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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 20 mars 2012, n° 11-02977

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Socamapi (SARL)

Défendeur :

Johann Pabst Holzindustrie GmbH (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bachasson

Conseillers :

Mme Olive, M. Prouzat

Avocats :

SCP Garrigue, SCP Divisia Senmartin, Me Laget

T. com. Perpignan, du 14 déc. 2010

14 décembre 2010

Faits et procédure - Moyens et prétentions des parties :

La société de droit autrichien Johann Pabst Holzindustrie GmbH (la société Pabst) produit et commercialise sous la marque "Alpenspan" des copeaux de bois spécialement adaptés à l'aménagement des box pour chevaux.

Elle a conclu, le 2 avril 2007, avec la SARL Socamapi, société développant une activité d'intermédiaire pour l'achat et la vente de matériel et fournitures pour chevaux, un contrat-cadre pour l'approvisionnement de cette société, ayant son siège à Llupia (66), en copeaux de bois à des conditions de volumes, de délai de livraison et de prix déterminées, lui accordant également un droit de distribution exclusif de ce produit en France et en Espagne, pour une durée d'un an.

Des difficultés d'approvisionnement sont apparues à partir du mois de novembre 2007, la société Pabst, qui invoquera, par la suite, la pénurie de bois due aux conditions climatiques, n'étant pas en mesure d'honorer les commandes passées au cours de l'hiver.

En mars et avril 2008, la société Pabst a effectué cinq expéditions destinées à la société Socamapi, chacune de 714 sacs de copeaux de bois, lesquels ont été livrés par l'intermédiaire d'un transporteur autrichien, la société Riegler.

Les factures émises, en date des 26 mars, 4, 18, 25 et 29 avril 2009, d'un montant total de 15 351 euro, n'ont pas été réglées, en dépit de deux lettres de mise en demeure successives des 7 juillet 2008 et 25 mai 2009.

La société Pabst a obtenu, le 2 septembre 2009, une ordonnance d'injonction de payer, rendue par le président du Tribunal de commerce de Perpignan, à laquelle la société Socamapi a formé opposition.

Par jugement du 14 décembre 2010, le Tribunal de commerce de Perpignan a notamment :

- rejeté les demandes reconventionnelles de la société Socamapi, notamment celle concernant le remboursement des frais de transport afférents aux livraisons litigieuses,

- condamné la société Socamapi à payer à la société Pabst la somme de 15 351 euro en principal, majorée des intérêts au taux légal à compter du 25 mai 2009,

- ordonné l'exécution provisoire,

- alloué à la société Pabst la somme de 2 500 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Socamapi a régulièrement relevé appel de ce jugement par déclaration reçue le 29 avril 2011 au greffe.

Elle demande à la cour d'infirmer le jugement et, en conséquence, de débouter la société Pabst de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui payer les sommes de 60 000 euro à titre de dommages et intérêts et 12 400,86 euro au titre des frais de transport relatifs aux livraisons litigieuses ; elle sollicite, en toute hypothèse, l'allocation de la somme de 3 000 euro en remboursement de ses frais irrépétibles.

Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

- les marchandises livrées n'ont pas été commandées et c'est à tort que le tribunal a retenu, comme éléments de preuve, l'attestation du transporteur autrichien (M. Jantschgi) et le jugement du Tribunal d'instance de Judenburg (Autriche) en date du 30 avril 2009, la condamnant, par défaut, au paiement des frais de transport,

- en ne l'approvisionnant pas régulièrement, pendant l'hiver 2007, la société Pabst ne lui a pas permis de fonctionner normalement, alors qu'elle-même avait une obligation d'achat exclusif auprès de ce fournisseur, et l'existence d'un cas de force majeure, lié aux conditions climatiques en Autriche, n'est pas démontrée,

- au mois de juin 2008, la société Pabst lui a imposé un paiement d'avance des marchandises, qui constitue un mode de règlement manifestement abusif au regard des bonnes pratiques et usages commerciaux au sens de l'article L. 442-6, I, 7° du Code de commerce,

- en modifiant soudainement et substantiellement ses conditions générales de vente, sans préavis écrit, la société Pabst a rompu brutalement les relations commerciales, dans des conditions de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5°,

- son préjudice, consécutif à l'absence d'approvisionnement, correspond à la perte de marge, soit 17 500 euro, inhérente à une diminution de son chiffre d'affaires d'environ 70 000 euro,

- la rupture des relations commerciales lui a fait perdre une partie de sa clientèle, représentant près de 400 palettes de 21 sacs de produits "Alpenspan" par an, soit une perte de marge de 17 500 euro, et a affecté son potentiel de développement du fait de l'indisponibilité, dans la gamme des produits proposés à la clientèle, du produit "Alpespan", apprécié pour ses qualités, un tel préjudice pouvant être raisonnablement évalué à 25 000 euro,

- enfin, elle a été condamnée à payer au transporteur une somme de 12 400,86 euro pour des marchandises, qu'elle n'avait pas commandées.

La société Pabst conclut, pour sa part, à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 dommages et intérêts Code de procédure civile.

Elle réplique que :

- la société Socamapi ne peut soutenir, eu égard aux circonstances, que les commandes, correspondant aux cinq factures litigieuses, n'ont pas été passées par elle,

- elle a été confrontée, au cours de l'hiver 2007, à une pénurie exceptionnelle de matière première et n'a pas engagé sa responsabilité, puisqu'il n'existait pas de conditions contractuelles sur la fréquence ou la quantité des livraisons, ni d'obligation d'achat exclusif imposée à la société Socamapi,

- n'étant pas payée de cinq factures successives, elle n'a commis aucun abus de droit en demandant, par courriel du 5 juin 2008, d'être réglée, par avance, des marchandises commandées,

- aucune rupture brutale des relations commerciales n'est intervenue à son initiative et, à supposer que la cour estime le contraire, elle serait alors fondée à faire valoir un cas de dispense de préavis pour faute grave, en présence d'un défaut de paiement répété des marchandises livrées,

- au surplus, le préjudice allégué n'est pas démontré et rien ne justifie que les frais de transport soient mis à sa charge.

Motifs de la décision :

Conformément à l'article L. 110-3 du Code de commerce, tous les modes de preuve sont admissibles en matière commerciale.

En l'occurrence, la société Pabst poursuit le recouvrement de cinq factures en dates des 26 mars, 4, 18, 25 et 29 avril 2009, d'un montant total de 15 351 euro, qu'elle produit aux débats avec des confirmations de commandes enregistrées les 18, 27 mars, 2, 17 et 22 avril 2008 et des bons de livraison, documents qu'elle a elle-même établis, outre des lettres de voiture CMR correspondant aux transports des marchandises concernées ; certes, il n'est fourni aucun bon de commande, signé par un représentant de la société Socamapi, ou aucun autre écrit, tel qu'une lettre, un courriel ou une télécopie, émanant de cette société.

Pour autant, il résulte des pièces produites que les marchandises ont été livrées par la société Riegler, dont le chauffeur (M. Jantschgi) atteste que, pour des raisons linguistiques, les commandes étaient passées verbalement par son intermédiaire et qu'une fois connue la date d'enlèvement des marchandises dans les locaux de la société Pabst, il communiquait la date de livraison à M. Cauquil (le gérant de la société Socamapi), qui lui faisait alors connaître l'endroit où la livraison devait être faite ; toujours selon l'attestation du transporteur, la société Socamapi ne possédait pas d'entrepôt propre, en sorte que la livraison avait lieu, conformément aux instructions de celle-ci, chez un transporteur ou un commissionnaire de transport en France ; les CMR, accompagnant les bons de livraison et les factures, mentionnent ainsi des livraisons effectuées soit à Toulouse (31), soit à Lansargues (34).

Le fait que M. Cauquil a passé une commande, par courriel du 14 décembre 2007, directement auprès de la société Pabst, n'a pas pour effet de discréditer les déclarations du témoin quant à la pratique, à laquelle les parties avaient habituellement recours, de commandes verbales, passées par son intermédiaire.

Si M. Cauquil a dû, en outre, subir une intervention chirurgicale au cours du mois d'avril 2008, durant lequel la plupart des livraisons ont été faites, la société Socamapi n'en a pas moins continué de fonctionner pendant son absence, puisque Mme Cauquil était elle-même co-gérante de la société.

Par ailleurs, une fois effectuées, les livraisons, qui se sont élevées à cinq, étalées sur un mois, n'ont nullement été refusées par la société Socamapi, qui est également particulièrement discrète sur le sort des marchandises ; les factures éditées entre le 26 mars et le 29 avril 2009 n'ont pas davantage donné lieu, à leur réception, à des protestations ou réserves de la part de la société Socamapi, qui, après une première mise en demeure du 7 juillet 2008, ne les a contestées, par l'intermédiaire de son avocat, que le 1er septembre 2008, soit plus de quatre mois après.

Enfin, la société Socamapi ne s'est pas défendue dans le cadre de la procédure diligentée à son encontre par le transporteur autrichien devant le Tribunal d'instance de Judenburg, qui, par jugement du 30 avril 2009 rendu exécutoire en France, l'a condamnée à payer la somme de 8 350 euro, montant des frais de transport.

Les éléments qui précédent sont donc de nature à établir que, contrairement à ce qu'affirme la société Socamapi, les marchandises, objet des factures litigieuses, ont bien été commandées par elle.

Même sous couvert d'interprétation du contrat-cadre du 2 avril 2007, la société Socamapi ne peut sérieusement soutenir qu'elle était débitrice de l'obligation de se fournir exclusivement auprès de la société Pabst ; elle bénéficiait, en effet, d'une exclusivité d'approvisionnement en France et en Espagne, d'une durée d'un an, pour ce qui concerne les copeaux de bois "Alpenspan" produits par la société Pabst, mais n'avait elle-même aucune obligation d'achat exclusif auprès de cette société ; admettre le contraire reviendrait à dénaturer les termes clairs et précis du contrat.

La société Socamapi, qui avait la possibilité de se fournir en copeaux de bois, entrant dans la composition de la litière pour chevaux, auprès d'autres fournisseurs, ne saurait ainsi reprocher à la société Pabst de ne pas l'avoir approvisionnée régulièrement au cours de l'hiver 2007, alors qu'il est établi que la production de copeaux de bois de celle-ci a été considérablement réduite durant la période d'octobre 2007 à mars 2008 par rapport à la période d'octobre 2006 à mars 2007 (756 - 4105 tonnes) et qu'elle avait été avisée des difficultés d'approvisionnement de son fournisseur dues au manque de matières premières en Autriche par courriels des 29 novembre et 5 décembre 2007, outre la fermeture de ses usines du 21 décembre 2007 au 13 janvier 2008.

Il est également reproché à la société Pabst d'avoir, en juin 2008, imposé à la société Socamapi un paiement d'avance des marchandises, qui constituerait un mode de règlement manifestement abusif au regard des bonnes pratiques et usages commerciaux au sens de l'article L. 442-6, I, 7° du Code de commerce ; pour autant, dès lors que la société Socamapi était alors redevable de 15 351 euro de factures impayées, qu'elle ne proposait même pas de régler, il n'était pas manifestement abusif pour la société Pabst de demander à son client de s'acquitter, par avance et avant toute livraison, des nouvelles marchandises commandées ; elle avait précédemment, dans un courriel du 19 février 2008, rappelé à la société Socamapi que deux factures en date des 11 décembre 2007 et 31 janvier 2008 étaient demeurées impayées, sachant que le contrat-cadre du 2 avril 2007 prévoyait un paiement immédiat des factures, en contrepartie d'un escompte de 3 %.

Les conditions de règlement imposées par la société Pabst n'étant pas manifestement abusives eu égard aux circonstances, il ne peut davantage lui être reproché une rupture brutale des relations commerciales de nature à engager sa responsabilité délictuelle sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du même Code.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Succombant sur son appel, la société Socamapi doit être condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Pabst la somme de 3 000 euro en remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Perpignan en date du 14 décembre 2010, Condamne la société Socamapi aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Pabst la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément à l'article 699 du même Code.