ADLC, 6 février 2012, n° 12-DCC-11
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à l'acquisition de la société des Etablissements Jean Didier et Cie par la société Pro-à-Pro Distribution SA
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 10 juin 2011 et déclaré complet le 3 janvier 2012, relatif à l'acquisition de l'intégralité des actions et droits de vote de la société Etablissements Jean Didier et Cie par la société Pro-à-Pro Distribution, formalisée par une promesse synallagmatique de cession d'actions sous conditions suspensives signée le 21 mars 2003 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. Ets Fr. Colruyt SA est une société de droit belge, tête du groupe Colruyt qui intervient dans l'exploitation de commerces de détail à dominante alimentaire et le commerce de gros. Le groupe est présent en France par le biais de sa filiale à 100 % Pro-à-Pro Distribution SA. Cette société exploite, par l'intermédiaire du groupe Ripotot qu'elle contrôle, des supermarchés dans le quart Nord-est de la France et assure la vente en gros de produits alimentaires auprès de magasins alimentaires indépendants affiliés. Enfin, le groupe est actif en tant que grossiste auprès de la restauration hors foyer (ci-après "RHF") tant en France métropolitaine que dans les DOM et exploite des magasins "cash and carry" dans le grand quart Nord-est de la France.
2. La société Etablissements Jean Didier et Cie (ci-après "Jean Didier") est une société anonyme spécialisée dans la distribution de gros de produits alimentaires auprès de la restauration hors foyer (ci-après "RHF"). Elle est présente dans les DOM et dans la région parisienne.
3. Aux termes de la promesse synallagmatique de cession d'actions sous conditions suspensives signée le 21 mars 2003, l'opération consiste en l'acquisition par Pro-à-Pro Distribution de la totalité du capital social de la société Jean Didier.
4. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif par Pro-à-Pro Distribution de la société Jean Didier, l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code du commerce. A la date de réalisation de l'opération, les entreprises concernées réalisaient ensemble un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euro (groupe Colruyt : 3,1 milliards d'euro pour l'exercice clos au 31 décembre 2002 ; Jean Didier : [...] millions d'euro pour l'exercice clos au 31 mars 2003). Chacune réalisait en France un chiffre d'affaires supérieur à 15 millions d'euro (groupe Colruyt : 265 millions d'euro pour l'exercice clos au 31 décembre 2002 ; Jean Didier : [...] millions d'euro pour l'exercice clos au 31 mars 2003). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne revêtait pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point I de l'article L. 430-2 du Code de commerce en vigueur à la date de l'opération étaient franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
A. LES MARCHÉS DE SERVICES
5. Les parties à l'opération sont toutes deux actives dans le secteur de la distribution de produits alimentaires aux professionnels de la RHF. A ce titre, elles sont également présentes en amont en tant qu'acheteurs sur le marché de l'approvisionnement en produits alimentaires.
1. LES MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EN PRODUITS ALIMENTAIRES
6. En qui concerne les marchés "amont" de l'approvisionnement, la pratique décisionnelle des autorités de la concurrence ne distingue pas la vente de biens de consommation courante par les producteurs aux grossistes de celles réalisées auprès d'autres clients tels que les détaillants ou la RHF. En revanche, elle délimite autant de marchés pertinents que de groupe de produits (1). En l'espèce, les parties à l'opération sont simultanément actives sur ce marché en tant qu'acheteurs de produits d'épicerie et de confiserie.
2. LES MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION DE PRODUITS ALIMENTAIRES
7. En aval, s'agissant de la distribution en gros de produits alimentaires, la Commission européenne (2), le Conseil de la concurrence et le ministre (3) ont retenu à plusieurs reprises l'existence de marchés distincts par canal de distribution : en premier lieu, la grande distribution et les commerces à dominante alimentaire, en deuxième lieu la RHF et enfin l'industrie agro-alimentaire. En l'espèce, les parties concernées sont simultanément actives dans le secteur de la distribution de produits alimentaires auprès de la RHF.
8. La RHF est traditionnellement composée de professionnels indépendants (café, hôtels, restaurants, ci-après "CHR"), de chaînes de restauration (restauration d'entreprises, etc.) et de collectivités (hôpitaux, armée, établissements scolaires, etc.) dont l'activité consiste à élaborer et proposer à leur clientèle un mode particulier de restauration formant un menu et comprenant généralement une entrée, un plat de résistance, un fromage et/ou un dessert.
9. Par ailleurs, une segmentation par type de clients a été envisagée (4), en distinguant les "grands comptes" (chaînes de restauration et certaines collectivités) qui négocient des achats globalisés sur une base nationale et les clients de taille réduite (CHR notamment) dont les approvisionnements s'effectuent sur la base d'une périodicité très courte. Toutefois, l'Autorité a relevé récemment (5) que, dans la mesure où les produits commercialisés et les conditions de livraison étaient identiques pour ces deux catégories de clientèle, il n'y avait pas lieu de retenir deux marchés distincts.
10. En ce qui concerne la segmentation par types de produits, quatre grandes familles peuvent être distinguées au sein du commerce de gros de produits alimentaires : (i) les produits frais, (ii) les boissons, (iii) les produits surgelés et glaces, (iv) les produits d'épicerie et la confiserie (ci-après "produits secs"). La demande des commerces à dominante alimentaire porte généralement sur l'ensemble de ces produits et les grossistes peuvent proposer un large assortiment de produits. Néanmoins, beaucoup d'entre eux concentrent leur activité sur une de ces familles. En l'espèce, le seul chevauchement d'activité concerne la vente en gros de produits secs.
11. Enfin, l'Autorité a considéré qu'il convenait de distinguer les entrepôts de libre-service de gros (ci-après "cash and carry") du commerce de gros traditionnel compte tenu des différences constatées tant du côté de la demande que du côté de l'offre. L'analyse concurrentielle sera donc menée sur le seul segment du commerce de gros traditionnel sur lequel l'opération engendre un chevauchement d'activité.
12. En l'espèce toutefois, la question de la délimitation précise de ces marchés peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse restant inchangées.
B. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE DES MARCHÉS
13. Les parties à l'opération sont simultanément actives sur le marché de la vente en gros de produits secs à destination de la RHF en Martinique, en Guyane, à la Réunion et à la Guadeloupe ainsi qu'en France métropolitaine.
1. LE MARCHÉ AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EN PRODUITS ALIMENTAIRES SECS
14. La dimension géographique du marché de l'approvisionnement en produits alimentaires est nationale (6). En effet, en raison des préférences, goûts et habitudes alimentaires des consommateurs, des différences de prix, des variations des parts de marché détenues par les principaux opérateurs selon les Etats membres et la présence de marques de fabricants ou de distributeurs commercialisées uniquement au plan nationale, un élargissement de la dimension géographique au niveau européen n'est pas pertinent.
15. Toutefois, en ce qui concerne les DOM, l'avis 09-D-45 précité de l'Autorité a souligné le caractère très spécifique des circuits d'approvisionnements en produits de grande consommation et ses effets sur l'équilibre concurrentiel des marchés concernés. En ce qui concerne l'approvisionnement des enseignes de distribution de détail à dominante alimentaire, l'Autorité (7) a relevé que les GMS dans les DOM s'approvisionnent pour une partie substantielle de leurs besoins auprès de producteurs locaux, afin notamment de satisfaire aux goûts et habitudes alimentaires locales mais aussi de limiter les coûts d'importation dont celui du fret maritime et de l'octroi de mer. En ce qui concerne l'approvisionnement des grossistes, la partie notifiante a indiqué que l'approvisionnement local ne représentait qu'environ [5-10] % de leurs achats.
16. En l'espèce, la question de la délimitation précise de ces marchés peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse restant inchangées. L'analyse concurrentielle sera menée tant au niveau national que sur les marchés de l'approvisionnent limités à chacune des îles concernées par l'opération.
2. LE MARCHÉ AVAL DE LA DISTRIBUTION DE PRODUITS ALIMENTAIRES
17. La pratique décisionnelle nationale récente (8) a considéré que les marchés de la distribution en gros de produits alimentaires à la RHF revêtait une double dimension : une dimension nationale, résultant des caractéristiques de la demande des grands comptes de la RHF, qui négocient leurs conditions d'approvisionnement au niveau national ; et une dimension locale conduisant à déterminer des zones de chalandise sur lesquelles les grossistes sont en concurrence pour répondre à la demande des CHR et des commerces de proximité.
18. En l'espèce, l'opération engendre des chevauchements d'activité en France métropolitaine ainsi qu'à la Réunion, à la Guadeloupe, en Martinique et en Guyane. En France métropolitaine, aucune zone locale n'est toutefois concernée par l'opération. En ce qui concerne la Réunion, la Guadeloupe et la Martinique et la Guyane, la partie notifiante a proposé de considérer chaque île comme un marché distinct.
19. En l'espèce toutefois, la question de la délimitation précise de ces marchés peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse restant inchangées.
III. L'analyse concurrentielle de l'opération
A. LE MARCHÉ AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EN PRODUITS SECS
20. Les parties concernées sont simultanément présentes sur le marché de l'approvisionnement en produits alimentaires secs.
21. A l'issue de l'opération, la partie notifiante a estimé que la nouvelle entité réalisait moins de [0-5] % des achats tant sur un marché de dimension nationale que sur un marché restreint à chacune des îles concernées par l'opération à la date de l'opération. Les fournisseurs disposent de débouchés alternatifs importants avec les nombreux acteurs de la GMS, les grossistes concurrents et les industriels de l'agro-alimentaire.
22. Depuis la date de réalisation de l'opération, les parties estiment que la situation concurrentielle ne s'est pas modifiée substantiellement.
23. Ainsi l'opération notifiée n'a pas été de nature à renforcer significativement la puissance d'achat des entreprises concernées vis-à-vis de leurs fournisseurs.
B. LE MARCHÉ AVAL DE LA DISTRIBUTION DE PRODUITS SECS
24. En France métropolitaine, la partie notifiante estime que la nouvelle entité disposait en 2003 d'une part de marché inférieure à [5-10] % sur le marché national de la vente en gros de produits secs à destination de la RHF et restait confrontée à la concurrence de plusieurs grossistes de dimension nationale comme Prodirest ([20-30] %), Aldis ([10-20] %), Pomona ([5-10] %). Elle estime en outre que la situation concurrentielle n'a pas changé sensiblement depuis l'opération. En outre, l'opération n'a engendré aucun chevauchement sur des zones locales.
25. Sur le marché de la distribution en gros de produits secs à destination de la RHF à la Réunion, en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, la partie notifiante a estimé que la nouvelle entité détenait en 2003 une part de marché qui n'excédait pas [10-20] % résultant d'une addition de parts de marché limitée (moins de [0-5] %). Dans chacune des îles, la nouvelle entité restait confrontée à concurrence de plusieurs grossistes tels que Score Jumbo Score et SDM à la Réunion, Sodial et Ayassally et fils en Guadeloupe, Multigros et Lancry à la Martinique, Sofrigu et NG Kontia en Guyane.
26. La partie notifiante a indiqué que depuis la réalisation de l'opération, la nouvelle entité avait connu une augmentation constante de son chiffre d'affaires dans tous les DOM concernés. Toutefois, ce développement n'a pas modifié substantiellement sa position concurrentielle, ses parts de marché restant inférieures à [10-20] % d'après les meilleures estimations des parties.
27. Il ressort des éléments exposés ci-dessus que l'opération n'a pas porté atteinte à la concurrence sur l'ensemble des marchés concernés par l'opération.
DECIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 11-111 est autorisée.
Notes :
1 Décision de la Commission M. 2115 Carrefour/GB du 28 septembre 2000.
2 Cf. les décisions de la Commission européenne du 08 mars 2000 dans l'affaire COMP-M.1802 - Unilever/Amora Maille et du 28 septembre 2000 dans l'affaire COMP-M.1990 Unilever/Bestfoods.
3 Avis 98-A-09 Coca-Cola/Orangina du Conseil de la concurrence du 29 juillet 1998 publié au BOCCRF du 07 octobre 1998 ; décision du ministre C2008-67/ Lettre du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi du 4 septembre 2008, au conseil de la société Baninvest, relative à une concentration dans le secteur de l'alimentation.
4 Cf. C2006-158 / Lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 28 mars 2007, au conseil de la société Maîtres Laitiers du Cotentin, relative à une concentration dans le secteur des produits laitiers et de matières premières pour boulangerie-pâtisserie à destination des professionnels.
5 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-158 du 22 novembre 2010.
6 Cf. C2008-119 précitée.
7 10-DCC-25
8 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-158 du 22 novembre 2010.