CA Rennes, 3e ch. com., 21 février 2012, n° 10-01759
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Pondi Plants (SARL)
Défendeur :
Parmentine (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poumarede
Conseillers :
Mmes Cocchiello, André
Avoués :
SCP Brebion Chaudet, SCP Castres Colleu Perot Le Couls Bouvet
Avocats :
Mes Rolland, Carnoye
Exposé du litige
La société Parmentine SA conditionne et commercialise des variétés de pommes de terre qu'elle se procure auprès d'agriculteurs auxquels elle fournit des plants de pommes de terre.
Elle s'est rapprochée, au mois d'avril 2003, de la SARL Pondi Plants afin de négocier la fourniture, à compter de l'année suivante, de plants de pommes de terre de variété "Emeraude" dont ce producteur détient l'exclusivité ainsi qu'accessoirement de plants de variété "Opaline".
Bien qu'envisagé initialement, aucun accord-cadre n'a été formalisé entre les parties. Cependant, à compter des mois de février/mars 2004, la société Parmentine a acquis, tous les ans, un tonnage de plants de pommes de terre "Emeraude". Ces achats étaient précédés, dans le courant du mois de décembre, d'une confirmation de commande portant sur les tonnages déterminés en fonction du calibre.
En fin d'année 2008, en dépit de relances de la SARL Pondi Plants, la société Parmentine n'a adressé aucune confirmation de commande. A la suite de relances de la part du fournisseur, elle a, le 20 mars 2009, précisé effectuer une dernière commande de 97,35 tonnes de plants Emeraude et de 15,4 tonnes de plants Opaline pour la campagne 2009.
Estimant avoir subi une rupture brutale des relations commerciales établies, la SARL Pondi Plants a, le 30 avril 2009, assigné la SA Parmentine devant le Tribunal de commerce de Lorient, sur le fondement de l'article 442-6 I 5e du Code de commerce, en paiement de la somme de 173 357,80 euro toutes taxes comprises.
Par jugement du 5 février 2010, le Tribunal de commerce de Lorient a rejeté sa demande et l'a condamnée à payer une somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SARL Pondi Plants a relevé appel de cette décision, maintenant sa demande initiale et réclamant en outre une indemnité de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Parmentine conclut au rejet de la demande et sollicite une indemnité complémentaire de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour l'appelante le 12 septembre 2011 et pour l'intimée le 26 mai 2011.
Exposé des motifs
Aux termes de l'article L. 442-6 I 5e alinéa 1 du Code de commerce, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5e: de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale du préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure."
Ces dispositions n'imposent pas que les relations entre les parties aient été formalisées par un accord-cadre dès lors que l'existence de relations d'affaires régulières, stables et portant sur des volumes significatifs au regard de l'activité des parties est démontrée.
En l'occurrence, des ventes à périodicité annuelle, en rapport avec le cycle de production des marchandises en cause, ont été conclues, tous les ans pendant cinq ans, des mois de février/mars 2004 à février/mars 2008. La relation d'affaires s'était nouée à l'initiative de la société Parmentine qui avait pris contact, une année avant la première livraison, avec le fournisseur exclusif de la variété de pommes de terre dont elle souhaitait développer la commercialisation et l'avait avisé de l'étendue prévisible de ses besoins. Il ne s'agissait donc pas de commandes ponctuelles.
Même si les tonnages commandés n'ont jamais atteint les volumes initialement envisagés, ils se sont toujours maintenus à un niveau important. Ainsi, ils étaient de 420 tonnes la première année et s'élevaient encore à 400,90 tonnes en 2008. Contrairement aux allégations de la société Parmentine, il n'existait donc pas une tendance dégressive, laissant présager la rupture des relations commerciales. Au contraire, le tonnage acheté en 2008 était supérieur à celui des trois années précédentes.
Il importe peu que le courant d'affaires n'ait concerné que la variété Emeraude, les commandes concernant la variété Opaline étant demeurées ponctuelles et limitées, dès lors que le caractère préjudiciable de la rupture n'est invoqué que concernant la seule variété Emeraude.
La régularité des commandes de plants de pommes de terre de variété Emeraude, pendant cinq ans, permettait au producteur exclusif de ce produit de prévoir raisonnablement, à défaut d'information contraire, le maintien d'un niveau de commande comparable pour la saison à venir et de planifier sa production en conséquence.
Conformément aux dispositions sus-rappelées, un préavis écrit préalable à l'interruption de ce courant d'affaires était donc indispensable afin de permettre au fournisseur de rechercher de nouveaux débouchés ou, au moins, de réorienter sa production et de réduire ses frais.
Pourtant, sans en aviser la société Pondi Plants, la société Parmentine a décidé, en 2008, d'abandonner la commercialisation de la variété de pommes de terre Emeraude. Pour justifier sa décision, elle se retranche derrière les décisions des agriculteurs qui l'approvisionnent.
Mais, d'une part, son argumentation n'est pas convaincante. En effet, les pièces versées aux débats démontrent qu'elle décide seule de la gamme de pommes de terre qu'elle entend commercialiser en fonction des tendances du marché et de l'attente des consommateurs, les agriculteurs s'adaptant aux besoins qu'elle porte à leur connaissance. C'est ainsi que des attestations des agriculteurs qu'elle produit, il ressort que ceux-ci lui auraient "demandé" d'arrêter la production Emeraude et non pas décidé unilatéralement de le faire. A tout le moins, dans la mesure où elle seule était l'interlocuteur de la société Pondi Plants qu'elle avait pris l'initiative d'engager dans l'intensification de la production litigieuse, il lui appartenait de l'aviser des évolutions à prévoir en fonction des intentions de ses cocontractants.
D'autre part et surtout, le choix de ne plus commercialiser la variété de pommes de terre Emeraude, quels qu'en soient les motifs, n'était pas condamnable en lui-même mais ne l'exonérait pas de l'obligation de respecter un délai de préavis, lequel eu égard au cycle de production en cause devait s'élever à un an, ce qu'elle ne pouvait ignorer puisque tel était également le délai qu'elle avait spontanément mis en œuvre pour s'assurer de la couverture de ses besoins en plants litigieux.
Les arguments invoqués par la société Parmentine pour s'opposer à la demande sont donc inopérants.
La moyenne des plants vendus sur les cinq années précédant la rupture s'élève à 362 tonnes. La moyenne des trois dernières années, économiquement plus adaptée à l'établissement de projections, s'élevait à de 349,80 tonnes. En l'absence de promesse d'achat d'une quantité déterminée de plants que la société Pondi Plants n'avait pas pris la précaution d'exiger, la commande qu'elle pouvait raisonnablement attendre sera donc estimée à ce volume.
L'acquisition effectivement réalisée en 2009, soit 103,6 tonnes, était donc insuffisante au regard des relations antérieures et caractérise une rupture, sans préavis, des relations commerciales établies.
Néanmoins, le préjudice résultant de cette rupture ne correspond pas à la perte du chiffre d'affaires que la société Pondi Plants pouvait raisonnablement escompter des commandes de la société Parmentine. En effet, cette perte a pu être partiellement compensée par d'autres débouchés. De surcroît, l'intégralité des frais de production exposés ne pouvaient être évités même si un préavis suffisant avait été donné. D'ailleurs, la société Pondi Plants ne démontre pas avoir subi une chute de son chiffre d'affaires équivalente à l'indemnité réclamée, puisque la baisse a été limitée à 87 459 euro par rapport à l'année antérieure.
Aussi, le préjudice découlant directement de l'absence du préavis exigé par L. 442-6 I 5e alinéa 1 du Code de commerce sera en l'espèce, au regard des éléments soumis à l'appréciation de la cour, réparé par l'allocation d'une indemnité de 60 000 euro.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu le 5 février 2010 par le Tribunal de commerce de Lorient ; Condamne la SA Parmentine à payer à la SARL Pondi Plants une somme de 60 000 euro à titre de dommages-intérêts ; Condamne la SA Parmentine à payer à la SARL Pondi Plantsune somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne la société Parmentine aux dépens de première instance et d'appel ; Accorde à la société civile professionnelle Brebion-Chaudet, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.