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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ. A, 29 mars 2012, n° 10-03370

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Euralis Vigne (SA)

Défendeur :

Chateau Granins Grand Poujeaux (SCEA), Avery Dennison Materials France (SARL), Print Dorure (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lafon

Conseillers :

MM. Sabron, Lippmann

Avoués :

SCP Arsene-Henry-Lancon, SCP Le Barazer, d'Amiens, SCP Casteja Clermontel, Jaubert, SELARL Biais, Associés

Avocats :

Me Vincens, Dufranc, Plouton, Lecomte-Roger

TGI Bordeaux ch. 5, du 4 mars 2010

4 mars 2010

Exposé du litige.

Par jugement du 4 mars 2010, auquel le présent arrêt se réfère pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, le Tribunal de grande instance de Bordeaux a mis hors de cause la société Print Dorure, société à responsabilité limitée, et la société Avery Dennison Materials France, a condamné la société Euralis Vigne, société anonyme, à supporter définitivement le coût des opérations de nettoyage et de ré-étiquetage des bouteilles sinistrées, chiffré par elle à 24 327,01 euro, a condamné la société Euralis Vigne à payer à la société Château Granins Grand Poujeaux, société civile d'exploitation agricole, la somme de 16 000 euro en indemnisation de son préjudice, a ordonné l'exécution provisoire, a condamné la société Euralis Vigne à payer à la société Château Granins Grand Poujeaux, la société Avery Dennison Materials France, la société Print Dorure, chacune, la somme de 2 000 euro, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et a condamné la société Euralis Vigne aux dépens.

La société Euralis Vigne a relevé appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délais qui ne sont pas discutées.

Par dernières conclusions, la société Euralis Vigne demande à la cour de dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute lors des opérations d'étiquetage, de dire et juger qu'elle n'était tenue à aucune obligation relative au choix des étiquettes, de dire et juger que la société Château Granins Grand Poujeaux ne justifie pas en tout état de cause de ses préjudices, en conséquence de réformer le jugement déféré, à titre subsidiaire de condamner la société Avery Dennison Materials France et la société Print Dorure à la relever indemne de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre, à titre reconventionnel, de condamner in solidum la société Print Dorure ou toutes partie succombante et la société Château Granins Grand Poujeaux au paiement de la somme de 24 327,05 euro, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en toute hypothèse, de condamner la société Château Granins Grand Poujeaux et la société Print Dorure à lui payer la somme de 15 000 euro, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions la société Euralis Vigne soutient que les opérations d'étiquetage ne sont pas à l'origine du sinistre et fait valoir par ailleurs qu'elle n'était tenue, en vertu du contrat de prestations de service qui la liait à la société Château Granins Grand Poujeaux, à aucune obligation relative au choix des étiquettes.

A cet égard elle soutient que n'ayant pas choisi les étiquettes qui lui ont été livrées afin qu'elle procède à leur pose et n'étant pas un professionnel de l'imprimerie, sa responsabilité ne peut être retenue ni au titre d'un manquement à l'obligation de conseil relatif au choix des étiquettes ni en vertu d'une obligation de résultat concernant ce choix expressément exclu, selon elle, du champ contractuel.

Elle soutient qu'en revanche, la société Print Dorure porte la responsabilité du choix d'adhésifs inadaptés.

Elle en déduit qu'elle est fondée à solliciter non seulement la garantie de cette société mais également du fabricant, la société Avery Dennison Materials France.

Elle soutient par ailleurs que la société Château Granins Grand Poujeaux ne justifie pas avoir subi un quelconque préjudice.

Elle fait enfin valoir qu'elle a dû procéder à ses frais au nettoyage et au ré-étiquetage des bouteilles sinistrées et en déduit que, n'ayant aucune responsabilité dans la réalisation du sinistre, elle est fondée à demander paiement de la facture de cette prestation à la société Print Dorure ou toute partie succombante in solidum avec la société Château Granins Grand Poujeaux, bénéficiaire de la prestation.

Par dernières conclusions, la société Château Granins Grand Poujeaux demande à la cour de confirmer le jugement déféré sauf en ce qui concerne la mise hors de cause de la société Print Dorure et l'indemnisation de ses préjudices, de dire et juger que la société Euralis Vigne a manqué à son obligation de résultat et ses obligations contractuelles de conseil et d'information, en qualité de professionnel du conditionnement de bouteilles de vin, de dire et juger que la société Print Dorure a manqué à ses obligations contractuelles, en sa qualité de professionnel de l'imprimerie, de condamner in solidum la société Euralis Vigne et la société Print Dorure à lui payer la somme de 62 313,45 euro en réparation de son préjudice financier, la somme de 10 000 euro en réparation de son préjudice moral et commercial et la somme de 10 000 euro, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, la société Château Granins Grand Poujeaux expose que l'expert a constaté que les étiquettes cloquaient, plissaient ou se décollaient et a déterminé que ces étiquettes de type "caoutchoutique" n'étaient pas adaptées à des températures d'étiquetage limites ou lorsque le degré hygrométrique était très élevé comme en l'espèce.

La société Château Granins Grand Poujeaux soutient que la société Euralis Vigne était tenue d'une obligation de résultat, qu'en outre il lui appartenait, en sa qualité d'embouteilleur professionnel, de se renseigner sur la nature des étiquettes qui allaient être posées et qu'enfin elle devait informer son client sur le risque de "cloquages" d'étiquettes "caoutchoutiques" dans les conditions de pose qu'elle allait pratiquer.

Elle estime que la société Euralis Vigne n'a satisfait à aucune de ses obligations de renseignement et de conseil et qu'elle n'a pas rempli son obligation de résultat.

Elle soutient par ailleurs que la société Print Dorure a aussi manqué à ses obligations contractuelles à son égard en ce qu'elle a omis de l'informer de la nature de l'adhésif et ne s'est pas renseignée sur les conditions de pose des étiquettes qui lui étaient commandées aux fins d'apprécier leur compatibilité avec les conditions de pose.

Elle en déduit que la société Euralis Vigne et la société Print Dorure sont tenus in solidum à l'indemniser des préjudices qu'elle a subis.

A cet égard, elle soutient avoir subi un préjudice moral et commercial justifiant l'allocation d'une somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts ainsi qu'un préjudice financier d'un montant total de 62 313,45 euro.

Par dernières conclusions, la société Avery Dennison Materials France demande à la cour de confirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions, à titre subsidiaire de débouter la société Euralis Vigne, la société Château Granins Grand Poujeaux et la société Print Dorure de leurs demandes à son encontre, et de condamner en outre la société Euralis Vigne à lui payer la somme de 10 000 euro, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions la société Avery Dennison Materials France soutient que le produit qu'elle a vendu est parfaitement adapté à l'utilisation et l'application sur des bouteilles en verre et que sa responsabilité n'est pas engagée.

Elle soutient que les cloques sont apparues du fait du processus d'embouteillage, que la société Euralis Vigne n'a pas pris les précautions utiles pour stocker les étiquettes ainsi qu'avant de lancer les opérations d'embouteillage et d'étiquetage, et en déduit que cette société est seule responsable du préjudice qu'a subi la société Château Granins Grand Poujeaux.

Elle soutient qu'en tout état de cause la demande en réparation du préjudice formulée par la société Château Granins Grand Poujeaux à hauteur de 62 313,45 euro n'est ni fondée ni justifiée et que cette société doit donc en être déboutée.

Elle soutient à titre subsidiaire que dans l'hypothèse où sa responsabilité serait retenue, elle ne pourrait cependant l'être que dans une moindre mesure, la société Euralis Vigne portant la plus grande responsabilité dans la survenance du sinistre.

Par dernières conclusions, la société Print Dorure demande à la cour de dire et juger qu'aucune responsabilité ne peut lui incomber, que la société Euralis Vigne est seule responsable du défaut d'étiquetage, que cette société doit être déboutée de ses demandes à son encontre, que la société Château Granins Grand Poujeaux est également mal fondée en ses demandes à son encontre, qu'elle n'a pas failli dans ses obligations de renseignement et de conseil, qu'elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité et qu'elle doit être mise hors de cause.

Elle demande encore à la cour de condamner la société Euralis Vigne ou toute autre partie qui succomberait à lui payer la somme de 9 505,87 euro, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 20 septembre 2006.

A titre subsidiaire, au cas où sa responsabilité serait retenue, elle demande à la cour de dire que la société Château Granins Grand Poujeaux ne rapporte pas la preuve de son préjudice et de la débouter de ses demandes, ou, pour le moins, d'ordonner la compensation entre le montant de sa condamnation et la somme de 7 505,87 euro qu'elle a dû exposer au titre des frais de gestion de ce sinistre et de condamner la société Euralis Vigne et la société Avery Dennison Materials France in solidum à la relever indemne.

Elle demande enfin à la cour de condamner en tout état de cause la partie qui succombera à lui payer la somme de 6 000 euro, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité, les étiquettes qu'elle a vendues étant parfaitement adaptées à l'application sur bouteilles et n'étant pas débitrice d'une obligation de conseil à l'égard de l'acheteur professionnel qu'est la société Château Granins Grand Poujeaux.

A titre subsidiaire elle soutient que dans l'hypothèse où elle serait condamnée, la société Château Granins Grand Poujeaux, qui n'a pas vérifié l'adéquation des étiquettes avec leur destination et les conditions de leur pose, devrait être condamnée en tout ou partie à la relever indemne, de même que la société Avery Dennison Materials France, son fournisseur papier, qui ne l'a jamais informée de prétendues conditions spécifiques de pose.

Elle soutient encore que la société Château Granins Grand Poujeaux ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle allègue avoir subi.

Faisant valoir qu'elle a dû faire fabriquer en hâte de nouvelles étiquettes en raison du sinistre et soutenant qu'elle a subi de ce fait un préjudice de 9 505,87 euro, elle estime que la société Euralis Vigne ou tout autre partie qui succombera, doit l'en indemniser, et que, pour le moins, la somme de 7 505,87 euro correspondant au frais qu'elle a exposés dans la gestion de ce sinistre, devra se compenser avec la condamnation qui sera le cas échéant prononcée à son encontre.

Les parties ont demandé le report de la clôture de l'instruction à la date des plaidoiries du 26 janvier 2012.

Motifs de la décision.

Il convient, à la demande des parties, de reporter la clôture de l'instruction au 26 janvier 2012.

Selon contrat du 31 janvier 2006, la société Euralis Vigne s'est engagée à effectuer au profit de la société Château Granins Grand Poujeaux le tirage, le bouchage le capsulage et l'étiquetage de son vin.

S'agissant particulièrement de la prestation d'étiquetage, dès lors que la société Euralis Vigne avait en sa qualité de professionnel, accepté de la réaliser en collant les étiquettes fournies par sa cliente lui fournissait, il lui appartenait de l'exécuter et non de tenter de l'exécuter aux risques et périls de sa cliente en excipant a posteriori du fait qu'elle n'avait pas participé au choix des étiquettes.

A cet égard, le fait que par ailleurs, l'article 5.4 du contrat ne mentionne au titre des catégories de "matières sèches" que les bouteilles, les bouchons, les capsules et les cartons, ne saurait signifier, en l'absence de stipulation expresse, que les parties aient exclu la responsabilité de la société prestataire pour le collage des étiquettes, l'article susvisé se bornant au demeurant à énumérer les matières sèches fournies par la société prestataire.

Par ailleurs l'expertise n'a pas révélé que les étiquettes étaient défectueuses, l'expert ayant au contraire estimé qu'elles étaient d'excellente qualité, mais qu'elles n'étaient "pas adaptées lorsque les températures d'étiquetage sont limites et surtout lorsque le degré hygrométrique est très élevé, par exemple comme dans le litige, pour les embouteillages mobiles à façon des vins tranquilles" (rapport p.31).

Or il appartenait à la société Euralis Vigne de connaître les contraintes d'utilisation des étiquettes fournies et d'effectuer la prestation de collage dans les conditions adéquates.

La société a donc manqué à son obligation dès lors que des cloques sont apparues sur les étiquettes qu'elle a collées.

La société Château Granins Grand Poujeaux soutient qu'elle a subi un préjudice financier de 62 313,45 euro.

Cette somme est le résultat de l'addition d'une liste de frais qui comporte la valorisation d'heures de travail des dirigeants ou des salariés de la société viticole, des péages autoroutiers, diverses factures et honoraires d'avocat, ainsi que, comme l'ont relevé les premiers juges, la facture de ré-étiquetage présentée par la société Euralis Vigne.

S'y ajoutent des "agios" réclamés par la société Euralis Vigne au titre de la facture de ré-étiquetage dont elle demande paiement pour la somme de 24 327,01 euro.

Ainsi que l'ont justement décidé les premiers juges, les frais de ré-étiquetage ne constituent pas des dommages pour la société Château Granins Grand Poujeaux, dès lors que la société Euralis Vigne sera déboutée de sa demande reconventionnelle en paiement de ce chef et qu'elle devra en supporter définitivement le coût.

La société Euralis Vigne ne pourra donc pas davantage lui réclamer paiement des "agios" calculés sur cette facture.

Les frais d'avocat seront pris en compte au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Château Granins Grand Poujeaux n'établit pas que les autres frais ou dépenses soient la conséquence des défauts d'étiquetage.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Château Granins Grand Poujeaux de ses demandes de ce chef.

En revanche il n'est pas contestable que la société Château Granins Grand Poujeaux ait subi un contretemps dans sa production du fait du sinistre et que son image commerciale auprès de ses clients habituels ait été affecté par les retards de livraison qui s'en sont suivis et qui portaient sur 21 920 bouteilles restées en souffrance.

Ce préjudice commercial a justement été évalué par les premiers juges à 10 000 euro.

La société Château Granins Grand Poujeaux ne justifie cependant pas avoir exposé des frais financiers ni des frais de re-conditionnement, de sorte que le jugement qui lui a alloué la somme de 6 000 euro de ce chef sera infirmé.

Par ailleurs, la qualité des étiquettes vendues par la société Print Dorure et fabriquées par la société Avery Dennison Materials France n'est pas en cause.

La société Euralis Vigne devait, en sa qualité de professionnel, s'assurer des conditions de mise en œuvre de l'étiquetage et ne saurait faire grief ni à la société Avery Dennison Materials France ni à la société Print Dorure de sa propre carence.

Ces sociétés n'encourent aucune responsabilité du fait des dommages, de sorte que la décision qui les a mis hors de cause sera confirmée.

La société Print Dorure ne peut, de son côté, demander paiement d'une somme de 7 505,87 euro à titre de dommages et intérêts, alors que cette somme correspond au montant de deux factures qu'elle a établies au nom de la société Château Granins Grand Poujeaux et de la société Ginestet, ce dont il résulte qu'il s'agit de créances sur ces sociétés.

La société Print Dorure doit donc être déboutée de sa demande de ce chef.

Enfin il convient, en ajoutant à la décision entreprise, de condamner la société Euralis Vigne à payer à chacune des sociétés intimées la somme de 2 000 euro, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reporte la clôture de l'instruction au 26 janvier 2012, à la demande des parties, Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Euralis Vigne à payer à la société Château Granins Grand Poujeaux la somme de 16 000 euro en indemnisation de son préjudice, Et, statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Euralis Vigne à payer à la société Château Granins Grand Poujeaux la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts, Confirme le jugement déféré pour le surplus, Déboute la société Print Dorure de sa demande en paiement d'une somme de 9 505,87 euro, Condamne la société Euralis Vigne à payer à la société Château Granins Grand Poujeaux, la société Avery Dennison Materials France et la société Print Dorure, chacune, la somme de 2 000 euro, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne la société Euralis Vigne aux dépens d'appel et dit qu'ils pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.