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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 21 février 2012, n° 10-02269

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Dufankev (SARL)

Défendeur :

Nissan West Europe (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mmes Brylinski, Beauvois

Avoués :

SCP Pedroletti, SCP Jullien Rol Fertier

Avocats :

Mes Carrillo, Gonthier

T. com. Versailles, 3e ch., du 30 oct. 2…

30 octobre 2009

Faits et procédure

Le 20 septembre 2005, la société Dufankev a acquis un véhicule Nissan Pick Up Navara 2.5 Dl d'occasion, mis en circulation le 20 juillet 2005 auprès de la société Duverney Automobiles, concessionnaire du réseau Renault Occasions sis à Saint-Jean de Maurienne, pour un prix de 20 152,17 euro HT.

Le carnet de garantie Nissan prévoyait une garantie contractuelle "véhicule neuf" d'une durée de trois ans dans la limite de 100 000 km.

Suite à des désordres mécaniques apparus sur ledit véhicule alors qu'il totalisait 94 701 km, la société Dufankev l'a fait expertiser le 22 juin 2007 par la société Riviera Expertises.

L'expertise amiable a révélé un bruit moteur ainsi qu'une fuite d'huile.

La société Dufankev a dans un premier temps, sollicité la prise en charge du démontage pour poursuivre la recherche de la panne auprès de la succursale Nissan de Nice, et dans un second temps, a demandé à la société Nissan West Europe, le constructeur, de prendre en charge les réparations, au titre de la garantie contractuelle.

La société Nissan West Europe s'est opposée à cette demande, à défaut pour le propriétaire d'avoir respecté les conditions de la garantie relative à l'entretien du véhicule.

C'est dans ces conditions que, par acte en date du 9 octobre 2008, la société Dufankev a fait assigner les sociétés Duverney Automobiles et Nissan West Europe devant le Tribunal de commerce de Versailles pour obtenir, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, leur condamnation solidaire à réparer le véhicule.

Subsidiairement, elle fondait ses demandes sur le vice caché.

Par le jugement déféré, en date du 30 octobre 2009, le Tribunal de commerce de Versailles a condamné la société Nissan West Europe à réparer le véhicule Nissan Pick Up Navara 2.5 Dl immatriculé 639 BJW 57 et à assumer la charge intégrale du coût des opérations de réparation et de remplacement des pièces, débouté la société Dufankev de ses autres demandes et prononcé condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Dufankev a interjeté appel de cette décision.

Les parties ont conclu en dernier lieu les 24 janvier 2011 pour la société Dufankev, 31 décembre 2010 pour la société Duverney Automobiles et 6 janvier 2011 pour la société Nissan West Europe.

Par arrêt rendu le 26 mai 2011 auquel il est expressément référé pour un plus ample exposé du litige et des faits et prétentions des parties, la 12e chambre a mis hors de cause la société Duverney Automobiles et condamné la société Dufankev à lui payer une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens afférents à son appel à l'encontre de Duverney Automobiles, a rouvert les débats et invité les parties à conclure sur l'applicabilité des conditions à la mise en œuvre des garanties constructeur au regard du règlement communautaire n° 1400-2002 CE du 31 juillet 2002 et renvoyé l'affaire à une audience de plaidoiries.

Par conclusions signifiées le 5 décembre 2011 après réouverture des débats, la société Dufankev demande à la cour de la recevoir en son appel limité, débouter l'intimée de toutes ses demandes, confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions sauf celles concernant la demande de dommages-intérêts et statuant à nouveau de ce chef, condamner la société Nissan à lui payer la somme de 85 289,75 euro à titre de dommages-intérêts, outre celle de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 29 novembre 2011 après réouverture des débats, la société Nissan West Europe demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel, de débouter la société Dufankev de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Sur la demande de réparation du véhicule

Il résulte des pièces aux débats que le véhicule vendu par la société Duverney Automobiles à la société Dufankev suivant facture du 20 septembre 2005 avait été mis en circulation le 20 juillet 2005 et affichait un kilométrage de 100 km au compteur au moment de la vente, que ce véhicule a présenté des désordres mécaniques en juin 2007 consistant en un bruit moteur important et une fuite d'huile, que l'expert automobile qui a rédigé son rapport le 31 mars 2008 a constaté la présence d'une fuite d'huile importante au niveau de la cloche d'embrayage venant certainement du joint spy de sortie moteur et un claquement moteur à la mise en route, a conclu qu'un démontage était nécessaire pour déterminer l'étendue des dommages internes au moteur et a chiffré le coût du remplacement moteur.

Les prescriptions du règlement communautaire n° 1400-2002 CE du 31 juillet 2002 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3 du traité instituant la Communauté européenne, alors en vigueur, permettent au consommateur de faire réparer ou entretenir son véhicule par un réparateur indépendant et ce y compris durant la période de garantie du constructeur.

La société Nissan West Europe faisait valoir dans ses écritures du 6 janvier 2011 que l'examen du carnet d'entretien du véhicule révélait que le véhicule avait été entretenu non pas dans le réseau Nissan mais dans le réseau Renault, que les deux réseaux étaient totalement différents et que "si chaque constructeur exige dans le cadre de la garantie que l'entretien soit effectué au sein de son propre réseau c'est bien parce que seuls les concessionnaires de la marque ont les connaissances, les outils et le savoir-faire propre aux véhicules de la marque".

Concluant après réouverture des débats, la société Nissan West Europe écrit qu'elle "n'a à aucun moment soutenu dans ses écritures d'appel que sa garantie contractuelle ne pouvait être retenue au motif que le véhicule n'avait pas été entretenu dans le réseau Nissan mais qu'elle a seulement rappelé que la société Dufankev ne rapportait pas la preuve d'avoir correctement entretenu son véhicule, dans l'absolu".

En tout cas, il n'est plus discuté par la société Nissan West Europe qu'en vertu des dispositions précitées, un constructeur ne peut pas subordonner l'application de sa garantie contractuelle à la condition que le véhicule ait été exclusivement entretenu dans son réseau.

La société Nissan West Europe ne peut donc pas s'opposer à la demande de mise en œuvre de la garantie contractuelle formée par la société Dufankev au motif que le véhicule litigieux n'a pas été entretenu dans le réseau Nissan.

La société Nissan West Europe fait valoir que même si l'entretien du véhicule est effectué hors réseau, il doit respecter les préconisations Nissan, qu'en l'espèce, en l'absence de production des factures de révision du véhicule permettant d'apprécier l'étendue exacte des interventions du réparateur, les conditions d'application de la garantie contractuelle ne sont pas remplies. Elle rappelle que c'est à la société Dufankev d'apporter la preuve du respect de ses obligations figurant dans le carnet de garantie aux articles 2-3 et 2-10 et que l'attestation dactylographiée de M. Duquesne ne satisfait pas aux exigences du Code de procédure civile en matière d'attestation.

Il est expressément stipulé aux termes du carnet de garantie que le véhicule bénéficie d'une garantie contractuelle d'une durée de trois ans dans la limite de 100 000 km, que pour bénéficier de la garantie contractuelle, le véhicule doit avoir fait l'objet d'opérations d'entretien périodique, à savoir tous les 10 000 km ou tous les 6 mois pour un diesel.

La société Dufankev produit le carnet d'entretien du véhicule diesel sur lequel figurent les révisions qui ont été effectuées le 10 janvier 2006 à 10 595 km, le 21 mars 2006 à 21.457 km, le 16 mai 2006 à 32.637 km, le 9 août 2006 à 44 628 km, le 5 septembre 2006 à 53 990 km, le 27 octobre 2006 à 62 787 km, le 29 janvier 2007 à 79.387 km, le 28 mars 2007 à 88 122 km.

À chaque fois, a été apposé le cachet du professionnel qui a procédé à l'entretien.

Il est établi que la société Dufankev a produit les factures de la société William Automobiles, agent Renault, qui a procédé à quatre révisions (voir réponse du service relation client Nissan du 15 janvier 2008 pièce 14).

Pour les quatre autres révisions effectuées par la société Sophia Automobiles, également agent Renault, la société Dufankev produit une attestation, établie sur le papier à en-tête de la société d'exploitation Sophia Automobiles, dactylographiée, de M. Philippe Duquesne, accompagnée de la photocopie de sa carte d'identité, aux termes de laquelle celui-ci certifie en tant que professionnel de l'automobile qu'il a révisé et entretenu le véhicule en cause comme préconisé par le constructeur aux dates et kilomètres prévus, reprenant les indications du carnet de garantie.

Il est également versé aux débats l'extrait Kbis du registre du commerce et des sociétés de la société d'exploitation Sophia Automobiles qui justifie que M. Duquesne est le gérant de celle-ci.

En matière commerciale, la preuve est libre. Il n'y a pas lieu en conséquence d'écarter l'attestation versée aux débats, même non conforme aux prescriptions de l'article 202 du Code de procédure civile, dès lors qu'elle est établie sur papier à en-tête de la société d'exploitation Sophia Automobiles par le représentant légal de cette société et accompagnée de la carte nationale d'identité de celui-ci, de sorte que la cour est mise en mesure de vérifier son authenticité et la signature de son auteur, ce qui suffit à corroborer la réalité des mentions portées sur le carnet d'entretien du véhicule par un professionnel de l'automobile, également agent d'un constructeur automobile, dont aucun moyen avancé par la société Nissan ne permet de mettre en doute la sincérité.

Par ailleurs, si l'article 2-10 du contrat de garantie prévoit que le propriétaire du véhicule doit conserver tout document justifiant de l'entretien de son véhicule chez un spécialiste ainsi que les factures concernant les pièces de rechange ou accessoires Nissan, la circonstance que la société Dufankev ne soit pas en mesure de produire l'ensemble des factures correspondant aux révisions périodiques ne saurait suffire à libérer la société Nissan West Europe de ses obligations.

En effet, le carnet de garantie du véhicule qui a été dûment complété par des professionnels de l'automobile est précisément le document qui justifie qu'il a été procédé aux révisions périodiques aux dates et kilométrages qui y sont indiqués et ce conformément aux prescriptions du constructeur, le professionnel qui remplit le carnet de garantie certifiant ainsi avoir effectué les opérations de révision ou d'entretien intermédiaire telles qu'elles sont préconisées par le constructeur.

La société Nissan West Europe informée par la société Riviera Expertises, expert amiable, de ces constatations sur le véhicule par courriers successifs des 17 juillet 2007, 12 novembre et 14 décembre 2007, s'est bornée à réclamer des justificatifs d'entretien manquants et à faire valoir qu'elle ne pouvait procéder à nouvel examen du dossier en l'absence de ces documents.

Elle n'a à aucun moment offert de faire procéder à tout le moins à ses frais avancés au démontage du moteur - ce qui aurait pu permettre de déterminer la cause des désordres mécaniques constatés - même après avoir pris connaissance contradictoirement du rapport de l'expert automobile en date du 31 mars 2008 versé aux débats par la société Dufankev et elle n'établit donc d'aucune façon pouvoir s'exonérer de la garantie contractuelle qu'elle doit.

Le jugement qui a condamné la société Nissan West Europe à réparer le véhicule et à assumer la charge intégrale du coût de toutes les opérations de réparation ainsi que le remplacement de toutes pièces utiles sera donc confirmé.

Sur la demande de dommages-intérêts

La société Dufankev sollicite la réparation du préjudice économique, d'agrément et de jouissance lié à l'indisponibilité de son véhicule depuis juin 2007.

Elle sollicite en premier lieu le remboursement des échéances du prêt destiné à financer l'achat du véhicule Nissan. Cependant, l'obligation de rembourser ce prêt à laquelle la société Dufankev était tenue est sans lien avec l'immobilisation dudit véhicule et la privation de jouissance en résultant.

La société Dufankev est mal fondée en cette demande.

La société Dufankev soutient encore qu'elle a dû louer un autre véhicule de marque Audi, qu'elle a ensuite acquis ce véhicule pour solder la location-vente puis l'a revendu, qu'elle a enfin souscrit un nouveau contrat de location-vente.

Elle sollicite à titre de dommages-intérêts la condamnation de la société Nissan West Europe à lui payer la somme de 32 961,90 euro correspondant aux 30 mensualités de juillet 2007 à août 2009, outre la somme de 3 075 euro correspondant à la différence entre le prix de rachat et celui de revente, puis la somme de 27 102,40 euro TTC correspondant aux 16 loyers d'août 2009 à novembre 2010, soit un total de 63 139,20 euro TTC.

La société Nissan West Europe oppose que ne sont pas couverts par la garantie contractuelle aux termes de l'article 2-8 les frais consécutifs à l'immobilisation du véhicule, les pertes indirectes ou commerciales.

Cependant, l'exclusion stipulée à l'article 2-8 ne peut empêcher la société Dufankev d'obtenir réparation de la privation de jouissance du véhicule imputable à la société Nissan West Europe qui a délibérément refusé de procéder aux travaux de réparation du véhicule au titre de la garantie contractuelle du constructeur dont elle est débitrice et ce depuis juin 2007.

Compte tenu du kilométrage parcouru avec le véhicule Nissan de septembre 2005 à juin 2007, il est suffisamment établi que la société Dufankev s'est trouvée dans l'obligation de remplacer sans délai le véhicule immobilisé à compter de juin 2007 et ce jusqu'en novembre 2010, date à laquelle elle a provisoirement arrêté sa demande.

Cependant, la société Dufankev a choisi la location avec option d'achat de véhicules nettement plus coûteux que le véhicule Nissan en cause, dont le financement excède très largement le seul coût du remplacement du véhicule Nissan dont elle était privée par un véhicule équivalent, pendant toute la durée de son immobilisation, auquel la société Nissan West Europe peut être condamnée.

Dans ces circonstances, le préjudice subi par la société Dufankev du fait de l'immobilisation du véhicule Nissan pendant 37 mois sera justement réparé par la somme de 11 100 euro arrêtée à novembre 2010 inclus, à majorer de la somme de 300 euro par mois à compter de décembre 2010 et ce jusqu'à réparation du véhicule litigieux par la société Nissan West Europe.

La société Dufankev qui est une société commerciale ne justifie par ailleurs d'aucun préjudice d'agrément résultant de la privation même prolongée du véhicule Nissan.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

Les dépens seront à la charge de la société Nissan West Europe qui succombe.

L'équité commande de la condamner à payer à la société Dufankev une indemnité de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, Vu l'arrêt en date du 26 mai 2011 qui a statué à l'égard de la société Duverney Automobiles, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Dufankev de sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de la société Nissan West Europe. Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Nissan West Europe à payer à la société Dufankev la somme de 11 100 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de la privation de jouissance du véhicule Nissan, à majorer de la somme de 300 euro par mois à compter de décembre 2010 et ce jusqu'à la réparation ordonnée du véhicule litigieux par la société Nissan West Europe. Déboute la société Dufankev du surplus de sa demande. Condamne la société Nissan West Europe aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. La condamne à payer à la société Dufankev une indemnité de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La déboute de sa demande au même titre.