'EURL Melane a pris acte de la cessation du contrat d'agence commerciale qu'elle imputait à sa mandante, cette dernière qui allègue dans la procédure l'existence de fautes graves, avait pourtant indiqué, le 7 juillet 2009, à l'EURL Melane "qu'elle était prête à poursuivre le rapport d'agent dans un esprit de collaboration et de continuité" et au cas où " l'EURL Melane " ne serait pas de son avis, la société Guarisco Fashion Srl devrait considérer le contrat rompu par le fait de l'agent commercial ; que la société Guarisco Fashion Srl estimait pouvoir poursuivre une relation commerciale, nonobstant les griefs qu'elle avait avancés, sans les étayer d'éléments probants ;

Attendu que l'EURL Melane a droit à "l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi" compensant la perte de la valeur patrimoniale du mandat qu'elle pouvait transmettre ; qu'il n'apparaît pas nécessaire de recourir à une mesure d'instruction pour déterminer son montant, la société Guarisco Fashion Srl ne formulant aucune objection sur les réclamations chiffrées de l'EURL Melane ; qu'il convient selon l'usage en vigueur de fixer son montant à l'équivalent des deux dernières années de commissions brutes perçues par l'EURL Melane, soit 96 785 euro ; que la société Guarisco Fashion Srl ne conteste ni l'application de cet usage, ni les montants des commissions que l'EURL Melane dit avoir perçues pour les années considérées ; que la société Guarisco Fashion Srl ne propose pas de retenir pour fixer le montant de l'indemnité, la moyenne de deux années de commissions brutes perçues par l'EURL Melane, calculée sur une période plus longue (3 ou 4 années) précédant immédiatement la cessation du mandat, ce qui pourrait apparaître plus équitable en ce que, lorsque le montant des commissions varie de manière importante, une moyenne retrace plus fidèlement la valeur patrimoniale évolutive du mandat ;

Attendu que l'EURL Melane a droit également à l'indemnité compensatrice de préavis correspondant à trois mois par application de l'article L. 134-11 alinéa 3 du Code de Commerce, soit la somme de 12 098 euro sur la base du montant des commissions brutes perçues au cours des deux dernières années ;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre une somme de 5 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'Appel d'Aix en Provence à la date indiquée à l'issue des débats, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile, Déclare recevable l'appel interjeté par la société Guarisco Fashion Srl. Au fond, confirme le jugement déféré en ses dispositions, écartant l'exception d'incompétence territoriale et retenant la qualité d'agent commercial de l'EURL Melane et le droit à l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi au profit de l'EURL Melane. L'infirmant pour le surplus et y ajoutant, condamne la société Guarisco Fashion Srl à porter etpayer à l'EURL Melane la somme de 12 098 euro, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et celle de 96 785 euro au titre de l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en justice et celle de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, pour l'ensemble de la procédure. Condamne la société Guarisco Fashion Srl aux dépens dont distraction au profit de la SCP d'Avoués associés Philippe Blanc Romain Cherfils qui en a fait la demande, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.