CA Rennes, 8e ch. prud'homale, 27 janvier 2012, n° 10-03641
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Grenapin, Lebault
Défendeur :
Total Raffinage Marketing (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sabard
Conseillers :
Mmes L'Hénoret, Legeard
Avocats :
Mes Jourdan, Regnault
Statuant sur les appels régulièrement intejetés par M. Grenapin et Mme Lebault de deux jugements rendus le 22 avril 2010 par le Conseil de prud'hommes de Nantes.
FAITS ET PROCEDURE
Suivant contrats de gérance en date du 21 juin 1991 puis du 31 octobre 1991 la société Elf Antar France aux droits de laquelle se trouve désormais la société Total Raffinage Marketing a confié à la SARL Grenapin l'exploitation d'un fonds de commerce de station-service située à Nantes, cette exploitation étant faite au titre d'un mandat pour la distribution des carburants et d'une location-gérance pour tous les autres services et produits.
Estimant que cette société avait commis des manquements la société Elf Antar France a fait assigner en référé cette dernière le 11 septembre 1992 devant le Tribunal de commerce de Nantes aux fins de voir constater la résiliation de plein droit du contrat de gérance et ordonner l'expulsion de la SARL Grenapin.
Par ordonnance en date du 17 novembre 1992 confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 24 février 1993, le Tribunal de commerce de Nantes a renvoyé les parties à se pouvoir au fond mais vu l'urgence :
- a ordonné à la société Elf Antar France de reprendre ses livraisons de carburant et de poursuivre le contrat,
- a désigné un huissier pour établir un état des stocks et percevoir les recettes,
- a ordonné une expertise pour faire les comptes entre les parties, rechercher l'existence et les causes d'un déficit d'exploitation et déterminer les différents préjudices éventuels subis par l'une ou l'autre des parties.
Parallèlement par acte du 18 septembre 1992 la SARL Grenapin a assigné la société Elf Antar France devant le Tribunal de commerce de Paris pour voir annuler les contrats de gérance et pour obtenir l'indemnisation de son déficit d'exploitation et des dommages-intérêts.
À la suite d'une nouvelle requête de la SARL Grenapin, le Tribunal de commerce de Nantes, par ordonnance du 6 mai 1993, confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 12 janvier 1994 a confié à l'expert précédemment désigné la mission supplémentaire de rechercher l'existence d'une faute éventuelle de la société Elf Antar France dans l'interruption de l'exploitation, le lien de causalité entre cette faute et les dommages subis par la SARL Grenapin et l'existence d'une éventuelle mauvaise volonté de la société Elf Antar France dans la remise en état de l'exploitation normale de la station-service.
Au vu des rapports d'expertise déposés les 2 mars 1994 et 16 juin 1995 le Tribunal de commerce de Paris, par jugement du 4 février 1997, a condamné la société Elf Antar France à payer à la SARL Grenapin la somme de 769 704,15 F, a condamné la société Grenapin à payer à la société Elf Antar France la somme de 219 769,18 F et a ordonné la compensation.
Par arrêt en date du 9 avril 1999 la Cour d'appel de Paris, réformant partiellement le jugement du 4 février 1997, a porté à la somme de 1 057 671 F l'indemnité due à la SARL Grenapin.
C'est dans ces conditions que par requête du 5 juillet 2005 M. Grenapin et son ex-épouse Mme Lebault, co-gérants de la SARL Grenapin ont saisi le Conseil de prud'hommes de Nantes pour voir dire qu'ils remplissaient dans leurs rapports avec la société Total Raffinage Marketing les conditions de l'article L. 781-1 du Code du travail applicables aux personnes en situation de subordination économique et que la juridiction prud'homale était compétente pour connaître de leur action.
La société Total Raffinage Marketing a soulevé l'incompétence du conseil de prud'hommes au profit du Tribunal de commerce de Paris et l'irrecevabilité des demandes présentées par M. Grenapin et Mme Lebault.
Par jugement en date du 10 juillet 2006 le Conseil de prud'hommes de Nantes a fait droit à l'exception d'incompétence.
M. Grenapin et Mme Lebault ont formé contredit.
Par arrêt en date du 18 juin 2009 la présente cour a déclaré recevable et bien fondé le contredit formé par M. Grenapin et Mme Lebault au motif qu'en raison du lien personnel et direct qui les unissait à la société Elf Antar, de la dépendance économique dans laquelle ils se trouvaient, des conditions qui étaient imposées à la SARL Grenapin et à ses gérants, et du fait que les produits vendus étaient quasiment tous fournis par la société pétrolière et commercialisés selon des méthodes et des prix imposés et à partir d'un local qu'elle avait fourni et agréé par elle, ils étaient fondés à revendiquer le bénéfice de l'article L. 781-1 du Code du travail (L. 7321-1 et suivants du Code du travail) et a renvoyé les parties devant le Conseil de prud'hommes de Nantes pour qu'il soit statué sur les demandes présentées par M. Grenapin et Mme Lebault.
Un pourvoi en cassation a été formé contre cet arrêt par la société Total Raffinage Marketing, pourvoi dont elle s'est désistée.
Ces derniers ont saisi le Conseil de prud'hommes de Nantes le 30 juin 2009 pour obtenir des rappels de salaires et d'heures supplémentaires, leurs indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, diverses indemnités au titre du non-respect des dispositions de la convention collective et de la réglementation en matière de durée du travail, la régularisation de leur situation auprès des organismes sociaux et des dommages-intérêts pour le préjudice subi.
Par jugements en date du 22 avril 2010 le Conseil de prud'hommes de Nantes :
- a condamné la société Total Raffinage Marketing à verser à chacun des consorts Grenapin-Lebault :
- 1 500 euro à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
- 675 euro à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 9 000 euro à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- a déclaré prescrites ou non fondées les autres réclamations des consorts Grenapin-Lebault,
- a dit que la société Total Raffinage Marketing ne pouvait compenser les sommes dues avec les rémunérations du mandataire social versées par la SARL Grenapin.
M. Grenapin et Mme Lebault ont, chacun, interjeté appel de ce jugement.
OBJET DE L'APPEL ET MOYENS DES PARTIES
M. Grenapin et Mme Lebault concluent à la réformation de la décision déférée et présentent les demandes suivantes devant la cour :
- dire que toutes leurs demandes doivent être soumises à la prescription trentenaire, qu'ils doivent être placés au coefficient 230 de la convention collective nationale de l'industrie du pétrole, qu'ils doivent bénéficier des dispositions du livre du Code du travail et que leur rémunération doit être calculée sur la base de 66 heures de travail hebdomadaire pour la période du 1er juillet 1991 au 15 février 1994,
- fixer comme suit leurs créances :
- salaire en heure normale, supplémentaires et congés payés : 111 175,82 euro à chacun,
- indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement : 3 639,60 euro à chacun,
- indemnité de préavis et congés payés y afférents : 7 942,59 euro à chacun,
- indemnité conventionnelle de licenciement : 2 183,76 euro à chacun,
- dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 21 837,60 euro à chacun,
- dommages-intérêts pour non-respect de la convention collective au regard de la protection de la santé des travailleurs : 48 050 euro à chacun,
- dommages-intérêts pour non-respect des congés annuels : 13 150 euro à chacun,
- dommages-intérêts pour non-respect des congés hebdomadaires : 19 180 euro à chacun,
- dommages-intérêts pour non-respect des jours fériés : 1 960 euro à chacun,
- dommages-intérêts pour dépassement de la durée maximale autorisée du travail : 82 374 euro à chacun,
- dommages-intérêts pour conservation par Total Raffinage Marketing des sommes qui auraient dû être payées de 1991 à 1994 : 84 323,16 euro à chacun.
- ordonner une mesure d'expertise pour permettre de calculer leurs droits à la participation,
- ordonner leur immatriculation au régime général de la sécurité sociale,
- ordonner à la société Total Raffinage Marketing de justifier de leur affiliation aux divers régimes de protection complémentaires et supplémentaires en vigueur dans l'entreprise,
- donner mission à l'expert de calculer le manque à gagner au niveau de leur pension de retraite et leur préjudice du fait de leur non-immatriculation au régime de l'assurance-chômage,
- ordonner la remise des bulletins de salaire conformes,
- condamner la société Total Raffinage Marketing à leur verser à chacun la somme de 500 000 euro en raison des graves préjudices qu'ils ont subis,
- article 700 Code de procédure civile : 10 000 euro à chacun.
Ils font valoir :
- que l'application de l'article L. 781-1 du Code du travail vise à leur conférer la protection du Code du travail mais n'a pas pour but ni pour conséquence de reconnaître qu'ils sont titulaires d'un contrat de travail et que la prescription édictée par l'article L. 143-14 dans sa rédaction alors applicable ne leur est pas opposable ;
- qu'admettre le contraire reviendrait à appliquer la prescription des conséquences d'un statut avant que celui-ci ne soit judiciairement établi ;
- que ce n'est qu'à partir du moment où la cour leur a reconnu le bénéfice des dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail qu'ils ont été en mesure de présenter leurs réclamations et qu'ils se trouvaient auparavant dans l'impossibilité d'agir et de chiffrer leurs créances ;
- que l'application de la prescription quinquennale telle qu'admise par la Cour de cassation viole les droits et les principes garantis par la Convention européenne des Droits de l'Homme (article 6-1, article 13, article 14) ;
- que le contrat conclu entre la société Elf Antar et la SARL Grenapin qui avait pour objet de violer les dispositions du Code du travail est nul par application de l'article L. 781-2 du Code du travail et leur est inopposable ;
- qu'ils sont soumis à la convention collective nationale de l'industrie du pétrole et que le coefficient K 230 doit leur être reconnu ;
- que les dispositions du livre 2 du Code du travail leur sont applicables tant au niveau de la prévention des risques que de la durée du travail ;
- que les manquements de la société pétrolière à cet égard, alors que selon le rapport de l'expert ils accomplissaient 66 heures de travail par semaine leur ont causé différents préjudices qui doivent être réparés ;
- que la rupture des relations contractuelles doit s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse avec les conséquences financières qui en découlent ;
- qu'il appartient à la société Total Raffinage Marketing de procéder aux déclarations aux différents organismes sociaux pour leur permettre d'être complètement rétablis dans leurs droits ;
- qu'ils ont subi un préjudice au regard de leur pension de retraite et de la privation des droits aux Assedic ;
- qu'ils sont fondés à prétendre à la participation dont la prescription est trentenaire et qui doit être déterminée par expertise ;
- que la rémunération qu'ils ont perçue comme gérants de la SARL n'a pas vocation à se compenser avec les créances qu'ils détiennent sur la société Total Raffinage Marketing ;
- que la société Total Raffinage Marketing a commis une double faute en leur confiant l'exploitation d'un fonds de commerce qu'elle savait non viable et en mettant en place un montage en fraude de leurs droits qui justifie les dommages-intérêts qu'ils réclament et qui doivent être au moins équivalents à tous ce qu'ils auraient dû recevoir de la société Total Raffinage Marketing ou des organismes sociaux auxquels ils devaient être affiliés et aux différents préjudices subis notamment du fait du non-respect des temps de repos et de la durée hebdomadaire du travail.
La société Total Raffinage Marketing conclut à la réformation partielle du jugement, au rejet des prétentions des consorts Grenapin-Lebault et sollicite la condamnation de chacun d'entre eux au paiement d'une indemnité de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient :
- que les demandes fondées sur les articles L. 7321-1 du Code du travail bien qu'elles n'aboutissent pas à la requalification du contrat de distribution en un contrat de travail sont soumises à la prescription quinquennale ;
- que les consorts Grenapin-Lebault n'ont pas été placés dans l'impossibilité d'agir ;
- que dès lors sont prescrites toutes les demandes relatives aux salaires, aux heures supplémentaires, aux congés payés, aux congés hebdomadaires, aux jours fériés, au dépassement de la durée du travail et à l'indemnité de préavis ;
- qu'aucune violation de la Convention européenne des Droits de l'Homme ne peut être invoquée ;
- que les appelants ne peuvent arguer de la nullité des contrats de location-gérance et de leurs inopposabilité alors qu'ils s'en sont prévalus pour se voir reconnaître le bénéfice du statut prévu par l'article L. 781-1 du Code du travail et que ces contrats ne comportent aucune clause prohibée ;
- subsidiairement que la convention collective applicable est celle du commerce de gros et que selon l'expert judiciaire le coefficient K215 doit leur être attribué ;
- que par ailleurs les consorts Grenapin-Lebault restaient maîtres des conditions de travail et de la libre fixation des horaires d'autant qu'ils avaient la possibilité de recruter du personnel ce qu'ils ont fait à partir du mois de novembre 1991 et qu'ils ne peuvent se prévaloir des dispositions du livre 1 de la troisième partie du Code du travail relatif à la durée du travail ;
- qu'en toute hypothèse les calculs effectués par Monsieur Grenapin et Mme Lebault sont erronés et que les sommes perçues au titre de l'exploitation de la station-service doivent être déduites ;
- qu'en l'absence de tout lien de subordination les règles spécifiques au licenciement sont inapplicables et que de surcroît la société total se heurtait à une impossibilité du fait de la loi ;
- que la rupture des relations contractuelles reposait en outre sur un juste motif ;
- que la preuve d'un préjudice causé par l'exposition à des substances dangereuses n'est pas rapportée et qu'aucune indemnisation n'est due ;
- que les demandes en dommages-intérêts fondées sur l'article 1382 du Code civil sont prescrites, font double emploi, ont pour objet de pallier la prescription de certaines réclamations et ne sont pas justifiées ;
- que les appelants étaient déjà immatriculés au régime général de la sécurité sociale et que du fait de la prescription des salaires aucune cotisation n'est due de telle sorte que les demandes d'indemnisation relatives au montant de la pension de retraite doivent être écartées d'autant qu'elles sont soumises à la prescription décennale ;
- que les demandes au titre de la participation sont prescrites et que cette participation ne peut s'ajouter aux bénéfices retirés par les gérants de leur activité commerciale ;
- qu'aucune faute ne peut être reprochée à la société pétrolière et que les demandes générales en dommages-intérêts à hauteur de 500 000 euro qui sont également prescrites doivent être rejetées, le préjudice invoqué n'étant de surcroît nullement caractérisé.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties la cour se réfère expressément aux conclusions déposées et développées oralement à l'audience.
DISCUSSION
Sur la prescription quinquennale.
Considérant que M. Grenapin et Mme Lebault qui, en qualité de gérant de la SARL Grenapin, ont exploité de juillet 1991 à février 1994 une station-service sous la dépendance de la société Total Raffinage Marketing ont saisi en 2005 la juridiction prud'homale pour se voir reconnaître le bénéfice du statut prévu par l'article L. 781-1 du Code du travail (reconnu fier sous les articles L. 7321-1 à L. 73 21-41) et en juin 2009 pour présenter différentes demandes tant à caractère salarial qu'indemnitaire.
Considérant que les demandes de nature salariale ainsi formées 15 ans après la fin des relations contractuelles sont soumises à la prescription quinquennale par application de l'article L. 143-14 du Code du travail (L. 3245) et de l'article 2277 du Code civil.
Que rien ne permet en l'espèce de retenir que l'exclusion apparente, résultant du type de contrats passés entre les consort Grenapin-Lebault et la société Total Raffinage Marketing, de leur droit à bénéficier de l'article L. 781-1 du Code du travail ait pu les mettre dans l'impossibilité de contester cette situation et d'agir dans les délais prescrits d'autant que dès 1992 ils avaient saisi le tribunal de commerce aux fins de voir annuler les contrats de gérance et d'obtenir des indemnisations et que rien ne les empêchait d'introduire parallèlement une action devant le conseil de prud'hommes en reconnaissance du statut et en paiement des sommes qu'ils estimaient leur être dues.
Considérant qu'il n'est pas davantage démontré une quelconque atteinte aux articles 6-1, 13 et 14 et au protocole 1-article 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et que les consorts Grenapin-Lebault ne peuvent valablement prétendre avoir été privés de la possibilité de bénéficier d'un procès équitable et victimes d'une discrimination, les règles de la prescription quinquennale s'appliquant à toutes les créances périodiques.
Qu'il s'ensuit que toutes les demandes de rappels de salaires et d'heures supplémentaires doivent être déclarées irrecevables comme étant prescrites de même que les demandes tendant à la remise de bulletins de salaires.
Sur l'inopposabilité des contrats de gérance.
Considérant que les consorts Grenapin-Lebault invoquent la nullité des contrats de gérance en se référant à l'article L. 781-2 du Code du travail (dans sa rédaction alors applicable) selon lequel "toute convention contraire aux dispositions du présent chapitre est nulle de plein droit" ;
Que force est de constater :
- que l'application de l'article L. 781-1 du Code du travail n'a pas pour effet d'entraîner la nullité des contrats liant les parties ;
- que ces contrats de gérance ne comportent aucune clause illicite ;
- qu'enfin les consorts Grenapin-Lebault se sont essentiellement fondés sur le contenu de ces contrats et les obligations que ceux-ci leur imposaient afin de démontrer que les conditions requises par l'article L. 781-1 du Code du travail pour pouvoir bénéficier du statut prévu par cet article étaient remplies ;
Que les appelants ne peuvent dès lors se prévaloir de l'inopposabilité desdits contrats à leur égard.
Sur la participation.
Considérant que la société Total Raffinage Marketing oppose à cette demande la prescription quinquennale ;
Que toutefois cette créance a certes un caractère périodique mais dépend d'éléments qui ne pouvaient être connus des consorts Grenapin-Lebault et qui ne le sont toujours pas ;
Que la prescription quinquennale ne peut s'appliquer, que la demande est fondée en son principe et qu'une mesure d'expertise s'impose sur ce point ;
Sur l'immatriculation au régime général de la sécurité sociale.
Considérant que l'obligation pour l'employeur d'immatriculer le personnel au régime général de la sécurité sociale et de procéder au paiement des cotisations sociales est soumise à la prescription trentenaire ;
Que cette demande qui se fonde sur un manquement de l'employeur à ses obligations contractuelles est justifiée étant précisé qu'il importe peu que les consorts Grenapin-Lebault aient été immatriculés comme gérants salariés.
Sur l'exposition aux substances dangereuses.
Considérant que la société Total Raffinage Marketing soutient que l'obligation de sécurité à laquelle elle est tenue à cet égard relève des dispositions du livre II du Code du travail qui ne sont pas applicables aux consorts Grenapin-Lebault dans la mesure où ils fixaient librement les conditions d'hygiène et de sécurité de leur activité ;
Qu'il convient d'observer que les gérants auxquels le statut de l'article L. 781-1 du Code du travail a été déclaré applicable bénéficient des dispositions du titre 5, livre II relatif aux conventions collectives et donc en l'espèce de la convention collective étendue de l'industrie du pétrole à laquelle est soumise la société Total Raffinage Marketing ;
Considérant qu'il ne peut être sérieusement contesté que les consorts Grenapin-Lebault ont été exposés à une atmosphère nocive et qu'il est constant que les prescriptions édictées par la convention collective (surveillance médicale accrue, nécessité de prévoir des locaux indépendants pour les repas) n'ont pas été respectées ;
Que ces manquements ont nécessairement causé un préjudice aux consorts Grenapin-Lebault même si actuellement aucune pathologie particulière ne s'est déclarée, préjudice qui sera réparé par l'octroi d'une somme de 5 000 euro à chacun ;
Sur le non-respect des dispositions relatives à la durée du travail.
Considérant que selon l'article L. 781-1 2e du Code du travail (L. 7321-3) l'employeur qui fournit les marchandises pour le compte duquel sont recueillies les commandes n'est responsable de l'application des dispositions du livre II du Code du travail que s'il fixe les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord.
Que dans le cas contraire les gérants sont assimilés à des employeurs.
Considérant qu'au regard des obligations qui leur étaient imposées par la société Total Raffinage Marketing les consorts Grenapin-Lebault n'étaient pas en pratique maîtres des heures et des jours d'ouverture de la station-service ni de leurs horaires ;
Que selon l'expert commis dans le cadre de la procédure commerciale qui a opposé la société Total Raffinage Marketing à la SARL Grenapin dont le rapport est versé aux débats à titre de simple renseignement, même si une seule personne pouvait faire fonctionner la station-service de 6 h 30 à 8 h 00 et de 20 h 00 à 22 h 00, la présence des deux gérants était nécessaire entre 8 h 00 et 20 h 00 ;
Que la société Total Raffinage Marketing a d'ailleurs admis au minimum un temps de travail pour chacun des gérants de 54 heures par semaine ce qui en tout état de cause dépasse largement la durée légale du travail ;
Que la SARL pouvait effectivement recruter le nombre de personnes nécessaires à la bonne marche de l'établissement mais que cette possibilité était purement théorique au regard des résultats déficitaires de la société qui ont conduit les gérants à n'embaucher qu'une seule personne pour travailler le week-end ce qui a d'ailleurs contribué à creuser le déficit et ne permettait pas en pratique une liberté d'horaires ;
Que si les consorts Grenapin-Lebault ne peuvent sous couvert d'une demande en dommages-intérêts éluder les règles de la prescription quinquennale, il n'en demeure pas moins qu'au vu des manquements commis par la société Total Raffinage Marketing qui leur a imposé des conditions de travail de nature à porter atteinte à leur vie privée et à leur santé et auxquelles ils ne pouvaient se soustraire, les exploitants ont subi un préjudice particulier qui sera réparé par l'octroi à chacun d'une indemnité de 10 000 euro.
Sur la rupture des relations contractuelles.
Considérant que l'article L. 781-1 du Code du travail prévoit que les dispositions de ce Code sont applicables à l'exception de celles relevant du livre II sous certaines conditions ;
Que les règles relatives au licenciement ne font l'objet d'aucune exclusion et que faute pour la société Total Raffinage Marketing d'avoir respecté la procédure requise et adressé aux consorts Grenapin-Lebault une lettre de rupture motivée celle-ci doit s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Considérant qu'en raison d'une part de la prescription quinquennale et d'autre part de leur ancienneté et du nombre de salariés employés par la société Total Raffinage Marketing les consorts Grenapin-Lebault ne peuvent prétendre ni à une indemnité de préavis (qui a un caractère salarial), ni à une indemnité au titre du non-respect de la procédure de licenciement mais qu'ils sont en revanche en droit d'obtenir une indemnité conventionnelle de licenciement dont le montant sera chiffré par l'expert et des dommages-intérêts, la cour disposant d'ores et déjà d'éléments suffisants pour en fixer le montant à la somme de 21 800 euro pour chacun ;
Sur la privation du droit à retraite et des droits aux Assedic.
Considérant qu'il est constant qu'en l'absence de paiement des cotisations auprès des différents organismes sociaux ce qui constitue un manquement aux obligations contractuelles, les consorts Grenapin-Lebault ont subi un préjudice dont ils sont fondés à demander réparation, l'expert désigné étant chargé de fournir à la cour les éléments nécessaires pour lui permettre d'apprécier l'importance de celui-ci, étant précisé que l'indemnité au titre du manque à gagner dans le calcul de la pension de retraite ne pourra être due que dans le cas où la régularisation de la situation des consorts Grenapin-Lebault s'avérerait impossible.
Sur les autres demandes.
Considérant que compte tenu de la prescription quinquennale qui s'applique aux rémunérations les consorts Grenapin-Lebault ne peuvent utilement revendiquer le paiement des intérêts au taux légal à compter de chaque échéance mensuelle.
Considérant d'autre part que les consorts Grenapin-Lebault sollicitent chacun 500 000 euro à titre de dommages-intérêts en invoquant la faute commise par la société Total Raffinage Marketing ayant consisté à imaginer un montage contractuel destiné à violer leurs droits, à les laisser dans l'ignorance du statut protecteur défini par l'article L. 781-1 et à ne pas s'exécuter après l'arrêt rendu par la présente cour le 18 juin 2009 et en se prévalant d'un préjudice au moins équivalent à ce qu'ils auraient dû recevoir de la société Total Raffinage Marketing ou des organismes sociaux auxquels ils devaient être affiliés et au titre du non-respect de la durée du travail et de tous autres préjudices.
Que force est de constater :
- que cette réclamation soit fait double emploi avec les différentes demandes en dommages-intérêts formées précédemment, soit a pour but de contourner la prescription quinquennale,
- que le détournement des dispositions d'ordre public reproché à la société Total Raffinage Marketing n'est pas caractérisé alors même que l'application du statut ne présentait aucun caractère automatique puisqu'il ne pouvait résulter que d'une appréciation a posteriori, l'une des conditions requises pour en bénéficier étant la fourniture exclusive ou quasi exclusive des marchandises sachant que les gérants avaient une activité accessoire,
- que les appelants ont déjà été indemnisés au titre du fonds de commerce.
Considérant par ailleurs qu'aucune compensation ne peut intervenir entre les sommes allouées aux consorts Grenapin-Lebault à titre indemnitaire et celles qu'ils ont perçues au titre de leur travail effectif dans le cadre de l'exploitation de la station-service ;
Considérant en dernier lieu que selon l'accord du 5 mars 1993 relatif aux emplois communs à tous les secteurs d'activité relevant de la convention collective de l'industrie du pétrole, le personnel d'encadrement qui exerce en permanence des fonctions de gestion, d'animation et de supervision du personnel relevant d'un coefficient inférieur et qui possède des connaissances techniques au moins équivalentes à celles du personnel supervisé est en droit de prétendre à une qualification d'agent de maîtrise suivant un coefficient de rémunération allant de K 215 à K 340 ;
Que l'agent chargé d'assurer la prospection d'une clientèle bien déterminée dans le cadre de directives précises, de la visiter et de prendre les commandes suivant les instructions reçues est classé comme agent de vente premier degré ou deuxième degré selon la part d'initiative et d'autonomie qui lui est laissée ;
Que les consorts Grenapin-Lebault qui géraient la station-service, qui assuraient la vente et les commandes des produits pétroliers et qui ont eu sous leurs ordres un employé et qui tout en dépendant de la société Total Raffinage Marketing et en agissant selon ses instructions, bénéficiaient d'une autonomie certaine, sont fondés à revendiquer le coefficient K 230 correspondant à un agent de vente confirmé ;
L'application de l'article 700 du Code de procédure civile et le sort des dépens seront réservés.
Par ces motifs : Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 10-03641 et 10-03734. Déclare recevables les appels interjetés par M. Grenapin et Mme Lebault. Réforme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau. Déclare irrecevables comme prescrites les demandes à caractère salarial. Dit que la convention collective nationale de l'industrie du pétrole du 3 septembre 1985 étendue est applicable aux consorts Grenapin-Lebault. Dit que la rupture des relations contractuelles doit s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Condamne la société Total Raffinage Marketing à verser à chacun des consorts Grenapin-Lebault : - 5 000 euro à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant de l'exposition au risque, - 10 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du non-respect des règles relatives à la durée du travail, - 21 800 euro à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, Dit que la société Total Raffinage Marketing ne peut prétendre déduire de la créance des consorts Grenapin-Lebault contre elle les sommes qu'ils ont perçues de la SARL Grenapin au titre de la rémunération de leur gérance ni obtenir compensation. Condamne la société Total Raffinage Marketing à justifier auprès des consorts Grenapin-Lebault de leur immatriculation au régime général de la sécurité sociale pour la période de juillet 1991 à février 1994 et au paiement des cotisations correspondantes. Avant dire droit sur les demandes relatives à la participation aux fruits de l'expansion, aux dommages-intérêts pour manque à gagner au titre des pensions de retraite et pour non perception des indemnités de chômage et à l'indemnité conventionnelle de licenciement. Ordonne une expertise. Commet mais pour y procéder Monsieur Christophe Chagneau ([...] - [...]) avec la mission suivante : - prendre connaissance de tous documents utiles à la solution du litige, notamment les documents comptables de la société Total Raffinage Marketing et de la SARL Grenapin ainsi que toutes pièces relatives aux droits des salariés de la société Total Raffinage Marketing en matière de participation aux fruits de l'expansion de l'entreprise ; - déterminer quel a été le temps de travail hebdomadaire effectif de chacun des consorts Grenapin-Lebault et s'ils ont effectué des heures supplémentaires, en tenant compte de la présence du salarié dans la station-service ; - donner tous éléments permettant de déterminer, par référence au coefficient 230 de la convention collective de l'industrie du pétrole le salaire mensuel moyen de chacun des consorts Grenapin-Lebault ; - déterminer le montant de la réserve de participation pour la période considérée ; - donner à la cour tous les éléments lui permettant de déterminer, au vu des dispositions légales et conventionnelles applicables, le montant des sommes revenant à chacun des consorts Grenapin-Lebault au titre de la participation aux fruits de l'expansion de la société Total Raffinage Marketing ; - donner à la cour tous les éléments lui permettant d'évaluer les préjudices subis par les consorts Grenapin-Lebault au titre du manque à gagner dans le calcul de leur pension de retraite et au titre de la privation du droit aux indemnités Assedic ; - fournir également à la cour tous les éléments lui permettant de chiffrer l'indemnité conventionnelle de licenciement ; - d'une façon générale rechercher tous les éléments matériels et techniques susceptibles d'être utiles aux comptes à faire entre les parties. Dit que la société Total Raffinage Marketing devra consigner au greffe de la cour la somme de 10 000 euro à valoir sur la rémunération de l'expert dans un délai de six semaines à compter du prononcé de l'arrêt. Désigne M. le Président de la 8ème Chambre ou son délégataire, magistrat de chargé de suivre la procédure pour contrôler les opérations d'expertise. Dit que l'expert devra déposer son rapport avant le 1er septembre 2012 en double exemplaire. Dit que l'expert devra remettre à chaque partie un exemplaire de son rapport. Renvoie l'affaire à l'audience du jeudi 13 décembre 2012 à 14 h 00 (salle 144 - 1er étage du Parlement de Bretagne), la notification de la présente décision aux parties valant convocation. Condamne la société Total Raffinage Marketing à verser à chacun des consorts Grenapin-Lebault une indemnité de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Réserve les droits sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.