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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 7 février 2012, n° 10-06664

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tactica (SARL)

Défendeur :

Pâtisserie Masmoudi (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarede

Conseillers :

Mmes Cocchiello, André

Avoués :

SCP Bazille, SCP Guillou Renaudin

Avocats :

Mes Gautier, Belghiti-Boulet

T. com. Nantes, du 12 juill. 2010

12 juillet 2010

Exposé du litige

La société de droit tunisien Pâtisserie Masmoudi, domiciliée à Sfax en Tunisie, a pour activité la fabrication de pâtisseries et de gâteaux traditionnels.

L'EURL Tactica, immatriculée au registre du commerce et des sociétés du Tribunal de commerce de Nantes, précise comme activité commerciale le marketing, les études de marché, la publicité, les opérations de promotion vente, les relations publiques et gestion de budgets, l'assistance et le conseil en gestion commerciale administrative, financière et des ressources humaines (prestations de service et de conseils tendant à favoriser le développement des entreprises et à améliorer leurs performances). Elle est gérée par Monsieur Jean-François Marie.

Depuis la fin de l'année 2002, la société Pâtisserie Masmoudi fournit régulièrement à la société Tactica des pâtisseries que celle-ci revend à des détaillants. Aucun contrat-cadre écrit n'a été établi entre elles.

S'estimant victime d'une atteinte à une convention verbale d'exclusivité, la SARL Tactica a, le 22 janvier 2008, adressé à la société Pâtisserie Masmoudi une lettre recommandée avec accusé de réception par laquelle elle lui réclamait l'indemnisation de son préjudice qu'elle fixait à 100 000 euro.

Le 20 février 2008, la SARL Tactica a assigné la société Pâtisserie Masmoudi devant le Tribunal de commerce de Paris lequel s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Nantes. Par jugement du 12 juillet 2010, cette juridiction a rejeté l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Pâtisserie Masmoudi une somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Tactica a relevé appel de cette décision, demandant à la cour de :

" - constater l'atteinte fautive de la société Pâtisserie Masmoudi à l'exclusivité consentie à la société Tactica relative à la distribution de ses produits sur la France et la brutalité de la rupture de cette exclusivité sans respect d'aucun préavis ;

- prononcer la résiliation du contrat de distribution exclusive non écrit, à durée indéterminée, liant la société Pâtisserie Masmoudi à la société Tactica, aux torts exclusifs de la société Pâtisserie Masmoudi ;

- condamner la société Pâtisserie Masmoudi à payer à la société Tactica la somme de 100 000 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale et abusive des accords de distribution exclusive sur la France liant les parties ;

- condamner la société Pâtisserie Masmoudi à payer à la société Tactica la somme de 11 673,60 euro au titre de la facture n° 603 du 4 mars 2008, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

- débouter la société Pâtisserie Masmoudi de toutes ses demandes ;

- condamner la société Pâtisserie Masmoudi à payer à la société Tactica la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile."

La société Pâtisserie Masmoudi conclut à la confirmation du jugement entrepris et réclame une somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Tactica le 4 octobre 2011 et pour la société Pâtisserie Masmoudi le 19 septembre 2011.

Exposé des motifs

La société Tactica se prévaut de l'existence d'un contrat verbal lui accordant, sur le territoire français, l'exclusivité de la distribution des produits fabriqués par la société Pâtisserie Masmoudi. Mais l'existence d'un contrat de ce type ne se présume pas. Il convient dès lors de rechercher la commune intention des parties, étant rappelé, d'une part, qu'il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'en apporter la preuve et, d'autre part, que dans le doute la convention s'interprète en faveur de celui qui a contracté l'obligation.

En l'occurrence depuis une date non précisée de la fin de l'année 2002, la société Tactica a régulièrement passé commande auprès de la société Pâtisserie Masmoudi, de produits qu'elle revendait ensuite à des détaillants. La société Tactica se prévaut des mentions portées sur les étiquettes apposées sur les colis adressés par l'expéditeur étranger pour en déduire la preuve d'un engagement d'exclusivité de sa part. Mais ces indications, qui correspondaient d'ailleurs à une situation de fait inexacte, ne suffisent pas à elles seules à révéler la renonciation du fournisseur à sa liberté contractuelle pour concéder à l'un de ses clients, sans contrepartie, un monopole de distribution.

Or, l'existence d'une convention d'exclusivité n'est pas corroborée par les autres pièces produites. Ainsi, la société Tactica ne s'est jamais prévalue, dans ses documents commerciaux, d'une qualité d'importateur exclusif des produits de la marque en cause, reproduisant seulement après son nom, l'enseigne "Stratégie et développement", laquelle suggérait plutôt une aide à la pénétration du marché qu'une appropriation de celui-ci. Ainsi, dans ses télécopies, la société Pâtisserie Masmoudi n'a jamais non plus qualifié l'appelante de "distributeur exclusif", indiquant seulement avoir en France "une plate-forme logistique et de distribution" gérée par la société Tactica. Ainsi encore, dans un prospectus professionnel, la société Tactica se présentait comme un "bureau" de la société Pâtisserie Masmoudi et non comme son distributeur exclusif.

L'existence de cette exclusivité est également démentie dans les faits puisque les pièces 8 et 9 de l'appelante, font mention d'un circuit parallèle de distribution Auchan, évoqué par les parties en toute transparence, la société Pâtisserie Masmoudi expliquant le 3 janvier 2007 à son partenaire commercial : "l'emballage a été spécialement conçu et destiné pour la grande distribution, conformément à notre positionnement marketing sur ce circuit, d'autant plus qu'il bénéficie d'un référencement permanant (sic) sur le réseau de magasins de Auchan sur la France".

Les pièces produites établissent qu'en début d'année 2005, les parties ont entrepris la négociation d'un contrat de distribution exclusive que la société Tactica a refusé. La société Pâtisserie Masmoudi en a tiré les conséquences dans une télécopie du 14 mars 2005, offrant néanmoins la poursuite de la collaboration antérieure, en tant que partenaire privilégié et non en tant que partenaire exclusif.

En conséquence, la société Tactica ne démontre pas l'engagement de la société Pâtisserie Masmoudi de lui consentir une exclusivité de distribution de ses produits sur le territoire français, l'échec des négociations contractuelles révélant au contraire qu'une telle convention n'avait pu être conclue. L'appelante établit uniquement l'existence temporaire d'un quasi-monopole de fait qui n'était pas pour elle source de droits et dont elle ne pouvait exiger la pérennisation.

Il n'y a donc pas lieu de prononcer la résiliation d'un contrat de distribution exclusive dont l'existence n'est pas établie.

En dehors de toute convention-cadre, l'article L. 442-6 du Code de commerce permet l'indemnisation de la rupture brutale, sans préavis, d'une relation commerciale établie.

Mais en l'occurrence, cette rupture est imputable à la société Tactica à qui son partenaire commercial offrait pourtant de poursuivre les relations antérieures. En effet, l'évolution de la stratégie commerciale du fournisseur n'était pas assimilable à une rupture des relations commerciales et celle-ci ne pouvait au demeurant produire immédiatement ses effets de sorte que son incidence éventuelle sur l'importance des relations entre les parties devait nécessairement être progressive et exempte de brutalité. L'indemnisation réclamée à ce titre n'est dès lors pas davantage fondée.

La société Tactica réclame le paiement d'une facture de 11 673 euro. Cette dernière reprend une facture antérieure de 1 658 euro correspondant à l'indemnisation du déficit de l'animation Galeries Lafayette du mois d'octobre 2006. Dans un fax du 3 janvier 2007, la société Pâtisserie Masmoudi s'était engagée à supporter le déficit ainsi calculé. Elle ne soutient, ni ne démontre, s'être acquittée de son engagement, de sorte que cette demande sera accueillie. En revanche, la société Tactica n'établit pas le bien-fondé des autres sommes réclamées, de sorte que le surplus de sa demande ne peut qu'être rejeté.

Il n'est pas démontré que l'action de la société Tactica, qui a pu légitimement se méprendre sur la nature et la portée de ses droits, ait dégénéré en abus. La demande de dommages-intérêts sera donc rejetée.

Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de la société Pâtisserie Masmoudi l'intégralité des frais, non compris dans les dépens, exposés par elle à l'occasion de la procédure d'appel en sorte qu'il lui sera alloué une somme supplémentaire de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs: LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 12 juillet 2010 par le Tribunal de commerce de Nantes, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de la société Tactica en paiement de la somme de 1 658 euro correspondant à sa facture du 16 mars 2007 reprise le 4 mars 2008 ; En conséquence, Y ajoutant Condamne la société Pâtisserie Masmoudi à payer à la société Tactica la somme de 1 658 euro au titre de la facture n° 583 du 16 mars 2007 ; Condamne la société Tactica à payer à la société Pâtisserie Masmoudi la somme complémentaire de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne la SARL Tactica aux dépens ; Accorde à la société civile professionnelle Guillou & Renaudin, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.