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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 7 février 2012, n° 10-07550

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Jalaber

Défendeur :

CDI (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarede

Conseillers :

Mmes Cocchiello, André

Avoués :

SCP Bazille, SCP Gauvain Demidoff

Avocats :

Mes Caron, Pebrier

T. com. Nantes, du 27 sept. 2010

27 septembre 2010

Exposé du litige

La société CDI, anciennement dénommée Interseroh France, exerce l'activité de collecte, de recyclage, de traitement et de valorisation de vieux papiers, cartons et plastiques au travers de plusieurs établissements.

M. Jalaber assume les fonctions de gérant de la société Jalaber Diffusion ayant pour objet le négoce de cartons, plastiques, palettes de récupération ainsi que la vente, la location et la sous-location de matériel de récupération et est, d'autre part, inscrit depuis le 5 novembre 1999 au registre des agents commerciaux.

Depuis l'année 2002, la société CDI et Monsieur Jalaber entretiennent des relations d'affaires, non formalisées par un contrat écrit.

Se déclarant victime de la rupture abusive d'un contrat d'agent commercial, Monsieur Jalaber a, par lettre du 15 juillet 2009, réclamé à la société CDI le paiement d'une indemnité de 55 964,84 euro correspondant à deux années de commissions.

Par acte du 29 octobre 2009, il a assigné la société CDI devant le Tribunal de commerce de Nantes aux fins d'obtenir sa condamnation à lui régler cette somme.

Le 27 septembre 2010, le Tribunal de commerce de Nantes a déclaré sa demande recevable mais non fondée et l'a condamné au paiement d'une somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur Jalaber a relevé appel de cette décision. Il demande à la cour, sur le fondement de l'article L. 134-2 du Code de commerce et 1134 du Code civil, de :

- dire qu'il était bien lié à la société CDI par un contrat d'agent commercial,

- dire que la société CDI a commis des fautes et en conséquence constater la rupture du contrat à ses torts et la condamner au paiement d'une indemnité de 54 687,37 euro outre les intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2009,

- subsidiairement, sur le fondement de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce, condamner la société CDI à lui payer une indemnité de 54 687,37 euro outre les intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2009, en réparation de la rupture brutale des relations commerciales établies,

- la condamner au paiement d'une somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société CDI conclut à la confirmation du jugement entrepris et réclame le paiement d'une somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour l'appelant le 13 mai 2011 et pour l'intimée le 9 septembre 2011.

Exposé des motifs

1° Sur la demande de paiement d'une indemnité de rupture d'un contrat d'agent commercial

Aux termes de l'article L. 134-1 du Code de commerce :

"L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestations de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux".

Monsieur Jalabert tire argument de son inscription sur le registre des agents commerciaux pour soutenir qu'il ne pouvait exercer d'autre activité que celle d'agent commercial. Mais, ceci est inexact, cette inscription n'étant ni nécessaire, ni suffisante pour l'autoriser à se prévaloir de ce statut. Elle ne lui interdisait pas non plus l'exercice d'une autre activité quelle qu'elle soit. Il sera d'ailleurs relevé qu'il était parallèlement gérant d'une SARL à associé unique.

Pour obtenir le bénéfice du statut d'agent commercial, il incombe à l'appelant de démontrer qu'il avait reçu mandat permanent de la société CDI de négocier, et éventuellement de conclure, en son nom et pour son compte, des contrats d'achat de déchets recyclables, ce mandat étant consenti dans leur intérêt commun. Cette preuve ne peut résulter de ses propres affirmations, fussent-elles consignées par écrit, nul ne pouvant se constituer une preuve à soi-même.

En l'occurrence, il ressort des pièces produites que Monsieur Jalabert démarchait les professionnels de son choix (grandes surfaces, imprimeurs, industriels, etc...) et leur proposait l'enlèvement de leurs déchets à un prix d'achat qu'il négociait librement, à charge pour eux d'assumer en contrepartie le coût des prestations de conditionnement et de transport dont il fixait également le prix (cf. par ex sa pièce n° 15). Auparavant, il avait obtenu de la société CDI, l'accord de lui racheter la marchandise à un prix déterminé et de réaliser les prestations d'enlèvement éventuellement nécessaires à un coût également défini.

A sa demande, la société CDI procédait à l'enlèvement des produits et lui adressait un "relevé fournisseur" précisant les tonnages et les prix d'achat qu'elle lui avait consentis. Monsieur Jalabert transmettait alors au fournisseur un document indiquant les tonnages de produits retirés sur son site et le prix d'achat qu'il avait lui-même négocié et lui donnait pour instruction d'envoyer une facture de ce montant à la société CDI en précisant "affaire suivie par Jalaber Diffusion". Il émettait ensuite une facture complémentaire intitulée "facture de commissions" correspondant à la différence entre le prix d'achat qui lui était consenti par la société CDI et le prix d'acquisition des matériaux de récupération qu'il avait librement négocié auprès des producteurs. A défaut de solde positif, il ne pouvait rien réclamer au récupérateur et était invité par celui-ci à solliciter des producteurs une commission éventuelle.

Son activité consistait donc à obtenir de la société CDI le prix d'achat le plus élevé possible et des fournisseurs le prix de cession le plus faible possible, sa rémunération correspondant à la différence entre ces deux valeurs. Dès lors, même si chacune des parties au présent litige avait un intérêt à la conclusion des contrats, il ne s'agissait pas d'un intérêt commun, les objectifs poursuivis étant opposés.

Contrairement à ce que soutient l'appelant, la rémunération éventuelle des déchets versée aux producteurs ne résultait pas d'instructions de la part de la société CDI, mais seulement de la marge de négociation qui était la sienne en fonction de l'état du marché et des besoins de la société CDI, son client principal. Celle-ci lui précisait les prix et conditions auxquels elle acceptait de lui racheter les produits qu'il lui proposait, et ce indépendamment du contrat qu'il négociait ou envisageait de négocier avec le fournisseur, lequel n'était pas opposable à l'intimée. Il ne disposait donc pas d'un mandat général de contracter au nom de la société CDI et sa clientèle, à supposer ce terme applicable à des fournisseurs, n'était pas celle de ladite société.

Le fait que la société CDI précisait, non seulement par catégorie mais encore par fournisseur, le prix qu'elle acceptait de régler ne contredit pas cette analyse dans la mesure où la nature, la qualité et les conditions d'enlèvement des produits dépendaient étroitement de la source d'approvisionnement, de sorte que son accord sur les conditions du rachat devait être précisé au cas par cas.

Il en résulte que nonobstant le fait que, sur instructions de sa part, les factures des fournisseurs étaient directement adressées à la société CDI et les factures de prestations de cette dernière directement transmises aux premiers, l'accord sur la chose et sur le prix qui caractérise le contrat de vente était passé entre lui et les fournisseurs. Ces contrats n'étaient conclus que dans son seul intérêt, le prix de rachat (et non d'achat) qu'il avait obtenu de la société CDI étant indépendant des conditions des dites transactions.

C'est ainsi que dans un courrier du 12 juillet 2006 (hors de tout contexte contentieux), la société Interseroh (actuellement CDI) pouvait lui écrire : "nous tenons à repréciser les règles de fonctionnement sur certains de vos clients". C'est ainsi encore que cette société adressait mensuellement des télécopies à l'attention de Monsieur Jalaber, ainsi libellées : "Veuillez trouver ci-dessous notre proposition de prix d'achats en cours, concernant les matières suivantes", offre de contrat s'adressant sans équivoque à l'appelant et non aux fournisseurs qu'il démarchait. C'est ainsi enfin que dans un courrier électronique du 2 décembre 2008, l'intimée indiquait : "Attention : Avec le changement de notre logiciel, nous ne pouvons plus facturer en direct tes clients pour la location du matériel ou les tours. Dès le mois de novembre, nous allons te facturer directement."

De même le 15 janvier 2009, Jalaber Diffusion adressait un courrier électronique à l'intimée contenant les indications suivantes :"Lors de votre entretien avec Mr Jalaber, il a été convenu que les factures soient directement adressées aux clients que Mr Jalaber représente en tant qu'agent commercial". Il s'en infère que Monsieur Jalaber n'était pas le représentant de la société CDI mais des fournisseurs de matériaux.

L'appelant, qui ne justifie pas avoir eu le pouvoir d'engager la société CDI, n'était pas davantage astreint à des obligations à son égard. Il n'était pas tenu de lui fournir une quantité déterminée de produits, ni de traiter par préférence ou exclusivement avec elle, leurs relations privilégiées étant la conséquence de la structure du marché et non d'engagements contractuels réciproques. De même la société CDI n'avait aucune obligation, à défaut d'accord préalable, de racheter les produits qu'il avait acquis ou se proposait d'acquérir. A fortiori n'avait-elle aucune obligation de lui garantir un prix d'acquisition des dits produits, ni de lui assurer une rémunération.

Les relations commerciales existant entre les parties ne s'inscrivaient dès lors pas dans le cadre d'un contrat d'agent commercial, de sorte que la décision critiquée sera confirmée.

2° Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

A titre subsidiaire, Monsieur Jalaber réclame l'indemnisation du préjudice qu'il soutient avoir subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies qu'il impute à la société CDI.

Mais, il est à l'origine de cette rupture, laquelle est la conséquence de la conjoncture économique qui ne permettait plus à la société CDI d'acquérir des matériaux de récupération dans des conditions rentables pour lui. Ainsi, les échanges entre les parties révèlent que les producteurs ont recherché d'autres solutions moins onéreuses pour éliminer leurs déchets, ce que M. Jalabert traduisait par "une perte de sa clientèle". Cependant, à une exception près, cette évolution n'a pas résulté de l'établissement de relations directes entre la société CDI et les producteurs.

Dès lors, l'appelant ne démontre pas que la cessation des relations d'affaires en cause est imputable à la société CDI. Sa demande subsidiaire d'indemnisation sera donc également rejetée.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société intimée l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR : Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 septembre 2010 par le Tribunal de commerce de Nantes ; Y ajoutant, Condamne M Guillaume Jalaber à payer à la SAS CDI une somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne M Guillaume Jalaber aux dépens ; Accorde à la société civile professionnelle Gauvain Demidoff, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.