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Décisions

CJUE, 3e ch., 15 mars 2012, n° C-574/10

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission européenne

Défendeur :

République fédérale d'Allemagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Lenaerts

Avocat général :

M. Mengozzi

Juges :

Mme Silva de Lapuerta, MM. Malenovský, Juhász (Rapporteur), Arestis

CJUE n° C-574/10

15 mars 2012

LA COUR (troisième chambre),

1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que la municipalité de Niedernhausen ayant attribué un marché de services d'architecture relatifs à la rénovation d'un bâtiment public dénommé "Autalhalle" sans avoir procédé à un appel d'offres au niveau de l'Union européenne, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2, 9 et 20, lus en combinaison avec les articles 23 à 55, de la directive 2004-18-CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114).

Le cadre juridique

Les dispositions pertinentes de la directive 2004-18

2 Le deuxième considérant énonce:

"La passation de marchés conclus dans les États membres pour le compte de l'État, des collectivités territoriales et d'autres organismes de droit public doit respecter les principes du traité, notamment les principes de la libre circulation des marchandises, de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services, ainsi que les principes qui en découlent, comme l'égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. Toutefois, en ce qui concerne les marchés publics dépassant un certain montant, il est recommandé d'élaborer des dispositions en matière de coordination communautaire des procédures nationales de passation de ces marchés qui soient fondées sur ces principes de manière à garantir leurs effets ainsi qu'une mise en concurrence effective des marchés publics. Par conséquent, ces dispositions de coordination devraient être interprétées conformément aux règles et principes précités ainsi qu'aux autres règles du traité."

3 L'article 1er, intitulé "Définitions", prévoit à son paragraphe 2:

"[...]

b) Les 'marchés publics de travaux' sont des marchés publics ayant pour objet soit l'exécution, soit conjointement la conception et l'exécution de travaux relatifs à une des activités mentionnées à l'annexe I ou d'un ouvrage, soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur. Un 'ouvrage' est le résultat d'un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique.

[...]

d) Les 'marchés publics de services' sont des marchés publics autres que les marchés publics de travaux ou de fournitures portant sur la prestation de services visés à l'annexe II.

[...]"

4 L'article 2, intitulé "Principes de passation des marchés", dispose:

"Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d'égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence."

5 L'article 7 concerne, suivant son intitulé, le montant des seuils des différents types de marchés publics à partir desquels la directive 2004-18 est applicable. Ces seuils sont adaptés à intervalles réguliers aux conditions économiques par acte de la Commission. À compter du 1er janvier 2008, le seuil concernant les marchés publics de services était fixé à 206 000 euro par le règlement (CE) n° 1422-2007 de la Commission, du 4 décembre 2007, modifiant les directives 2004-17-CE et 2004-18-CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne leurs seuils d'application pour les procédures de passation des marchés (JO L 317, p. 34).

6 L'article 9, intitulé "Méthodes de calcul de la valeur estimée des marchés publics, des accords-cadres et des systèmes d'acquisition dynamiques", est libellé comme suit:

"1. Le calcul de la valeur estimée d'un marché public est fondé sur le montant total payable, hors [taxe sur la valeur ajoutée (ci-après 'TVA')], estimé par le pouvoir adjudicateur. Ce calcul tient compte du montant total estimé, y compris toute forme d'option éventuelle et les reconductions du contrat éventuelles.

Si le pouvoir adjudicateur prévoit des primes ou des paiements au profit des candidats ou soumissionnaires, il en tient compte pour calculer la valeur estimée du marché.

2. Cette estimation doit valoir au moment de l'envoi de l'avis de marché, tel que prévu à l'article 35, paragraphe 2, ou, dans les cas où un tel avis n'est pas requis, au moment où le pouvoir adjudicateur engage la procédure d'attribution du marché.

3. Aucun projet d'ouvrage ni aucun projet d'achat visant à obtenir une certaine quantité de fournitures et/ou de services ne peut être scindé en vue de le soustraire à l'application de la présente directive.

[...]

5. a) Lorsqu'un ouvrage envisagé ou un projet d'achat de services peut donner lieu à des marchés passés en même temps par lots séparés, la valeur globale estimée de la totalité de ces lots est prise en compte.

Lorsque la valeur cumulée des lots égale ou dépasse le seuil prévu à l'article 7, la présente directive s'applique à la passation de chaque lot.

Toutefois, les pouvoirs adjudicateurs peuvent déroger à cette application pour des lots dont la valeur estimée hors TVA est inférieure à 80 000 [euro] pour les services et 1 million d'[euro] pour les travaux et pour autant que le montant cumulé de ces lots n'excède pas 20 % de la valeur cumulée de la totalité des lots;

[...]

8. Pour les marchés publics de services, la valeur à prendre comme base pour le calcul de la valeur estimée du marché est, le cas échéant, la suivante:

a) pour les types de services suivants:

[...]

iii) marchés impliquant la conception: honoraires, commissions payables et autres modes de rémunération.

[...]"

7 Les règles applicables aux marchés publics de services sont regroupées au chapitre 3, dont l'article 20, intitulé "Marchés de services figurant à l'annexe II A", prévoit:

"Les marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe II A sont passés conformément aux articles 23 à 55."

8 À l'annexe II A, catégorie 12, sont mentionnés les "Services d'architecture; services d'ingénierie et services intégrés d'ingénierie; [...]".

Les antécédents du litige et la procédure précontentieuse

9 Il ressort du dossier soumis à la Cour que, au mois d'octobre 2006, l'organe exécutif de la municipalité de Niedernhausen (ci-après l'"organe exécutif") (district de Rheingau-Taunus) a décidé de rénover un bâtiment polyvalent, dénommé "Autalhalle", appartenant à ladite municipalité et utilisé en tant que salle de sports et de spectacles. À cet effet, il a chargé un bureau d'architecture local de dresser un état des lieux et de présenter un devis concernant les coûts de la rénovation. Dès la passation de la commande, l'organe exécutif a déclaré que "le bureau d'architecture [...] devrait être chargé de la rénovation de l'Autalhalle à tous les stades prévus par le barème des architectes et ingénieurs (Honorarordnung für Architekten und Ingenieure, ci-après le 'HOAI')" et devrait coordonner le travail des ingénieurs spécialisés auxquels il faudrait faire appel.

10 Le rapport de ce bureau d'architecture, du 4 octobre 2007, fait état de coûts totaux d'environ 2,3 millions d'euro bruts (1,95 million d'euro nets), dont 325 000 euro bruts (plus de 273 000 euro nets) environ en tant qu'honoraires, dus au titre des services de conception et de supervision de l'ouvrage.

11 Ainsi qu'il ressort de la proposition de l'organe exécutif au conseil municipal de la municipalité de Niedernhausen, du 21 novembre 2007, le projet de rénovation prévoyait une réalisation des travaux, échelonnés en fonction de leur urgence, entre les années 2008 et 2010, et les honoraires pour les services d'architecture, qui étaient ventilés par année, étaient estimés environ à 104 000 euro en 2008, à 89 000 euro en 2009 et à 70 000 euro en 2010, montants auxquels devaient s'ajouter environ 10 000 euro d'honoraires déjà facturés en 2007.

12 Par la proposition susmentionnée, l'organe exécutif recommandait au conseil municipal de prendre acte du rapport du bureau d'architecture susvisé portant sur l'état des lieux et sur le devis des coûts globaux de l'ouvrage et de "prévoir les coûts de rénovation nécessaires dans les budgets de 2008 à 2010". Le conseil municipal a adopté une résolution en ce sens au terme de sa séance du 12 mars 2008. En conséquence, le budget de la municipalité de Niedernhausen comportait, pour l'année 2008, sous la rubrique "rénovation Autalhalle", des fonds totalisant 850 000 euro ainsi que des crédits d'engagement se montant à 2 175 000 euro, et il y était par ailleurs mentionné que "les besoins globaux de financement pour la rénovation de l'Autalhalle se mont[ai]ent à 3 100 000 euro et [étaient] financés comme suit" (suivait une ventilation des coûts par exercice budgétaire, de l'année 2007 à l'année 2011).

13 Le bureau d'architecture a été chargé d'effectuer l'étude concernant les travaux à réaliser en 2008, d'organiser la procédure de sélection des ingénieurs spécialisés en vue de la réalisation de ces travaux, d'évaluer leurs offres et de superviser leurs prestations. Les honoraires pour ces services se montaient, ainsi qu'il était annoncé dans le devis initial, à environ 104 000 euro nets, montant correspondant au pourcentage sur le coût des travaux à réaliser prévu par l'HOAI. Le contrat portant sur lesdits services pour cette première phase de rénovation a été conclu le 24 janvier 2008.

14 Concernant la réalisation des phases ultérieures du projet, la proposition de l'organe exécutif, du 11 février 2008, au conseil municipal de la municipalité de Niedernhausen relevait que "[p]our la rénovation de l'Autalhalle, c'est le bureau [...] qui est chargé, depuis le début de l'année, de mener à bien la rénovation globale". Les contrats portant sur les services d'architecture relatifs aux phases de rénovation ultérieures ont été conclus par la suite. Ainsi, le contrat concernant les services d'architecture relatifs à la deuxième phase, d'une valeur d'environ 90 000 euro, a été conclu durant le premier semestre de l'année 2009 avec le même bureau d'architecture. Par résolution du conseil municipal du 23 février 2010, adoptée sur proposition de l'organe exécutif du 8 février 2010, le même bureau a aussi été chargé de la prestation des services d'architecture concernant la troisième phase de réalisation de l'ouvrage et les honoraires s'y rapportant s'élevaient à environ 97 000 euro. Ainsi qu'il était relevé dans la proposition susvisée de l'organe exécutif, il était "impossible de séparer clairement les services liés aux phases de construction menées à bien jusqu'ici, d'une part, et à la troisième phase de construction, d'autre part".

15 Saisie d'une plainte au mois de mai 2008 sur la manière dont étaient attribués les services d'architecture concernant le projet de rénovation de l'Autalhalle, la Commission a invité la défenderesse à s'expliquer à cet égard et à lui transmettre les informations nécessaires. Les autorités allemandes ont répondu que le projet de rénovation avait dû être divisé en trois phases de construction indépendantes pour des raisons budgétaires. Par conséquent, selon ces autorités, les services d'architecture avaient dû être également répartis parmi ces trois phases et les contrats correspondants avaient constitué des marchés de services distincts, à attribuer séparément, avec des valeurs inférieures au seuil fixé par les règles du droit de l'Union.

16 Étant de l'avis que les services en cause devaient être considérés de manière unitaire, la Commission a envoyé à la défenderesse le 26 juin 2009 une lettre de mise en demeure.

17 Dans sa réponse du 30 octobre 2009, la défenderesse a réitéré sa position suivant laquelle ce n'était que pour les marchés de travaux que toutes les phases devaient être regroupées par ouvrage pour déterminer la valeur du marché. En revanche, dans le cas des services liés à l'ouvrage, tels que les services d'architecture, seul le "marché individuel" serait déterminant et, dans un tel cas, les conclusions auxquelles est parvenue la Cour dans l'arrêt du 5 octobre 2000, Commission/France (C-16-98, Rec. p. I-8315), ne seraient pas pertinentes. Pour la défenderesse, les différents services d'architecture spécialisés concernant, par exemple, l'étude des structures portantes ou de l'équipement technique devraient être considérés séparément aux fins de fixer leur valeur.

18 La Commission a répété ses réserves à l'égard de cette position dans un avis motivé du 29 janvier 2010, auquel les autorités allemandes ont répondu par courrier du 16 avril 2010. N'ayant pas été satisfaite de cette réponse, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.

Sur le recours

Argumentation des parties

19 La Commission fait valoir que la rénovation structurelle de l'Autalhalle constitue un marché unique de travaux au sens du droit de l'Union en matière de marchés publics. Il en résulterait, à tout le moins, une forte présomption que les services d'architecture correspondants devraient également être considérés comme un marché unique dans la mesure où leur contenu est déterminé par l'objet du marché de travaux et qu'ils sont alors en quelque sorte accessoires par rapport à ces derniers. La Commission considère donc que l'attribution du marché de services d'architecture relatifs à la rénovation de l'Autalhalle constitue un seul et unique marché étant donné que ces services sont liés à la rénovation d'un bâtiment unique, laquelle a été conçue, approuvée et réalisée comme un projet global. La valeur de ce marché de services devrait, par conséquent, être déterminée sur la base de la valeur totale des services d'architecture fournis dans le cadre de la rénovation. Si le travail de conception réalisé par l'architecte était subdivisé sans raison objective, contrairement aux travaux auxquels il est lié, cela équivaudrait à une scission artificielle du marché.

20 La Commission considère ainsi que, en matière de marchés de services, il convient d'appliquer également l'approche fonctionnelle retenue par la Cour dans l'arrêt Commission/France, précité, concernant les marchés publics de travaux. En faveur de la transposabilité de cette approche aux marchés de services plaideraient le fait que l'interdiction de contournement des dispositions de la directive 2004-18 prévue à l'article 9, paragraphe 3, de celle-ci vaut pour tous les types de marchés ainsi que le fait que l'article 9, paragraphe 1, de cette directive se réfère de manière générale au "montant total estimé" de tous les types de marchés.

21 Le critère de l'unité technique et économique des services d'architecture serait rempli en l'occurrence, étant donné qu'il s'agit d'un projet général de rénovation d'un seul et unique bâtiment. La conception de cette rénovation serait basée sur une étude globale, dont la division fonctionnelle en éléments indépendants serait impossible. En effet, les services d'architecture découleraient en l'occurrence directement du projet général de rénovation et les prestations correspondantes seraient tellement imbriquées entre elles que tout adjudicataire potentiel les aurait considérées comme une opération économique unique. L'organe exécutif lui-même évoquerait d'ailleurs itérativement dans ses propositions au conseil municipal de la municipalité de Niedernhausen le projet en question comme étant celui de la "rénovation globale" de l'Autalhalle. Dès lors, un morcellement des services d'architecture serait en l'occurrence techniquement injustifié, voire arbitraire, et pourrait conduire à diviser ces services d'architecture en plusieurs marchés différents pour chaque bureau individuel dans un immeuble, ce qui serait manifestement absurde.

22 La Commission soutient qu'il serait contraire au but de la directive 2004-18 ainsi qu'à la lettre et à l'esprit de l'article 9, paragraphe 3, de celle-ci de considérer, pour des raisons purement budgétaires, un projet global exécuté en plusieurs étapes comme plusieurs marchés autonomes. En revanche, un pouvoir adjudicateur pourrait tenir compte de considérations budgétaires en procédant à la répartition en lots d'un marché global, conformément à l'article 9, paragraphe 5, sous a), de cette directive, et en annonçant simultanément dans l'avis de marché que l'attribution ultérieure des lots sera soumise à une réserve de financement. Il éviterait ainsi de s'engager trop tôt sur la conclusion des contrats portant sur d'autres parties du marché. En outre, la division d'un marché en lots faciliterait l'accès des petites et moyennes entreprises (ci-après les "PME") à ce marché.

23 En réponse à l'argument de l'État défendeur suivant lequel les marchés de services d'architecture relatifs aux deuxième et troisième phases de travaux auraient été attribués de manière transparente et non discriminatoire, par appel à la manifestation d'intérêt effectué par l'intermédiaire de bases de données aux niveaux national et régional, la Commission relève que ledit marché de services, dans son ensemble, aurait dû faire l'objet d'un avis formel, conformément aux règles du droit de l'Union, et que cet avis ne pouvait être remplacé par des avis de marché "volontaires" ne portant que sur certaines parties du marché global et publiés dans des bases de données nationales ou régionales.

24 La Commission considère donc que la défenderesse a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2, 9 et 20, lus en combinaison avec les articles 23 à 55, de la directive 2004-18, en raison du fait que le marché de services d'architecture relatifs à la rénovation de l'Autalhalle a été attribué sans avoir fait l'objet d'une procédure d'appel d'offres au niveau de l'Union.

25 La République fédérale d'Allemagne soutient que les critères permettant de conclure à l'existence d'un marché de travaux unique ne sont pas transposables pour déterminer l'existence d'un marché de services unique et qu'un marché de travaux unique ne permet pas de présumer que le marché de services correspondant est unique.

26 Cela ressort, à son avis, du libellé de l'article 1er, paragraphe 2, sous d), de la directive 2004-18, dans lequel les marchés de services sont définis par la négative par rapport aux marchés de travaux, ce qui dénote une différence de nature entre les deux types de marché. En outre, le vingt-deuxième considérant de la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), énonce que "les règles d'attribution des marchés publics de services doivent être aussi proches que possible des règles concernant les marchés publics de fournitures et les marchés publics de travaux". La République fédérale d'Allemagne considère que les termes "aussi proches que possible" soulignent cette différence, laquelle est encore relevée par le fait que le vingt-troisième considérant de la même directive se réfère aux "aspects particuliers des marchés de services".

27 De l'avis de la République fédérale d'Allemagne, le critère de la fonction économique et technique des travaux, dégagé par la Cour dans l'arrêt Commission/France, précité, est fondé sur la nécessité d'exécution d'un marché de travaux de manière uniforme et coordonnée lorsque ce marché forme un tout du point de vue économique et technique. Cette nécessité permettrait de présumer qu'il s'agit d'un seul marché. Or, ce serait précisément cette nécessité réelle d'unité de l'exécution qui ferait défaut au niveau de la conception, dans la mesure où il serait tout à fait envisageable que la conception de différentes parties d'une même construction soit réalisée de manière séparée, en raison de la différence de nature entre les activités de conception et d'exécution.

28 Pour ce qui est du marché en cause, la République fédérale d'Allemagne fait valoir que la référence faite par la municipalité de Niedernhausen à une rénovation globale de l'Autalhalle était due au fait que les règles budgétaires imposaient de planifier longtemps à l'avance les coûts prévus pour une rénovation complète. Ainsi, le financement global figurant dans les propositions budgétaires ne se rapporterait pas à des contrats de services d'architecture devant être simultanément conclus, mais indiquerait simplement que le financement pour le tout était projeté. En outre, le coût global des travaux de construction devrait déjà avoir été calculé, car les honoraires dus au titre des services d'architecture dépendraient, en vertu de l'HOAI, des coûts de la construction.

29 Toutefois, il n'aurait pas été possible d'attribuer en une seule fois la totalité du marché de la rénovation en raison de la limitation des dépenses prévues dans le budget de 2008 de la municipalité de Niedernhausen. Ces contraintes budgétaires auraient rendu nécessaire, en raison de capacités de financement insuffisantes, une quatrième phase de travaux, voire même une cinquième. Il ne pourrait être exigé qu'une municipalité procède à une passation conjointe des marchés de services d'architecture lorsque les opérations de construction correspondantes sont fractionnées en plusieurs phases de travaux, pouvant avoir une durée de quatre à cinq années. Dans le cas contraire, les règles du droit de l'Union contraindraient les municipalités à s'endetter au-delà de leurs capacités.

30 De plus, les contraintes budgétaires n'auraient pu être prises en compte en procédant à une répartition du marché en lots et en annonçant simultanément que l'attribution des lots ultérieurs serait soumise à une réserve de financement. En effet, une telle incertitude quant à l'attribution des lots ultérieurs serait de nature à inciter les soumissionnaires à augmenter le prix de leurs offres.

31 La République fédérale d'Allemagne relève que les différentes phases d'un marché de services d'architecture doivent être attribuées de manière adaptée aux capacités financières des PME, ce qui milite contre l'obligation de concentrer ces différentes phases en un marché unique.

32 En outre, la République fédérale d'Allemagne considère qu'il ressort de l'arrêt du 14 novembre 2002, Felix Swoboda (C-411-00, Rec. p. I-10567, point 58), que l'article 9, paragraphe 3, de la directive 2004-18, qui interdit toute scission artificielle d'un marché, présuppose une intention subjective d'éluder l'application des règles de cette directive. Or, en l'occurrence, il ne s'agirait pas d'une scission artificielle d'un marché, mais d'attributions séparées de marchés isolés fondées sur des motifs objectifs. En tout état de cause, la Commission n'aurait pas démontré l'existence d'une telle intention.

33 La République fédérale d'Allemagne demande ainsi à la Cour de rejeter le recours.

Appréciation de la Cour

34 D'emblée, il convient de faire observer que le fait que les marchés de services sont définis, à l'article 1er, paragraphe 2, sous d), de la directive 2004-18, par la négative par rapport aux marchés de travaux ou de fournitures ne saurait signifier qu'ils ne sont pas concernés par les règles, par les principes de portée générale et par les objectifs du droit de l'Union en matière de marchés publics, ni que cela leur réserve une particularité telle qu'ils échapperaient aux appréciations et aux critères d'ordre général établis par la jurisprudence de la Cour dans des affaires concernant un autre type de marchés publics.

35 Il convient de souligner, à cet égard, que les règles concernant tous les types de marchés publics, sous réserve des règles spécifiques prévues par la directive 2004-17-CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (JO L 134, p. 1), dite "sectorielle", sont actuellement regroupées dans un seul texte législatif, à savoir la directive 2004-18 et que les principes et les objectifs concernant tous les types de marchés sont évoqués sans distinction au deuxième considérant de cette directive.

36 En ce qui concerne spécifiquement le calcul de la valeur estimée d'un marché public, l'article 9, paragraphes 1 et 3, de la directive 2004-18 prévoit, d'une part, que ce calcul est fondé sur le montant total payable, hors TVA, estimé par le pouvoir adjudicateur et que, d'autre part, aucun projet d'ouvrage ni aucun projet d'achat visant à obtenir une certaine quantité de fournitures et/ou de services ne peut être scindé en vue de le soustraire à l'application de cette directive.

37 Il y a lieu de relever, ensuite, que, dans l'arrêt Commission/France, précité, qui concernait des marchés de travaux distincts, lancés par plusieurs pouvoirs adjudicateurs, la Cour, afin d'apprécier si ces travaux étaient liés entre eux d'une manière telle qu'ils devaient être regardés comme un ouvrage unique, a adopté une approche fonctionnelle. Elle a ainsi appliqué le critère du caractère unitaire d'un ouvrage doté d'une continuité fonctionnelle et économique et a recherché si les différents lots de cet ouvrage remplissaient la même fonction économique et technique (voir, notamment, points 38, 50 et 64 dudit arrêt).

38 La République fédérale d'Allemagne ne conteste pas que les travaux de rénovation de l'Autalhalle présentent un caractère unitaire d'un point de vue fonctionnel et économique.

39 Le point de désaccord substantiel avec la Commission est celui de savoir si ce critère du caractère unitaire, établi par la Cour dans l'arrêt Commission/France, précité, à propos des marchés publics de travaux, est transposable aux marchés publics de services, ce que la défenderesse conteste compte tenu de la nature différente, à son avis, de ces derniers par rapport aux premiers.

40 Il importe de souligner qu'une approche fonctionnelle a également été retenue par la Cour dans d'autres affaires en matière de marchés publics, dans le cadre, par exemple, de la définition des notions de "pouvoir adjudicateur" et d'"organisme de droit public", à la lumière des objectifs des règles du droit de l'Union (voir, concernant un marché public de services, arrêt du 13 décembre 2007, Bayerischer Rundfunk e.a., C-337-06, Rec. p. I-11173, point 37 et jurisprudence citée).

41 Des raisons tenant à la prétendue nature différente des marchés de services ne sauraient justifier l'inapplicabilité à ces derniers de l'approche fonctionnelle développée par la Cour dans l'arrêt Commission/France, précité. Ainsi, afin d'apprécier si des services dont la prestation, comme dans le cas d'espèce, a été effectuée en différentes phases distinctes doivent être considérés comme formant un marché unique, il convient de vérifier le caractère unitaire de leur fonction économique et technique.

42 En l'occurrence, le marché litigieux est un marché de services d'architecture, attribué par un seul pouvoir adjudicateur, concernant un projet global de rénovation d'un seul et même bâtiment public, dont la réalisation a été divisée en différentes phases pour des raisons budgétaires. Des contrats séparés ont été conclus, pour chaque phase d'exécution du projet, entre le pouvoir adjudicateur et le bureau d'architecture choisi.

43 Ce bureau a été appelé, dans un premier temps, à dresser un état des lieux, à présenter sa conception globale de la rénovation de l'immeuble et à établir une estimation des coûts totaux de la rénovation. Ensuite, pour chaque phase d'exécution des travaux, ce même bureau a été chargé d'effectuer l'étude correspondante, d'organiser la procédure de sélection des ingénieurs spécialisés et d'assurer leur coordination et la supervision de leurs travaux, ainsi que prévu par l'HOAI concernant les prestations normales d'architecte portant sur la réalisation d'un projet de travaux. Ainsi qu'il est également prévu par l'HOAI, les honoraires d'architecte constituaient un pourcentage du coût des travaux exécutés à chaque phase.

44 Le fait que, lors des différentes phases d'exécution du projet, l'objet des travaux différait et concernait, par exemple, la structure portante du bâtiment, la toiture ou l'éclairage ne signifie pas que le contenu et la nature des services d'architecture, assurés lors de ces phases, variaient en conséquence. Il s'agissait toujours de prestations typiques d'architecte ayant le même contenu, à savoir, en substance, la conception et la planification des travaux à effectuer ainsi que la supervision de leur exécution, et portant sur la réalisation d'un projet unique. En outre, les modalités de rémunération de ces prestations restaient les mêmes.

45 Par conséquent, ces prestations présentaient une cohérence interne d'un point de vue économique et technique ainsi qu'une continuité fonctionnelle, cohérence et continuité qui ne sauraient être considérées comme rompues en raison du fait que lesdites prestations ont été divisées en différentes phases, suivant le rythme d'exécution des travaux auxquels elles se rapportaient.

46 De même, une telle rupture ne peut être justifiée par des considérations budgétaires. Ainsi que le fait valoir la Commission, il peut être tenu compte de telles considérations en procédant à la répartition en lots d'un marché global, conformément à l'article 9, paragraphe 5, sous a), de la directive 2004-18, et en annonçant simultanément dans l'avis de marché que l'attribution ultérieure des lots sera soumise à une réserve de financement. À cet égard, l'argument de la République fédérale d'Allemagne, selon lequel une telle manière de procéder entraînerait une incertitude quant à l'attribution des lots ultérieurs susceptible, de ce fait, de rendre plus chères les offres des soumissionnaires, constitue une allégation d'ordre général qui n'est pas étayée par des éléments circonstanciés.

47 L'argumentation de la défenderesse concernant l'opportunité de la division du marché en vue de son adaptation aux capacités financières des PME ne peut non plus être accueillie. Bien que l'objectif de faciliter la participation des PME aux marchés publics lancés au niveau de l'Union soit légitime, un tel objectif ne saurait être poursuivi au détriment de l'application effective des règles de l'Union en matière de marchés publics.

48 Par ailleurs, conformément à l'article 9, paragraphe 5, de la directive 2004-18, il est possible de passer des marchés en même temps par lots séparés, dans les conditions visées à cette disposition, ce qui permet aussi bien d'adapter un marché aux capacités financières des PME que de respecter l'application effective des règles de cette directive.

49 Il convient de rappeler, enfin, que, conformément à une jurisprudence constante, la procédure visée à l'article 258 TFUE repose sur la constatation objective du non-respect par un État membre des obligations que lui imposent le traité ou un acte de droit dérivé et que, dès lors qu'un tel constat a été établi, il n'est pas déterminant que le manquement résulte ou non de la volonté de l'État membre auquel il est imputable (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2010, Commission/Italie, C-297-08, Rec. p. I-1749, points 81 et 82 ainsi que jurisprudence citée). Dès lors, contrairement aux allégations de la partie défenderesse, la constatation d'un manquement ne présuppose pas une intention subjective de contourner les règles du droit de l'Union.

50 Il y a lieu de signaler, enfin, que, lors de l'audience devant la Cour, la question a été soulevée de savoir si les prestations d'architecte en cause auraient dû être considérées comme faisant partie intégrante du marché de travaux, et non pas comme un marché de services autonome, en raison du fait qu'elles seraient à ce point imbriquées dans la réalisation du projet de rénovation de l'immeuble qu'elles en seraient inséparables. Toutefois, la partie défenderesse n'a présenté d'arguments soutenant une telle qualification ni dans le cadre de la procédure précontentieuse ni lors de la phase écrite de la procédure devant la Cour. De plus, les faits concrets du cas d'espèce ont démontré la séparabilité des services d'architecture faisant l'objet du présent recours.

51 Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que les prestations d'architecte en cause constituaient un marché de services unique qui, eu égard à sa valeur globale excédant le seuil d'application de la directive 2004-18 aux marchés publics de services, devait être attribué conformément aux règles de cette directive. Le recours de la Commission doit, dès lors, être accueilli.

52 Par conséquent, il convient de constater que, en raison du fait que la municipalité de Niedernhausen a attribué un marché de services d'architecture relatifs à la rénovation de l'Autalhalle, dont la valeur dépassait le seuil fixé à l'article 7, sous b), de la directive 2004-18, sans avoir procédé à un appel d'offres au niveau de l'Union, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2, 9 et 20, lus en combinaison avec les articles 23 à 53, de cette directive.

Sur les dépens

53 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d'Allemagne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1) En raison du fait que la municipalité de Niedernhausen a attribué un marché de services d'architecture relatifs à la rénovation d'un bâtiment public dénommé "Autalhalle" situé sur le territoire de cette municipalité, dont la valeur dépassait le seuil fixé à l'article 7, sous b), de la directive 2004-18-CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, sans avoir procédé à un appel d'offres au niveau de l'Union européenne, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2, 9 et 20, lus en combinaison avec les articles 23 à 53, de cette directive.

2) La République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.