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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 21 mars 2012, n° 11-22212

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Diapason Allure Aménagement (SAS)

Défendeur :

Steelcase (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guot

Conseillers :

Mmes Lesault, Graff-Daudret

Avocats :

Mes Do Rego, Villey Desmeserets, Bretzner

T. com Créteil, du 17 nov. 2011

17 novembre 2011

Faits constants et procédure :

La SAS Diapason Allure Aménagement (DAA) a pour activité la distribution de mobilier de bureaux, notamment celui fabriqué par la SA Steelcase, dont elle était, jusqu'au 18 décembre 2008, une filiale à 100 %. A la suite de la cession de DAA à la société A2R, DAA et Steelcase ont conclu le 18 décembre 2008 un contrat de distribution exclusive qu'elles ont modifié le 5 octobre 2009 (le Contrat).

Aux termes du Contrat, Steelcase confère à DAA la distribution exclusive de certains de ses produits sur un territoire défini, et se réserve le droit de vendre certains autres produits directement à des clients qualifiés de "clients Steelcase".

Le Contrat comporte une clause 9i) disposant que "tout litige relatif au présent Contrat, quelle qu'en soit la nature ou l'objet, qu'il s'agisse notamment d'un différend relatif à sa formation, son exécution ou son interprétation, devra être soumis à la Chambre Commerciale du Tribunal de grande instance de Strasbourg, qui sera seul compétent pour trancher, même en cas de procédure de référé".

Par jugement du 13 octobre 2010, le Tribunal de commerce de Créteil a prononcé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard de DAA, désigné Maître Gilles Baronnie en qualité d'administrateur judiciaire et fixé la période d'observation à six mois.

Indiquant que Steelcase avait commis à son égard des actes de concurrence déloyale, DAA, assistée de Maître Baronnie, a assigné celle-ci par acte du 14 février 2011 devant le Tribunal de commerce de Créteil aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 281 468,89 euro de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de détournements de commandes, de la somme de 3 595 744 euro de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de détournement de clientèle, et de la somme de 100 000 euro de dommages-intérêts pour atteinte à son image.

Steelcase a soulevé l'incompétence du Tribunal de commerce de Créteil au profit de la Chambre Commerciale du Tribunal de grande instance de Strasbourg, le 21 avril 2011.

Par jugement du 17 novembre 2011, le Tribunal de commerce de Créteil s'est déclaré incompétent au profit de la Chambre Commerciale du Tribunal de grande instance de Strasbourg, a condamné DAA aux dépens et a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.

DAA a formé un contredit à ce jugement le 1er décembre 2011.

Moyens du contredit :

DAA fait valoir :

- que, si les deux sociétés sont liées par le Contrat, elles sont aussi concurrentes ; qu'elle ne reproche pas à Steelcase de ne pas avoir respecté ses obligations contractuelles, mais d'avoir commis des détournements de commandes et de clientèle à son profit, que ses demandes ne sont pas fondées sur le Contrat, mais sur des actes de concurrence déloyale, sanctionnés par le seul article 1382 du Code civil, que la clause attributive de compétence ne peut donc trouver application,

- que le tribunal a confondu les griefs qu'elle a émis à l'encontre de Steelcase, qui relèvent d'actes de concurrence déloyale, et les moyens de défense opposés par celle-ci, issus des dispositions contractuelles

- que l'existence de relations contractuelles entre les parties ne fait pas échec à une éventuelle action en concurrence déloyale de nature délictuelle, ainsi que l'a jugé un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 16 juin 1998

- que la clause attributive de compétence ne vise que "tout litige relatif au présent contrat" et non un litige relevant de la responsabilité délictuelle, et qu'elle ne peut donc s'appliquer

- que, Steelcase ayant notamment détourné à son profit des commandes qui devaient lui être passées par le Crédit Foncier de France pour l'aménagement de bureaux à Charenton le Pont, et "circularisé" un courrier de revendication de la propriété de marchandises auprès de la société Leroy Merlin située à Bonneuil Sur Marne et de la société Sogaris située à Créteil, dans le ressort du Tribunal de commerce de Créteil, ce tribunal est territorialement compétent comme tribunal du lieu où le dommage s'est produit, en application de l'article 46 du Code de procédure civile.

Elle demande d'infirmer le jugement entrepris, de dire le tribunal de commerce compétent, et de condamner DAA à lui verser la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Moyens de Steelcase

Par écritures du 21 février 2012 verbalement développées, Steelcase fait valoir :

- que les griefs énoncés dans l'assignation ont trait, pour la plupart d'entre eux, à des obligations stipulées au Contrat à sa charge

- que l'action engagée par DAA, en dépit de ce qu'elle soutient artificiellement, est de toute évidence relative au Contrat

- que d'ailleurs le juge commissaire n'a jamais contesté l'existence d'un lien contractuel entre les parties

- que la présence d'un lien contractuel exclut que la responsabilité délictuelle puisse concomitamment être invoquée par une partie,

- qu'en toute hypothèse, compte tenu de sa généralité, la clause attributive de compétence doit s'appliquer, que le litige soit de nature contractuelle ou délictuelle.

Elle demande à la cour :

- de dire recevable et fondée son exception d'incompétence,

- de confirmer le jugement entrepris et de déclarer le Tribunal de commerce de Créteil incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Strasbourg,

- de condamner DAA à lui payer la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Sur quoi, la cour :

Considérant que selon l'article 48 du Code de procédure civile, toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite, à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée ;

Considérant que les deux parties au litige sont commerçantes et ont contracté en cette qualité ; que la clause 9i) susvisée figure, en caractères soulignés, au paragraphe "droit applicable et juridiction compétente", lui-même inséré au chapitre 9 "Dispositions Diverses", en page 16 du contrat paraphée par DAA ; que sont ainsi satisfaites les conditions de forme prévues par l'article 48 ; qu'au demeurant, DAA ne conteste pas la validité de cette clause, mais son applicabilité au litige ;

Considérant qu'aux termes du Contrat, un encours de crédit de 1 600 000 euro était consenti par Steelcase, pouvant être dépassé à titre exceptionnel sur autorisation écrite, Steelcase étant alors autorisée à facturer directement le client, et DAA percevant dans ce cas une rémunération égale à la différence entre le prix facturé au client et le prix auquel DAA aurait normalement acheté le produit à Steelcase ;

Considérant qu'aux termes de son assignation introductive d'instance, DAA fonde ses demandes sur les griefs suivants faits à Steelcase :

- d'avoir refusé, à partir de septembre 2010, non seulement de lui accorder un dépassement de cette ligne de crédit, mais encore d'avoir baissé son montant à 1 000 000 euro et d'avoir facturé directement des commandes qu'elle-même avait prises, pour un montant de 100 000 euro, et ce, sans préavis ;

- d'avoir, dans le même temps, brutalement bloqué toutes ses commandes tant à l'enregistrement qu'à la livraison

- d'avoir "circularisé" auprès de 120 de ses plus importants clients un courrier de revendication de la propriété des marchandises en leur possession sans opérer de distinction entre les clients ayant réglé leurs commandes et les autres, et de les avoir ainsi massivement informés de la procédure de sauvegarde dont elle faisait l'objet, avant qu'elle-même n'ait pu le faire

- de n'avoir procédé qu'à des livraisons partielles malgré les paiements complets des marchandises effectués par elle-même, dont il est résulté l'impossibilité de facturer ses clients, et une aggravation de sa situation financière déjà fragilisée par la réduction de l'encours de crédit

- et d'avoir, en procédant de la sorte, détourné à son profit une partie de la clientèle (et notamment Carrefour, l'Oréal, Aéroport de Paris, Crédit Foncier de France) ;

Considérant que, nonobstant la qualification d'actes de concurrence déloyale que donne DAA à ces agissements, il s'agit, à l'évidence, de manquements aux obligations de Steelcase découlant du Contrat, et, principalement, à l'obligation essentielle de bonne foi et de loyauté, dont le détournement de commandes et de clients serait la conséquence ;

Qu'à supposer, même, que l'on puisse qualifier les actes reprochés à Steelcase d'actes de concurrence déloyale, il n'en demeure pas moins qu'ils s'inscrivent dans les relations contractuelles entre les parties ;

Considérant que la clause attributive de compétence, dont DAA ne conteste pas la validité, s'applique à "tout litige relatif au présent Contrat, quelle qu'en soit la nature ou l'objet, qu'il s'agisse notamment d'un différend relatif à sa formation, son exécution ou son interprétation" ;

Que par sa généralité, elle concerne tout litige opposant les parties, découlant du Contrat ; qu'elle s'applique donc au litige présent ;

Qu'il convient, en conséquence, de débouter DAA de son contredit ;

Considérant que, partie succombante, DAA devra supporter les frais du contredit ;

Considérant qu'il serait contraire à l'équité de laisser à Steelcase la charge de ses frais non inclus dans les dépens ;

Par ces motifs : Rejette le contredit formé par la SAS Diapason Allure Aménagement, Condamne la SAS Diapason Allure Aménagement aux frais du contredit, Condamne la SAS Diapason Allure Aménagement à payer à la SA Steelcase la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.