CA Versailles, 12e ch., 27 octobre 2011, n° 10-06093
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dexxon Data Media (SAS)
Défendeur :
Choukri-Bouziani, Despec France (SARL), Dubos, Etemad, Ferkous, Halnaut, Hubin , Suvak, Fujifilm Recording Media GMBH, Gameiro
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
Mmes Brylinski, Beauvois : Avoués : SCP Gas, SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod, SCP Keime Guttin Jarry
Avocats :
Mes Villey, Boneva-Desmicht, Veisse
FAITS ET PROCÉDURE
La société Fujifilm Recording Media GMBH (Fujifilm) a pour principale activité la conception et fabrication de produits informatiques et en particulier des supports de stockage et enregistrement ; elle distribue les produits de sa marque par l'intermédiaire de différents grossistes dont la société Dexxon Data Media.
La société Dexxon Data Media (Dexxon), de son côté, est distributeur en gros de produits informatiques et bureautique sous diverses marques dont la marque Fujifilm pour des produits de stockage et consommables d'impression; à compter du début de l'année 2008, le flux des affaires réalisées avec Fujifilm a baissé de façon significative.
À compter de sa constitution en août 2008, la société Despec France (Despec France), agent commercial en France de Despec BV, qui a embauché plusieurs anciens salariés de Dexxon, dont M. Reza Etemad qui disposait alors d'un contrat de travail auprès de Despec BV et a concurremment été nommé gérant de Despec France a distribué également des produits Fujifilm.
Un message, ayant pour objet la négociation de tarifs pour la fin 2008 a été adressé par Fujifilm à M. Reza Etemad par erreur à son ancienne adresse de messagerie chez Dexxon.
Parallèlement à l'instance menée devant le Tribunal de commerce de Nanterre contre la société Fujifilm, par assignation à jour fixe délivrée les 19 et 21 janvier 2009, la société Dexxon Data Media a engagé une action en concurrence déloyale devant le Tribunal de grande instance de Nanterre à l'encontre de la société Despec France et ses salariés Monsieur Reza Etemad, Madame Carole Halnaut, Madame Myriam Dubos, Madame Fabienne Hubin, Mademoiselle Rima Choukri-Bouziani, Mademoiselle Lindsay Suvak et Madame Linda Ferkous, la société Fujifilm Recording Media et sa salariée Mme Gameiro, pour obtenir notamment leur condamnation solidaire à cesser sous astreinte les actes de concurrence déloyale et à l'indemniser de ses différents chefs de préjudice.
Par jugement rendu le 2 juillet 2010, le Tribunal de grande instance de Nanterre a débouté la société Dexxon de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Dexxon a relevé appel de ce jugement.
Par dernières conclusions signifiées le 20 juin 2011, la société Dexxon demande à la cour d'infirmer le jugement rendu et statuant à nouveau de :
-dire que les intimés se sont livrés à des actes de concurrence déloyale à son encontre
-de faire cesser les agissements déloyaux et prononcer sous astreinte de 2 000 euro par jour de retard à compter de la notification des présentes l'interdiction de démarcher les clients identifiés sur la pièce versée aux débats par la société Dexxon ;
-condamner solidairement les intimés à lui payer la somme de 3 141 320 £ à titre de réparation de son préjudice commercial, la somme de 80 000 euro à titre de réparation du préjudice résultant de la désorganisation interne de la société et la somme de 100 000 euro à titre de réparation de son préjudice d'image, avec intérêts légaux à compter du prononcé de la présente décision et capitalisation des intérêts ;
-condamner solidairement les intimés à lui payer la somme de 10 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées le 4 mars 2011, la société Fujifilm et Mlle Gameiro demandent à la cour de confirmer le jugement, de débouter la société Dexxon de toutes ses demandes, de la condamner à payer 10 000 euro sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile, outre l'amende civile et de la condamner à payer à Mlle Gameiro une indemnité de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à la société Fujifilm une indemnité de 10 000 euro au même titre.
Par dernières conclusions signifiées le 11 avril 2011, la société Despec France et ses sept salariés intimés demandent à la cour de confirmer le jugement sauf sur l'article 700 du Code de procédure civile et statuant à nouveau de ce chef, de condamner la société Dexxon à payer à chacun des intimés 10 000 euro pour procédure abusive et 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 23 juin 2010.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
SUR LA CONCURRENCE DÉLOYALE DE LA SOCIÉTÉ DESPEC FRANCE ET DE SES SALARIÉS
Dexxon soutient en substance que Despec France a commis des actes de concurrence déloyale à son encontre consistant en premier lieu dans le débauchage massif et simultané de huit des douze personnes composant sa division "Data Storage Media" placée sous la direction de M. Etemad, qui ont été embauchées par Despec France, salariés qui détenaient des informations privilégiées sur l'entreprise, départ massif et simultané de salariés expérimentés qui a nécessairement provoqué la désorganisation de l'activité concernée au sein de son entreprise.
Dexxon conteste formellement les explications données par les intimés à leur départ qui ne reposent sur aucune preuve tangible alors qu'ils n'ont pas même été destinataires des mails en cause et que le nombre de départs en 2008 est similaire à celui des années précédentes.
Dexxon reproche encore à Despec France le détournement de son fichier clientèle mis à jour par les trois constats d'huissier de justice auxquels elle a fait procéder, qui ont révélé notamment la présence d'une adresse e-mail piège dans le fichier clientèle de Despec France. Elle rappelle que Despec France a été dans l'incapacité de fournir quelques éléments précis sur la façon dont elle a constitué son fichier clients et notamment comment elle a pu avoir connaissance d'adresses de messagerie personnelles.
Enfin, Dexxon reproche à Despec France le démarchage déloyal de sa clientèle résultant de l'utilisation de son fichier clientèle et du démarchage physique systématique de sa clientèle qui est également prouvé, au travers d'une pratique de prix systématiquement plus bas et ce d'autant plus facilement qu'au travers de la complicité de Fujifilm, elle a pu bénéficier de tarifs plus favorables.
En réponse, Despec France rappelle que son activité principale est la vente de consommables d'impression, les media de sauvegarde ne constituant qu'une infime partie du chiffre d'affaires de la société, qu'elle n'est qu'un simple intermédiaire qui n'est lié par aucun contrat avec Fujifilm, qu'elle a pu négocier avec Fujifilm des tarifs d'achat qui ont été adressés par erreur sur la messagerie électronique Dexxon de M. Etemad.
Elle conteste l'ensemble des agissements de concurrence déloyale qui lui sont reprochés par Dexxon.
Elle oppose qu'une société inexistante ne peut se voir reprocher des actes de débauchage et que les salariés de Dexxon ont tous démissionné sur une période s'échelonnant sur plus de six mois et surtout avant son immatriculation au registre du commerce et des sociétés.
Despec France n'a donc pas pu débaucher ces salariés.
Aucun lien de causalité n'existe entre les démissions des salariés et leur embauche par Despec France ; les salariés ont le droit de changer d'emploi en vue d'obtenir une meilleure rémunération et des responsabilités en adéquation avec leurs compétences. Ces salariés n'étaient liés par aucune clause de non-concurrence et étaient libres de tout engagement.
Dexxon ne démontre pas quelles seraient les informations confidentielles que ses anciens salariés auraient emportées, n'établit aucun acte de déstabilisation de M. Etemad.
Les départs massifs des salariés de Dexxon sont imputables à Dexxon et en particulier au comportement intolérable de son président directeur général, M. Shafiee, qui a entraîné une dégradation des conditions de travail telle qu'elle pourrait être qualifiée de harcèlement moral. Les démissions des salariés assignés sont justifiées par des vexations personnelles que les uns et les autres ont eu à supporter.
Dexxon n'apporte par ailleurs aucune preuve d'une désorganisation en lien avec ces départs. L'équipe "Data Storage Media" n'a jamais existé.
Despec France conteste tout autant le détournement du fichier clients de Dexxon soutenant que les fichiers Despec France et Dexxon sont deux fichiers différents constitués à partir d'informations accessibles et publiques. Despec a en effet adopté la même démarche que tous les autres professionnels de ce marché : rechercher les informations sur les sites des fabricants pour constituer son fichier clients. L'accessibilité des informations sur les clients explique le taux de ressemblance entre le fichier de Dexxon et celui de Despec.
Dexxon n'apporte pas la preuve d'un démarchage résultant de procédés déloyaux. L'e-mail que Despec France a adressé à ses clients le 9 septembre 2008 ne constitue pas une pratique déloyale.
Dexxon n'apporte pas plus de preuve d'une désorganisation de son réseau de distribution car ce réseau n'existe pas ; quant aux tarifs discriminatoires, il s'agit d'un litige auquel Despec France est étrangère.
L'action en réparation d'agissements de concurrence déloyale introduite par Dexxon suppose apporter la démonstration d'une faute imputable à Despec France, d'un préjudice subi et du lien de causalité établi entre la faute et le préjudice.
Dexxon soutient que Despec France a procédé à un débauchage massif et simultané de ses salariés qui a entraîné la désorganisation du secteur d'activité de sa division "Data Storage Media".
Il n'est pas discuté que les huit salariés que compte Despec France sont tous d'anciens salariés de Dexxon, que M. Etemad a démissionné le 4 mars 2008, Mme Halnaut le 5 mai, Mme Dubos le 20 mai, Mme Choukri le 7 juillet, Mme Hubin le 1er juillet, Mme Suvak le 19 juillet et Mme Ferkous le 27 août 2008, le huitième salarié, M. Signavong, qui n'est pas à la procédure, ayant pour sa part démissionné le 18 février 2007.
Il est acquis aux débats qu'aucun des salariés embauché par Despec France n'était lié par une clause de non-concurrence avec Dexxon.
La liberté du travail étant le principe, il incombe à Dexxon d'établir que Despec France a usé de manœuvres déloyales pour procéder au débauchage de ces salariés et qu'il en a résulté pour elle la désorganisation de l'activité concernée.
L'existence de cette sous-branche "Data Storage Media" de la branche "Distribution et Services" est établie par le rapport annuel 2007 qui est un document dont il ne peut être supposé qu'il a été fabriqué pour les besoins de la cause et corroboré notamment par les attestations circonstanciées de Mme Manske et de Mme Burggraff.
Il existait donc au sein de Dexxon une équipe à laquelle appartenaient tous les salariés démissionnaires embauchés par Despec France chargés notamment de l'activité "media de stockage de données", ce qui comme l'écrit Dexxon n'est pas incompatible avec une organisation fonctionnelle tenant compte de la répartition des commerciaux selon le type de clients et de la distinction des fonctions ventes/achats.
Il importe peu que Despec France n'ait été créée que postérieurement aux démissions des salariés dès lors que ceux-ci ont pu être recrutés par l'entremise de M. Etemad disposant d'un contrat de travail avec Despec BV, en vue de la création de Despec France, leurs contrats de travail avec cette dernière ne pouvant à l'évidence prendre effet avant la fin de leur préavis avec Dexxon et la création de la nouvelle société.
Il est donc suffisamment établi au vu des pièces produites que les anciens salariés de Dexxon mis en cause dans le présent litige, contribuant tous à l'activité media de stockage de données ont été recrutés, dans les six mois suivant leur démission, par Despec France, représentée par son gérant M. Etemad, lui-même ancien salarié de Dexxon, lequel a signé en qualité de gérant, les contrats de travail.
Despec France prétend expliquer ces départs quasi simultanés des salariés par le comportement soudainement adopté par le responsable de Dexxon confinant au harcèlement moral.
Cependant, si ce comportement avait été de nature à motiver le départ de certains salariés du département "Data Storage Media", en l'espèce sept sur douze, il ne peut expliquer que tous ces salariés aient été recrutés par le même concurrent, en l'espèce, Despec France, ce qui démontre une action de M. Etemad, seul en mesure de prendre attache avec ces anciens collègues.
En effet, Despec France admet elle-même que le marché de l'emploi dans ce secteur de vente est très actif et très fluide, de sorte qu'hormis un recrutement ciblé de la part de M. Etemad, rien d'autre ne peut expliquer que tous ces salariés aient été tous embauchés par Despec France.
Il ne peut pas plus expliquer pourquoi seul ce département aurait été touché par cette vague brutale et simultanée de départs lié au comportement soudain du responsable de Dexxon alors que les mails dont Despec France fait état ne visent pas particulièrement les salariés appartenant à ce département "Data Storage Media".
Par ailleurs, le nombre de salariés qui a quitté Dexxon en 2008 est comparable à celui des années précédentes, ainsi que l'établit le bilan social produit, avec une faible variation du nombre total de salariés de l'entreprise entre 2006 et 2008, un effectif permanent plutôt en hausse, un nombre total de départs inférieur en 2008 à celui de 2006 (102 pour 126), seul le nombre de démissions ayant augmenté mais en ce compris justement celles des salariés concernés, ce qui n'est pas pertinent.
Despec France prétend donc en vain que Dexxon aurait subi un départ généralisé et massif de ses salariés à cette période.
Aucun des salariés en cause lesquels se sont bornés à donner une démission non motivée ne s'est d'ailleurs plaint d'un harcèlement moral dans la période suivant son départ de Dexxon.
Ces salariés n'ont pas été destinataires directs des mails versés aux débats et ne justifient pas y être personnellement visés, pas plus qu'ils ne prouvent avoir été victimes de menaces ou de vexations dont Despec France fait état dans ses écritures.
Il n'est donc pas sérieux de prétendre comme le fait Despec France que les salariés en cause auraient été contraints de démissionner à raison des conditions de travail au sein de Dexxon.
Dexxon veut pour preuve de l'utilisation de manœuvres déloyales de la part de Despec France, en particulier de M. Etemad pour le débauchage de son personnel, la proposition de fonctions, de responsabilité et d'une rémunération plus élevées.
Dexxon soutient dans ses écritures que pour l'essentiel des salariés démissionnaires, il s'agissait de personnes avec une ancienneté certaine, formées, qualifiées, qui avaient bénéficié en son sein d'une augmentation constante de leur rémunération depuis 2004, traduisant un accroissement des responsabilités comme de la rémunération de ces salariés.
Il n'est dès lors pas démontré que Despec France aurait fait preuve d'un comportement déloyal en offrant à ces mêmes salariés, une rémunération et des responsabilités correspondant à leur savoir-faire et leur expérience non discutés, résultant d'éléments objectifs relatifs à leurs qualités professionnelles et non de prétendues tentatives de déstabilisation ou de dénigrement, dans le but inavoué comme le prétend l'appelante d'obtenir une revanche, voire d'assouvir une vengeance personnelle, de la part de M. Etemad.
Enfin, il ne suffit pas à Dexxon de prouver le départ massif et simultané de ces salariés du même département, il lui faut encore établir que ce départ a eu pour effet ou pour objet de désorganiser l'activité concernée. Dexxon écrit d'ailleurs dans ses conclusions que le débauchage est suivant la jurisprudence "le fait d'embaucher de façon massive et simultanée les salariés d'une entreprise concurrente tout en ayant conscience de la désorganisation ainsi causée."
Dexxon affirme certes que ce débauchage a entraîné une désorganisation profonde de sa division "Data Storage Media", désorganisation qui a contribué à la perte d'un de ses principaux fournisseurs et à la diminution brutale et drastique du chiffre d'affaires réalisé.
Cependant, elle se borne à invoquer la baisse de son chiffre d'affaires sans établir que cette baisse est en lien avec la désorganisation alléguée. Elle ne prouve par exemple aucune difficulté de recrutement, n'invoque pas avoir été dans l'impossibilité de compenser les départs, ne fait pas état d'embauches auxquelles elle aurait dû procéder ou d'une difficulté à trouver des personnes suffisamment qualifiées pour remplacer les salariés démissionnaires. Elle ne prétend pas avoir été contrainte de former de nouveau personnel. Elle ne fournit aucune information sur la restructuration de son département, sur le remplacement de M. Etemad et des autres salariés embauchés par Despec France, voire même de Mme Gameiro laquelle a été recrutée par Fujifilm sans qu'il soit démontré que cette dernière société ait procédé pour sa part à un quelconque débauchage alors qu'au contraire le recrutement de Mme Gameiro par le principal fournisseur de Dexxon pouvait être de nature à faciliter les échanges entre les deux sociétés.
Or, la désorganisation résultant du débauchage doit être établie par des éléments concrets qui font défaut en l'espèce. Dexxon, qui est une société importante disposant donc de ressources humaines en interne, manque à prouver que le débauchage auquel s'est livré Despec France, entreprise concurrente, a indéniablement provoqué une désorganisation du secteur d'activité concerné "Data Storage Media" et encore moins une désorganisation de son circuit ou réseau de distribution sur lequel elle ne donne aucune indication.
Dexxon soutient encore que Despec France a détourné son fichier clientèle.
Elle fonde l'essentiel de son argumentation sur les constatations faites à l'occasion des trois procès-verbaux de constat qu'elle a fait établir par la SCP Sylvie Pybourdin, huissier de justice, les 16 septembre 2008, 29 octobre et 24 novembre 2008.
Au terme du procès-verbal de constat du 24 novembre 2008, le fichier clients de Despec France pour la France a un taux de ressemblance avec celui de Dexxon de 72 %.
Ce taux de ressemblance peut néanmoins comme le fait Despec France s'expliquer par l'accessibilité des informations contenues dans ces fichiers clients, disponibles sur la plupart des sites Internet des fabricants ou partenaires commerciaux, fournisseurs ou clients, dans le cadre d'une prospection commerciale classique. Il n'est pas fait état précisément de renseignements portés sur ce fichier clientèle de Despec France qui révéleraient le détournement par les anciens salariés de Dexxon d'informations confidentielles ou privilégiées.
À cet égard, la liberté du travail et de la libre concurrence étant le principe, ne constitue pas en soi la preuve d'une attitude déloyale d'un salarié envers son ancien employeur que l'entreprise concurrente ait eu accès à des informations connues et disponibles pour tous les acteurs du marché en cause, comme les adresses de messagerie électronique des acheteurs.
S'agissant de la prétendue adresse piège Degoue "[email protected]", l'huissier instrumentaire qui a agi à la seule requête de Dexxon le 16 septembre 2008, n'a pas été invité par cette dernière à constater la présence de cette adresse masquée dans le fichier clientèle de Dexxon, de sorte que ces constatations sont manifestement insuffisantes à établir le détournement allégué du fichier clientèle de Dexxon par Despec France.
En dernier lieu, Dexxon reproche à Despec France un démarchage déloyal de sa clientèle.
Sur ce point, Dexxon reprend pour l'essentiel les moyens et l'argumentation relatifs au débauchage de ses salariés et au détournement de son fichier clientèle auxquels il a été répondu plus avant.
Elle n'invoque aucune pratique commerciale de Despec France s'accompagnant d'un dénigrement ou pouvant tendre à induire la confusion avec une société concurrente.
L'envoi d'un document commercial à un ensemble de prospects, dont certains communs à Dexxon, même en faisant miroiter la possibilité du gain d'une nuit d'hôtel à Paris, d'un dîner dans un restaurant ou d'un voyage en montgolfière, ne constitue pas la preuve d'un procédé déloyal de démarchage.
Dexxon si elle fait état d'un détournement de son fichier clientèle et d'un démarchage systématique et déloyal de sa clientèle et allègue une baisse du chiffre d'affaires de l'activité concernée ne justifie précisément d'aucun client gagné par Despec France et perdu par elle par l'emploi de ces prétendues manœuvres déloyales.
Aucun agissement fautif susceptible de caractériser des agissements de concurrence déloyale n'est donc établi par Dexxon à L'encontre de Despec France.
Au demeurant, le seul préjudice dont Dexxon se plaint est celui relatif aux produits Fujifilm.
En effet, Dexxon invoque un préjudice commercial qu'elle aurait subi du fait de la baisse de ses ventes, du chiffre d'affaires et des marges en produits de la marque Fujifilm auprès de ses clients et par la perte d'importants marchés potentiels.
Or, il est avéré que pour des motifs qui relèvent de la liberté du commerce, son fournisseur Fujifilm a décidé de diversifier ses distributeurs et de modifier sa politique tarifaire, ce qu'elle ne peut lui reprocher.
Dexxon ne peut pour solliciter la réparation du préjudice né d'agissements de concurrence déloyale qu'elle impute à Despec France, reprendre les mêmes moyens que ceux qu'elle a fait valoir par ailleurs pour fonder son action contre Fujifilm au titre d'une politique de tarifs discriminatoires à son égard et d'usage de pratiques restrictives illicites.
Si l'arrivée de Despec France sur le marché et son positionnement comme concurrent de Dexxon a pu entraîner une baisse du chiffre d'affaires en produits Fujifilm, en tout cas aucune pièce ne justifie que cette baisse résulterait d'agissements de concurrence déloyale commis par Despec France et non du simple jeu de la concurrence ou d'autres facteurs tels que le changement de positionnement non critiquable du fournisseur Fujifilm ou la rupture partielle de la relation commerciale avec celui-ci sanctionnée par ailleurs, de façon plus générale, de la conjoncture économique.
Dexxon reproche aux salariés eux-mêmes de s'être rendus coupables des mêmes agissements de concurrence déloyale.
Chacun des salariés était libre en l'absence de clause de non-concurrence de rechercher un nouvel employeur, lui offrant le cas échéant de plus grandes responsabilités et une meilleure rémunération ; ils ne peuvent se voir reprocher au surplus la démarche faite par d'autres salariés de la même entreprise dans le même sens, à défaut d'action concertée démontrée entre tous les salariés.
Aucun agissement autre que ceux reprochés à l'encontre de Despec France n'est établi à leur encontre et aucune faute ne leur est personnellement imputable.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Dexxon de toutes ses demandes à l'encontre de Despec France et de ses salariés.
SUR LE COMPORTEMENT FAUTIF DE FUJJIFILM ET DE MME GAMEIRO
Dexxon reproche à Fujifilm et Mme Gameiro leur complicité dans les actes de concurrence déloyale commis par Despec France en soutenant qu'elles ont participé à ces agissements fautifs.
Elle fait valoir que Despec, et notamment M. Etemad, avait parfaitement connaissance de la nature de l'engagement pris par la société Fujifilm à l'égard de la société Dexxon de ne pas agréer un nouveau distributeur de produit Fujifilm sans en informer préalablement Dexxon, que de façon parfaitement délibérée, M. Etemad a incité Fujifilm, à la faveur du recrutement par la société Fujifilm de Mme Gameiro, son ex-collaboratrice, à référencer Despec et à lui consentir des prix discriminatoires au regard de ceux consentis à la société Dexxon, que ce comportement fautif a eu pour conséquence immédiate une désorganisation du circuit de distribution mis en place par la société Dexxon depuis plusieurs années, que du jour au lendemain, et sans préavis, la société Dexxon s'est retrouvée face à une société concurrente, ayant au demeurant recours à des pratiques commerciales déloyales.
Dexxon soutient qu'il s'agit d'agissements fautifs de la part de la société Fujifilm caractéristiques d'acte de concurrence déloyale vis-à-vis de la société Dexxon.
Dexxon conteste par ailleurs la prétendue absence de relations commerciales entre Despec France et Fujifilm. Elle insiste sur le rôle joué par Mme Gameiro dans l'octroi de tarifs préférentiels à Despec France.
En réponse, Fujifilm et Mme Gameiro rappellent les circonstances dans lesquelles cette dernière a donné sa démission de Dexxon le 12 mars 2008, que son contrat de travail a pris fin le 16 mai, qu'elle n'était liée par aucune clause de non-concurrence, qu'elle s'est tournée vers les principaux opérateurs intervenant sur le marché et qu'elle a été embauchée par Fujifilm le 16 juin 2008, que Fujifilm avait déjà auparavant accueilli d'anciens collaborateurs, dont notamment des commerciaux, de Dexxon.
L'embauche de Mme Gameiro ne constitue pas un acte de concurrence déloyale.
Les intimées contestent ensuite le prétendu octroi de conditions tarifaires plus avantageuses à Despec France en faisant valoir d'une part que Fujifilm n'a jamais entretenu la moindre relation contractuelle avec celle-ci, d'autre part, que les prix consentis à Dexxon et à Despec BV sont très proches et qu'aucune pratique discriminatoire n'est établie.
Fujifilm observe qu'elle n'avait aucun intérêt à favoriser Despec France.
Les intimées concluent donc à la confirmation du jugement de première instance.
Il convient en premier lieu d'observer que la responsabilité de Fujifilm et Mme Gameiro est recherchée à raison de leur complicité dans les agissements de concurrence déloyale de Despec France et de ses salariés.
Dès lors que ces agissements de concurrence déloyale ne sont pas retenus contre les auteurs principaux poursuivis par Dexxon, on voit mal comment serait établie la responsabilité de leurs prétendus complices à raison de leur participation à ces mêmes actes.
Surabondamment, il sera observé que l'envoi le 22 août 2008 d'un message contenant la liste des prix Despec, applicables à compter du même jour, par Fujifilm à M. Etemad à son ancienne adresse de messagerie électronique chez Dexxon, n'émanant pas de Mme Gameiro mais d'une autre salariée de Fujifilm avec copie à Mme Gameiro, a pu certes inquiéter Dexxon et faire naître le soupçon mais constitue un acte isolé et ne caractérise pas une connivence fautive entre Despec France et Fujifilm à l'instigation de M. Etemad avec la complicité de Mme Gameiro.
En outre, Dexxon ne démontre pas, au vu des éléments de comparaison produits, de la discussion argumentée et pertinente par Fujifilm des exemples pris par Dexxon et dans ses propres pièces, que les prix consentis à Despec par Fujifilm pour les produits destinés au marché français - quand bien même Fujifilm n'aurait pas eu de relations contractuelles directement avec Despec France mais uniquement avec Despec BV - étaient plus avantageux que ceux que Dexxon avait négocié avec Fujifilm et que cette dernière aurait pratiqué une politique de prix systématiquement plus bas pour favoriser Despec France, se rendant ainsi complice d'une pratique de concurrence déloyale.
N'est donc pas établie la volonté délibérée alléguée de Fujifilm et/ou de sa salariée Mme Gameiro qui aurait eu pour effet ou pour objet de fausser le jeu normal de la concurrence entre Dexxon et Despec France.
Mme Gameiro ayant également quitté Dexxon libre de toute obligation de non-concurrence et Dexxon ne démentant pas que Fujifilm aurait déjà par le passé embauché certains de ses anciens salariés, notamment un directeur commercial, dont elle donne le nom, ce qui atteste de la pratique habituelle d'un tel recrutement, il n'est apporté la preuve d'aucun fait personnel fautif de l'ancienne salariée à l'encontre de Dexxon.
Le jugement sera donc également confirmé en ce qu'il a débouté Dexxon de toutes ses demandes à l'encontre de Fujifilm et de Mme Gameiro.
SUR LES DEMANDES DE DOMMAGES-INTÉRÊTS FORMÉES PAR LES INTIMÉES
Despec France et ses sept salariés forment une demande de condamnation de Dexxon au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Fujifilm et sa salariée forment également une demande de condamnation au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et de l'article 32-1 du Code de procédure civile.
L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas suffisante à faire dégénérer l'exercice de ce droit en abus et la circonstance que Dexxon bien qu'elle ait été déboutée en première instance de toutes ses prétentions ait interjeté appel pour faire valoir ses moyens devant la juridiction de second degré ne caractérise pas l'abus de droit.
Les intimés seront donc déboutés de leur demande de ce chef. Il n'y a pas lieu à amende civile.
SUR LES DÉPENS ET L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Les dépens seront à la charge de Dexxon qui succombe en toutes ses prétentions.
L'équité commande de la condamner à payer à Despec France et à chacun de ses salariés M. Reza Etemad, Mmes Carole Halnaut, Myriam Dubos, Fabienne Hubin, Rima Choukri-Bouziani, Lindsay Suvak et Linda Ferkous, une indemnité de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, à la société Fujifilm Recording Media une indemnité de 8 000 euro et à Mme Elisabeth Gameiro une indemnité de 12 000 euro au même titre.
Par ces motifs : Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Déboute les intimés de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive. Condamne la société Dexxon Data Media aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Condamne la société Dexxon Data Media à payer à Despec France et à chacun de ses salariés M. Reza Etemad, Mmes Carole Halnaut, Myriam Dubos, Fabienne Hubin, Rima Choukri-Bouziani, Lindsay Suvak et Linda Ferkous, une indemnité de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, à la société Fujifilm Recording Media une indemnité de 8 000 euro et à Mme Elisabeth Gameiro une indemnité de 12 000 euro au même titre. Déboute la société Dexxon Data Media de sa demande au même titre.